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FLASH INFOS #82

Kristine Kostava / Voix d’Exils.

Sous la loupe : Un appel pour l’accueil des artistes migrants à Lausanne / Un blocage affecte le transit migratoire à Briançon / Maltraitance des femmes migrantes en Lituanie

Un appel pour l’accueil des écrivain.e.s et des artistes migrant.e.s à Lausanne

Le Temps, le 25.10.2021

À la fin du mois d’octobre dernier, le réseau International Cities of Refuge Network (Icorn) a envoyé une lettre au syndic de la Ville de Lausanne. Cette sollicitation demande à ce que la ville rejoigne le réseau des « villes refuges » afin d’accueillir trois profils précis de réfugié.e.s politiques : les artistes, les écrivain.e.s et les journalistes. Ce projet vise à préserver leur liberté d’expression ainsi que la visibilité de leurs créations artistiques. Toutefois, l’acceptation de cette proposition pourrait mettre à mal le traitement égalitaire des demandes de personnes migrantes et entraver la neutralité helvétique.

Jessica Fernandez

Contributrice externe à la rédaction de Voix d’Exils

 

Un blocage affecte le transit migratoire à Briançon

infomigrants.net, le 26.10.2021

Les 25 et 26 octobre derniers, entre 150 et 200 personnes exilées ont passé la nuit dans l’église Sainte Catherine de Briançon en raison de la suroccupation du seul lieu d’hébergement de la ville.

La veille, des dizaines de personnes migrantes avaient déjà dormi à même le sol de la gare. La préfecture des Hautes-Alpes, qui reconnaît l’augmentation du nombre de personnes migrantes dans la région, n’a toutefois pas débloqué de places d’hébergement d’urgence.

Selon les associations présentes sur place, le blocage de la situation est également lié à l’impossibilité pour la Croix-Rouge de proposer des tests PCR à ces personnes afin qu’elles puissent poursuivre leur transit. Refuges Solidaires, l’une des associations de la région active dans l’hébergement des personnes issues de la migration, ajoute que les guichets de la gare de Briançon ont été fermés, ce qui empêchait les personnes migrantes d’acheter des titres de transport.

Face à la situation, l’évêque de Gap a demandé au ministre de l’intérieur d’intervenir afin que la Croix-Rouge et le l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) puissent mettre à l’abri les personnes migrantes et pratiquer les tests PCR pour leur permettre de prendre le train.

Chaque hiver, des milliers de personnes migrants tentent d’accéder à d’autres pays d’Europe depuis l’Italie en traversant les Alpes et en risquant ainsi leur vie.

Kristine Kostava ­­

Membre de la rédaction de Voix d’Exils

 

La maltraitance des femmes migrantes en Lituanie

infomigrants.net, le 22.10.2021

Selon le témoignage d’une victime, des centaines de femmes migrantes vivent enfermées et soumises dans des conditions de vie inhumaines dans le nouveau camp de réfugiés de Medininkai en Lituanie. Ces dernières sont logées dans des containers jusqu’à parfois quinze personnes, entravant toute intimité, surtout lors des interventions de policiers hommes qui sont appelés à compter le nombre de femmes migrantes présentes.

Elle ajoute que les toilettes « se bouchent souvent et ne sont pas propres du tout » et que les femmes sont contraintes à partager un seul paquet de serviettes pour cinq. Certaines d’entre elles n’ont pas les habits nécessaires pour passer l’hiver. La nourriture servie est souvent périmée et les rend malades. Un commerçant profite de cette situation en vendant de la nourriture à des prix exorbitants.

A cela s’ajoute le sort incertain pour l’ensemble des personnes migrantes qui doivent attendre longtemps avant l’obtention de l’asile.

Rana Hytem

Contributrice externe à la rédaction de Voix d’Exils

Nous remercions chaleureusement les étudiant.e.s de la Haute école de travail social et de la santé Lausanne (HETSL) pour leurs contributions à cette édition n°82 du Flash INFOS qui ont été réalisées à l’occasion d’un atelier dispensé par la rédaction vaudoise de Voix d’Exils entre octobre et novembre 2021.

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 

 

 

 

 

 

 

 




« C’est un fantasme de penser que les réfugiés climatiques vont venir en masse dans les pays du Nord »

Romain Felli, chercheur à l'Université de Lausanne

Romain Felli, chercheur à l’Université de Lausanne.

Une catégorie de réfugiés apparaît de plus en plus dans la presse et les discours politiques, bien qu’elle reste encore relativement méconnue du grand public. Il s’agit des « réfugiés climatiques », soit des personnes contraintes à migrer notamment pour des raisons en lien avec le changement climatique. Le chiffre de 200 millions de réfugiés climatiques à l’horizon 2050 est souvent avancé. Pour mieux comprendre ce phénomène, nous avons interviewé Romain Felli, chercheur à l’Université de Lausanne et spécialiste des questions politiques environnementales.

Pouvez–vous nous parler de cette nouvelle catégorie des « réfugiés climatiques » ?

Il faut tout d’abord préciser que c’est une catégorie journalistique et politique, mais pas juridique. Les réfugiés politiques sont reconnus au niveau juridique, il y a des conventions internationales pour cela, tandis que les réfugiés climatiques ne le sont pas. Certaines personnes voudraient introduire une telle catégorie dans le champ du droit. En effet, le réchauffement climatique et les problèmes qui en découlent pousse certaines personnes à migrer. Une catégorie juridique permettrait ainsi de les protéger contre les problèmes environnementaux. Cependant, il est très délicat de prendre l’environnement comme cause unique de migration. C’est toujours une combinaison de facteurs sociaux, politiques, économiques et naturels qui pousse les personnes à migrer. Les réfugiés climatiques sont catégorisés ainsi parce qu’ils n’ont que très peu – voire pas – de ressources pour lutter contre le réchauffement climatique. Précisons que le même problème climatique dans un pays riche, un ouragan à New York par exemple, n’aura pas le même impact sur les populations que dans un pays pauvre, car les ressources pour y faire face ne sont elles pas identiques.

Vous avez écrit dans l’un de vos articles* que l’on est passé de l’appellation  « réfugiés climatiques » à celle de « migrants climatiques » dans de nombreux discours concernant ce sujet. Que signifie ce changement de dénomination ?

L’idée de réfugiés climatiques a été développée par des personnes qui voulaient souligner que des populations du Sud vont subir les changement climatiques essentiellement provoqués par les pays développés. Ces derniers portent la responsabilité des problèmes liés au réchauffement climatique, et seraient donc aussi responsables des migrations qu’ils induisent au Sud. Il y a dans le concept de réfugiés climatiques l’idée de justice internationale, entre les pays industrialisés et ceux en développement. Depuis une dizaine d’années, l’idée de migrants climatiques s’impose dans les discours. Cette conception vise à dire que la migration ne devrait pas être vue seulement comme une conséquence tragique du réchauffement climatique, mais comme une stratégie d’adaptation. Les personnes confrontées au changement climatique, décident de manière rationnelle de migrer pour s’adapter. Ainsi, la migration ne serait plus considérée comme un problème – celui d’accueillir des réfugiés – mais comme une solution, car les gens, de manière individuelle et rationnelle, s’adapteraient au changement climatique.

Ce qui revient à dire que l’on a moins, voire pas besoin, d’aider ces migrants ?

Effectivement, l’idée est que les gens sont capables de s’adapter par eux-mêmes. Donc l’État n’a pas vraiment besoin d’intervenir pour financer l’adaptation. Prenons un exemple: au Pays-Bas, des digues ont été construites pour gagner des terrains sur la mer. Faire cela sous-entend un système politique puissant, des moyens économiques importants etc. Dans la situation des migrants climatiques, l’État n’est plus censé intervenir pour construire des infrastructures de ce type-là. On va, au contraire, espérer et faire en sorte que les individus, de manière autonome et même entrepreneuriale, se déplacent et s’adaptent par eux-mêmes.

Les États prônent-ils généralement ce « laissez-faire » ou proposent-ils des politiques et des investissements pour faire face au changement climatique ?

Le problème est que nous avons des visions très différentes au niveau international, que ce soit avec les organisations internationales ou les pays. Les pays du Sud réclament le paiement de la dette climatique, à savoir que de leur point de vue, les pays industrialisés sont responsables de la pollution qu’ils génèrent depuis plusieurs décennies et continuent de l’être largement devant les autres. Mais les pays du Nord refusent de reconnaître cette dette climatique. Ils acceptent d’apporter un financement en tant qu’aide au développement et non comme compensation. De plus, la plupart de l’argent investi dans le financement de l’adaptation climatique est de l’argent déjà disponible, puisé dans des programmes de développement.

Quelle est la position d’une organisation internationale comme le Haut Commissariat aux Réfugiés (le HCR) face à cette problématique des réfugiés climatiques

Le HCR est sensible aux droits des réfugiés, et aussi aux réfugiés climatiques en tant que possible catégorie juridique. Toutefois, il y quelques années, il y a eu la crainte que la reconnaissance du statut de réfugié climatique affaiblisse davantage celui de réfugié politique qui est déjà très fragile. Il suffit de regarder la Suisse pour voir que la catégorie de réfugié est déjà politiquement problématique.

Les Maldives ainsi que d’autres endroits pourraient-ils disparaître dans un futur proche ?

Certains pays du Pacifique Sud, formés d’atolls, sont à quelques mètres seulement au-dessus du niveau de la mer. Les prévisions d’élévation du niveau des mers dû au réchauffement climatique estiment la hausse à un mètre dans un siècle, soit en 2100. Il s’agit là des prévisions officielles. Certains parlent de plus et d’autres de moins. Cela veut dire que plusieurs pays aujourd’hui souverains risquent de disparaître s’il n’y a pas de constructions nouvelles ou d’adaptations techniques. La question qui se pose alors est qu’est-ce qui va ou peut se passer dans la situation où un pays souverain venait à disparaître. Cette question reste ouverte et n’est pas résolue en droit international. En même temps, on parle de petits Etats qui ne comptent pas au niveau international, que tout le monde peut ignorer au niveau des rapports de force, mais pas au niveau humain bien entendu. Ces Etats sont les plus actifs dans les négociations internationales concernant le changement climatique, parce qu’ils sont directement concernés, mais ils n’ont que très peu de moyens, et aucun pouvoir de nuisance. D’un point de vue réaliste, ces Etats ne comptent pas beaucoup.

Des organisations internationales articulent le chiffre de 200 millions le nombre de potentiels réfugiés climatiques. Qu’en pensez-vous ?

Cette estimation avait été avancée par Norman Myers à la fin des années quatre-vingt, et a joué un rôle important pour mettre en lumière la question. Mais sa méthodologie pose problème, car l’environnement n’est pas un facteur externe à l’économie ou à la politique. On ne peut pas dire qu’une personne migre pour des raisons économiques et une autre pour des raisons environnementales. C’est toujours lié comme je l’ai expliqué. Les habitants de New York et du Bangladesh auront beau être confrontés au même problème, leurs possibilités de réactions et d’adaptations seront très différentes. A cela s’ajoute que lorsqu’on fait des estimations globales, l’on regroupe des réalités très différentes et je suis personnellement sceptique à propos des estimations globales des réfugiés climatiques. Bien qu’on attire l’attention sur le problème, ce qui est en soi positif, on rassemble cependant des situations et des échelles géographiques différentes. Parce que lorsqu’on parle de 200 millions de migrants, on s’imagine une file d’autant de personnes qui viennent dans l’espoir de s’installer ailleurs. Mais, dans les faits, c’est chaque fois des situations particulières et régionales. D’un autre côté, on risque de se dire que c’est tellement énorme qu’on ne peut rien faire. Alors que si on recadre la question à une échelle régionale, le problème paraît plus accessible. Il faut donc regarder la géographie et les sociétés de près. Les problèmes vont s’aggraver à un niveau régional. Il ne faut pas voir le problème des réfugiés climatiques comme des gens du Bangladesh qui vont prendre un avion pour venir en Suisse. Le rayon d’action sera la région. Cela se passera principalement au sein d’un même pays, ou dans les pays limitrophes. Donc les problèmes vont se trouver dans les pays du Sud, des pays qui sont eux-mêmes les pays les plus vulnérables avec le moins de ressources. Il ne faut pas avoir en tête l’idée que des réfugiés climatiques vont venir en masse dans les pays du Nord, c’est un fantasme.

Les solutions devront-elles aussi être appliquées au niveau régional ?

Les solutions devront être largement régionales elles aussi. La question sera de savoir comment les pays du Nord, et la Suisse notamment, pourront aider les pays sur place pour faire face aux problèmes climatiques. Et je pense que l’adaptation dans les faits sera beaucoup plus compliquée qu’une migration massive. La question est de savoir quelle forme va prendre cette adaptation. Est-ce que ça sera une adaptation gérée, organisée et juste ? Ou est-ce que ça va être le laissez-faire et des populations vont se retrouver livrées à elle-même et confrontées à des situations très difficiles… ?

*Romain Felli (2012) :Managing Climate Insecurity by Ensuring Continuous Capital Accumulation : « Climate Refugees » and « Climate Migrants », New Political Economy. Pour lire l’article cliquez ici

Propos recueillis par Cédric Dépraz et Samir Moussa

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




« On part toujours de l’expérience professionnelle, car elle est la richesse de la personne »

Table ronde organisée par Mode d'emploi le 16.11.12 à l'Université de Lausanne pour célébrer ses 20 ans d'existence. Photo: Pastodelou.

Table ronde organisée par Mode d’emploi le 16.11.12 à l’Université de Lausanne dans le cadre d’un événement à l’occasion de son 20 ème anniversaire. Photo: Pastodelou.

Au service de l’insertion professionnelle et sociale depuis 20 ans, la fondation Mode d’emploi a pour principale mission d’œuvrer contre l’exclusion sociale et professionnelle. Elle s’occupe, en Suisse romande, des personnes en difficultés sur le marché du travail.

 

Voix d’Exils s’est donc penché sur les activités de cette fondation, étant donné que les requérants d’asile sont confrontés à l’exclusion professionnelle. Plus particulièrement, nous avons tenté d’éclairer le cas de ceux qui ont le droit de travailler, mais qui parviennent trop rarement à décrocher un emploi. Patricia Hurzeler, responsable de prestations et membre du comité de direction de la fondation Mode d’emploi a répondu à nos questions.

Voix d’Exils : Mode d’emploi propose aux migrants des cours de mise à niveau et des cours de techniques de recherche d’emploi. Quand tout se déroule bien, le migrant trouve un stage en entreprise dans l’économie privée et reçoit ensuite un certificat qui contribue à son intégration.

Patricia Hurzeler : Quand cela se passe mieux encore, la personne est engagée ! On a eu plusieurs fois des personnes qui ont fait des stages et l’employeur nous a dit «  sur dossier, on ne l’aurait pas engagé mais, par contre, maintenant qu’on l’a vu travailler, on peut l’engager. »

Tenez-vous compte de l’expérience professionnelle acquise à l’étranger par les personnes migrantes?

Oui bien sûr. Je peux vous donner l’exemple d’un monsieur d’origine vietnamienne qui nous avait été adressé par l’Office Régional de Placement avec un projet professionnel de nettoyeur. En essayant de discuter avec lui pour élaborer un CV, j’apprends qu’il était professeur d’université et journaliste au Vietnam, mais qu’il ne l’avait jamais mentionné car quelqu’un lui avait dit que ça ne comptait pas. Nous avons discuté à ce sujet et, le lendemain, il m’a amené sa carte de journaliste ; il écrivait encore dans une revue vietnamienne située au Canada. Nous avons alors pu orienter la recherche d’une place de travail sous un autre angle, d’autant que ce monsieur savait bien lire et écrire en français. Par contre, sa prononciation rendait la compréhension difficile, ce qui ne nous a pas permis d’envisager un projet professionnel dans l’enseignement. En revanche, il a pu réaliser un stage dans une bibliothèque et bénéficier d’un excellent certificat de travail validant ses compétences dans ce domaine.

Les exigences des entreprises sont-elles différentes en Suisse ?

Le niveau exigé dans le pays d’origine des migrants n’est pas forcément le même qu’en Suisse, ce dont nous devons tenir compte. Dans certains cas, le stage permet de valider auprès d’un employeur suisse l’employabilité de la personne dans un domaine, voire d’identifier les formations possibles qui lui permettrait de postuler pour un poste similaire. Mais on part toujours de l’expérience professionnelle, car elle est la richesse de la personne.

Les diplômes étrangers sont-ils reconnus par Mode d’emploi ?

On aide les migrants à faire une demande d’équivalence à Berne, cela nous permet de savoir à quoi correspondent leurs diplômes en Suisse. Mais, la plupart des requérants arrivent sans leurs diplômes et cela pour différentes raisons. C’est le cas, par exemple, des réfugiés politiques qui sont partis précipitamment et qui n’ont pas pu prendre leurs papiers avec eux.

Quels sont les éléments qui maximisent les chances d’un migrant d’obtenir du travail grâce à l’aide de Mode d’emploi ?

Premièrement, la langue française. Un bon nombre des gens que nous avons reçus l’année passée avaient un niveau de français insuffisant. Ils avaient juste bénéficié d’un cours qui les a amenés à un niveau A2. Ils ont fait, pour certains, de très bons stages dans des professions qui n’exigent pas beaucoup de qualifications, mais souvent l’employeur nous disait : « Si son français était meilleur on pourrait envisager de l’engager, mais pas aujourd’hui, il y a trop de choses qu’il ne comprend pas… » Deuxièmement, le permis de travail. Pour une personne titulaire d’un permis F ou N, par exemple, deux éléments font souvent hésiter l’employeur : le risque de départ précipité et les démarches à entreprendre même si, pour ces dernières, nous sommes prêts à apporter notre aide à l’employeur.

Propos recueillis par :

Pastodelou et Chulio

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils