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« Le régime fait disparaître les opposants pour terroriser la population »

Une prison d’Etat dans l’Etat du Tennessee au USA. Photo:  kelseywynns (CC BY-ND 2.0)

Une prison d’Etat dans l’Etat du Tennessee aux USA. Photo: kelseywynns (CC BY-ND 2.0)

Jacques*, 30 ans, marié et père de deux enfants, était responsable d’une petite entreprise de transport dans son pays d’origine, en Afrique. Opposant politique au régime en place, il est arrêté puis donné pour mort… avant de s’exiler. En Suisse depuis trois ans, il raconte les événements qui l’ont condamné à quitter son pays pour sauver sa vie. Témoignage.

« Tout a commencé le jour ou je suis entré dans un centre commercial pour m’acheter du matériel informatique. Un vendeur ambulant me propose du matériel d’occasion à un prix très abordable et je lui achète un support de données. En arrivant à la maison, je jette un coup d’œil au contenu avant de le formater. Je trouve alors plusieurs fichiers avec, entre autres, des photos faisant état de graves violations des droits humains par une autorité politique de mon pays. Autorité qui pose sur des photos dans une situation compromettante, entourée par ses gardes du corps. Comme il s’agit de photos amateur, je me dis qu’elles ont certainement été prises secrètement par l’un des gardes.

Étant moi-même membre d’un parti politique de l’opposition, cela représente une bonne source d’informations pour rédiger un article. Je l’écris mais, par crainte des représailles. Je prévois alors de le publier après le changement du régime en place, vu qu’on est en période de préélectorale.

Plusieurs mois après, lors d’une manifestation de mon parti politique, à laquelle je participe, survient des affrontements entre nous et des militants du parti du gouvernement en place. Il y a beaucoup de blessés, des morts et plusieurs arrestations de notre côté. Suite à cela, des ordres sont donnés de mettre aux arrêts tous les militants de mon parti identifiés lors de cette manifestation. Une semaine après, la paix commence à revenir en moi, je pense ne pas avoir été pris pour cible. C’est alors que je reçois la visite d’hommes armés. Je leur propose une somme d’argent pour tenter de négocier une non arrestation. Comme ils l’estiment pas suffisante, ils me prennent des bijoux en or, mon téléphone cellulaire et mon ordinateur portable.

Un malheur ne venant jamais sans un autre, le support qui contient mon article est entre des mains ennemies. N’ayant plus de paix après leur départ, je quitte mon domicile et me prépare à fuir vers un pays voisin. Le jour de mon départ, je suis reconnu par les gardes-frontières. On me transfère dans un camp militaire pour être identifié par un officier de la garde républicaine chargé de me retrouver. Mon dossier n’est pas celui d’un simple manifestant, et je suis inculpé pour avoir réalisé des photomontages dans le but de discréditer l’autorité de mon pays.

Pour terroriser les opposants et dissuader la population de se rebeller, le régime en place fait disparaître les opposants. Je suis alors séquestré avec d’autres personnes pendant plusieurs jours dans des conditions inhumaines et dans un lieu inconnu. Comme je ne me suis pas présenté pendant 48 heures à l’appel du misérable repas journalier, les gardes croient que je suis peut-être comateux et que je vais mourir comme cela a été le cas d’un codétenu dont on a évacué le corps. Je me laisse évacuer à mon tour de la cellule noire où l’on ne peut distinguer le jour de la nuit, car durant mon séjour, seul les morts peuvent quitter ce lieu détention. Il faut préciser que, pour se débarrasser des corps des prisonniers détenus illégalement, le personnel de la prison ne fait généralement pas recours aux médecins pour attester du décès d’un détenu ou soigner les malades.

Dans la cellule déjà, les corps sont mis dans des sacs à cadavres, desquels ils sont extraits avant d’être jetés dans le fleuve pour simuler une noyade. Et c’est dans l’eau que j’ai repris mes esprits et que j’ai recouvert la liberté. Après ces événements, j’ai vécu en cachette pendant plusieurs mois dans mon pays d’origine avant de m’exiler et de rejoindre la Suisse. »

*Étant toujours en cavale, nous lui avons donné un nom d’emprunt. Nous avons également modifié certains éléments de son histoire qui pourraient donner des indications trop précises sur son identité.

Propos recueillis par :

Pastodelou,

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Regard d’un kurde Syrien sur son pays

Le Tunisien Bouazizi a allumé l’arc-en-ciel qui a coloré le ciel arabe d’est en ouest. Suite à l’immolation de Bouazizi, alors que les premiers éclats de révolte crépitaient en Tunisie, les dirigeants des autres pays arabes se croyaient encore à l’abri. Mais l’inondation a dépassé les prédictions et les ondes de la liberté se sont propagées pour faire tomber tous les dictateurs.

Un organisateur inattendu a surgi : Facebook. D’une part, Facebook a ouvert un grand champ de bataille médiatique aux personnes favorables au pouvoir en place qui ont accusé l’Ouest de vouloir se mêler des affaires internes des pays arabes. D’autre part, Facebook a offert aux manifestants un champ médiatique pour pouvoir communiquer leurs idées et leurs projets, créant ainsi une vraie organisation révolutionnaire. Pour rappel, à chaque fois, ces révolutions étaient spontanées.

Regard en arrière

En Syrie, deux manifestations ont avorté sous la violence du régime. La première a eu lieu en 2002, elle était organisée par les Kurdes devant le Parlement. la deuxième, en 2003, mettait en scène les enfants Kurdes qui revendiquaient le droit à la nationalité. Il faut savoir que les Kurdes ont perdu leur nationalité lorsqu’ils ont déposé, sur demande du gouvernement syrien, leurs documents d’identité.

En 2004 encore, les Kurdes ont manifesté pacifiquement leur mécontentement dans le nord du pays, lors d’un match de football, au Qameshli. Plusieurs Kurdes ont été violentés par la police pendant le match et ont été tués. Les manifestations ont gagné tout le nord du pays mais, rapidement, le régime a fait taire les Kurdes en déployant son armée et sa propagande pour susciter la haine entre les Kurdes et les Arabes. Le régime de Bashar Al-Assad voulait diviser le peuple, monter les gens les uns contre les autres pour qu’aucune opposition réelle ne puisse s’organiser.

L’histoire se répète

Depuis février 2011, bien que le régime en place était convaincu que le printemps arabe n’arriverait pas en Syrie, bien que beaucoup d’observateurs pensaient que la conscience politique des citoyens syriens n’était pas assez mûre pour que la révolution s’étendent, le peuple syrien s’est levé, et les manifestations se sont étendues du sud au nord.

Dès le début des manifestations, le gouvernement s’est montré mesuré dans ses déclarations, mais sa réponse a été d’une violence extrême. Selon une estimation, il y aurait plus de 10 000 morts et plus de 50’000 détenus, ainsi que plusieurs milliers de disparus, sans compter toute une population qui souffre et sans oublier les personnalités syriennes qui s’opposent au système politique et qui sont brutalisées par les milices d’Al-Assad. Certaines personnes, comme c’est le cas de M. Tammo (qui était le chef d’un parti Kurde) ont même été éliminées.

Le plan du régime

Que fait le régime actuellement? Il régionalise les mouvements, divise les manifestants par ethnies, religions et croyances. Il attise la haine entre les personnes en utilisant tous les moyens à disposition pour créer des conflits entre les communautés. Il prêche que la sécurité de certains groupes est menacée par cette révolution et il prétend aussi que cette révolution est liée aux mouvements salafistes.

Pour confirmer sa théorie, le régime attaque les manifestants dans certaines villes, comme à Deraa, où a commencé la révolution, menée par des enfants ; ou à Homs qui, avec ses diverses ethnies chiites, sunnites, alaouites et chrétiennes, est devenue la capitale de la révolution. Et aussi d’autres villes phares qui se sont révoltées et ont franchi la ligne rouge de la peur, comme à Hama, Idlib, Banyass, Deir ez zorr.

Entretemps, le régime évite d’ouvrir un front contre les Kurdes, sachant qu’il sera perdant. Il se contente de faire des arrestations par-ci par-là et de faire disparaître les victimes dans les cachots de « la République ».

Mais les autorités syriennes ne peuvent pas empêcher la population de déclencher des manifestations dans tout le pays. Actuellement, l’optimisme n’est pas de mise car l’assassinat et la torture sont le quotidien du régime. Si un homme rentre chez lui sain et sauf après une manifestation, on peut le considérer comme un miraculé. Les stades et les écoles sont transformés en camps de détention. Les citoyens se couchent et se réveillent avec la mort, toujours la mort : dans les médias, dans les familles, dans l’air… la mort est partout ! En Syrie, ce n’est pas le 21ème siècle, c’est le retour à l’Âge de pierre, sauf qu’aujourd’hui les combats se font aux lance-roquettes !

La situation humanitaire se dégrade toujours plus et devient précaire. L’État abuse de sa force et envahit les hôpitaux et les services d’urgence afin de tuer les blessés, pensant effacer ainsi les traces de sa répression cruelle et assassine.

Il y a une grave pénurie de produits de premières nécessités, tels que des médicaments pour soigner les blessés, du lait pour les enfants et les bébés, du mazout et du gaz. A cela s’ajoutent les coupures de courant pendant de longues périodes, l’augmentation du prix des denrées alimentaires de première nécessité et les difficultés de déplacements.

Les Syriens aspirent à la liberté, au changement, au besoin d’aller de l’avant. Le peuple est prêt à mourir pour parvenir à réaliser son rêve, car il n’y a aucun sens de continuer à vivre dans ces conditions !

Juan ALA

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils