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« J’obtiendrai mon permis B quand je serai au paradis »

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PoseMuse

Les travaux herculéens pour l’obtention du précieux sésame

« Il semble que j’obtiendrai mon permis B quand je serai au paradis! » me rétorque sur un ton à moitié sarcastique Monsieur Karim*, âgé de 70 ans, ancien professeur de sciences et directeur adjoint de l’une des plus grandes écoles secondaires de Damas.

C’est un groupe de Syriens, titulaires de permis F, admission provisoire humanitaire 1. La plupart d’entre eux ont plus de 60 ans et sont arrivés en Suisse presque à la même période, il y a cinq ou six ans, à la suite de la guerre civile dévastatrice en Syrie.

Le déracinement

Ces personnes ont vécu et travaillé dur toute leur vie dans leur pays. Comme un arbre immense, elles ont étendu leurs racines et leurs feuilles, construit un vaste réseau de relations sociales, familiales et professionnelles au fil des ans, puis en un tour de main , elle ont été déracinés et jetés sur des rivages étrangers.

Beaucoup d’entre elles menaient une vie relativement confortable avant la guerre. L’idée de s’installer en Suisse ne leur avait jamais traversé l’esprit. Elles pensaient que leur séjour serait court et qu’elles retourneraient dans leur pays lorsque la guerre arrivera à son terme! Maintenant, après sept ans de guerre destructrice, il n’y a pas aucune lumière au bout du tunnel.

La marginalisation

Ici, en Suisse, la majorité de ces personnes ont vu leur demande d’asile rejetée. Stigmatisées et marginalisées comme « vielles et âgées », elles ont été privées du droit de voyager pour voir leurs proches dispersés dans les pays voisins, de travailler (sans compter qu’à cet âge, il est presque impossible de trouver du travail!), et exclues de presque tous les programmes d’intégration comme étant inaptes au marché du travail!

Khaled*, un homme dans la soixantaine, qui n’a jamais cessé de travailler dans son pays, raconte avec exaspération comment chaque fois qu’il demande à son assistant social de l’inscrire dans un cours de français ou dans un travail bénévole, il reçoit la même réponse : « vous êtes une personne âgée ».

Les travaux herculéen du permis B

Je ne veux pas soulever ici la question des raisons pour lesquelles ces personnes qui ont fait face à une menace imminente pour leur vie dans leur pays n’ont pas obtenu le statut de réfugié et la protection durable et stable garantie par le Haut Commissariat au Réfugiés des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Mais, je voudrais plutôt dire que, confrontées à toutes ces restrictions et barrières, ces personnes sont obligées de passer par des tâches herculéennes afin d’obtenir le permis B! La première: être indépendant, c’est-à-dire ne pas être au bénéfice de l’assistance sociale. La deuxième : être socialement, professionnellement et linguistiquement intégré! Ce en plus d’une longue liste d’autres conditions et demandes…

C’est un véritable dilemme !

Donc, il semble que M. Karim, l’ancien professeur de sciences, ait bien calculé sa chance, en supposant qu’il pourrait probablement obtenir son permis B après 15 ans de séjour en Suisse, ou beaucoup plus tôt, Comme il l’avait prédit ci-dessus !

*Noms d’emprunt

Hayro

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Notes :

1- Le permis F peuvent varier selon s’il s’agit d’une admission provisoire avec la qualité de réfugié ou d’une admission provisoire humanitaire.

2- Différentes instances internationales comme le HCR se sont prononcées sur le statut des personnes admises à titre provisoire. Elles ont émis des critiques et des recommandations sur le sort qui leur est réservé




La dame avec le chien

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Réflexion sur l’exil, le vieillissement et l’intégration

J’ai travaillé dur pendant 35 ans et j’étais tellement immergé dans mon travail que j’ai rarement pensé à mon âge. J’ai aimé mon travail: l’enseignement. Mais les choses ont tourné à l’envers tout d’un coup, et un tsunami féroce m’a jeté violemment sur d’autres rives.

Au camp de réfugiés, j’étais dans un combat constant avec toutes les visions de mon passé. Les tentatives de les chasser par divers moyens: la méditation, le yoga … n’ont abouti à rien. Etant un passionné de lecture, je fréquentais les bibliothèques publiques qui offrent un endroit calme et tranquille pour les lecteurs ainsi que pour faire la sieste ! Ces bibliothèques étaient très bien, comme une cuisine pleine de nourriture appétissante et de délices, mais qu’il était interdit pour moi de manger. Les étagères étaient remplies de toutes sortes de livres et de publications principalement en français, une langue que je ne connaissais pas, sauf quelques mots et expressions qui subsistaient encore dans ma mémoire d’un passé lointain. Je ressemblais beaucoup à un aveugle tâtonnant dans une pièce remplie de meubles. Ironiquement, pendant ma pratique en tant que professeur d’anglais, j’ai bourré la tête de mes étudiants au fil des ans de conseils sur la façon d’apprendre une langue étrangère. Maintenant, je me retrouve perdu.

Je me souviens encore d’un incident qui m’est arrivé il y a quelques temps. Un jour, alors que j’étais en train de lire dans un parc tranquille, j’ai senti que quelque chose reniflait ma main. Je l’ai retirée instinctivement et me suis retrouvé face à un chien qui aboyait sur moi, suivi immédiatement par un flot de mots en français d’une dame en colère, la propriétaire du chien. Ce que je pouvais comprendre était: « Le chien ne vous mangera pas! » Si j’avais bien connu le français, je lui aurais dit « Je sais Madame! Mais votre chien aurait pu me mordre! » Nous avons tous deux manqué de quelque chose : moi la langue, elle quelques manières.

Néanmoins, la pensée de mes prochains cours de français – donnés aux réfugiés dans le cadre du programme d’intégration – me remontait parfois le moral. Comme une lumière à la fin du tunnel. Je voyais tous les jours beaucoup d’étudiants dévaler la route du foyer principal, se dirigeant vers école, et je me demandais pourquoi mon nom ne figurait pas dans la liste ! Puis, un jour, mon assistante sociale m’a dit plutôt doucement, pour le faire sonner de manière moins douloureuse: «L’établissement encourage les jeunes réfugiés à s’intégrer, non des personnes de votre âge ». Un frisson m’a traversé le corps. Comme le temps passe vite ! Les psychologues affirment que les enseignants sont les plus exposés aux effets traumatiques du vieillissement dès qu’ils quittent leur emploi ou prennent leur retraite. Mais, ce n’était pas ce que je ressentais. Ce n’était pas la réalisation que je vieillis. C’était quelque chose de plus poignant, de plus angoissant. Si j’avais été ici il y a 20 ans, les choses auraient été bien différentes ! Complètement différentes ! Mais, il n’y avait pas de temps pour l’apitoiement sur soi et les sentiments pathétiques. J’avais terriblement besoin de ces cours; sinon, j’allais me « désintégrer » en un rien de temps entre les quatre murs de ma petite chambre.

Heureusement, le mot « motivé », un terme couramment utilisé ici, est venu à mon secours. J’étais motivé ! J’ai donc commencé mes cours intensifs avec de nombreux jeunes réfugiés qui parlaient toutes les langues sauf le français, et bon nombre d’entre eux étaient « démotivés » !  quand même, au début de chaque cours, le mot « âgé » remplaçait « motivé », et je devais lutter à nouveau pour que mon nom soit inclus dans les listes. Fait intéressant, le responsable des cours, une personne très gentille de mon âge plaidait en faveur des « règles », alors que je demandais une « exception ». Puis, comme pour me réconforter, il me disait que lui aussi allait partir à la retraite très bientôt ! Quel réconfort !

Pourtant, je dois admettre que « la vieillesse » avait au moins un « avantage »! J’ai été élu à chaque fois comme un « délégué » de la classe, pas tellement pour mes compétences, mais par respect que les étudiants africains et asiatiques ont encore pour les cheveux gris ! De plus, les enseignants étaient prévenants et l’un d’entre eux a fait quelques remarques agréables au sujet de l’âge de 60 ans, en disant qu’il s’agissait de la période de maturité, de détente et de vacances …!

Enfin, je sais bien que «  la motivation » et « la vieillesse » ne vont pas de pair en ce qui concerne le « marché du travail ». Néanmoins, je sais aussi que la clé à « l’intégration », au sens large du terme (culturel, social et psychologique), est l’acquisition des compétences linguistiques du pays, que la personne soit âgée ou jeune, sinon l’incident ci-dessus de la dame avec le chien sera l’alternative.

Hayrenik Dono

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Vieillesse et exil : le dangereux cumul des déracinements

Photo: Hayrenik DONO, membre de la rédaction vaudoise de Voix d'Exils.

Photo: Hayrenik DONO, membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils.

L’Entraide Protestante Suisse (l’EPER) organise une visite au zoo Servion avec un groupe de réfugiés Syriens de plus de 55 ans.

La vieillesse est souvent associée à, entre autres, à des maladies chroniques, la dépression, la solitude, l’isolement, etc. Mais ces maux deviennent encore plus aigus dans le cas où les réfugiés âgés ont été contraints à fuir la guerre qui faisant rage dans leurs pays respectifs après avoir passé toute une vie là-bas.

Beaucoup d’entre eux, spécialement les Syriens, ont vécu une vie relativement confortable avant que la guerre n’éclate. En plus, Ils ignoraient totalement le fait que leur séjour en Suisse serait indéfini et qu’ils ne pourraient jamais retourner dans leur pays.

L’Entraide Protestante Suisse (l’EPER) est une organisation qui propose de nombreux programmes pour les réfugiés, dont un en collaboration avec l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (l’EVAM) qui s’adresse plus spécifiquement à ceux de plus de 55 ans. Ces activités visent à améliorer les conditions de vie sociale et la santé de ces personnes migrantes senior.

La dernière activité en date organisée par EPER pour ce public était une visite du zoo de Servion le 30 Juillet 2016. Environ 25 réfugiés Syriens se sont retrouvés pour s’y rendre. Ils sont issus de différentes parties de la Syrie, mais sont tous devenus amis en Suisse, grâce à l’EPER qui leur a permis de se rencontrer.

Abou Ahmad, un homme dans les soixante-dix ans venant de Damas, embarrasse chaleureusement son ami Abou Mazen, du même âge que lui, provenant de al-Sweida et lui dit affectueusement avec les yeux brillant comme des petits miroirs : « Je suis venu pour vous voir mon vieil ami, aller au zoo sans vous n’aurait pas de sens ». Il est très émouvant de voir comment les membres du groupe se saluent cordialement, à l’image de membres d’une même famille séparée depuis longtemps.

Au zoo, l’ambiance est festive et joyeuse. Malgré le fait que seul quelques animaux leur fassent l’honneur de se pavaner, cela n’a que guère d’importance, car ils sont occupés à échanger autour de souvenirs « du bon vieux temps », des nouvelles de leurs enfants et petits-enfants, des cours de langue française, de la peur de l’avenir et, bien sûr, des maux de tête qu’occasionne le permis F.

Il est très intéressant d’entendre Abou Jewan, soixante ans, venant de al-Malkie, qui parle fièrement de son jardin à Yverdon-les-Bains et de l’abondance du persil, de la menthe, des oignons, des pommes de terre, des tomates et des citrouilles qu’il a planté cette année. Sa famille se nourrit désormais toute l’année de légumes bio. Quelle chance ils ont !

Photo: Hayrenik DONO, membre de la rédaction vaudoise de Voix d'Exils

Photo: Hayrenik DONO, membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Mais l’excitation atteint son comble lorsque deux énormes tigres font soudainement leur apparition. Les visiteurs dégainent alors leurs appareils photos pour capturer des images des deux grands félins qui passent majestueusement leur chemin.

Dans l’après-midi, tous se rassemblent autour d’un pique-nique canadien et continuent leur conversation sans fin jusqu’à ce que les premières gouttes de pluie les prennent par surprise. Marc Caverzasio, le dynamique et gentil collaborateur du projet lance alors en arabe – langue qu’il maîtrise bien – que la visite est finie.

Mais avant de partir, Madame Inaam, provenant de Qamishli, une ville dans le Nord-Est de la Syrie, lui fait part de son sentiment du moment qui traduisait tout à fait l’impression générale du groupe : « cette activité nous a encore une fois chargé d’énergie positive. Merci l’EPER et merci la Suisse! »

Hayrenik DONO

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils