1

La violence à l’encontre des femmes en Afghanistan

Photo: Renata Cabrales / Voix d’Exils.

Parole à Jamail Baseer : jeune femme afghane refugiée en France

À leur retour au pouvoir en Afghanisant le 14 août 2021, les Talibans ont fermé les écoles aux filles et aux femmes et les ont exclues de l’espace public ce qui a provoqué l’indignation de la communauté internationale.

« En Afghanistan, j’ai travaillé comme traductrice avec des journalistes français, j’ai aussi travaillé en collaboration avec une ONG. Ma sœur était footballeuse professionnelle et travaillait avec un ingénieur civil. Ce n’était pas notre choix de quitter le pays. Le 15 août 2021, ma famille et moi avons quitté le pays. Ce sont les premiers mots de Jamail, une jeune femme afghane qui partage avec nous son témoignage de victime du système extrémiste mis en place par les talibans.

Perspective historique

Quelques faits historiques tirés d’un vieil article de la BBC montrent qu’en 1973, Zahir Shah a été renversé par le militant de gauche Mohammed Daoud Khan, mettant ainsi fin à plus de 200 ans de monarchie en Afghanistan. Depuis lors, sous la République dite d’Afghanistan, les droits des femmes ont progressé puisque qu’elles ont pu entrer au parlement, recevoir une éducation universitaire et obtenir des fonctions publiques. Tout cela grâce aux régimes soutenus par l’Union soviétique à la fin des années 1970, lorsque le Parti démocratique populaire (marxiste) d’Afghanistan a pris le pouvoir lors de la révolution d’avril 1978. La progression de ces droits s’est poursuivie donc après l’invasion soviétique en 1979.

Cependant, lorsque les talibans sont arrivés au pouvoir en 1996, les droits des femmes à l’éducation et à l’emploi ont été totalement anéantis. Les femmes afghanes ne pouvaient sortir qu’accompagnées d’un parent masculin et devaient porter une burqa qui les couvre entièrement. Elles ont également été condamnées à des mesures cruelles imposées par des règles fondamentalistes et rétrogrades, telles que les décapitations et les lapidations, pour une prétendue désobéissance.

Plus tard, lors de l’invasion américaine, la situation a un peu changé, non qu’elle se soit améliorée, car selon le mouvement des femmes RAWA, l’Association révolutionnaire des femmes d’Afghanistan, leurs droits ont été obtenus à cette époque grâce à la lutte du mouvement et non à l’intervention des États-Unis.

Cependant, ce répit a été de courte durée car après le retrait des troupes américaines en août 2021, les talibans (un mot qui signifie ironiquement « étudiants ») sont revenus au pouvoir, redoublant toutes les formes de misogynie. Puis les femmes ont commencé à subir les mêmes violences puis les portes des écoles et des universités leur ont été fermées.

« Nous aidons les professeurs à enseigner à certaines filles, car nous savons que les écoles sont fermées et que, dans les villages, la plupart des familles ne permettent pas à leurs filles d’aller à l’école. C’est donc une bonne occasion pour elles d’étudier près de chez elles » explique Jamail qui, d’ailleurs, avec sa sœur Fanoos, recherchent des aides financières pour les enseignants qui scolarisent clandestinement les filles en Afghanistan.

En guise de protestation contre les nouvelles réformes des talibans, une jeune femme afghane s’est tenue à l’entrée d’une université le 25 décembre 2022 (alors que le monde entier – ou presque – célébrait les fêtes de fin d’année), en tenant une pancarte sur laquelle était inscrit en arabe : « iqra » qui signifie « lire »;  la première parole révélée par Dieu au prophète Mahomet selon la religion musulmane. « Dieu nous a donné le droit à l’éducation. Nous devrions craindre Dieu, pas les Talibans, qui veulent nous priver de nos droits » a déclaré la jeune femme à la BBC. Après avoir exclu les filles de la plupart des écoles secondaires au cours des 16 derniers mois, les talibans ont également interdit il y a quelques jours l’enseignement universitaire aux femmes qui y voyaient le seul moyen de se libérer du joug religieux imposé par le gouvernement fondamentaliste des talibans.

L’Afghanistan aujourd’hui

Aujourd’hui, l’Afghanistan est un pays frappé par la misère que les gens fuient chaque jour à la recherche d’une vie meilleure car s’ils ne sont pas tués par la faim, ils sont tués par les affrontements entre groupes religieux extrémistes. Des familles entières font d’interminables voyages à la recherche d’un avenir meilleur mais, selon la plupart des gouvernements des pays où elles arrivent, il n’y a pas de guerre officielle en Afghanistan. C’est la raison pour laquelle de nombreuses demandes d’asile sont rejetées.

« Il y a aussi beaucoup de femmes exerçant une profession, comme maîtresse d’école, qui mendient dans les rues, ce qui me fait vraiment pleurer » raconte Jamail, les larmes aux yeux. Puis, reprenant son souffle, elle poursuit : « Ce n’était pas notre choix de quitter notre pays. Tout d’un coup, en une heure, beaucoup de gens ont dû quitter l’Afghanistan. Aujourd’hui, ma famille et moi sommes sûres que nous aurons une vie meilleure ici, mais nos pensées sont toujours dans notre pays bien-aimé. Pour ma part, les rues illuminées de Shari, une place célèbre à Kaboul, me manquent toujours. Ma maison, ma chambre et toutes mes affaires me manquent encore, celles que je n’ai pas pu emporter en France… Je ne suis pas heureuse » regrette la jeune femme.

Propos recueillis par:

Renata Cabrales

Membre de la rédaction de Voix d’Exils

 

Jamail Baseer

Je m’appelle Jamail Baseer. J’ai 33 ans et j’ai quitté l’Afghanistan le 17 août 2012. J’étais traductrice en Afghanistan pour des journalistes français et je travaillais également avec des ONG internationales. J’ai travaillé comme interprète et traductrice auprès de journalistes français et de militants des droits des femmes en Afghanistan. Maintenant, je vis en France en tant que réfugiée.

 

 




Niko Nikoladze

Niko Nikoladze. Source: Wikimedia commons

Portrait d’un homme qui a traversé son temps

Célèbre publiciste, critique, personnalité publique et politique géorgienne, Niko Nikoladze a vécu dans quatre réalités bien différentes : il est né pendant la dictature en Russie, il a vécu et travaillé en Géorgie, alors qu’elle était encore une province russe, il a participé au développement de la première république démocratique de Géorgie, et il est mort sous le régime soviétique. Niko Nikoladze était progressiste et engagé pour le succès de son pays durant toutes les étapes de sa vie. Il est également l’arrière-grand-père de l’actuelle présidente de la Géorgie: Salome Zurabishvili. Dans cet article, Kristine Kostava, rédactrice géorgienne de Voix d’Exils, présente le travail de cette icône nationale et son chemin en Europe.

Niko Nikoladze est né en Géorgie le 27 septembre 1843, dans ma ville natale de Kutaisi et il a également vécu dans mon village Didi Jikhaishi. Il a étudié au gymnase de Kutaisi dans le domaine de l’enseignement technique, mais il a ensuite décidé d’étudier le droit. Il s’est donc rendu en Russie, dans la ville de Saint-Pétersbourg, car à cette époque il n’y avait pas de faculté de droit en Géorgie.

En septembre 1861, des conflits éclatent à Saint-Pétersbourg. Les étudiants protestent contre le durcissement de l’accès aux formations universitaires. Niko Nikoladze est alors arrêté avec 12 autres étudiants géorgiens après une manifestation de trois jours. Mais, sur ordre de l’empereur russe Alexandre II, tous les étudiants sont rapidement libérés.

Rencontre avec la modernité européenne

En 1863, Niko Nikoladze retourne en Géorgie, mais il repart aussitôt en France et continue ses études à l’Université de la Sorbonne. Il collabore avec de nombreuses célébrités comme Giuseppe Garibaldi, Victor Hugo, Alphonse Daudet, Émile Zola et Karl Marx. Ce dernier lui propose d’être le représentant de la Première Internationale dans le Caucase. Cette proposition est délicatement refusée par Niko Nikoladze qui pense que ce ne serait pas bon pour son pays. À Paris, il contribue à développer l’éclairage public.

Niko Nikoladze était un leader d’opinion de son temps qui, avec son éducation, son talent et sa perspicacité a étudié les meilleurs exemples des styles de vie et compétences techniques européens afin de les ramener en Géorgie et les développer autant que possible. Mais il ne s’intéressait qu’aux exemples qui étaient progressistes et qu’il estimait bénéfiques pour son pays.

Plus tard, Niko Nikoladze quitte la France pour la Suisse. Il déclare : « Je suis plus intéressé par la Suisse. Comment un pays avec aussi peu de ressources primaires comme la Suisse peut-il être plus riche que la Géorgie qui elle est très riche en ressources ? ». Pendant son séjour en Suisse, en 1868, il obtient un diplôme de l’Université de Zurich et soutient sa thèse de doctorat intitulée « Le désarmement et ses conséquences économiques et sociales » (publiée dans un livre séparé en français à Genève). En 1866, Nikoladze publie son premier livre en français: « Le gouvernement et la nouvelle génération », puis il fonde en 1868 la revue Sovremennost à Genève. De manière générale, Niko Nikoladze estime que la presse peut faire une grande différence dans l’éducation et le développement de la société. Lorsqu’il devient un publiciste et un activiste bien connu, il déclare : « J’aime le journalisme de tout mon cœur et de toute mon âme, mais personne n’a besoin de ce métier aujourd’hui. Il semble que je sois né trop tôt ou trop tard. »

De retour en Géorgie

Dans les années 1870, il retourne en Géorgie où il est alors actif dans les activités municipales et publiques de la capitale. Il met en œuvre des projets importants qui provoqueront plus tard un tournant pour la Géorgie. Il fonde notamment la première banque du pays. En vivant en Europe, il a pu évaluer le rôle de la banque et du commerce dans le développement et le progrès du pays. C’est pourquoi il souhaite que les jeunes soient impliqués dans ce travail et que la Géorgie se développe de cette manière. Niko Nikoladze voyait également l’avenir du pays dans le développement de l’industrie et de l’agriculture. Il pensait qu’un pays où presque tout est importé et qui ne crée pas de produits lui-même ne peut pas se développer. Niko Nikoladze était un générateur d’idées. Il n’y a pas eu un seul projet municipal qui n’ait été rédigé par lui durant cette période.

À titre d’exemple, en 1883, il n’y avait pas de transports municipaux en Géorgie. Sur son insistance, un tramway à chevaux a été introduit. Il fonctionnait à l’aide deux chevaux et le véhicule se déplaçait sur des rails. Il a également élaboré le plus grand port dans la ville de Poti. D’ailleurs, il a voyagé à huit reprises en Europe pour voir les ports en construction, ou récemment construits, afin d’ensuite les reproduire en Géorgie. Avec le port, il construit aussi un mur spécial qui absorbe les vagues de la mer pendant les tempêtes et résout ainsi le problème de protéger les gros navires sur le rivage. Il a été le premier à importer d’Europe une machine à laver, un réfrigérateur, un séparateur de lait, un vélo à deux roues, un appareil photo Kodak, une machine à écrire américaine qui imprime en plusieurs langues, un cadran solaire et bien d’autres nouveauté technologiques.

Pour l’indépendance de la Géorgie

Le nom de Niko Nikoladze est lié à la déclaration d’indépendance de la Géorgie en 1918 et à la création de la République démocratique de Géorgie. En 1917, il fonde le Parti national-démocrate géorgien, dont il a été le président. Il avait déjà le soutien de l’Allemagne et seule une trêve avec la Turquie était nécessaire. La trêve a été signée avec la Turquie le 26 mai, après quoi la Géorgie a été déclarée république indépendante.

En 1920, Niko Nikoladze se rend à Londres en tant que chef de la délégation de la Manganese Export Society et membre de la Georgian Economic Mission. Il est cependant contraint de quitter le mandat de l’Assemblée constituante lors de déplacements professionnels car il ne peut pas participer aux activités de la congrégation. Pendant son séjour à l’étranger, il apprend l’occupation soviétique et continue à travailler contre l’occupation en Europe. Il participe aux négociations des partis politiques géorgiens à l’étranger. En 1924, il retourne légalement en URSS de Géorgie.

Niko Nikoladze meurt le 5 avril 1928 à l’âge de 85 ans, ce qui a engendré un cri de deuil dans toutes les églises orthodoxes de Géorgie ce jour-là. Il est enterré au Panthéon des écrivains et personnalités géorgiennes. Sur la base de l’éducation polyvalente, des connaissances théoriques et des activités pratiques de Niko Nikoladze, les spécialistes ont décidé d’étudier son cerveau dans une institution médicale.

En faisant revivre le portrait de Niko Nikoladze, je voulais faire mieux connaître la Géorgie et cette grande figure publique qu’est Niko Nikoladze. Je me souviendrai de lui comme de l’un des Géorgiens exemplaires après tant d’années et j’espère avoir ravivé son nom en Suisse à travers Voix d’Exils.

Kristine Kostava

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Sources:




« Nous » de Ievgueni Zamiatine

1ères de couverture de « Nous ».

Recension – des fictions dystopiques devenues les miroirs de notre réalité ?

Ievgueni Ivanovitch Zamiatine (1884 – 1937), est un écrivain russe, créateur d’un genre unique et moderne : le roman anti-utopique ou dystopique. Ceux qui ont déjà lu des ouvrages du genre dystopique, comme « 1984 » de George Orwell ou encore « Le meilleur des mondes » de Aldous Huxley, ne savent peut-être pas que le pionnier de ce genre est justement Zamiatine. Tout commence avec son roman « Nous ». Cet article est le premier d’une nouvelle rubrique de Voix d’Exils qui consiste en des recensions de livres et de films qui éclairent notre réalité d’aujourd’hui. 

Écrit en 1920, « Nous », connu également sous le titre « Nous autres », a tout d’abord été traduit et publié en anglais en 1924. En raison du contexte soviétique, l’œuvre ne sera publiée en Russie, pays d’origine de son auteur, qu’en 1988. La version française, quant à elle, est parue aux éditions « Gallimard » en 1929 sous le titre « Nous autres » puis a été rééditée en 2017 par la maison d’édition « Actes Sud » sous le titre « Nous ».

Le récit du roman se situe dans le futur et se concentre sur « D-503 », un ingénieur de l’espace vivant dans le « One State » ou l’État Unique. Il s’agit d’une nation urbaine construite presque entièrement en verre, ce qui facilite la surveillance de masse. Dans le roman, les habitants et habitantes de l’État unique sont dépersonnalisés. Il n’y a pas d’autres moyens de se référer aux gens que par le nombre qui leur est attribué. Ces derniers sont également constamment vêtus d’un uniforme ce qui les dépersonnalise encore plus. Le comportement de l’individu et la société dans laquelle ils évoluent sont basés sur la logique définie par l’État unique grâce à des formules et des équations produites par lui-même. Le travail de « D-503 » consiste en la fabrication d’un vaisseau spatial destiné à convertir les civilisations extraterrestres au bonheur, ces dernières ayant été soi-disant découvertes par l’État Unique. Alors que cet État totalitaire définit avec précision toutes les activités de ses habitants, « D-503 » commence à envier le passé et à être attiré par un autre monde plus ancien…

Pourquoi (re)lire « Nous » de Zamiatine aujourd’hui ?

Il apparaît que la lecture « Nous » de Zamiatine est intéressante à plusieurs titres. Tout d’abord, car il s’agit d’un roman fondateur du genre dystopique, un genre très populaire actuellement. Deuxièmement, car le contexte historique dans lequel s’est déroulé la publication de l’œuvre est controversé. En outre, il regorge d’allusions à des expériences personnelles de son auteur ainsi qu’à la culture et à la littérature. Le roman reste très actuel.

Avec ce roman, Zamiatine prédit la tendance à la concentration des pouvoirs au niveau d’un seul parti (communisme, fascisme, nazisme) et entre les mains d’un chef unique qui contrôle tous les autres pouvoirs concurrents au sein et en dehors du parti. Notre continent a connu des expériences totalitaires similaires au cours du XXe siècle avec les régimes communistes, fascistes et nazi qui vouaient un culte absolu au chef (Lénine, Staline, Mussolini, Hitler, etc.). La réactualisation du roman de Zamiatine intervient à un moment où l’on assiste à une réactivation des structures totalitaires des pouvoirs politiques que l’on rencontre ces dernières décennies dans certains régimes d’Europe centrale et orientale.

La recension: une nouvelle rubrique de Voix d’Exils

J’ai débuté cette rubrique en choisissant « Nous » pour deux raisons principales :

Premièrement, connu seulement des lecteurs et lectrices spécialisés, Zamiatine n’est pas assez crédité en tant que fondateur de la dystopie, ce qui lui fait, à mon avis, du tort en quelque sorte. Nous connaissons principalement Orwell ou encore Huxley cités plus haut. Dernièrement, Margaret Atwood est également arrivée sur le devant de la scène avec son conte « La Servante Ecarlate ». L’œuvre d’Atwood, une romancière que j’apprécie et dont j’ai traduit des poèmes en albanais est, je pense, une pâle tentative d’approche du roman dystopique avec sa fin très faible et controversée.

Deuxièmement, nous vivons à une époque où toute la science-fiction ainsi que les réalités les plus incroyables issues des romans dystopiques écrits au début du XXe siècle semblent se transformer en réalités telles des prophéties. Alors que les romans dystopiques semblaient dévoiler les réalités les plus absurdes issues de l’imagination des auteurs, nous pouvons nous demander si ce genre littéraire qui a précédé les régimes totalitaires que le monde a connu (et continue de connaître) remplit toujours sa fonction compte tenu de la réalité dans laquelle nous évoluons? La question que je me pose également est la suivante : quelles connaissances ou quel pouvoir avaient ces écrivains pour prévoir une réalité qui désormais dépasse la fiction d’une certaine manière ? Cette interrogation me fait penser que durant les premiers mois de la pandémie, il y a eu la redécouverte d’un livre où tout ce qui se passait était en train d’arriver en quelque sorte. Je parle du roman de Dean Koontz « Les Yeux des ténèbres » dans lequel est évoqué un virus dont les propriétés sont proches de celles du coronavirus. Ainsi, l’œuvre décrit les ravages causés par une pneumonie perçue comme une arme biologique.

Elvana Tufa

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils