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Tournoi de foot endiablé à Prangins

Les « Voisins d’ailleurs » en pleine action. Photo: Hubert Yigo

Le samedi 25 juin 2011, le stade de Prangins – village situé entre Nyon et Gland – a accueilli les 40 équipes inscrites au tournoi de foot à Six pour la session 2011. Voix d’Exils a suivi les 5 matchs livrés par l’équipe des « Voisins d’ailleurs » représentant l’EVAM (Établissement vaudois d’Accueil des Migrants) et qui est composée de requérants d’asile de Gland et de Nyon. Félicitations à nos braves amis qui ont gagné 3 matchs sur 5 et ce malgré le fait que ce soit leur première participation à ce tournoi. Moments riches en couleurs.

 

Il est 8 heures, nous sommes encore devant «l’île de Guantanamo», surnom donné à l’abri PC de Nyon, lorsqu’arrive l’autre partie des joueurs de l’équipe des « Voisins d’ailleurs» de l’abri de Gland, conduite par l’animatrice Sofie de la structure de jour de Nyon.

Au terrain, partage de maillots, de baskets, échauffement et enthousiasme animent l’équipe du coach Momo NDAO. La sélection des six doit jouer des séquences de 12 minutes avec des remplacements.

Batailles féroces

Le 1er match a opposé les « Voisins d’ailleurs » en maillots jaunes contre les « As Timone » en bleu-blanc, et s’est soldé par un score de 4 buts à 1 en faveur de l’équipe de l’EVAM.

A la seconde compétition, les « Voisins d’ailleurs » ont eu le privilège de battre encore l’équipe de  « FCP 1 forever » par 2 buts à zéro.

Le revers de la médaille survint à la 3ème partie contre la très jeune équipe de « Héritage Banque » qui fit fléchir les « Voisins d’ailleurs » au score amer de 4 buts à zéro.

Nos amis relèvent la tête à leur 4ème match contre l’équipe d’OMG en se vengeant au score sec de 1 but à zéro. Le talent des uns et des autres se fit sentir pendant ce spectacle riche en techniques et en condition physique.

C’est l’heure de la pause, toutes les équipes se ressourcent afin de pouvoir reprendre avec vigueur et permettre au staff de faire le classement des 8èmes de finale.

C’est avec cette défaite de 2 buts à zéro que l’étendard de l’EVAM a jeté l’éponge à la  8ème de finale en croisant les crampons contre l’équipe des « Nagolets » qui s’est présentée plus en professionnelle qu’en amateur. Le fair play a failli prendre fin avec des gestes brutaux qui obligèrent l’arbitre de jeu à faire remplacer sur le champ les deux joueurs belliqueux.

C’est le seul match qui donna du fil à retordre aux coéquipiers du capitaine Oby expulsé par blessure dès les deux premiers derbys après avoir marqué 3 buts à lui seul. Frustré par le relâchement de ses coéquipiers, notre gardien osa pousser le ballon jusqu’au milieu du terrain pour tenter sa chance.

Notre équipe a su garder son goal (merci Franck !) qui sauva l’honneur de tous par ses éminents talents.

L’association « Maman Africa » a rejoint l’équipe après le premier match en lui apportant tout son soutien : instruments de musique et convivialité étaient de mise. Nous avons partagé ce moment convivial avec deux journalistes du journal Le Temps.

Le sport comme exutoire

Approché par le reporter de Voix d’Exils, Monsieur Denis Jaccard, intendant du foyer de Nyon, livre ses sentiments : « le bilan est satisfaisant, je signale que nous sommes à notre première participation à ce tournoi. Nos joueurs ont fait preuve de professionnalisme et quoi qu’on en dise le sport est capital dans leur vie car pendant l’activité sportive, ils ne pensent plus à leurs problèmes ». Il ajoute tout confiant : « on ne s’attendait pas à un tel résultat : 3 victoires sur 5. Nos joueurs ont fait des exploits ! L’essentiel pour nous est de participer, faire du sport et non gagner ».

Cette manifestation sportive se poursuivra le samedi 2 juillet et offrira l’occasion à l’équipe des « Voisins d’ailleurs » d’affronter les autorités communales de Gland.

Ce fut une journée riche en sport et en culture. Les supporters de notre équipe ont pu attirer l’attention de tout le stade sur eux aux rythmes du guimbés et de danses africaines enrichis des prestations du reporteur de Voix d’exils et du coach Momo, convertis en musiciens de circonstance. Que les Blanches aiment danser à ce rythme naturel du bois taillé et de la peau brut d’animal ! Identité africaine.

Les joueurs ont reçu les félicitations de tous ceux qui étaient à leurs côtés et tous ensemble nous avons rejoint « Guantanamo » très optimistes et fiers de l’audace de cette participation qui favorise et stimule l’intégration.

Les « Voisins d’ailleurs » sauront inspirer, nous l’espérons, les foyers EVAM de Lausanne qui tardent à former les équipes tant annoncées il y’a plus de deux mois.

Hubert YIGO

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




« La salle de fitness est un lieu d’intégration »

Le coach Demiri Mesret

Ancien requérant d’asile d’origine kosovare, Demiri Mesret est le responsable de la salle de fitness du Centre sportif de Sainte-Croix. Selon cet adepte de l’exercice physique, le sport aurait de nombreuses vertus. Témoignage.

 

 

 

Lorsqu’il arrive en Suisse pour demander l’asile, Demiri Mesret a 18 ans. Vingt ans plus tard, il a obtenu la naturalisation, s’est marié, est l’heureux père de deux jeunes enfants et exerce comme moniteur de fitness au Centre sportif des Champs de la Joux, centre qui accueille gracieusement les requérants d’asile. Pour cet homme volontaire et dynamique, le sport en salle est une des clés qui ouvre sur l’équilibre et l’intégration.

Comment êtes-vous devenu moniteur de fitness à Sainte-Croix?

Dès mon arrivée en Suisse, j’ai fait du fitness et j’ai étudié le fitness, d’abord par moi-même à la maison. Ensuite j’ai suivi une formation de moniteur à l’International Fitness Aerobic School de Nyon. Et depuis environ huit ans, je travaille dans la salle de musculation du Centre sportif de Sainte-Croix.

S’agit-il d’un travail ou d’un loisir ?

J’ai un autre travail qui me permet de vivre : je suis boulanger. Mon activité de moniteur de fitness est d’avantage un travail accessoire ou un hobby.

Lorsque vous étiez vous-même requérant d’asile, y avait-il une salle de sport ou de fitness disponible pour les requérants ?

J’ai d’abord vécu pendant trois mois à Kreuzlingen dans le canton de Thurgovie. Il y avait des salles de musculation, mais elles étaient payantes. A Sainte-Croix, ça fait environ huit ans que la salle de sport s’est ouverte et à peu près un an que les requérants ont le droit d’y faire gratuitement du fitness quatre jours par semaine de 17h30 à 20h00. Cette salle est également fréquentée par des étudiants du Centre Professionnel du Nord-Vaudois et par les membres des Sociétés de volley, de badminton, de tennis, de foot, de hockey ainsi que par les pompiers et les employés communaux.

Quelles sont les relations entre les requérants qui viennent faire de la musculation et les habitants de Sainte-Croix qui fréquentent la salle de sport?

Ils s’entendent bien. Il n’y a aucun problème entre eux.

Que faites-vous concrètement en tant que responsable de la salle de fitness pour que ces deux mondes communiquent entre eux?

A la fin de chaque journée, je leur propose de jouer ensemble requérants et gens d’ici. Au volley avec les équipes de volley féminin et au football avec les élèves du Centre Professionnel du Nord Vaudois. Ce sont des moments très appréciés.

En quoi l’accès à la salle de musculation a changé la vie des requérants d’asile qui la fréquentent?

Si on parle des requérants qui sont actuellement à Sainte-Croix, je dirais que c’est un très bon moyen de s’adapter à la Suisse, de rencontrer des gens d’ici. En tout cas, ils ont l’air d’être contents d’avoir une salle à disposition. Ce n’est pas partout qu’ils ont cette chance-là.

Combien de personnes fréquentent la salle de fitness ?

Il en vient une vingtaine par jour. Une dizaine de requérants et un peu plus d’habitants de Sainte-Croix et d’élèves du Centre Professionnel du Nord Vaudois qui viennent, eux, des quatre coins du canton de Vaud.

Est-ce qu’il y a des femmes ?

Il y a deux à six femmes qui fréquent la salle de fitness quotidiennement, pour beaucoup des Erythréennes.

Et vous, qu’est ce que cela vous apporte d’entraîner des requérants?

En tant qu’ancien requérant, je sais que faire du sport c’est se faire du bien. Rester tout le temps enfermé dans le Centre d’accueil, ce n’est pas vraiment l’idéal. Je suis bien placé pour savoir que leur vie n’est pas facile. Cela me fait donc plaisir de pouvoir les aider. La salle de fitness est vraiment un lieu où on peut se relaxer, s’occuper de soi, de sa mise en forme.

Quelle est la place du sport dans la vie des requérants?

La plupart ne font pas de sport parce qu’ils ont l’esprit occupé ailleurs et qu’ils ont beaucoup de soucis. Pourtant, les efforts physiques aident à se remonter le moral, à se motiver.

Est-ce que le fitness joue un rôle dans l’intégration ?

Oui, le sport permet de rencontrer du monde. Le sport permet de s’adapter aussi au pays dans lequel on vit, parce qu’on rencontre des gens qui ne sont pas tous des requérants. On discute, on fait connaissance.

Propos recueillis par :

 Javkhlan TUMURBAATAR

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Toute une vie dans les foyers

Tady

Tady, le jeune Ethiopien. Photo : Gervais

Cette histoire est le témoignage atypique d’un jeune requérant d’asile éthiopien qui a passé plus de sept ans dans des centres de requérants d’asile. Arrivé en Suisse à 12 ans comme mineur non accompagné, tout lui semblait propice au départ. Cependant, après plusieurs années de vie cloitrée, voici aujourd’hui notre jeune enfant de cœur transformé en loup, cible privilégiée de nombreux tumultes.

Dans la petite chambre où trois lits occupent respectivement trois angles, un seau de poubelle titille l’oreiller de Tady Yalew à côté d’une table sur laquelle on peut retrouver quelques documents importants, des plats crasseux et des ustensiles de cuisine. En dessous, quelques petites marmites cohabitent et laissent échapper l’odeur d’un repas à peine mijoté qui parfume les lieux. A proximité, les tennis de fortune sont parfaitement rangés. Au physique, Tady est plutôt petit, environ un mètre soixante-sept pour soixante kilos. Avec ses longs cheveux noirs frisés soutenus par un bandeau et une barbe soigneusement taillée, il nous fait penser à un Américain ou un Jamaïcain. Son accoutrement lui donne l’allure d’un rappeur. On le dit réservé par nature, et croyant si l’on en juge par son inséparable collier à la croix de Jésus. Certains requérants du foyer de Ste-Croix le jugent quand-même très sociable.

« Après le centre d’enregistrement et de procédure de Vallorbe, mon frère et moi avons vécu successivement au centre de Chiasso, puis à l’abri PC de Bussigny au milieu des adultes. C’était très difficile, parce qu’il fallait se prendre en charge tout seuls à 12 ans. Après trois mois nous sommes allés dans un foyer pour mineurs du Service de protection de la jeunesse (SPJ) à Romainmôtier, puis à Lausanne où nous suivions l’école obligatoire. Nous avons ensuite poursuivi notre chemin dans un centre pour mineur non accompagné de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM), également à Lausanne, pendant environ trois ans. Là j’ai débuté une formation de peintre en bâtiment et d’agent d’entretien à la Maison des jeunes de Lausanne.

Au bout d’un certain temps, la vie au centre était devenue un calvaire. J’ai alors effectué une demande auprès pour aller vivre avec une famille d’accueil, ce qui m’a été accordé. En dépit du soutien de mes deux familles d’accueil successives, qui n’ont jamais ménagé leurs efforts et à qui je dis merci beaucoup pour leur soutien indéfectible et leurs conseils, j’étais dépressif. Je continuais ma formation mais suite à l’absorption d’alcool qui m’a poussé faire des conneries, j’ai fait à plusieurs fois de la prison. Je buvais de plus en plus, je buvais au delà des limites et après ma dernière sortie de prison, on a exigé que je retourne en foyer. J’ai demandé si je pourrais habiter dans l’un des foyers de Lausanne proche de mon frère, mais la demande à été rejetée et j’ai été transféré à Ste-Croix, où je vis depuis un an et quatre mois. »

Il soupire un instant, et d’une voix grave il reprend : « Cela fait sept ans que je suis en Suisse. Dans les foyers, j’ai beaucoup appris : le français, la peinture et la culture de ce pays. Mais je vois les autres gens qui arrivent : ils font six, sept mois en foyer puis partent en appartement. Quant à moi je suis toujours comme un nouveau et ça me décourage. De son côté l’EVAM ne regarde que les erreurs que j’ai commises, mais jamais tout ce que j’ai fait de bien. J’ai finalement obtenu un transfert en logement individuel, mais une semaine plus tard j’ai été convoqué par la directrice du foyer, qui m’a annoncé son annulation, prétextant que je ne le méritais pas. Ca m’a bouleversé parce que je voulais être indépendant, et après sept ans, pour moi, c’était mérité. »

Tady affirme qu’il n’a jamais vendu de drogue ni volé dans les magasins. Il connaît mieux la Suisse que son pays d’origine, mais avoue qu’il est découragé de la vie, sans plus aucune motivation, ce qui le pousse à boire de l’alcool. Il s’indigne : « C’est toujours moi qu’on accuse : le jour où l’équipe nationale suisse affrontait celle d’Espagne en Coupe du monde, un incendie s’est produit dans ma chambre en mon absence et la police m’a interpelé. Quand il y a des vitres qui se cassent ou tout autre dégât, c’est encore Tady. Il est vrai que pendant la même période, j’ai brutalisé une copine du foyer qui m’avait manqué de respect, j’ai perdu la maîtrise. Maintenant on m’annonce que je suis transféré au foyer de Bex. Je suis pourtant contre… Faites quelque chose pour me sauver ! »

La situation de Tady Yalew, peut-on la classer dans le registre des enfants délinquants ? Selon lui, non. Mais Cécile Ehrensperger, responsable du secteur Nord et Ouest de l’EVAM, ne lui reconnait pas entièrement ce brillant passé, qui lui aurait sans doute permis de prospérer comme son frère, électricien aujourd’hui autonome financièrement.

La responsable affirme que « la police n’a pas inculpé Tady faute de preuve, mais de forts soupçons pèsent contre lui. » Elle reconnait par ailleurs que la prise en charge des mineurs avant 2006 était lamentable, et que le phénomène migratoire est douloureux. Mais l’annulation de son transfert en logement individuel a pour objectif de l’envoyer près de sa famille d’accueil à Bex et de ne pas le laisser s’alcooliser. « Cela n’est pas destiné à l’envoyer aux oubliettes, mais plutôt à lui dire de construire lui-même sa vie, de se responsabiliser et de reconnaitre qu’il a besoin d’une prise en charge médicale. »

De Bex aujourd’hui où le jeune Ethiopien continue son existence, Tady déclare que ça ne va pas vraiment, mais il reconnait toutefois que c’est mieux que Sainte-Croix. Là il a plus de possibilités, il rencontre très souvent l’intendant qui lui confie des tâches d’entretien. Il est volontaire et motivé, ce qui est tout à fait le contraire de Sainte-Croix où il ne faisait rien du tout. L’effet Cécile semble avoir porté ses fruits. Suite à une sélection assez serrée, il  a même été retenu tout récemment pour deux semaines de travaux d’intérêt général dans les pâturages d’Ollon, ce qui lui a même valu une interview sur Radio Chablais. Il envisage aujourd’hui de refaire une autre demande de transfert en logement individuel auprès de sa nouvelle directrice avec qui il a de bons rapports.

Gervais NJINGO DONGMO