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Le jeu du destin

Illustration : Harith Ekneligoda

De Wael Afana 

A tous les expatriés hors de leur pays

A tous ceux qui sont aliénés à l’intérieur de leur pays

A tous les prisonniers qui ressemblent à des vagues sur des rivages lointains

A ceux qui sont emprisonnés dans les cellules de l’espoir

A tous ceux dont les lèvres ont goûté le goût des blessures

Aux volées d’oiseaux qui ont succombé au vent

A tous ceux qui ont jeté leurs enfants à la mer dans l’espoir

d’atteindre les côtes européennes

À tous ceux qui sont prêts à mourir pour une gorgée du café d’une mère,

la tendresse d’un père et le baiser d’une sœur

À une mère d’un fils noyé, d’un mari décédé et d’une fille blessée

A ceux qui sont pauvres d’amour

A ceux qui ont besoin d’un morceau de pain dans leur pays

Aux expatriés, déplacés, réfugiés

A ceux qui ne cessent de pleurer

Toi qui ne peux échapper au destin

Les destinées de Dieu peuvent-elles être changées ?

Wael Afana

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




Vingt jours, dix pays, un exil

Sur un quai de gare en Macédoine / Photo: Youssef

Le périple de deux jeunes syriens vers la Suisse



Youssef*, un jeune Syrien de 30 ans, a travaillé comme ingénieur électricien dans son pays. Aujourd’hui, il pratique le même métier, mais en Suisse. Au-delà de cette apparente stabilité et continuité dans sa vie, Youssef a connu les dangers de l’exil et les risques pris par toute personne qui quitte son pays pour un avenir meilleur. Vous trouverez ci-dessous les détails du voyage qu’il a entrepris avec sa sœur et les difficultés qu’ils ont a rencontrées sur le chemin de la migration au travers des 10 pays qu’ils ont parcourus pour rejoindre la Suisse depuis la Syrie.

De la Syrie vers le Liban et la Turquie

Youssef et sa sœur ont décidé de fuir la Syrie. Ils se sont rendus, début août 2015, de Damas à Tripoli au Liban où ils sont montés à bord d’un bateau en direction de Mersin en Turquie. Leur voyage a duré deux jours. Puis, ils ont pris un taxi en direction de la ville d’Izmir, mais le trajet a été beaucoup plus long que le premier et a duré 14 heures.

À Mersin, Youssef a contacté un passeur appelé « Abu Mowaffaq » et s’est mis d’accord avec lui sur une somme de 1’100 dollars US. Youssef et sa sœur ont rejoint un groupe de trois personnes et sont restés dans la maison du passeur pendant six jours, où ils ont tous attrapé la gale à cause de l’insalubrité des oreillers et des couvertures.

Six jours plus tard, au soir, ils se sont rendus en compagnie d’autres groupes – au total près de quarante personnes – vers la ville de Bodrum, lieu d’embarcation qui se trouve à deux heures d’Izmir. Comme le bateau n’était pas prêt à partir, tous ont dû attendre sur le rivage pendant quatre heures, mais en vain. Le passeur était absent. Quand ce dernier est finalement arrivé, il leur a apporté de la nourriture et leur a demandé de se cacher pour le lendemain, avant de s’enfuir rapidement.  Après plus de 19 heures d’attente, la police turque les a interpelés et arrêtés pour ensuite les emmener à la gare routière la plus proche. Ils ont donc été contraints de retourner à Izmir.

De la Turquie à la Grèce

Le lendemain, Youssef et sa sœur ont tenté une nouvelle fois d’effectuer la traversée en bateau et sont donc retournés à Bodrum. Ils y sont arrivés au milieu de la nuit à deux heures du matin. Au lever du soleil, ils sont montés dans la barque et le début du voyage a alors été marqué par les prières de toutes et tous et par les pleurs des enfants. Un quart d’heure après le départ, les garde-côtes turcs les ont attaqués en mer afin de les forcer à regagner la côte turque, mais les passagers du bateau ont ignoré ces appels et ont continué à naviguer. Les garde-côtes ont alors tiré en l’air pour les effrayer et ont fait plusieurs tentatives pour les arrêter. Mais en vain. Les garde-côtes ont alors été contraints de les laisser poursuivre leur chemin. Moins de dix minutes plus tard, ils ont rapidement été interceptés par les garde-côtes grecs qui les ont emmenés sur l’île de Kos. A leur arrivée, ils ont été escortés jusqu’à un bureau pour enregistrer leurs noms afin que les autorités puissent statuer sur leur décision d’expulsion de la Grèce.

Île Kos, Dodécanèse, Grèce / Photo: Ibrahim
Sur l’Île de Kos, Dodécanèse, Grèce / Photo: Youssef

La police grecque les a ensuite emmenés dans un camp dans lequel ils devaient passer plusieurs jours dans l’attente d’une décision de renvoi. Mais tous, y compris Youssef et sa sœur, ont décidé d’aller immédiatement acheter des billets de transports pour se rendre à Athènes.

Lieu indéterminé, Grèce / Photo: Ibrahim
Lieu indéterminé, Grèce / Photo: Youssef

De la Grèce à la Macédoine et de Macédoine à la Serbie

Le lendemain matin, Youssef et sa sœur ont embarqué sur un petit bateau et ont voyagé ainsi pendant près de 14 heures. Lorsqu’ils sont arrivés, un ami de la famille, qui possédait un appartement à Athènes, les attendait sur place. Ils sont restés chez lui quatre jours.

Au port d'Athènes, Grèce / Photo: Ibrahim
Au port d’Athènes, Grèce / Photo : Youssef

Après cela, ils sont montés dans le bus et se sont dirigés vers la frontière macédonienne avec pour destination une gare ferroviaire. Ils sont alors montés à bord du train destiné à transporter les réfugiés à la frontière serbe et leur voyage a duré huit heures. Ils sont arrivés à minuit, puis ils ont attendu jusqu’au petit matin par peur des voleurs et des bandes qui rôdaient sur la route des voyageurs le long de la frontière serbo-macédonienne. Puis, ils ont marché vers le premier village de Serbie et de là ils ont pris un bus vers la capitale, Belgrade, où ils ont séjourné dans un hôtel pendant deux jours. Ils se sont ensuite dirigés vers la frontière hongroise à travers les champs de maïs. En chemin, ils ont été surpris par la présence de policiers qui arrêtaient et empêchaient les exilé·e·s de poursuivre leur chemin. Youssef et sa sœur ont donc décidé de se cacher dans les champs jusqu’à ce que la police quitte les lieux.

De la Serbie à la Hongrie

Le lendemain matin, un homme et sa femme sont passés, par hasard, par là et leur ont proposé de les emmener en voiture jusqu’à la ville hongroise de Budapest en échange d’une somme d’argent. Ils les ont alors effectivement conduits à destination, en compagnie d’une vingtaine d’autres personnes. Toutefois, lorsqu’ils sont arrivés en ville et qu’ils sont sortis de la voiture, ils se sont retrouvés face à deux voitures de police. Tout le groupe s’est alors mis à courir et s’est caché dans un parking pendant quatre heures où ils ont contacté un autre passeur qui les avait informés que deux voitures les attendraient dans le centre-ville à côté d’un hôtel. Malheureusement, la police était à l’affût et a confisqué les véhicules et arrêté les chauffeurs.

De la Hongrie à l’Autriche et de l’Autriche à l’Allemagne

Peu de temps après, ils ont recontacté le passeur qui leur a demandé d’attendre le lendemain de sorte à ce qu’il puisse se débrouiller pour leur fournir deux nouvelles voitures pour les emmener en Allemagne. Ils ont alors passé cette nuit dans le jardin jusqu’au lendemain matin, puis sont partis dans des directions différentes, traversant l’Autriche, sans s’arrêter, jusqu’à ce qu’ils rejoignent le premier village d’Allemagne appelé Passau où Youssef et sa sœur se sont arrêtés. Certains autres membres du groupe qui se trouvaient avec eux à ce moment ont été malheureusement pris dans un piège frauduleux et ont été renvoyés en Serbie.

De l’Allemagne à la Suisse

Après être arrivés vers deux heures du matin au village de Passau, Youssef, sa sœur et leurs compagnons de route encore présents ont passé quatre heures dans les rues. À six heures du matin, la police allemande les a arrêtés et emmenés au poste de police. Deux heures plus tard, ils ont été relâchés et ont pris le train en direction de Munich. À leur arrivée à Munich, Youssef et sa sœur se sont séparés du reste du groupe. Leur oncle les attendait sur place et c’est lui qui les a conduits pendant quatre heures dans sa voiture jusqu’à ce qu’ils entrent sur le territoire suisse et plus précisément par la ville de Rheinfelden, le 20 août de la même année.

Durant les 20 jours qu’a duré le périple de leur migration, Youssef et sa sœur ont traversé pas moins de dix pays avant de finalement demander l’asile en Suisse.

*Youssef: nom d’emprunt

Doaa Sheikh al Balad

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




« Je me sens vivant grâce à ma famille de parrainage »

Ezio Leet en sortie avec les trois filles de sa famille de parrainage et leur amie.

Témoignage

En 2016, en réponse à la « crise migratoire », un projet visant à mettre en contact des personnes vivant dans le Canton de Vaud avec des familles, des jeunes migrant.e.s, des hommes et des femmes en exil a vu le jour. Initié par plusieurs associations bénévoles ainsi que par les Eglises et la communauté israélite, le projet intitulé «Action–Parrainages» a pour but de faire dépasser les préjugés, de soutenir les requérants dans leur intégration, de créer des liens forts et de confiance. Notre rédacteur, Ezio Leet, témoigne de son expérience en tant que parrainé d’une famille suisse.

Ma famille, je l’aime beaucoup. Pourtant, nos chemins auraient bien pu ne pas se croiser. Pour vous raconter notre histoire, je vous propose de remonter en mars 2019. Plus précisément, le 4 mars, car c’est ce jour-là, suite à une rencontre, que tout a commencé.

Il faisait froid. Tels les oiseaux migrent avec l’arrivée des jours froids vers des contrées plus chaudes, moi, j’attendais le retour du soleil de printemps afin de pouvoir quitter la Suisse. J’avais en effet reçu quelques mois plus tôt une réponse négative de la part du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), celle qui vous avertit que vous devez quitter le pays. Le fait de recevoir cette réponse m’a glacé bien plus que le froid hivernal du mois de mars. Cela faisait trois ans que j’étais en Suisse. Trois années au cours desquelles j’ai appris le français. Trois années qui m’ont permis de me sentir intégré à ce pays et à sa culture qui m’a fasciné dès mon arrivée. Malgré cette sensation d’intégration, il m’arrivait souvent de me sentir très seul. J’habitais à ce moment-là dans un foyer. Là-bas, la vie n’est pas des plus joyeuses, croyez-moi. Je pense que la solitude que vous rencontrez entre les murs d’un foyer pour requérant d’asile peut vous pousser à vous sentir dépressif. Il m’arrivait souvent de manger seul et de n’avoir personne avec qui échanger sur les soucis et les petites joies du quotidien. Il me manquait d’avoir des personnes avec qui partager mes histoires, mes pensées, ou simplement mes repas. Je ne voulais peut-être pas me l’avouer, mais la sensation d’avoir une famille, proche de moi, me manquait.

La rencontre

Ce jour-là, malgré le froid et la décision négative du SEM qui flottait constamment dans mes pensées, quelque chose de chaleureux s’était produit. Ce jour-là, par le biais d’un ami, j’ai rencontré Valérie, une femme merveilleuse qui au fil du temps est devenue une amie très proche. Ce jour-là, elle m’a également parlé de l’association « Action-Parrainages » où elle est bénévole et m’a promis de me mettre en contact avec une famille prête à faire ma connaissance. Une famille prête à m’accepter, à m’accueillir et à écouter mon histoire. Me sentant comme un enfant éternel, bien qu’on me considère comme un adulte, la seule demande que j’ai émise était celle d’avoir une famille qui a des enfants avec lesquels je pourrais retourner en enfance. Inconsciemment, je pense que le lien très fort avec ma sœur, cinq ans plus jeune que moi, me manquait bien plus que je ne voulais me l’avouer.

Ma première fête d’anniversaire et un Noël inédit  

Un mois plus tard, j’ai été accueilli par ma famille de parrainage ainsi que par leurs trois petites filles. Rapidement, je me suis senti à l’aise avec chacun d’entre eux. Avec le temps, j’ai tissé un lien très fort avec les trois enfants qui me permettent parfois de replonger en enfance. J’ai pu en quelque sorte retrouver non pas une, mais trois petites sœurs. Désormais, elles représentent pour moi un bonheur absolu. Nous jouons ensemble, nous lisons, nous nous baladons. Parfois, elles font du bruit, elles m’embêtent et ne me laissent pas réfléchir. Cela peut paraître embêtant, mais je me suis rendu compte qui si pendant une journée entière, je n’entends pas leurs bruitages, je me sens moins bien ! Je les aime beaucoup.

Quelques semaines après notre rencontre, pour la première fois de toute ma vie, j’ai fêté mon anniversaire. A cette occasion, ma famille a organisé une petite fête en mon honneur. Même si j’ai eu de la peine à exprimer mes émotions à ce moment-là, au fond de moi, je me suis senti bien. En 2019, c’est également la première fois que j’ai fêté Noël. A cette occasion, j’ai reçu un sweat à capuche de la part de ma famille. Cela m’a fait tellement plaisir, car j’estime que le bonheur est fait de petites choses. Je pense que même si on m’avait offert la nationalité suisse, je n’aurai pas éprouvé cette même sensation. En effet, vous l’aurez deviné, les sweats à capuche sont mes habits préférés et le fait que ma famille ait remarqué cela m’a touché.

Bien plus qu’une famille de parrainage  

Je ne considère plus ces cinq personnes comme une simple famille de parrainage mais comme MA famille. Désormais, j’ai réellement une famille avec laquelle je me sens à l’aise, avec laquelle on se réunit autour d’une table pour partager un bon repas et avec laquelle je peux partager les soucis et les petites joies du quotidien. Je suis maintenant davantage chez eux qu’au foyer. Je me considère davantage chez moi quand je suis chez eux que dans la chambre que le foyer m’a attribuée.

Ma famille m’a beaucoup aidé. Elle m’a permis de continuer la traversée du chemin de l’intégration. Elle m’a permis et appris à ne pas baisser les bras. Ma famille m’a permis d’améliorer mon français. Elle m’a appris à être solidaire et à lutter contre l’injustice. Ma famille m’a également fait découvrir la Suisse et ses paysages. Elle m’a permis de goûter ses meilleurs fromages. Au quotidien, ma famille me permet de me sentir moins seul et moins dépressif. Elle me permet de me sentir mieux. Mais surtout elle m’accorde sa confiance, celle qui me permet d’être moi-même et de me sentir bien quand je suis avec eux. Ma famille me donne du courage, celui dont j’ai besoin pour continuer à me battre. Grâce à ma famille, je me sens vivant. Sans ma famille, sans son soutien, je pense que j’aurai quitté la Suisse.

Aujourd’hui, je suis encore ici et ma famille y est sans doute pour quelque chose.

Ezio Leet

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils