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Vingt jours, dix pays, un exil

Sur un quai de gare en Macédoine / Photo: Youssef

Le périple de deux jeunes syriens vers la Suisse



Youssef*, un jeune Syrien de 30 ans, a travaillé comme ingénieur électricien dans son pays. Aujourd’hui, il pratique le même métier, mais en Suisse. Au-delà de cette apparente stabilité et continuité dans sa vie, Youssef a connu les dangers de l’exil et les risques pris par toute personne qui quitte son pays pour un avenir meilleur. Vous trouverez ci-dessous les détails du voyage qu’il a entrepris avec sa sœur et les difficultés qu’ils ont a rencontrées sur le chemin de la migration au travers des 10 pays qu’ils ont parcourus pour rejoindre la Suisse depuis la Syrie.

De la Syrie vers le Liban et la Turquie

Youssef et sa sœur ont décidé de fuir la Syrie. Ils se sont rendus, début août 2015, de Damas à Tripoli au Liban où ils sont montés à bord d’un bateau en direction de Mersin en Turquie. Leur voyage a duré deux jours. Puis, ils ont pris un taxi en direction de la ville d’Izmir, mais le trajet a été beaucoup plus long que le premier et a duré 14 heures.

À Mersin, Youssef a contacté un passeur appelé « Abu Mowaffaq » et s’est mis d’accord avec lui sur une somme de 1’100 dollars US. Youssef et sa sœur ont rejoint un groupe de trois personnes et sont restés dans la maison du passeur pendant six jours, où ils ont tous attrapé la gale à cause de l’insalubrité des oreillers et des couvertures.

Six jours plus tard, au soir, ils se sont rendus en compagnie d’autres groupes – au total près de quarante personnes – vers la ville de Bodrum, lieu d’embarcation qui se trouve à deux heures d’Izmir. Comme le bateau n’était pas prêt à partir, tous ont dû attendre sur le rivage pendant quatre heures, mais en vain. Le passeur était absent. Quand ce dernier est finalement arrivé, il leur a apporté de la nourriture et leur a demandé de se cacher pour le lendemain, avant de s’enfuir rapidement.  Après plus de 19 heures d’attente, la police turque les a interpelés et arrêtés pour ensuite les emmener à la gare routière la plus proche. Ils ont donc été contraints de retourner à Izmir.

De la Turquie à la Grèce

Le lendemain, Youssef et sa sœur ont tenté une nouvelle fois d’effectuer la traversée en bateau et sont donc retournés à Bodrum. Ils y sont arrivés au milieu de la nuit à deux heures du matin. Au lever du soleil, ils sont montés dans la barque et le début du voyage a alors été marqué par les prières de toutes et tous et par les pleurs des enfants. Un quart d’heure après le départ, les garde-côtes turcs les ont attaqués en mer afin de les forcer à regagner la côte turque, mais les passagers du bateau ont ignoré ces appels et ont continué à naviguer. Les garde-côtes ont alors tiré en l’air pour les effrayer et ont fait plusieurs tentatives pour les arrêter. Mais en vain. Les garde-côtes ont alors été contraints de les laisser poursuivre leur chemin. Moins de dix minutes plus tard, ils ont rapidement été interceptés par les garde-côtes grecs qui les ont emmenés sur l’île de Kos. A leur arrivée, ils ont été escortés jusqu’à un bureau pour enregistrer leurs noms afin que les autorités puissent statuer sur leur décision d’expulsion de la Grèce.

Île Kos, Dodécanèse, Grèce / Photo: Ibrahim
Sur l’Île de Kos, Dodécanèse, Grèce / Photo: Youssef

La police grecque les a ensuite emmenés dans un camp dans lequel ils devaient passer plusieurs jours dans l’attente d’une décision de renvoi. Mais tous, y compris Youssef et sa sœur, ont décidé d’aller immédiatement acheter des billets de transports pour se rendre à Athènes.

Lieu indéterminé, Grèce / Photo: Ibrahim
Lieu indéterminé, Grèce / Photo: Youssef

De la Grèce à la Macédoine et de Macédoine à la Serbie

Le lendemain matin, Youssef et sa sœur ont embarqué sur un petit bateau et ont voyagé ainsi pendant près de 14 heures. Lorsqu’ils sont arrivés, un ami de la famille, qui possédait un appartement à Athènes, les attendait sur place. Ils sont restés chez lui quatre jours.

Au port d'Athènes, Grèce / Photo: Ibrahim
Au port d’Athènes, Grèce / Photo : Youssef

Après cela, ils sont montés dans le bus et se sont dirigés vers la frontière macédonienne avec pour destination une gare ferroviaire. Ils sont alors montés à bord du train destiné à transporter les réfugiés à la frontière serbe et leur voyage a duré huit heures. Ils sont arrivés à minuit, puis ils ont attendu jusqu’au petit matin par peur des voleurs et des bandes qui rôdaient sur la route des voyageurs le long de la frontière serbo-macédonienne. Puis, ils ont marché vers le premier village de Serbie et de là ils ont pris un bus vers la capitale, Belgrade, où ils ont séjourné dans un hôtel pendant deux jours. Ils se sont ensuite dirigés vers la frontière hongroise à travers les champs de maïs. En chemin, ils ont été surpris par la présence de policiers qui arrêtaient et empêchaient les exilé·e·s de poursuivre leur chemin. Youssef et sa sœur ont donc décidé de se cacher dans les champs jusqu’à ce que la police quitte les lieux.

De la Serbie à la Hongrie

Le lendemain matin, un homme et sa femme sont passés, par hasard, par là et leur ont proposé de les emmener en voiture jusqu’à la ville hongroise de Budapest en échange d’une somme d’argent. Ils les ont alors effectivement conduits à destination, en compagnie d’une vingtaine d’autres personnes. Toutefois, lorsqu’ils sont arrivés en ville et qu’ils sont sortis de la voiture, ils se sont retrouvés face à deux voitures de police. Tout le groupe s’est alors mis à courir et s’est caché dans un parking pendant quatre heures où ils ont contacté un autre passeur qui les avait informés que deux voitures les attendraient dans le centre-ville à côté d’un hôtel. Malheureusement, la police était à l’affût et a confisqué les véhicules et arrêté les chauffeurs.

De la Hongrie à l’Autriche et de l’Autriche à l’Allemagne

Peu de temps après, ils ont recontacté le passeur qui leur a demandé d’attendre le lendemain de sorte à ce qu’il puisse se débrouiller pour leur fournir deux nouvelles voitures pour les emmener en Allemagne. Ils ont alors passé cette nuit dans le jardin jusqu’au lendemain matin, puis sont partis dans des directions différentes, traversant l’Autriche, sans s’arrêter, jusqu’à ce qu’ils rejoignent le premier village d’Allemagne appelé Passau où Youssef et sa sœur se sont arrêtés. Certains autres membres du groupe qui se trouvaient avec eux à ce moment ont été malheureusement pris dans un piège frauduleux et ont été renvoyés en Serbie.

De l’Allemagne à la Suisse

Après être arrivés vers deux heures du matin au village de Passau, Youssef, sa sœur et leurs compagnons de route encore présents ont passé quatre heures dans les rues. À six heures du matin, la police allemande les a arrêtés et emmenés au poste de police. Deux heures plus tard, ils ont été relâchés et ont pris le train en direction de Munich. À leur arrivée à Munich, Youssef et sa sœur se sont séparés du reste du groupe. Leur oncle les attendait sur place et c’est lui qui les a conduits pendant quatre heures dans sa voiture jusqu’à ce qu’ils entrent sur le territoire suisse et plus précisément par la ville de Rheinfelden, le 20 août de la même année.

Durant les 20 jours qu’a duré le périple de leur migration, Youssef et sa sœur ont traversé pas moins de dix pays avant de finalement demander l’asile en Suisse.

*Youssef: nom d’emprunt

Doaa Sheikh al Balad

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Harcèlement sexuel dans l’espace public

Photo: Ahmad Mohammad / Voix d’Exils

Le ras-le-bol des femmes d’ici et d’ailleurs

Hors de leur foyer, les jeunes Iraniennes courent le risque de se faire lourdement draguer, insulter, voire agresser par des hommes qui règnent en maîtres dans l’espace public. Leurs comportements déplacés et violents pèsent sur la liberté de mouvement des femmes et leur équilibre psychique. Moins touchée, la Suisse n’est pourtant pas épargnée par ce phénomène. Notre rédactrice iranienne Zahra raconte.

En Iran, les hommes se sentent supérieurs aux femmes. Ils nous embêtent soi-disant pour rire et pour le plaisir. Ils prétendent que ce qu’ils appellent des « taquineries » sont un moyen de communiquer avec nous et que nous aimons être taquinées. De notre point de vue, c’est complètement faux ! Les hommes n’ont rien à gagner avec des comportements sexuellement agressifs et des paroles déplacées. Mais ils ne nous écoutent pas ! Pour eux, la parole des femmes ne compte pas. Pour illustrer cette réalité, je vais vous raconter trois situations vécues par des amies et par moi-même.

Zahra, 15 ans, victime d’un violent attouchement dans la rue

J’habitais la ville iranienne de Sardasht. C’était la fin de l’année scolaire et, après avoir passé un examen, je rentrais à la maison à pied en compagnie d’une camarade. Nous étions deux adolescentes sans histoires et complices qui papotent tout en marchant. Alors qu’on traversait une ruelle, deux garçons à moto nous ont dépassées et le passager m’a frappée sur les fesses. Cet acte à la fois sexuel et violent m’a profondément choquée. Après, j’en ai longtemps tremblé de peur.

En arrivant chez moi, je n’ai pas osé parler avec mes parents de ce qui m’était arrivé. Je n’avais rien fait et pourtant je me sentais coupable. J’avais peur qu’ils se fâchent et me grondent… C’était inutile aussi de dénoncer ces violences à la police. En Iran, la police prend généralement le parti des agresseurs: « Si tu t’étais bien comportée et si tes habits t’avaient couverte décemment le corps, alors il ne te serait rien arrivé… », voilà la réaction habituelle.

On attendrait de la police qu’elle se montre compréhensive, qu’elle soutienne les femmes qui portent plainte, qu’elle dise que les hommes qui les harcèlent sont des malades, qu’ils n’ont pas d’éducation, mais la plupart des policiers ne valent pas mieux que les harceleurs.

Personnellement, je n’avais rien à me reprocher, je n’étais pas provocante du tout, j’étais habillée avec une longue robe et je portais le voile. Cela n’a pas empêché un inconnu de se sentir autorisé à me donner une fessée. Après cet épisode, je me suis sentie très vulnérable. A chaque fois que je sortais dans la rue, je regardais autour de moi pour m’assurer que je n’allais pas à nouveau me faire agresser.

Farzaneh, 25 ans, victime d’un rodéo-drague sur l’autoroute

Les hommes de mon pays se font un plaisir de harceler aussi les femmes qui conduisent. Il y a quelques temps, mon amie Farzaneh, qui habite dans la ville d’Ouromiye, avait pris sa voiture pour se rendre au travail.

En entrant sur l’autoroute, elle s’est aperçue qu’un homme la suivait. Il se comportait comme s’il était fou : pendant tout le trajet, il se déplaçait à sa hauteur sur la piste de dépassement, lui faisait de grands gestes obscènes et puis revenait derrière elle en la collant pare-chocs contre pare-chocs, il allumait et éteignait ses phares, il la klaxonnait…

Au début, elle a juste pensé que c’était une mauvaise plaisanterie sans importance, puis le comportement et les gestes de cet homme lui ont vraiment fait peur. Elle s’est sentie en danger. En sortant de l’autoroute près de son travail, elle a pensé qu’il allait laisser tomber. En fait, il l’avait suivie discrètement dans les ruelles et lorsqu’elle s’est garée, elle l’a vu surgir devant sa voiture.

A ce moment-là, elle s’est sentie impuissante, elle ne savait pas comment réagir. Et puis, elle s’est reprise, elle a fait marche arrière et elle est partie. Cette fois, l’homme ne l’a pas suivie. Il avait probablement atteint son objectif : lui faire peur et lui montrer qu’il était le plus fort…

Mon amie n’a même pas pensé à noter la plaque de la voiture de cet homme pour le dénoncer à la police. De toute façon, ça n’aurait probablement servi à rien.

Bafrin, 22 ans, victime de gestes déplacés dans un taxi

Alors qu’elle rentrait à la maison en taxi, Bafrin, étudiante à l’université de Khoy a vécu une mésaventure particulièrement stressante.

C’était le début des vacances scolaires et, après 6 heures de bus elle était enfin arrivée à la gare principale. Elle avait encore un peu de chemin à faire et elle a opté pour le taxi. Il était 19h, il faisait déjà sombre en cette fin d’après-midi d’automne et elle ne voulait pas marcher seule dans la rue. Elle pensait être en sécurité à l’arrière du taxi dans lequel elle était montée. Mais lorsque le chauffeur a démarré, il a commencé à lui caresser la jambe et lui a proposé des relations sexuelles.

Heureusement, Bafrin n’a pas perdu tous ses moyens. Elle a eu le réflexe d’appeler discrètement son père et de mettre sur haut-parleur sa conversation avec le chauffeur sans que ce dernier ne s’en rende compte.

Le père, qui entendait tout ce qui se disait dans le taxi, a compris que sa fille était en danger. Il a pris sa voiture et sur la base des indications que sa fille lui donnait indirectement, – elle citait les lieux par lesquels le taxi passait -, il a pu les retrouver.

Quand le chauffeur de taxi s’est rendu compte qu’il était suivi, il a aussitôt fait descendre Bafrin. Mais son père avait eu le temps de noter le numéro de plaque et il a porté plainte au commissariat au nom de sa fille. D’homme à hommes, le courant est passé. La police a pris la situation de ce père outragé au sérieux. Elle a arrêté le chauffeur et l’a emprisonné en attente de sa comparution devant le juge.

Lors de son jugement, il a prétendu qu’il était innocent, mais le père de Bafrin qui avait enregistré la discussion dans le taxi a pu prouver le contraire. Comme le chauffeur avait menti, il a été frappé en plein tribunal devant Bafrin… Pour elle, cette pénible expérience suivie par des actes de violence jusque dans un tribunal ont été très traumatisantes. Elle n’est plus jamais montée seule dans un taxi.

En Suisse aussi…

En parlant autour de moi de cet article sur le harcèlement dans l’espace public vécu par mes compatriotes, j’ai réalisé que cette problématique dépassait le cadre de mon pays. A Lausanne, mon amie Julie a, elle aussi, été victime de harcèlement. Elle a accepté de témoigner d’un épisode qui l’a durablement marquée.

Julie, 18 ans, victime d’un harceleur au petit matin

Après avoir fait la fête à Lausanne, Julie descendait seule la rue très pentue du Petit-Chêne en direction de la gare. A un moment, elle a senti une présence derrière elle. Elle s’est retournée, elle a vu un homme et s’est demandée avec un début d’inquiétude s’il avait l’intention de la draguer. Elle a continué sa route en se disant qu’elle se faisait un film dans sa tête et qu’elle ne risquait rien.

A cette heure avancée – il devait être près de 3 heures du matin – le seul souhait de Julie était de pouvoir prendre son train sans être molestée et de rentrer à la maison.

Mais, en continuant son chemin, elle a compris que cet inconnu la suivait réellement. Il s’était rapproché d’elle et lui faisait des propositions sexuelles. Elle avait beau lui répondre qu’elle n’était pas intéressée en espérant qu’il allait laisser tomber, il insistait.

Plus elle avançait, et plus il se rapprochait. Elle accélérait, il faisait de même. Ils étaient seuls dans la rue. Elle avait tellement peur qu’elle s’est mise à courir jusqu’à la gare pour rejoindre un endroit avec du passage et des personnes qui pourraient éventuellement l’aider.

Arrivée à la gare, elle avait constaté que l’individu ne la suivait plus. Aujourd’hui encore, elle se souvient du tremblement de ses mains et de son cœur battant. Pour trouver du réconfort, elle avait appelé un ami qui était avec elle en ville ce soir-là. Elle avait besoin de lui raconter sa mésaventure et de lui demander de la rejoindre au plus vite afin d’être rassurée.

Zahra Ahmadyan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

EyesUp: une application pour lutter contre le harcèlement

Le harcèlement sexuel s’invite partout : dans la rue, dans le bus, en soirée, mais également à la salle de sport ou au travail. Et ses victimes sont nombreuses. A titre d’exemple, 72 % des jeunes Lausannoises ont été confrontées, au moins une fois, à un épisode de harcèlement de rue au cours des 12 derniers mois.

La plupart du temps, pour les femmes harcelées, il est impossible de réagir sans se mettre en danger. Elles baissent les yeux, rasent les murs, accélèrent le pas et tentent d’oublier au plus vite ces pénibles moments… D’où des sentiments d’injustice, de colère et d’impuissance.

Pour aider les femmes à relever la tête, un groupe de bénévoles Lausannois a mis au point EyesUp: une application pour smartphones qui permet de signaler les comportements déplacés à caractère sexuel, tout en restant anonyme. Plus largement, l’objectif de EyesUp est de documenter, sur la base des signalements reçus, le phénomène du harcèlement pour que les pouvoirs publics réalisent son niveau de gravité et prennent des mesures pour en libérer les femmes.

Sur son site, EyesUp regroupe des ressources pour soutenir, informer et sensibiliser. Elle rassemble des articles de vulgarisation scientifique, des fiches d’informations, des astuces ainsi qu’un recueil des associations actives dans les domaines pouvant toucher au harcèlement sexuel.

Z.A

Pour aller plus loin :

Consultez le site internet de Eyesup:

eyesup – l application contre le harcèlement (eyesupapp.ch)