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Mes souvenirs d’étoiles me reviennent

Dasdemir Mehmet Can / Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils.

La vie est éphémère

Je viens de très loin et mon histoire est très longue ; elle s’est déroulée en plusieurs étapes. Elle a commencé en Mauritanie, dans mon village natal, celui de mes ancêtres. Je garde, profondément enfouis dans ma mémoire, des souvenirs d’étoiles dans le ciel. C’est grâce à elles que je reste fasciné par la splendeur du ciel et de la nature. C’est pour cela que mon amour est très fort à l’aube. J’aime tellement poser mon regard sur le début du lever du soleil, avant son élévation dans le ciel, avant qu’il ne soit au zénith. J’aime aussi poser mon regard sur le début du coucher du soleil jusqu’à ce qu’il disparaisse de ma vue, dans une boule rougeâtre à l’horizon.

J’adore vraiment ces moments quand, la nuit, ces souvenirs d’étoiles me reviennent. La première fois que j’ai vu les étoiles autour de la lune dans le ciel, j’avais trois ans et j’étais attaché avec un pagne sur le dos de ma Maman. Repose en paix Maman, paix à ton âme. C’est grâce à toi Maman et à ces étoiles autour de la lune cette nuit-là dans le ciel que ces souvenirs sont restés gravés dans ma mémoire.

Elle reste pour moi inoubliable, cette nuit, elle a créé en moi un amour profond pour les étoiles et la nature. Ceci m’a permis de me remémorer et de retenir point par point le temps et les différentes étapes de ma vie, de l’enfance jusqu’à aujourd’hui. C’est grâce à cette observation que j’ai appris que, dans ce monde, la vie dure seulement le temps de différentes étapes, que ce soit la vie humaine ou celle de la nature. Tout change, d’un moment à l’autre, d’une manière ou d’une autre. Ce qui passe change et ne reviendra pas. Dans ce monde, rien n’existe qui ne finira pas un jour mais, seul, haut dans les cieux, existe ce qui n’a pas de début ni de fin.

Kerim

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils 




Quand la seule option est d’être fort

 

Même les expériences les plus difficiles peuvent être surmontées

Parfois, les étapes de notre vie sont difficiles. Nous traversons des moments ou des situations que nous ne voulons vraiment pas traverser, des expériences que nous ne voulons pas vivre, des moments de douleur et d’angoisse, des moments de déracinement, de deuil, de peur ou de colère. Toutes ces situations que n’importe quelle personne disposant d’un jugement sain souhaiterait vraiment éviter.

Mais ces moments sont là: ils font partie de la vie de beaucoup de gens, de différentes manières, mais ils sont là.

Sous l’angle plus précis de la migration, il y a des moments très durs et difficiles que nous qui avons dû fuir nos pays devons affronter. Je peux en énumérer certains que j’ai dû vivre comme le décès de ma petite-fille, l’abandon de nos proches, le déracinement familial, culturel, social, politique, avec le lâcher prise de la réalité de qui nous sommes, de ce que nous avons construit, de nos avancées, de ce que chaque jour de notre vie nous considérons comme notre bien-être, la construction d’un projet de vie qui nous garantirait une stabilité future. Cette dure expérience, je l’ai faite à l’âge de 45 ans après un parcours familial et professionnel organisé et réussi.

Nous pouvons nommer un grand nombre de situations tristes et tragiques vécues bien avant que chacun ne prenne la décision de fuir son pays, et la profondeur de la douleur et des dommages que ces situations causent en chacun de nous, mais surtout ce dont je veux parler c’est de résilience: cette capacité que nous avons toutes et tous à construire une nouvelle vie, à apprendre et à surmonter les douleurs du passé.

Ces situations passées ne sont jamais oubliées; mais peut-être que ça fait un peu moins mal, ou peut-être apprenons-nous à cacher la douleur, ou peut-être encore apprenons-nous chaque jour à contrôler nos émotions. Et cela signifie être plus forts que nos propres peurs ou angoisses, c’est être plus forts que la solitude, que le déracinement, que l’abandon, c’est être plus forts que les traumatismes psychiques, c’est être plus forts que les cauchemars ou même les souvenirs, c’est tenir tête à soi-même, à sa faiblesse.

Et c’est là que nous trouvons notre résilience, qui est la capacité d’une personne à surmonter des circonstances traumatisantes, et cela ne peut être réalisé qu’avec la seule option que nous ayons: être forts.

Martha Campo

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




Cicatrices

Photo: Saif Memom / Usplash.com

Un poème de notre rédactrice Martha Campo

Je ne peux pas effacer les étapes franchies

Et ne le voudrais pas

Car elles font partie de qui je suis

En tant que femme, en tant que personne

Elles font partie de la construction de l’être humain

Qu’aujourd’hui je suis devenue.

 

Je ne peux pas effacer les baisers donnés

Ni les caresses reçues

En un instant, ils m’ont comblée

Et ont perfectionné mon Art d’aimer.

 

Je ne peux pas retourner le calendrier de ma vie

Car chaque année, chaque jour, chaque seconde

Ont fait et font partie de qui je suis

Ou peut-être de tout.

 

Je ne peux pas effacer les amours

Et les déchirements qui ont traversé ma vie

J’ai appris de chacun d’eux

Et ils sont dans mes souvenirs

Agréables ou difficiles

Mais ils sont là comme une encre indélébile

Sur la toile de ma vie.

 

Je ne peux pas passer une journée

Sans considérer les cicatrices sur mon âme

Car elles m’ont fait grandir.

 

Je peux rire, vivre et jouir librement

Car j’accepte ma vie, mes chemins parcourus

Mes erreurs, mes réussites, mes peurs et mes faiblesses

Mais surtout j’apprends sur le nouveau chemin

Qui s’ouvre sous mes pas

Où je m’avance transformée et confiante en moi-même,

Où la seule et la plus convaincante sécurité

Est que j’avance d’un pas ferme

Seconde par seconde, sans attendre plus

Que ce qui vient.

 

Car je prends soin de profiter

Du moment où je respire

Du moment où j’aime et je suis aimée

Du rire et des pleurs,

Des émotions et des tendresses

Du moment que je vis…

 

Martha Campo

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




«Diver’cité»

Photo: Elvana Tufa / Voix d’Exils.

Une fête qui renforce les liens humains depuis 1983

«Diver’cité » est une belle collaboration entre l’EVAM et le groupe d’appui aux réfugiés de Bex (GAR), dont l’édition 2022 s’est tenue à Bex le 19 août dernier. En organisant une journée festive et rassembleuse, le GAR continue de soutenir les habitants et les habitantes du Foyer EVAM de Bex, et ce depuis 1983 !

De nos jours, la vie est difficile pour tout le monde. Mais elle peut être encore plus difficile lorsque vous êtes une personne exilée, et encore davantage lorsque vous n’avez pas de permis et que vous attendez que votre statut soit décidé. C’est presque insupportable. C’est ce que doivent ressentir la plupart des personnes exilées comme moi : exerçant momentanément leur patience, ils et elles doivent faire face à la vie, aux dilemmes et à la stagnation dans un pays étranger, faisant face à des sentiments et des approches différentes. Nous prenons pour acquis la haine, l’indifférence et le mépris de certains et certaines, de beaucoup, en fait, mais nous nous réjouissons du soutien, des sourires et de l’attention de beaucoup d’autres.

Nous venons peut-être, à coup sûr, de milieux, de cultures, de traditions, de pays ou même de continents différents. Mais nous sommes là, une multitude de tout cela dans un petit pays auquel nous avons demandé de la protection et du soutien, une protection et un soutien qui souvent ne viennent pas de l’État, mais des personnes que nous avons en face de nous, à nos côtés. Les vrais qui se mettent à notre place, qui essaient de voir la réalité de notre point de vue et vous pouvez dire qu’il n’y a que de la bonté et de la sympathie dans leur regard et leur approche – au maximum même quelques blagues -, juste comme le dit Raymond Queneau; et je suis entièrement d’accord avec lui, des exercices de style, mais pas de bureaucratie, pas la moindre trace de celle-ci.

Il y a quelques semaines, j’ai croisé Madame Christine Blatti, responsable du foyer EVAM de Bex, qui m’a invité à la fête annuelle de la Fête des Réfugiés  « Diver’cité ». J’étais heureuse d’y aller et de faire la fête avec eux d’une part, mais d’autre part, j’avais un peu de retenue de retourner dans le foyer où moi et ma famille avons vécu pendant quelques mois. Surtout à cause des tristes souvenirs et du sentiment d’être perdu et de n’appartenir à rien : à cela s’ajoutent la pandémie, le confinement et les restrictions que non seulement nous, mais aussi tous les gens, avons dû affronter pendant ces temps difficiles.

Une fête créée en 1983

J’ai eu l’occasion de rencontrer Madame Christine Blatti lors des célébrations où elle s’occupait des derniers arrangements et de la coordination, alors que dans le jardin un très beau concert avait déjà commencé. Elle a été très gentille de prendre un peu de temps pour me raconter les origines de cette fête et comment elle s’est développée et transformée au fil des années.

« Au départ, c’était la fête des réfugiés qui a eu lieu pour la première fois en 1983, au mois de juin. Mais, au fil des années, le concept a changé, s’est développé et s’est transformé. Elle s’est d’abord tenue dans le centre-ville, mais avec le temps, le lieu a également changé ». Cette fête, qui s’appelle désormais Diver’cité, s’organise en étroite collaboration avec le Groupe d’appui aux réfugiés de Bex (GAR). Ce groupe existe depuis 1983 et son but est d’offrir réconfort et aisance aux personnes exilées établies au Foyer de Bex. Grâce à l’engagement des deux organisations, elle est devenue depuis plusieurs années une tradition. « Le but de cette fête est en effet de rassembler les gens, de les amener à se connaître. Manger ensemble, échanger leurs histoires et leurs expériences entre eux, leur donner la chance de venir s’exprimer, de partager que ce soit la nourriture, les cultures et les traditions ou leur expérience et leur parcours en tant que personnes exilées. Beaucoup d’entre eux ne connaissent pas très bien le français, mais cela ne les empêche pas d’interagir. Le but est de se sentir bien, de créer de la confiance et d’abandonner tout jugement et toute peur », conclut Madame Blatti.

J’entends en fond sonore une musique énergique et je m’approche du jardin où les musiciens jouent pour les personnes qui se sont déjà rassemblées. Il y a des enfants qui dansent et chantent, une playlist de belles chansons dont certaines que j’ai pu chantonner en compagnie de Monsieur Pierre Ryter, un des bénévoles présent, mais aussi pour les randonnées et les autres activités que le GAR organise pendant les vacances d’été pour les personnes du foyer. Plus tard, pendant le dîner, nous sommes venus écouter de la musique érythréenne jouée par un habitant du foyer. Juste au-dessus de l’endroit où se tenaient les musiciens, je pouvais voir le balcon des chambres où ma famille et moi avons séjourné il y a deux ans : je me souviens, comme dans un film, de mon mari écrivant dans un cahier quelques poèmes après de nombreux mois traumatisants dans les camps. Mais juste après ces quelques poèmes, il a arrêté d’un coup. « Je suis plus dans un voyage épique maintenant », dit-il, faisant référence à son long roman qu’il est en train d’écrire.

Une main pour vous aider à vous relever

Anne Catherine Rohrbach est la présidente du GAR, l’association qui fêtera l’année prochaine son quarantième anniversaire. Très humble, aimante et attentionnée, c’est dans sa nature d’aider, de réconforter et de s’intéresser à tous les nouveaux arrivants et, en fait, à toutes les personnes exilées. Elle m’explique un peu le but du GAR qui est de mettre les gens en contact, de faire et de réaliser des activités liées aux personnes exilées avec les personnes séjournant ou ayant séjourné au Foyer EVAM de Bex en favorisant leurs relations avec la population de Bex et de la région, d’échanger un peu les idées, de respirer un air différent pendant leur parcours difficile. Outre le soutien moral et psychologique, ils proposent aussi d’autres activités, comme les cours de français, le vestiaire – vêtements et jouets distribués aux personnes exilées -, l’atelier de couture pour les adultes, l’atelier de peinture pour les enfants, et aussi les casse-croûtes, c’est-à-dire que toutes les deux semaines, des bénévoles viennent dans le hall de l’EVAM pour parler aux personnes du foyer et répondre à leurs questions, ou leur donner un coup de main.

A part Anne Catherine, dont j’ai appris à connaître l’aide et le soutien affectueux, je rencontre beaucoup d’autres personnes que j’ai connues lors de mon attribution au canton de Vaud. J’ai eu le plaisir d’être présentée à Monsieur le syndic, Alberto Cherubini, qui est également président de la Commission culturelle communale (culture, un mot que j’affectionne beaucoup), le secrétaire général de la commune, Monsieur Alain Michel, dont l’humour et l’attention dans l’écoute étaient très impressionnants, d’autres bénévoles, tels que Messieurs Pierre Ryter et René-Luc Thévoz, professeur d’accueil de certains de mes enfants (grand professeur, grand bénévole motivant), Tamara, employée auparavant au bureau des finances du foyer Bex et à qui je faisais appel pour toutes sortes de questions et des problèmes que je n’arrivais pas à résoudre moi-même et, enfin, ma chère première assistante sociale Amélie Pistorius. En tant que famille, nous avons été assistés par elle pendant notre séjour au foyer et je n’ai que les meilleures impressions et les meilleurs souvenirs d’elle : en tant que professionnelle – faisant son travail au mieux et se surpassant parfois – en tant que personne, emphatique avec les personnes traversant un chemin difficile, des choix difficiles et ayant moins de possibilités et de chances d’être et de se sentir inclues. Nous célébrons ici le fait d’être différents, mais égaux, d’être des personnes exilées, mais de rester des humains quand même. Ce qui, on nous le rappelle, n’est pas vrai du tout quand on se trouve devant un bureau ou un guichet d’une quelconque autorité étatique.

J’ai tellement apprécié mon après-midi ici que je ne me suis pas rendu compte qu’il était honteusement tard, après de longues conversations avec Amélie, Tamara, Pierre et d’autres invités. Pour moi, Diver’cité est une offre complète : prendre un cours de français dans la nature (une fois que je lance mon mécanisme parlant, c’est comme le courant de la conscience, mais avec beaucoup de fautes grammaticales), la cuisine traditionnelle du monde entier (et comment la raclette suisse pourrait-elle manquer ?), faire la connaissance de nouvelles personnes (dans une nuit d’été pluvieuse pas si romantique que ça).

Oui, j’ai définitivement passé une très belle journée qui s’est terminée de la manière la plus parfaite qui soit ; ma sœur m’avait fait une énorme surprise : elle avait fait un long chemin avec sa famille pour nous rendre visite. Je ne pouvais pas mieux terminer une belle après-midi comme ça.

 

Elvana Zaimi Tufa

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Mon grand-père, mon tendre guide

Un témoignage touchant de Kristine Kostava

Kristine Kostava, notre nouvelle rédactrice, se souvient avec émotions des moments partagés avec son grand-père durant son enfance.

J’étais sa première petite-fille. On dit que lorsque je suis née, il était surtout curieux de me rencontrer. Il m’a surnommé la « première hirondelle », car je suis sa première petite-fille née au printemps.

J’ai réalisé l’amour que je ressentais pour grand-père très tôt. Mes premiers souvenirs remontent à mes 3 ans. Je voulais tout le temps être avec lui. Quand il venait chez moi, ma question était :

« Que m’as-tu apporté? »

En réponse, il vidait ses poches dans lesquelles se trouvaient toujours des bonbons! Il me disait toujours qu’ils représentaient la joie, l’amour et le bonheur.

Il m’a appris à dessiner. Je me souviens qu’au début je ne savais même pas comment tenir un crayon. J’étais probablement drôle à voir avec mes petits doigts fins et mon long crayon. Grand-père riait beaucoup, posait sa main lourde sur ma tête et m’apprenait silencieusement à dessiner avec ses yeux toujours tristes.

Je me souviens qu’il me disait toujours : « Faire des choses dans la vie c’est bien. Mais il faut les faire avec le cœur. »

Je dis souvent que toute ma bonté est l’héritage de mon grand-père. Il m’a appris à aimer la nature, les animaux, les fleurs et le monde en général.

Enfant, j’avais beaucoup de temps pour jouer avec lui. Mais plus je grandissais, plus je m’éloignais de lui. Et puis, on a déménagé et la distance nous a séparés. Comme j’habitais à Kutaisi, en Georgie, à environ 70 kilomètres de lui, j’étais toujours inquiète, car il était veuf et vivait seul dans son village.

À 84 ans, il s’occupait toujours de ses deux vaches, fabriquait du fromage, de la crème aigre et du beurre. Il semait du maïs, du blé, des légumes et puis il nous envoyait des produits naturels en ville. Malgré sa vieillesse, il nous encourageait:

« Je vais bien quand vous êtes bien, vous me maintenez en vie! »

Malheureusement, nous sommes tous impuissants face à la mort. Mon tendre grand-père est mort à l’âge de 86 ans. Il a rejoint l’éternité, comme une hirondelle qui voulait voler… voler et voler!

Kristine Kostava

Membre de la rédaction vaudoise Voix d’Exils