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Le journal de #MadameÉtrangère

Auteure: Madame Etrangère

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Les épisodes du  23 mai au 8 juin 2017

Découvrez chaque semaine, sur le profil Facebook de Voix d’Exils, les pensées farfelues, parfois brutes mais toujours sincères de Madame Étrangère, une requérante d’asile vivant dans le Canton de Vaud.

Mardi 23 mai 2017

****Je suis moche****

Merci l’herpès. Je suis moche. Du coup, j’ai été trop surprise quand, dans le métro, un gars a voulu faire ma connaissance. Probablement, mon herpès me donne un air sans prétentions, et de plus, il m’ajoute de la sensibilité et de la fragilité. Peut-être que mon herpès ne méritait pas mon dédain. Qui sait ? A chacun son fantasme… Pour moi la plus excitante partie de corps masculin, c’est le dos. Se trouver derrière un bon dos, c’est se sentir sous la protection de son possesseur. Sous une protection malgré l’herpès. En fait malgré tout.

 

Auteure: Madame Etrangère

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Mercredi 24 mai 2017

****L’un des les plus beaux endroits****

Demain, c’est le jeudi de l’Ascension, après vendredi et tout de suite le week-end. Quatre jours de bon temps bien ensoleillé pour un bon repos. En profiter ! Mais où aller ?

Des maisons pleines de tranquillité sont plongées avec délicatesse dans une forêt. Les oiseaux chantent des sérénades et des plantes, des plantes, des plantes partout. Le meilleur moment pour visiter ce paradis, l’un des plus beaux endroits à Prilly, c’est le mois de mai.

L’hôpital psychiatrique de Cery.

Bienvenue !

Auteure: Madame Etrangère

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Vendredi 26 mai 2017

****Il n’y a plus de paradis****

Je suis allée à Cery. Tout est à sa place : il y a une forêt, il y a des plantes, il y a des fleurs, mais il n’y a plus de paradis ! Les grands travaux de construction l’ont avalé, ont léché le fond de la casserole, l’ont digéré et ont éructé.

Il n’y a plus de paradis.

Je me suis querellée avec mon meilleur ami. Quand tu vis très loin de ton pays, chaque ami vaut son poids en or. La perte d’un ami, c’est une petite mort, tu es un assassin et une victime, un cadavre et un fossoyeur.

Il ne m’a rien dit de grave, je ne lui ai rien répondu de grave. Et voilà deux imbéciles.

Il n’y a plus de paradis.

Auteure: Madame Etrangère

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Lundi 29 mai 2017

**** Je suis comme une chienne ****

Ma copine Lara m’a annoncé qu’elle va à l’école étudier le français, enfin elle a obtenu une place. La connaissance de la langue ouvre des portes. Parfois des portes très inattendues. Les cours de français pour les étrangers proposent un français stérile, après ces cours tu arrives à comprendre des enseignants ou même la série « Hercule Poirot», mais les films modernes et les conversations dans la rue restent incompréhensibles.

Et s’exprimer, c’est une embuscade.

Après six mois d’étude, l’enseignant encourage son élève « Oh ! Madame vous parlez déjà bien le français ! » Elle essaie de répondre, pas simplement, mais joliment… presque poétiquement, en même temps démontrant qu’elle n’a pas oublié comment transformer un mot masculin dans une forme féminine (italien – italieNNe, musicien – musicieNNe) « Non, Monsieur le Professeur… Pour l’instant je suis comme une chieNNe, je comprends tout mais je ne parle pas. »

Le prof sourit. Il sourit gentiment, trop gentiment…

Du coup je dois m’adresser aux enseignants et lancer un appel :

Camarades!

Le beau français ne sert qu’à aller voir des médecins, acheter des produits et lire Voltaire et Hugo, mais aussi pour se tenir au courant de la vie moderne ! Elargissons le programme d’enseignement et haussons-le à un nouveau niveau pour permettre aux étrangers de s’intégrer vite et bien !

Bien sûr, il faudra coordonner les modifications avec le Ministère de l’Education. Je propose d’ajouter des questions supplémentaires au test final du niveau B2. Exemple :

Ajoutez les lettres manquantes dans la phrase suivante :

Sa…ré puta…n  bord…l  de merd… !

Expliquez les expressions suivantes et donnez des exemples de situations où on peut les utiliser correctement.  

  1. Rien à foutre
  2. Coup de foudre
  3. Va te faire foutre

Auteure: Madame Etrangère

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Jeudi 8 juin 2017

****Le minimum estival****

L’été. Pour qu’il soit mémorable, il faut avoir le minimum estival: un pique-nique, une piqûre de moustique, une grillade, une gueule de bois et une baignade.

À Lausanne il y a deux options : les piscines et le lac Léman.

Le partisan du lac: « dans l’eau naturelle je suis un être humain, alors que dans la piscine je me sens comme une sardine dans une boîte ! C’est moche et humiliant!»

Le partisan des piscines: « se baigner dans la même eau où des poissons baisent ?! C’est dégueulasse ! »

Mon budget extrêmement modeste m’a soufflé à l’oreille « attraper des champignons à la piscine, c’est trop cher pour nous. »

Donc cet été, on va rejoindre les poissons obsédés.

Auteure: Madame Etrangère

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Auteure: Madame Etrangère

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Le journal de #MadameÉtrangère

Auteure: Madame Etramgère

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Découvrez les épisodes du 17 avril au 22 mai 2017

Découvrez chaque semaine, sur le profil Facebook de Voix d’Exils, les pensées farfelues, parfois brutes mais toujours sincères de Madame Étrangère, une requérante d’asile vivant dans le Canton de Vaud.

Auteure: Madame Etrangère

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Mercredi 17 mai 2017

****Je ne suis pas****

Je suis allée en formation. (J’ai l’impression que j’étudierai toute ma vie.)

La formation dure environ quatre heures. Une groupe de migrants, un prof et parfois un collaborateur ou un stagiaire. Et chaque fois, tout le monde se présente. Cette fois, j’ai fait une découverte inopinée. Que c’est difficile de se présenter par la négative. « Vous êtes …? » « Je NE suis Pas… » Et quoi dire après ?

Soit tu présentes une longue liste de ce que tu n’es pas (tu n’es pas un homme, tu n’es pas un héros, tu n’es pas malade et même tu n’es pas OVNI, etc.), soit tu fais des grimaces en ajoutant des gestes bizarres pour couvrir la fin de la phrase « Je ne suis pas … »

Au cours, il y avait un nouveau visage. Une jeune femme, probablement une stagiaire, qui à la question du prof « Vous êtes… ? » a répondu « Je ne suis pas… » en faisant de grands yeux à notre intention. Chacun d’entre nous voulait l’encourager, chacun comprenait que ce n’est pas facile de se présenter par la négative. Mais c’est possible. Il suffit d’oser prononcer ce que tu veux dire réellement.

« Je ne suis pas une migrante »

« Je ne suis pas eux »

L’important c’est de ne pas oublier de bien articuler.

 

Auteure: Madame Etrangère

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Jeudi 18 mai 2017

****J’ai toujours trahi****

J’ai reçu une chaleureuse lettre de la marque de cosmétiques Yves Rocher. Cette entreprise m’a adressé « Un grand merci pour ces deux années de fidélité ». J’ai été bouleversée. Car étant en relation avec cette marque, je l’ai toujours trahie avec des concurrents : le matin et la nuit, sur la plage et sous la douche, dans le bureau et chez moi, devant la télé et face au miroir. J’ai toujours été infidèle et malgré ça Yves Rocher m’a dit « Merci pour ces deux années de fidélité ». Je suis sincèrement touchée.

S’il y a la nécessité de se marier, il faut se marier avec « Yves Rocher».

 

 

Auteure: Madame Etrangère

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Vendredi 19 mai 2017

****Il a une âme****

Il pleut. Je suis dans le bus N°6.

L’anxiété se tapit derrière chaque arbre, chaque virage, chaque bâtiment et dans chaque voiture…

Un jour le 6 se souviendra qu’il est un être humain, qu’il a une âme et qu’elle est éternelle, et lui, sale et fatigué, s’exaspérera, éteindra ses freins et se dirigera au bout du monde.

Au diable !

 

Auteure: Madame Etrangère

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Dimanche 21 mai 2017

****L’une des règles pour être un bon migrant****

Hier j’étais à une fête où un homme a fait des efforts pour expliquer à la migrante que je suis ce qu’est la société et comment il faut se conduire dans le monde civilisé.

  • Madame, il y a toujours des conversations sur n’importe quel sujet : les vacances, le vélo, la bande dessinée « Les Aventures de Tintin », etc.
  • Et il faut savoir tenir des sujets de conversation.

J’ai aussi voulu proposer des sujets, par exemple «L’influence de Le Corbusier sur l’architecture moderne » ou « Le retour en actualité de l’Existentialisme». Mais je n’ai rien dit parce que …

… L’une des règles pour être un bon migrant: c’est de savoir se taire.

Ne dis rien. Il ne faut décevoir personne. Un migrant existe pour se faire civiliser.

 

Auteure: Madame Etramgère

Auteure: Madame Etrangère

Lundi 22 mai 2017

****Ça explose la tête****

Je me suis réveillée tôt et…

Tiens, tiens, tiens, qui est venu ! L’herpès ! Bisous trois fois. Comment vas-tu ? Fatigué ? Merci, moi aussi. Oui, comme d’habitude j’ai mal dormi. Oui, oui… Ce n’est pas bien. Mais, écoute, grâce à ça et ma fatigue tu viens me voir régulièrement. Quoi de neuf ? Rien de nouveau… Pas d’autorisation de travail, pas de permis… « Rouge et noir – pas d’espoir ». Et aussi, tu sais, tout le monde se plaint, se plaint, se plaint… ça explose la tête.

L’Autochtone  – Oh, cet étranger ! Je ne peux pas faire bon ménage avec lui, il sent mauvais. C’est dégoutant !

L’Etranger – Oh, cet Autochtone ! Il se mouche pendant qu’il ingère son repas. Ça me dégoute !

L’Extra-terrestre – Ouf, ces deux ! Partager le même espace, jamais ! Ils font pipi et caca. C’est écœurant !

Et seule La Punaise de lit est contente d’eux. Parce qu’elle aime tout le monde.

 

 

 

 




Le journal de #MadameÉtrangère

Illustration: #MadameÉtrangère

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Découvrez les épisodes du 28 avril au 16 mai 2017

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Samedi 28 avril 2017

****Le thermos repose en paix****

Illustration: #MadameÉtrangère

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Je devais voir mon ami. Celui qui me soutient toute l’année, celui qui me fait rire quand je pleure et celui qui m’a appris à utiliser la politesse. Par exemple : « Je serais ravie de partager un moment de silence avec toi » à la place de « Tais-toi » ou « Malheureusement, je n’ose plus vous retenir. Passez une excellente journée » au lieu de « Fichez le camp ».

En guise de reconnaissance, j’ai voulu lui faire plaisir, lui offrir une belle chose pratique et nécessaire dans chaque maison décente : un thermos. Quelle chance, j’en ai un ! Je l’avais acheté il y a quelques jours. Il est tout neuf et de couleur resplendissante.

Le matin, j’ai réjoui mon ami. Je le comprends ! J’aurais été aussi contente si quelqu’un m’avait offert une chose pareille.

Cependant, notre joie s’est éteinte ce soir-là. On a testé mon cadeau et il s’est avéré que celui-ci était cassé : de l’eau a coulé par-dessous…

Le thermos a été enterré dans une poubelle…

Mon ami a prononcé l’oraison funèbre : « Je suis sûr qu’il a été fabriqué en Chine. »

Ensuite, il a ajouté en s’adressant à moi : « Malgré cela, j’ai beaucoup apprécié ton intention de me faire plaisir. On a passé des moments magiques ce samedi, je t’en remercie.»

Bilan final : j’ai un ami Suisse bien éduqué et donc je n’ai pas acheté ce fameux thermos pour rien.

Illustration: #MadameÉtrangère

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Mercredi 3 mai 2017

****Merci au gouvernement****

Illustration: #MadameÉtrangère

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Je vais boire du café et la vie va s’arranger : Oui, le soleil va se souvenir de Lausanne, ma copine va commencer à fumer et me rejoindre, mon ami Erythréen va assumer la vie dans un bunker (sous terre et sans fenêtres) et en fait il va dire merci au gouvernement parce qu’en cas de guerre nucléaire on va tous mourir sauf lui.

 

 

 

 

 

 

 

Vendredi 5 mai 2017

****La tête ne sert pas seulement…****

Illustration: #MadameÉtrangère

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Bonne nouvelle de fin de semaine. Mon ami (requérant d’asile) a reçu une lettre : il est accepté à l’UNIL (Université de Lausanne). Bravo mon jeune ami ! Comme disait mon papa « La tête ne sert pas seulement à manger et à porter un chapeau ».

Les choses prévues pour ce week-end: donner un coup de main pour préparer une fête et après dormir, dormir, dormir. On dit que les petits grandissent en dormant. C’est donc logique de penser qu’après 40 ans, on rétrécit en dormant. Donc pour ce week-end, j’ai prévu de diminuer ma taille.

 

 

 

Dimanche 7 mai 2017

****Sa première expérience avec le fromage suisse****

Illustration: #MadameÉtrangère

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Aujourd’hui, il pleut et hier il pleuvait quand je suis allée à une fête.

La fondue, c’est très bon ! La fondue dans une ambiance chaleureuse est deux fois meilleure. J’étais super contente !

Dommage que je n’arrive pas à convaincre l’une de mes copines de manger la fondue. Sa première expérience avec une raclette a été la dernière, car elle était complexe, je dirais même traumatisante. À cette époque-là, elle était en Suisse depuis seulement un mois. Placée au foyer de Crissier, elle a acheté 500 grammes de fromage, a concocté un gâteau et l’a mis au four qui se trouvait dans la cuisine commune au fond du couloir. En l’espace de quelques minutes, le couloir a été d’abord envahi par une odeur de fromage fondu et peu après par du bruit : les habitants de l’étage étaient bien agités. Ils s’inquiétaient et recherchaient l’auteur de ce gâteau confectionné avec des produits avariés. Ma copine n’est pas arrivée à avouer que c’était son gâteau et elle a même pris part à la recherche du malheureux cuisinier. Après plusieurs heures de recherche, il n’a pas été retrouvé. Mystère…

Illustration: #MadameÉtrangère

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Mercredi 10 mai 2017

****Prise d’otage de chiffres****

Illustration: #MadameÉtrangère

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Un bon procédé pour se détendre, c’est de faire un shopping. Mais, quand tu n’as pas de moyens, tu es pris en otage par les chiffres. 10 % de réduction ne sont pas attractifs, 20% – ça vaut la peine à s’arrêter, 30% – à réfléchir, 43% – je n’ai jamais vu, 50% – cette chose est belle, 70% – il faut acheter.

La semaine passée. D’abord j’ai été attrapée par des chiffres de promotions, 50% d’un article. Puis je me suis souvenue que je savais lire et j’ai lu « Bain aromatique pour les jours froids……dégage les voies respiratoires… Cette formule de soin entretient et protège la peau en douceur.» Tout de suite, j’ai trouvé chez moi et le nez bouché, et les voies respiratoires obstruées, et que la peau avait besoin d’urgence de la protection exactement « en douceur ». Bien sûr, j’ai acheté ce beau produit très nécessaire. J’étais contente et de plus j’étais soulagée car si j’avais vu Ciprofloxacine avec 70% de remise, j’aurais trouvé chez moi tous les symptômes de la prostatite chronique.

 

Lundi 15 mai 2017

****Saving Private Swissman****

Illustration: #MadameÉtrangère

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Je voulais regarder le film « A bras ouverts ». Mon portefeuille a rejeté cette idée et il avait raison, d’ailleurs comme d’habitude. Aller au cinéma, c’est cher. Bon, je peux passer devant « Pathé », observer le bâtiment et ça me suffira. Et le film ? Pour ça, tu as ta tête ou tu es un scénariste, toi-même, tu es un réalisateur, toi-même, tu as le pouvoir d’engager  n’importe quels acteurs sans aucune clause dans le contrat. Certainement, tu es le Seigneur pour tourner des films dans ta propre tête ! Un copain, migrant, a commencé le tournage d’un film. Le titre de travail « Saving Private Swissman»

« Figure-toi, la chute de la Suisse : les éruptions, la guerre, le déluge, la pauvreté, l’exode de la population, le pays sombre dans le désespoir. Les Suisses s’enfuient en espérant trouver l’asile chez nous. On les accueille. Moi, je travaille avec les demandeurs d’asile comme assistant social. Je m’occupe de tout : l’hébergement, l’aide financière, la socialisation et, bien sûr, l’intégration.

  • Bonjour, – je leur dis, – Il faut que vous sachiez ce que c’est la ponctualité. C’est très important. PON-CTU-A-LI-TE ! Qu’est-ce que c’est ? Qui sait ? Ah ! Voilà ! Je t’écoute… Dis à tout le monde. S’il te plaît, plus fort………………….. Pas mal, presque juste. Alors, pour mieux comprendre je vous donne un exemple. Quand je vous dis « Cela commence à 9h30 », vous devez vous présenter à 9h30 et pas à 9h40 ou encore pire à 9h45. Qu’est-ce vous dites ? Le quart d’heure vaudois ? Oui, oui, je sais ce que c’est. Oui, il existe. Mais pas pour tout le monde. Parce que ce n’est pas n’importe quoi, c’est la PON-CTU-A-LI-TE.

À la fin j’ai réalisé que ce copain n’allait pas tourner de film, son projet, c’est une série télévisée.

Illustration: #MadameÉtrangère

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Mardi 16 mai 2017

****Un parti pour de bons migrants****

Illustration: #MadameÉtrangère

Illustration: #MadameÉtrangère

Le ciel de Lausanne est toujours dessiné par les pistes des avions. Aujourd’hui, cela se voit, à Lausanne il fait beau, il fait chaud.

Ma copine A n’arrive pas à choisir un métier pour son avenir. Je suis une mauvaise conseillère : soit j’analyse trop et ça gâche n’importe quel élan, soit  j’analyse trop et ça amène au sommet de rêves en or ou au moins à la ville du Magicien d’Oz. Il faut que ma copine s’adresse à quelqu’un qui est plus sage et qui connaît bien la réalité suisse. Par exemple, à mon copain O qui dit : « Si tu es un avocat à Lausanne et tu veux avoir une brillante carrière, il faut adhérer au parti PLR (Les libéraux-radicaux) ». Je lui fais confiance. Il m’a fait réfléchir à quel parti je dois adhérer pour obtenir le statut « BON MIGRANT ». Si des avocats sont pour le PLR, si des enseignants sont pour le PS (les socialistes), si des paysans sont pour les UDC (les conservateurs), donc des migrants doivent être pour les écologistes. Parce que les migrants sont choqués par la quantité de papier « exterminé » (des lettres, des pubs, etc.) Pour déterminer le choix du parti qu’on  va rejoindre, ça vaut la peine de chercher  la différence entre les Verts et les Vert’libéraux.

 

 




Le journal de #MadameÉtrangère

Madame Etrangère

Une requérante d’asile raconte son quotidien

Voix d’Exils initie un nouveau projet éditorial qui a pour but d’expérimenter une nouvelle forme d’expression : le journal d’une requérante d’asile.

Découvrez chaque semaine, sur le profil Facebook de Voix d’Exils, les nouvelles pensées farfelues, parfois brutes mais toujours sincères de Madame Etrangère, accompagnées d’illustrations réalisées par l’auteure. Voici d’ailleurs la première page du journal:

N’hésitez pas à commenter ou partager le Journal de Madame Etrangère sur vos réseaux sociaux!

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils




«Séquestrée et contrainte à me prostituer en Suisse»

Galerie de Ira Gelb. (CC BY-ND 2.0)

Photo: galerie d’Ira Gelb. (CC BY-ND 2.0)

Certaines « filles de joie » essaient d’échapper à la spirale de la prostitution. Tant bien que mal. C’est le cas de Sonia, que nous avions rencontré l’année passée dans le cadre de notre enquête sur la prostitution et ses dangereuses illusions. Aujourd’hui, Sonia n’est plus dans la rue. Elle est sortie de cet enfer et se bat pour ne plus y sombrer à nouveau. Témoignage d’une difficile reconversion.

Il y a un monde où les femmes ne sont pas considérées comme des êtres humains, mais comme de simples objets, presque comme des papiers hygiéniques. « Utilisées » par toutes sortes d’hommes : mariés, célibataires, riches, pauvres, intellos, malades mentaux et autres. Ce monde, c’est celui des maisons closes, aussi appelées bordels. Ces bordels cachent une réalité sociale aussi ancienne qu’invisible.  Les maîtresses authentiques de ces corps qui se déshabillent pour de l’argent sont emplies de sentiments et de souffrances; de cauchemars et de rêves, de désirs et d’amour. Elles se retrouvent, parfois malgré elles, dans un monde impitoyable fait de masques, toutes seules. Un monde dans lequel il est beaucoup plus facile d’y entrer que d’en sortir… Mais Sonia a réussi à s’extraire de ce cauchemar et nous raconte son histoire.

« Seule dans la rue, la nuit, avec mon fils de cinq ans »

 « Mon cauchemar n’a pas commencé dans un trottoir pour prostituées, mais dans un centre de demandeurs d’asile en Suisse. Un jour, alors que j’étais sur le point de me rendre à l’hôpital, car j’avais rendez-vous avec le médecin de mon fils de cinq ans qui était malade, je reçois un coup de fil de mon avocat. Il me dit « d’être prête » car à tout moment je risquais d’être expulsée. En effet, l’ambassade de mon pays avait signé un « laissez-passer » : le document permettant mon expulsion de Suisse. Sur le coup, je me suis sentie sonnée, abattue, dépassée par la situation. La nuit tombée, sans réfléchir, j’ai pris mon fils sous le bras et nous sommes partis sans savoir où nous allions nous rendre. Une fois dans la rue, le froid, la fatigue de mon fils qui était convalescent, la peur d’être interpellée par une patrouille de police, tellement de sentiments différents, mélangés en une seule et même nuit, que j’ai songé à me suicider. Mais, le fait d’abandonner mon fils, qui n’avait pas demandé à venir dans ce monde, m’avait dissuadée de commettre l’irréparable ».

« J’aurais pu en tuer un. Je me voyais avec un couteau »

« Alors que ces pensées noires me taraudaient l’esprit, J’ai vu une voiture garée. Un monsieur en sort et me demande ce que nous faisons mon fils et moi en pleine rue, tard dans la nuit. Je lui explique brièvement notre situation et il nous emmène dans un café. Il nous offre à boire et me propose de nous héberger chez lui, le temps qu’il faut. Sans réfléchir, j’accepte. C’est en réalité le début d’un autre calvaire. Ce monsieur va me forcer à me prostituer. Il va aller jusqu’à me menacer de me livrer à la police ou de tuer mon fils, si je n’accepte pas de me prostituer pour lui. Il exige alors que je le lui ramène au moins 2000 francs suisse par jour. Je me retrouve donc séquestrée et contrainte à me prostituer, malgré moi, pour ensuite lui remettre cet argent. Lui, il reste à la maison avec mon fils. Il me dépose les premières nuits « là où ça se passe ». Entre le quartier des Pâquis à Genève et la rue de Genève à Lausanne et même parfois à Zurich.

Je découvre alors l’univers du trottoir, la violence, les agressions par des clients, les vols, la concurrence entre les filles, le déchaînement des passants… Chacune d’entre nous – les prostituées – garde en mémoire une poignée d’agressions qui lui a marqué le cœur ou la peau. Mais très peu d’entre nous les racontent, ou les dénoncent. La plupart préfèrent se terrer dans le silence. La prostitution, c’est un gigantesque mensonge : la prostituée ment, le client ment. L’ouvrier devient patron et le mari célibataire. Il faut se « livrer à tous », y compris à des malfrats, à des assassins, des drogués et autres. On a envie de leur dire que ce sont des abrutis, mais on est obligées de leur faire des compliments. De devoir supporter ces types, ça me prenait aux tripes. J’aurais pu en tuer un. Je me voyais avec un couteau ».

 

« Je vis aujourd’hui avec le minimum, mais je suis en accord avec moi-même »

« C’était terrible, je n’en pouvais plus. Je pleurais, j’implorais mon Dieu. Un jour, une dame, Mme Mbog, qui distribuait souvent des préservatifs aux prostituées m’a demandé de lui dire pourquoi je pleure tout le temps. Face à mon hésitation, elle s’est montrée très convaincante et digne de confiance. M’assurant notamment qu’elle dirigeait une ONG, qu’elle pouvait m’aider et qu’elle était là pour ça. Je lui ai alors raconté mon histoire. Elle m’a demandé si mon fils était toujours là-bas, chez le proxénète. La réponse était oui. Elle m’a demandé de rentrer, comme si de rien n’était, tout en prenant mon adresse complète (ou plutôt l’adresse de mon proxénète puisque je vivais chez lui avec mon fils). Mme Mbog est arrivée le lendemain accompagnée de deux autres personnes. Heureusement ou malheureusement, le proxénète était absent. Je ne voulais pas qu’elle appelle la police, car j’avais peur d’être rapatriée. Elle nous a alors amené chez elle en France.

Elle m’a aidé à trouver un logement, mon fils est scolarisé, je travaille et suit une formation en informatique. J’essaie d’oublier cet enfer, mais ce n’est pas facile. Pendant toutes ces années, j’ai vu des psychologues, je suis allée aux centres pour personnes dépendantes car je buvais pas mal. Mais je trouvais des excuses bidons et racontais des faux problèmes, parce que je ne pouvais pas dire que j’étais une prostituée. En fait, je me rends compte maintenant que je lançais des appels au secours en permanence. Mais les réponses, les aides, on ne les obtient pas, parce qu’on ne peut pas dire l’essentiel. J’ai toujours eu honte de ce passé. Il n’y a personne pour le comprendre, pour le déchiffrer. Mais, Mme Mbog elle est toujours là, bien qu’elle ne puisse pas m’aider en tout, vu qu’elle suit aussi d’autres filles et qu’elle dispose de moyens limités. J’ai eu des problèmes de retards de loyer et j’ai été menacée d’expulsion par le propriétaire de mon logement ; car des gens ont raconté que je menais des activités de prostitution dans mon appartement, alors que je ne recevais jamais personne. J’avais commis l’erreur de parler de mon passé en Suisse à une voisine que je considérais comme une amie. Elle a alors raconté cela aux autres voisines. Tout le quartier sait désormais que j’étais une prostituée. Elle n’a rien compris et c’est très dur à vivre. Je n’aurais jamais imaginé que même le concierge où je vis allait s’en servir pour tenter de me détruire. Certaines croient que j’ai de l’argent, car j’ai été une prostituée en Suisse. Mon passé douloureux dans ce pays me suit jusqu’ici. Tout est un combat. Si on avait de l’argent, on n’irait pas se prostituer. Aujourd’hui, je suis dans une situation très précaire financièrement. Mais je n’y retournerai pas. C’est irréversible. Je réapprends à vivre. Je travaille. Je suis contente de toucher un salaire, même si je gagnais en deux jours ce que je gagne aujourd’hui en deux semaines. Mais je donnais presque tout à mon proxénète, et même si c’était pour moi, je considère ça comme de l’argent sale. Je vis actuellement avec le minimum, mais je suis en accord avec moi-même ».

Propos recueillis par :

FBradley Roland

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Lire aussi: « Les dangereuses illusions de la prostitution », article publié sur Voix d’Exils le  27.04.2012, en cliquant ici