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Le semeur d’espoir

Le père Frans en Syrie

Le père Frans en Syrie

En mémoire du père Frans Van Der Lugt            

Le 7 avril 2017 coïncide avec le troisième anniversaire de l’assassinat du père Frans Van Der Lugt, un prêtre jésuite néerlandais, qui a consacré plus de 50 ans de sa vie au peuple syrien. Né en Hollande en 1938 dans une famille de banquiers, il a étudié la théologie, la philosophie, la psychothérapie et la langue arabe. Il s’est ensuite déplacé en Syrie en 1966 pour y vivre le reste de sa vie. Le 7 avril 2014, alors âgé de 75 ans, il est brutalement assassiné à Homs par deux hommes armés à  Homs, dans la résidence des Jésuites de Bustan al-Diwan.

Lorsque la guerre civile syrienne a éclaté en mars 2011, la vieille ville de Homs, y compris le quartier chrétien de Bustan al-Diwan, où se trouvait la résidence des Jésuites, tomba entre les mains des rebelles islamistes et fut bientôt assiégée par l’armée syrienne. Malgré le fait que l’enclave était assiégée et bombardée presque quotidiennement et la cible des tireurs d’élite, le père Frans a choisi d’y rester car « le peuple syrien m’a tellement donné… Je veux partager leur douleur et leur souffrance », confie-t-il dans une vidéo en arabe

Durant le terrible siège qui dura trois ans – jusqu’en mai 2014 – aucune denrée alimentaire n’avait été acheminée et personne n’était autorisé à entrer ou sortir. Père Frans essayait désespérément de joindre les deux bouts. Traversant les rues et les allées de l’enclave fantôme à vélo ou à pieds, il rendait visite aux habitants traumatisés, malades et affamés, offrant des conseils et un soutien psychologique, un peu de pain, d’eau ou de boulgour s’il y en avait à disposition. Il a abrité des familles déplacées musulmanes ou chrétiennes dans la Résidence des Jésuites et a réalisé un certain nombre de vidéos afin d’alerter la communauté internationale sur la situation de Homs pour stopper la tragédie humaine que vivait l’enclave assiégée. « La Résidence était devenue un lieu de réconciliation grâce à lui » témoigne le père Hilal. Des louanges réitérées par plusieurs témoignages dont celui de Shafiaa al-Rifaei, une mère musulmane déplacée qui a trouvé refuge dans la Résidence des Jésuites: « Il nous fournissait des denrées alimentaires, du lait pour enfants et nous réconfortait toujours en disant que cela allait bientôt prendre fin. Il avait commencé à organiser de petites fêtes pour les enfants et à leur donner des bonbons et des cadeaux ». Un autre homme confie au journaliste du Daily Star « Il a pris mon père malade sur son vélo à l’hôpital malgré un bombardement » . Frans ne faisait aucune distinction entre les religions: « Je ne vois pas les musulmans ou les chrétiens, je vois avant tout les êtres humains ».

Un psychothérapeute et un praticien de yoga et de Zen

Bien avant le début de cette guerre effroyable, des centaines de personnes de Homs et d’ailleurs en Syrie se rendaient déjà à la Résidence des Jésuites à Bustan Al-Diwan à la recherche d’aide et de conseils. « En tant que psychothérapeute et praticien sérieux de yoga et de Zen, Abouna Frans (comme on l’appelait avec ferveur, abouna signifiant père) en a aidé des centaines. Il n’a jamais refusé personne » explique Abdel-Messieh, psychiatre d’origine syrienne vivant à Lausanne. « Pendant des années, j’ai participé à ses diverses activités de jeunesse. J’ai été étonné de voir comment il pouvait toujours trouver le temps d’écouter patiemment tout le monde malgré son horaire très chargé. Il devait dormir seulement deux ou trois heures par nuit. C’était un homme et un prêtre exceptionnel » conclut-il.

La Randonnée [Al-Maseer]

Abouna Frans était un grand amoureux de la Syrie. En 1981, il a initié « La Randonnée » [Al-Maseer] : un pèlerinage à travers le désert syrien et les régions montagneuses qui se tient en été ou en hiver, huit jours par an. L’objectif était de découvrir la beauté du paysage syrien et de vivre une expérience de partage et de solidarité: « A la fin de chaque randonnée on remarque qu’il n’y a personne qui ne soit pas aimé » dit-il. Pendant trente années successives, il a conduit les groupes de randonneurs à travers les chemins ardus et déchiquetés réitérant son slogan bien connu « En avant ». Des milliers de jeunes de toutes les religions et de toutes les parties du pays ont pris part à cette randonnée qui devint rapidement très populaire. Malgré son âge avancé, il paraissait plus énergique et plus dynamique que la jeunesse elle-même. Les randonneurs perpétuent sa force et son endurance. « Abouna Frans était un mentor spirituel et un père pour tous. Une source profonde d’espoir et de compassion », affirme Marwa, un résident de Bustan al-Diwan jusqu’en 2011, qui vit maintenant à Vienne, en Autriche.

Le Centre de la Terre [Al-Ard]

En 1991, Père Frans a cofondé « le Centre de la Terre » [al-Ard], symbolisant l’empathie que l’être humain porte à la terre et l’environnement, comme un lien unificateur. D’une superficie de 23 hectares, non loin de la ville de Homs, ce projet sans précédent de développement rural et social visait à réhabiliter les personnes handicapées mentales, à lutter contre le dépeuplement rural et les migrations, et à offrir un lieu de retraite spirituelle et de dialogue interreligieux.

Dans une société fortement divisée ethniquement et religieusement, le père Frans a contribué à construire des ponts et à trouver des dénominateurs communs basés sur les valeurs humaines. « Père Frans faisait partie d’un genre clergé atypique : modeste, intellectuel, non dogmatique, qui aimait la compagnie des gens ordinaires. Il a eu le courage d’ouvrir les fenêtres pour laisser entrer l’air frais, c’est pourquoi il était très aimé par la jeunesse », relève Muntaha, un participant de longue date des activités jeunesse du père Frans, qui vit actuellement à Lausanne.

Le donneur d’espoir

La guerre civile a brisé tous les projets de Frans, mais jamais sa foi ni son dévouement pour le peuple syrien. Il aida sans relâche les pauvres, les malades et œuvra à construire des ponts de réconciliation et de paix. Peut-être les semences qu’il a plantées prendront du temps pour se développer dans un pays déchiré par six ans de guerre apocalyptique, la violence et de haine. Néanmoins, certaines sont déjà devenues des fleurs au travers de randonnées en Europe, à Homs et dans d’autres parties du monde, comme c’est le cas pour des centaines de personnes ; Muntaha, Abdel-Messieh, Shafiaa et Marwa témoignent de la richesse du chemin parcouru avec le père Frans: «Abouna Frans a été la source de mon inspiration et de mon intégration à Vienne. Il m’a fait ce que je suis aujourd’hui»

Hayrenik DONO

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos:

Cliquez pour entendre la chanson

Un message du Père Frans en Homs, Syrie

 

 




« Une dernière occasion de clamer leur révolte »

M. Olivier Messer, animateur pastoral

M. Olivier Messer, animateur pastoral, apporte écoute et soutien aux requérants d’asile placés en détention administrative.  Pour Voix d’Exils, il rend visible la difficile réalité de ces détenus.

 

Voix d’Exils : Comment définissez-vous le travail d’un aumônier?

L’aumônier est une présence d’Église dans des milieux de vie divers, comme les prisons, les hôpitaux, les écoles, etc. Son premier témoignage est sa simple présence qui rappelle celle de son Église en rejoignant les gens là où ils sont, là où ils vivent.

Il apporte un soutien spirituel aux personnes qui le souhaitent et peut, si la personne le désire, cheminer avec cette dernière sur une période plus ou moins longue. Il peut parfois apporter une aide matérielle, mais généralement cela est assuré par d’autres intervenants, comme les services sociaux par exemple.

Depuis combien de temps visitez-vous les lieux de détention administrative pour requérants d’asile déboutés?

Cela fait trois ans maintenant, mais de façon assez irrégulière, je le reconnais. J’ai surtout mis l’accent sur les visites aux détenus des prisons, ainsi qu’aux jeunes privés de liberté. Il faut en effet savoir que mon collègue protestant et moi-même sommes envoyés par nos Église et mandatés par l’Etat pour assurer le service d’aumônerie de tous les établissements pénitenciers du canton du Valais, ceci incluant le centre pour requérants d’asile de Granges. Le temps qui nous est attribué pour cela représente seulement 20% ! (1 jour pour 5 établissements…).

Quelle est votre expérience particulière d’aumônier auprès des requérants d’asile en situation de détention administrative ? Que pouvez-vous leur offrir ?

La question de l’offre est intéressante, car elle revient régulièrement lorsque je rencontre des requérants retenus : que pouvez-vous nous offrir ? Il est alors essentiel d’être pleinement honnête et précis : je suis ici pour vous offrir un soutien et un accompagnement spirituel, pour entendre ce que ces évènements révèlent en vous, comment cette situation que vous traversez vous parle intérieurement, dans une confidentialité absolue. Bien entendu, leur premier espoir est que je puisse influer sur la décision de renvoi dont ils font l’objet, mais là n’est clairement pas notre rôle. Et l’aumônier se doit d’être très clair sur ce point et inviter le requérant à se tourner vers son avocat, la justice, etc. Une fois cela exprimé, nous rentrons parfois dans de belles et douloureuses confidences sur la manière dont est vécu ce renvoi et cet emprisonnement (car il faut être sincère, il s’agit bien de cela au vu des conditions de détention), sur les espoirs mis dans ce voyage parfois très risqué vers la Suisse et la crainte de retourner au pays, par risque de violence ou par honte vis-à-vis de sa famille. Puis vient souvent la question de Dieu : quelle que soit la religion dont se réclame le détenu, la foi demeure souvent comme la seule valeur restante. Même si je perds tout, Dieu est présent, témoin de ma vie et ultime lumière vers laquelle se diriger. Cette foi permet de ne pas sombrer et de conserver une étincelle d’espoir.

Observez-vous une demande, un besoin de la part des requérants d’asile ? Le questionnement spirituel est-il important parmi ces détenus ?

Un besoin marquant est sans doute celui d’exprimer leur révolte face au système et au refus qu’ils ont reçu de la Suisse. Comme aumônier, nous arrivons au moment où tout est joué puisqu’ils sont en attente d’être physiquement renvoyés dans un autre pays. Une fois qu’ils comprennent que nous n’avons pas d’influence sur la justice, c’est un peu comme une dernière occasion de clamer leur révolte. Alors, une fois cette révolte entendue, on peut entrer dans le dialogue vrai et profond, si la personne accepte d’aller sur ce chemin. Et on touche au spirituel, au sens de l’existence, aux choix de vie, au sens à donner à ce que l’on traverse, qu’on le considère comme une épreuve ou comme une opportunité.

Pouvez-vous estimer la proportion de croyants parmi les requérants que vous rencontrez ?

Ceux que j’ai rencontrés m’ont toujours dit croire en quelqu’un ou en quelque chose.

Les détenus sont d’origines très diverses, avec des appartenances religieuses multiples. Les musulmans ont-ils aussi accès à un encadrement religieux ?

Pour l’instant, il n’y a pas d’aumônier musulman dans les établissements valaisans. Mon collègue protestant et moi-même sommes aussi à disposition des croyants d’autres religions, surtout pour l’écoute. Il faut aussi avouer qu’il est difficile de trouver un imam pour ce ministère.

Avez-vous observé des conversions? Avez-vous déjà baptisé quelqu’un dans un centre de détention administrative?

Je n’ai pas vécu ce genre d’évènement. Qui sait si l’avenir m’offrira cette joie ? A noter toutefois que je suis animateur pastoral de formation, donc laïc ; si un détenu souhaite recevoir un sacrement comme le baptême, mais aussi le pardon de ses fautes par exemple, j’entre alors en contact avec un prêtre. C’est lui qui pourra administrer le sacrement.

A titre personnel, que pensez-vous de la politique d’asile menée par la Suisse?

Je pense que la politique d’asile de la Suisse est réfléchie et témoigne aussi de sa volonté d’être reconnue comme une terre d’accueil.

Je peux toutefois lui reprocher les cas dans lesquels la personne – parfois même la famille entière – habite notre pays depuis plusieurs années et se voit soudainement déboutée, alors qu’elle est déjà bien intégrée. Je pense primordial que les décisions d’accepter une demande d’asile ou non soient prises beaucoup plus rapidement par nos autorités, même si cela implique la mise en place de postes administratifs supplémentaires. Il s’agit de la vie d’êtres humains et nous n’avons pas le droit de négliger cela.

Enfin, je pense que les conditions de détentions de ces personnes dans le centre valaisan sont inadmissibles et doivent impérativement être améliorées. Pour cela, il est important de sensibiliser l’opinion publique sur cette problématique, afin d’obliger ensuite les pouvoirs politiques à bouger.

C’est pourquoi je tiens à vous remercier, car par cette interview, vous permettez aussi de rendre visible la difficile réalité de ces détenus administratifs retenus en Valais.

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Un requérant d’asile rencontre la foi

baptême à l’Eglise de Vouvry en Valais

Gaby Yao, un jeune Ivoirien de 21 ans, a reçu le sacrement du baptême en l’Eglise de Vouvry. Voix d’Exils l’a rencontré pour comprendre sa démarche.

 

 

Voix d’Exils : Vous avez été baptisé durant la messe du Samedi Saint en l’Eglise de Vouvry. Quel a été votre cheminement ?

En Côte d’Ivoire, j’ai suivi le catéchisme chez les Sœurs et j’ai même commencé à préparer le baptême : j’ai accompli la première étape, puis la deuxième, d’un parcours qui en comptait trois, mais j’ai tout abandonné quand le foot a pris ma tête.

Arrivé en Suisse, j’ai commencé à fréquenter l’église de Vouvry. Un jour, j’ai parlé avec le curé et ai demandé à être baptisé. C’est ainsi que ma préparation a commencé. Elle a duré trois mois jusqu’à la cérémonie du 7 avril dernier. Ce fut un moment exceptionnel, j’étais le seul à être baptisé ce soir-là.

Qui sont vos parrain et marraine ?

Mon parrain est le responsable du programme d’occupation de jardinage au Centre des Barges. Il a accepté tout de suite. Il a dit qu’il était vraiment touché que je pense à lui. Je suis son premier filleul. Ma marraine est une dame Suissesse qui habite le domaine des Barges. Je suis son seul filleul adulte. Tous deux m’aident à m’adapter et à m’intégrer du mieux possible en Suisse.

Avez-vous pu informer votre famille de votre baptême ?

Mon papa est décédé, mais j’ai pu joindre ma mère ; comme toutes les mamans, elle a pleuré ; elle m’a recommandé ensuite de garder mon caractère, de persévérer dans mon chemin et a promis qu’elle allait prier pour moi.

Le témoignage de Gaby nous rappelle que les requérants d’asile ne se réduisent pas à un numéro N, figés dans l’attente d’une décision à leur demande d’asile. Durant leur séjour en Suisse, ils vivent une vie d’humains ordinaires, intégrés dans leur société d’accueil. Ils se forment, travaillent, tombent amoureux, font du sport et certains, comme Gaby, tentent l’aventure spirituelle.

Pita

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils