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Les rêves morts

Auteur: Harith Ekneligoda / Voix d’Exils.

Un poème de Khaleda Alzobi

Nous avons traversé la calamité

Connu les larmes, la nudité

Nos pieds nus

Ecorchés sur les épines de la vie

Sous les coups de la douleur

Les larmes tombent de mes yeux

Devant les décombres de destruction

Parmi les cadavres

Sous le rire des imbéciles

Ma voix étouffée

Par les cris des endeuillés

Mon cœur est lourd et oppressé

Est-ce son dernier battement ?

Il essaie de continuer

De se relever

La vie va-t-elle me donner encore une chance ?

Khaleda ALZOBI

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




Tout travail mérite le respect

Mohamed Shadan. Rédaction valaisanne de Voix d’Exils.

Merci et bravo aux femmes de ménage !

Il est de coutume dans les médias d’écrire sur les célébrités et les personnes qui ont « réussi » . J’aimerais parler, aujourd’hui, des femmes exilées en Suisse qui effectuent un travail non qualifié qui n’est pourtant pas à la portée de tout le monde.

Ce métier attire peu de candidates, beaucoup de femmes le considèrent comme l’un des domaines d’activité des plus désagréables. Je parle du métier de nettoyeur.

L’idée d’écrire cet article m’a été donnée par un collègue de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils qui a relevé la diligence des femmes de ménage du Centre de formation Le Botza, à Vétroz en Valais. Il me confie: « Ces femmes exécutent un travail difficile, peu reconnu et, malgré tout, elles ont toujours le sourire aux lèvres ».

Les raisons pour lesquelles des personnes quittent leur pays sont très diverses : chacun.e a sa propre histoire mais, souvent, c’est à cause d’une guerre. L’adaptation à un nouveau pays, avec une culture et une langue différentes, n’est pas facile. Le travail représente l’un des principaux facteur d’intégration et, à contrario, c’est le manque de travail qui est le principal problème sur la voie de l’adaptation sociale.

Roman Mekonen. Photo: Rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Ma première interlocutrice s’appelle Roman Mekonen. Ethiopienne de 38 ans, elle a une posture  modeste et timide. Elle est arrivée en Suisse en 2016. Cela n’a pas été facile pour elle au début… Trois mois après son arrivée, sa mère est décédée. En cette heure difficile, Roman a été soutenue par des amis qui l’ont aidée à faire face au chagrin. Mais on dit que les difficultés ne viennent pas seules, et bientôt Roman a divorcé de son mari et a reçu plusieurs réponses négatives à sa demande d’asile. 

Roman a refusé le découragement; elle a pris sa volonté dans son poing et a commencé à étudier le français et s’est inscrite à des cours de coiffure. Très vite, elle a réalisé que le meilleur remède contre la dépression est le travail. En Ethiopie, elle n’avait pas eu l’occasion d’étudier ni de travailler, donc le choix à sa disposition était limité. Elle a ainsi accepté de travailler comme femme de ménage, d’abord dans un bureau à Martigny, puis au Centre de formation du Botza.

Lorsqu’on lui demande pourquoi elle a choisi ce métier, Roman répond avec le sourire :

« Je sais comment nettoyer – ma mère me l’a appris depuis l’enfance. C’est très difficile de trouver un emploi dans notre canton, alors je suis satisfaite de ce que Dieu m’a donné ». Elle ajoute: « J’aime mon travail, malgré le fait qu’il soit pénible, non seulement parce que je dois travailler huit heures par jour mais, psychologiquement, ce n’est pas toujours facile, quand on nettoie les toilettes, par exemple. Malgré tout, je fais bien mon travail, car j’aime la propreté. »

 

Shadan Mohamed. Photo: rédaction valaisanne de Voix d’Exils.

Ma deuxième interlocutrice s’appelle Shadan Mohamed. Elle est Kurde d’Irak et a des yeux bruns pleins de bonne humeur. Elle est arrivée en Suisse en 2016. Shadan a 35 ans, elle est mariée et habite à Monthey. Elle travaille comme femme de ménage au Centre du Botza depuis 2018. Lorsqu’on lui demande pourquoi elle a choisi le métier de femme de ménage, elle répond : « Ce qu’on m’a proposé, je l’ai accepté. Je n’avais pas d’autre choix, parce que ma demande d’asile a été rejetée et que je n’ai pas accès à un véritable emploi ». Elle précise: « Dans mon métier, c’est le repassage que je préfère. Cette activité m’apaise. Nous avons une très bonne cheffe, très gentille, prévenante et réactive. Travailler sous sa direction est facile. En cas de problème, elle vous aidera et vous guidera toujours ». Et d’ajouter:  « Aussi je suis heureuse en Suisse. C’est un pays magnifique avec une nature incroyable, où les gens sont gentils. Mon mari et moi allons souvent nous promener à la montagne. Ma seule tristesse est notre situation administrative. »  A ces mots, son sourire s’efface. Shadan espère malgré tout qu’un jour son dossier soit accepté. Ce jour-là, elle respirera l’air alpin la poitrine grande ouverte.

Peu importe votre profession, il est important d’aimer ce que vous faites, tout comme Roman et Shadan. Le principal avantage de la profession de nettoyeur est la possibilité de travailler sans expérience de travail ni formation professionnelle. Ce métier a aussi des inconvénients : c’est le manque d’évolution de carrière et le bas salaire.

J’espère qu’un jour le travail des nettoyeurs et nettoyeuses sera mieux reconnu et mieux payé, car tout travail doit être tenu en haute estime et celui de nettoyeur ne fait pas exception.

Tamara Akhtaeva

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 




Une soirée au théâtre

Harith Ekneligoda / rédaction valaisanne de Voix d’Exils

La transformation de Topaze ou l’argent ne fait pas le bonheur

Après la pandémie de COVID-19, je suis allé au théâtre pour la première fois dans un autre pays, dans une autre langue : c’était à la salle polyvalente à Champlan dans la commune de Grimisuat dans le Canton du Valais, en Suisse.

Les gens étaient venus à la fois pour satisfaire leur envie de théâtre et pour se changer les idées après la pandémie. Sur les visages des spectatrices et spectateurs, je pouvais voir que les sourires remplaçaient les yeux fatigués et tristes.  En les regardant, j’ai senti à quel point un environnement où le rire et la paix étaient intenses m’avait manqué.

« Certaines scènes m’ont rappelé le théâtre au Kurdistan » 

Mes amis et moi avons pris un verre et discuté avant le début du spectacle.  J’ai même goûté pour la première fois un vin qui s’appelle « la Petite Arvine » et j’ai beaucoup aimé… A l’approche du spectacle, nous avons terminé notre belle conversation et avons pris nos places. Certaines scènes que j’ai observées dans le public m’ont rappelé d’anciens moments vécus au théâtre au Kurdistan. Par exemple, les gens qui prennent discrètement des photos et des vidéos, les demandes des enfants qui dérangent leur mère, etc. Mais boire du vin pendant la pause ou avant le départ, bavarder chaleureusement, c’était nouveau, tout comme le petit jeu de loterie proposé à la fin.

Dans l’ensemble, j’ai apprécié chaque instant de cette bonne soirée parce que, pour la première fois, j’ai eu le plaisir de voir une pièce de théâtre dans une langue étrangère. De plus, les décors de la scène, les costumes des acteurs, les accessoires et l’ambiance étaient super. Donc, si je voulais critiquer la pièce, je devrais la critiquer d’être si belle.

« Topaze » de Marcel Pagnol

Le nom de la pièce qui m’a donné cette première expérience est « Topaze » et son auteur est Marcel Pagnol.  Elle raconte la transformation de Topaze, le personnage principal. Au début, il est aimé et respecté de tous. C’est un enseignant idéaliste qui protège sa personnalité contre l’injustice. Mais il perd son emploi parce qu’il refuse d’élever la note d’un de ses élèves qui est l’enfant d’une famille riche. Personne ne le soutient dans un premier temps après qu’il a été renvoyé de son travail mais, plus tard, un patron fait de lui le responsable de l’école. A ce moment-là, Topaze démarre une carrière et gagne de l’argent. Les gens commencent à le respecter à cause de son rang social et de son argent. L’honnête Topaze devient alors une personne malhonnête en vendant son âme, sa personnalité pour de l’argent. 

Il y a malheureusement beaucoup de gens dans nos vies qui respectent notre rang, notre argent et notre statut mais pas qui nous sommes, alors que la seule chose qui nous fait exister, c’est notre personnalité.  Lorsque nous comprendrons que l’argent n’apporte pas le bonheur, nous apprendrons à respecter le caractère.  J’espère que nous parviendrons à rester honnêtes, comme le personnage de Topaze au début de la pièce.

Aydin KINNA

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d`Exils




« J’ai commencé à m’adapter lorsque je me suis fait des amis suisses »

 

L’amour du sport: fil rouge de ma vie

Je suis née à Asmara, en Erythrée, et je vis en Suisse depuis six ans. Au début, c’était vraiment difficile de m’installer dans ce nouveau pays. Heureusement, après quelque temps, j’ai commencé à m’adapter, surtout à partir du moment où je me suis fait des amis suisses.

J’ai toujours adoré le sport. En Erythrée, j’étais acrobate, j’ai aussi fait de la grimpe. Toute petite, je faisais peur à ma grand-mère, qui m’élevait, en grimpant au sommet des arbres. Ma petite fille de six ans me ressemble beaucoup et bouge tout le temps !

Mes amis suisses m’ont invitée à faire du sport avec eux : j’ai fait de la grimpe dans les Alpes valaisannes (mon sport préféré !) et du basket. Ils m’ont aussi fait découvrir les sports d’hiver, totalement inconnus chez nous. Je me sens comblée de les avoir rencontrés !

J’ai fait du ski pour la première fois de ma vie. Ça m’a apporté le bonheur de glisser sur la neige en regardant la nature de tous les côtés. Ça m’a beaucoup aidée à oublier les choses difficiles de mon passé. Ce sport, même s’il est un peu dangereux, m’a montré le côté positif de la neige alors qu’avant je n’en voyais que le côté négatif : dès que la neige commençait à tomber, je préférais rester enfermée à la maison, à cause du froid, comme une prisonnière. 

Glisser sur la neige ça me met la tête ailleurs. 

En quittant mon pays, j’ai changé de climat, de langue. J’ai aussi construit de nouvelles relations et la vie, au passage, m’a appris plein de choses que je n’aurais jamais pu imaginer. 

Tigisti GEBREZGHI

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 




La vie en noir de Masha

Kristine Kostava / Voix d’Exils.

« Elle ne connaitra jamais le visage de sa mère, ni les couleurs de l’arc-en-ciel… »

Masha est une petite fille migrante aveugle que j’ai côtoyée dans un foyer de l’Établissement Vaudois d’Accueil des Migrants (EVAM). J’ai personnellement traversé beaucoup de souffrances dues à un handicap physique qui m’empêche de me déplacer normalement. J’ai souvent perdu l’espoir et le goût de vivre. Mais quand je pense à Masha, je me dis que le plus terrible, c’est de ne pas voir les gens que l’on aime et les couleurs du monde.

Quand j’ai rencontré Masha, elle avait 6 ans et habitait avec Katya, sa maman, dans un foyer EVAM. Alors que la petite avait 2 ans, des médecins ukrainiens lui ont diagnostiqué une tumeur cancéreuse à un œil qu’il fallait opérer le plus rapidement possible, faute de quoi elle perdrait la vision. Comme il n’y avait pas de chirurgiens formés pour ce type d’intervention en Ukraine, Masha devait se faire soigner à l’étranger.

C’était une période très dure. Le père de Masha avait abandonné sa femme et sa fille et les avait laissées sans ressources. Katya a alors dû vendre la maison familiale pour emmener Masha en Allemagne et payer les chirurgiens qui l’ont opérée mais qui n’ont toutefois pas réussi à sauver son œil. C’était une époque très difficile pour Katya et Masha car, entretemps, une tumeur était apparue sur l’œil sain de la petite.

Désespérée à l’idée que sa fille perde la vue, et déçue par le travail des chirurgiens allemands, Katya a décidé de la faire soigner en Suisse. Comme elle n’avait plus les moyens de payer cette nouvelle intervention, elle a posé une demande d’asile. Malheureusement, en Suisse non plus, les chirurgiens n’ont rien pu faire et Masha est devenue aveugle.

« Maman, à quoi ressemble le monde ? »

Comme nous habitions dans le même foyer, je pouvais constater à quel point la vie quotidienne de cette maman et de sa fillette était difficile et compliquée. J’entendais Masha pleurer sans arrêt. Elle était très tyrannique avec sa mère. Elle voulait qu’elle soit en permanence à ses côtés et ne parle qu’à elle, elle l’empêchait même de manger.

Elle posait aussi sans arrêt des questions :

  • Maman, de quelle couleur est le ciel ?
  • A quoi ressemble le soleil ?
  • Pourquoi je ne vois pas comme toi tu vois ?
  • Maman, à quoi ressemble le monde ?

Je voyais combien Katya souffrait pour sa fille et je sentais sa tristesse de ne pas pouvoir l’aider davantage.

Malgré les deux interventions chirurgicales destinées à enlever les tumeurs optiques, Masha n’était pas hors de danger. Elle devait encore subir une chimiothérapie pour éviter que le cancer ne se généralise. Après chaque séance, elle ne dormait pas la nuit, ne mangeait rien, pleurait sans cesse et demandait constamment de l’aide à sa maman.

Une enfance sans insouciance

Mon cœur se serrait de ne pouvoir rien faire pour la soulager et de savoir qu’elle vivait dans le noir complet. En tant que graphiste, je suis très sensible aux couleurs, aux images, au monde qui m’entoure. Chez moi, la vue est le sens qui est le plus développé et je trouve particulièrement handicapant et frustrant d’en être privé.

Ça me déprimait de penser que, contrairement aux autres enfants, Masha ne connaîtrait jamais l’insouciance de jouer librement. Qu’elle ne connaitrait jamais le visage de sa mère et les couleurs de l’arc-en-ciel, qu’elle ne pourrait pas cueillir de fleurs, compter les oiseaux et courir dans la cour. Pour elle, la beauté et le bonheur de l’enfance n’existaient pas. Elle vivait dans un abîme noir, dont la vie s’était retirée.

Chaque jour, je pleurais avec Katya, et j’étais en colère contre la vie qui se montrait si dure envers cette femme courageuse et sa petite fille. Je me posais beaucoup de questions sur l’injustice dont elles étaient les victimes, mais sans jamais trouver de réponse. Je ne voyais qu’une réalité amère contre laquelle je ne pouvais pas me battre. J’étais impuissante…

Nous avons passé un an ensemble dans le même foyer, à nous épauler, à nous encourager. Puis, nous avons changé de lieu de résidence et nous avons été séparées. De temps en temps, je reçois de leurs nouvelles. Rien n’a vraiment changé, mais Katya regarde vers l’avenir avec l’espoir qu’un jour une greffe de l’œil soit possible et permette à Masha de voir la beauté du monde!

Kristine

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils