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Marcher sur un chemin de liberté

Harith Ekneligoda / rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Vais-je réussir ?

À partir d’aujourd’hui, j’ai décidé de me débarrasser de tous les soucis du monde. Je vais arrêter de regarder les informations et bloquer les numéros de téléphone des pessimistes parmi mes connaissances.

J’ai décidé d’arrêter de marchander avec les vendeurs pauvres, pour quelques francs de plus, car cela ne va pas me pousser vers la faillite, mais cela fera certainement plaisir au vendeur pauvre et l’aidera à payer les frais de scolarité de ses enfants.

J’ai décidé d’arrêter d’interrompre les gens quand ils me racontent une histoire ridicule, je ne leur dirai pas qu’ils l’ont déjà racontée deux fois, pourquoi gâcher leur journée ?

Je suis moins enclin à corriger les fausses informations que j’entends des gens, ou à donner des conseils, même si je suis certain que ce que j’entends n’est pas vrai, tous les êtres humains ne sont pas nés parfaits !

J’ai décidé d’augmenter le nombre de salutations et de compliments, même envers les personnes hostiles, car cela améliore l’humeur des autres et ne me coûte rien.

J’ai décidé de ne plus être délicat avec les couleurs et la forme de mes vêtements, de ne plus faire attention aux plis, ni à la présence d’une tache, car j’attends que les autres me respectent non pas pour mon élégance, mais plutôt pour ma personnalité.

J’ai décidé de ne pas m’intégrer aux gens qui ne m’apprécient pas, car ma valeur est importante et, s’ils ne le savent pas, je le sais.

J’ai décidé d’arrêter de m’engager dans des arguments stériles, car certaines personnes aiment les arguments par manque de personnalité et de réalisation de soi.

Désormais, je vais essayer d’être heureux et d’envoyer ce bonheur à mes amis à travers une belle parole, un sourire ou un moment d’optimisme. Les jours qui passent ne reviendront jamais!

Voilà ce que j’ai décidé. Le problème n’est pas là…  Le problème est ici : vais-je réussir ?

Wael Afana

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




Celui qui s’était perdu

Auteur: Byrev. Source: pixabay.com

Est-il possible de s’acheter soi-même?

C’était un événement terrible: il s’était perdu. Aussi clairement et simplement que lorsqu’on perd un objet: son argent, son mouchoir, ses lunettes de soleil ou un bouton arraché de sa veste. Il s’était perdu quelque part. C’était une perte douloureuse, sans aucun doute la plus grande perte de sa vie. On peut à nouveau gagner de l’argent et, avec cet argent, acheter un autre mouchoir, des lunettes de soleil ou, bien sûr, un nouveau costume. On peut rattraper ces pertes très ordinaires. Mais s’acheter soi-même, c’est un problème très compliqué. Dans quel magasin peut-on se rendre et dire au vendeur: « Je voudrais m’acheter »? Sans aucun doute, le vendeur va penser qu’il se trouve en présence d’un fou, va vous regarder avec surprise et peur, s’écarter à la hâte et appeler secrètement la police ou un hôpital psychiatrique pour les informer qu’une personne mystérieuse se trouve dans son magasin. Oui, c’est exactement ce qui va se passer.

Il se débattait dans ses pensées comme un poisson pris dans un filet, mais il ne pouvait pas se rappeler comment il s’était perdu. Après tout, comment était-ce arrivé, où et quand? Pourquoi ne s’en était-il pas aperçu immédiatement? Est-il possible de se perdre ainsi? Est-ce la conséquence d’une intervention divine? Il était déjà convaincu que sa vie était un échec. Pourquoi est-ce que cela lui était arrivé à lui ? Comment allait-il pouvoir désormais soutenir le regard des gens – de ses voisins, de ses parents, de ses connaissances? Tout le monde se moquerait probablement de lui. Et ses collègues, surtout ceux qui lui donnaient sans arrêt des conseils, lui reprochaient de ne pas être un homme de son temps, d’être incapable de communiquer avec le chef, de ne pas vivre comme tout le monde, ceux qui le surnommait « l’amoureux de la vérité » seraient plus enthousiastes encore pour le tourner en ridicule.

Après avoir repassé ces scènes dans son esprit, il se sentit rempli de trouble et se posta devant un miroir : l’homme qui le regardait était bien lui-même, cela ne faisait aucun doute. Sa tête, ses oreilles, son nez, ses yeux, ses mains, ses pieds – tout était en place. Mais de tout son être, son esprit, ses sens, il sentait que quelque chose manquait. Il en était sûr à cent pour cent. Oui, dans le reflet du miroir, tout était en place. Mais dans sa réalité, dans sa vie, quelque chose manquait. Quand il réalisa à nouveau cette dure et amère vérité, son cœur lui fit aussi mal que s’il avait été blessé par balle.

Ce jour-là, il quitta la maison dans la peur et l’anxiété pour aller travailler. Fait intéressant, personne ne soupçonna quoi que ce soit; personne ne se rendit compte de sa perte. Un seul collègue, qui partageait son chagrin, le regarda attentivement et lui demanda avec suspicion:
– Que t’est-il arrivé? Es-tu malade? Tu as l’air très étrange. Tu ressembles à quelqu’un qui a perdu quelque chose de précieux…
Il ne se souvient plus de ce qu’il lui a répondu; il a rapidement coupé court et a quitté son lieu de travail dans une peur étrange.

***

Il s’est alors complètement fermé. Il a d’abord écrit des poèmes. Et même si tout le monde les appréciait, insatisfait de ce qu’il avait écrit, il dit adieu à la poésie pour toujours. Il est ensuite devenu peintre, puis compositeur… Pendant un certain temps, il a aussi travaillé comme apprenti à côté d’un cordonnier. Mais en vain. Des années plus tard, il n’était toujours pas à son aise, il ne s’était pas retrouvé.

***

C’était un jour d’hiver gris. Le ciel ressemblait à un grand tamis que les flocons de neige traversaient. Les mains dans les poches de son manteau, il marchait vite dans le vent. Et le vent, hurlant comme un loup, soufflait la neige et frappait le visage des quelques passants. Après avoir longtemps traversé cette neige et ce vent, il entra dans un café et s’approcha du comptoir.
– A boire!
– Non, paie d’abord tes dettes, tu boiras ensuite. Combien de temps vas-tu boire ma vodka à crédit? – demanda le barman.
– Je paierai bientôt mes dettes. Et maintenant, je t’en prie, donne-moi quelque chose… mon cœur est sur le point d’exploser et je suis sur le point de geler.
– En aucune façon!
– S’il vous plaît…
– Non, j’ai dit non!

Embarrassé, il s’approcha de l’une des tables et s’assit, la tête entre les mains. Deux personnes installées dans le coin le plus éloigné du café se sont murmuré quelque chose. Elles ont appelé le serveur, ont payé toutes les dettes de l’homme au vieux manteau et lui ont recommandé de lui servir autant de boisson qu’il le demanderait. C’étaient deux anciens collègues, parmi ceux qui lui conseillaient d’être un homme de son temps. Maintenant, l’un était devenu le chef et l’autre, le chef du département.

Le chef a dit:
– Vois-tu ce qui lui est arrivé? Quel dommage! C’était un talent inestimable.
– Vous avez raison – a rétorqué le chef du département. C’est la fin de toutes les personnes qui ne se donnent pas de valeur : l’alcool, l’ivresse, une vie dénuée de sens, ruinée.

Ils ne firent pas de mouvement vers lui parce qu’ils avaient honte de le faire devant les gens autour d’eux.
En général, tous ceux qui le connaissaient le traitaient de cette façon: comme s’ils ne l’avaient jamais connu. Tous, autour de lui, les voisins, connaissances, anciens collègues, contemporains, le considéraient comme un homme impuissant et malheureux, un ivrogne. Et le pire, c’est que personne ne s’est jamais rendu compte qu’il se cherchait encore.

Dehors, il neigeait sans arrêt, comme si le but de cette neige tenace était de blanchir la face du monde entier.

Samir Sadagatoglu

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




La flamme de l’espoir brille dans les ténèbres

 

Auteur: Pixel2013. Pixabay licence / pixabay.com

Petite leçon philosophique pour combattre le pessimisme


Les obstacles nous gênent et nous empêchent de réaliser nos rêves et nos objectifs ; parfois ils sont plus forts que nous et nous dépassent. Nous sentons que nous avons échoué et que nous restons emprisonnés dans le pessimisme, le désespoir et le refus de nous battre pour, au final, plus de déceptions.

Nous avons tous traversé cette étape difficile, mais certains sont capables de surmonter ces difficultés, de les exploiter et de les transformer en un pont pour atteindre l’objectif souhaité. D’autres abandonnent dès le premier obstacle qu’ils trouvent sur leur chemin et s’emprisonnent eux-mêmes en rejetant la faute sur la vie et leur réalité.

Comment est-ce qu’on peut se débarrasser de ce sentiment ?

Comment est-ce qu’on peut transformer nos vies en une vie réussie ?

Le secret est l’espoir qui est le feu brûlant en nous, produit par notre motivation à réaliser ce que nous voulons. L’équation est aussi simple que nous le pensons tant que nous nous efforçons d’atteindre nos objectifs et que, de ce fait, nous devenons plus optimistes et heureux.

Par conséquent, le sage est celui qui n’abandonne pas dès la première déception, qui se bat et n’écoute pas ceux qui le dénigre.

Il ne se soucie de rien et termine son parcours en grimpant la montagne du succès.

Finalement, nous devons arroser le jardin de nos cœurs avec un espoir qui enlève les épines du désespoir afin d’atteindre la plage du bonheur et de la satisfaction.

Aya Kardouch

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




L’intégration et les rêves brisés

Kokob Mebrahtu (au centre). Photo: la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Construire sa vie sans savoir si on va rester

Je crois que chaque être humain naît et grandit avec un rêve à réaliser. Sans savoir s’il réussira, chacun doit se mettre en route pour un long chemin. L’espoir éclairera la route, avec la capacité de faire tout ce qui peut nous permettre d’atteindre notre objectif.

Comme migrante, je pense que c’est ce qui m’a maintenue en vie durant les jours les plus difficiles et dangereux de mon voyage vers l’Europe. Tout mon esprit était tendu dans l’unique but de sauver mon souffle pour pouvoir réaliser mon rêve de vivre comme une personne humaine, respectée.

L’immigration n’est pas un problème d’aujourd’hui ; elle a toujours existé. Chaque pays sur terre en a fait l’expérience, dans le passé ou de nos jours. Chacun sait à quel point il est difficile d’abandonner derrière soi son pays, sa famille, ses amis et les personnes qui parlent la même langue que vous.

Les raisons qui poussent à l’exil peuvent varier d’une personne à l’autre mais, fondamentalement, vous partez parce que vous devez sauver votre peau.

Quand j’ai quitté l’Érythrée en 2013, j’ai emporté dans mon cœur les morceaux brisés de mes rêves. Je vis maintenant en Valais, en Suisse. J’y ai fondé ma propre famille, entourée de nouvelles traditions et de nouvelles personnes. Des années ont passé dans l’attente d’une autorisation de séjour qui n’est toujours pas venue. Mais je suis vivante. Et parce que je suis vivante, j’ai des responsabilités : celle de m’intégrer et celle de prendre soin de mes rêves. Ils ont le pouvoir de nous tenir debout et font des miracles, où que l’on soit.

On entend chaque jour que le gouvernement investit des millions pour l’intégration ; malgré cela, bien peu de choses sont réalisées concrètement. Pourquoi ? Voici comment je me représente la situation d’un migrant qui vient d’arriver dans un environnement complètement nouveau. C’est comme être devant des portes closes et chercher une issue. Pour réussir, vous avez besoin que quelqu’un vous indique quelle est la première porte que vous devez ouvrir : vous avez besoin d’apprendre la langue du pays afin de comprendre les autres autour de vous. Cette information, c’est votre assistant social qui peut vous la donner. C’est la première chose que vous avez à réaliser, le plus solidement possible. Sinon, il n’y aura pas d’intégration, pas de rêves et vous resterez dans votre chambre sombre, seul, comme sur une autre planète. Le second message, c’est de commencer votre projet d’intégration, vous construirez non seulement votre avenir mais vous contribuerez à celui du pays qui vous a sauvé la vie. On vous donne ainsi une responsabilité. Le point suivant, c’est de ne pas décourager les migrants ni de les assommer avec des règlements et des lois.

Une des choses qui freine le plus l’intégration est la durée des procédures. Cela peut prendre trois ans avant de savoir si vous avez le droit ou non de rester en Suisse. Quand l’esprit est occupé par cette inquiétude, il est très difficile de se consacrer à l’intégration et construire son avenir.

Kokob Mebrahtu

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Pour aller plus loin:

« Des procédures d’asile accélérées dès le 1er mars », article paru dans Voix d’Exils le 21.02.2019

« L’intégration commence chez soi » , article paru dans Voix d’Exils le 19.11.2018

« Je passe mon temps à manger pour dominer mes problèmes », article paru dans Voix d’Exils le 15.07.2011




Séparation… Mot familier et tragique pour les exilés

CC0 Creative Commons

CC0 Creative Commons

Le témoignage émouvant d’une femme Afghane

Il n’est pas rare que des familles soient séparées sur le chemin de la migration. Des souffrances supplémentaires se greffent alors sur une situation déjà difficile. Une femme afghane témoigne de la situation tragique qu’elle vit aujourd’hui en Suisse.

C’est l’histoire d’une mère séparée de son mari et de son fils de trois ans. Elle est jeune et a deux enfants. Elle vit dans le canton du Valais, seule avec sa fille adolescente.

En raison des conditions de vie très difficiles des Afghans en Iran, la famille décide de quitter le pays. Le mari, la femme et les deux enfants choisissent l’Europe comme point de chute. La seule façon d’y parvenir est l’immigration illégale.

Le parcours est semé d’embuches : ils ont dû traverser des montagnes et des mers dangereuses avec, sur ces routes, la souffrance comme compagne quotidienne. Mais il fallait continuer car ils n’avaient rien laissé derrière eux. Ils avaient tout perdu, tout sacrifié.

« Soit se séparer, soit pourrir en Grèce »

Lorsqu’ils arrivent en Grèce, ils sont à court d’argent. Pour continuer le voyage, il n’y a qu’une solution qui n’en est en fait pas une : se séparer. C’est aussi brutal que cela : soit se séparer soit pourrir en Grèce. Ils choisissent à contre-cœur de se séparer et décident que la mère et la fille partiront en premier puis que le père et le petit garçon les rejoindront.

Cela fait maintenant onze mois que la mère et sa fille sont en Suisse, mais le père et le fils sont toujours bloqués en Grèce.

La situation est très difficile pour le père car le petit garçon n’a que trois ans et souffre énormément de l’absence de sa mère. Depuis leur séparation, il ne parle plus. A la maternelle, il ne joue pas avec les autres enfants et reste à l’écart. De son côté, la mère passe ses journées à pleurer et s’inquiète aussi pour son mari car elle sait qu’il n’a aucune ressource pour survivre en Grèce. Elle perd parfois espoir : « J’ai peur de ne plus jamais les revoir. »

Quand le courage revient, elle se bat. Si elle gagne un peu d’argent, c’est pour son mari. Elle a aussi cherché de l’aide auprès d’organisations qui la soutienne et l’aide à exposer sa situation au Secrétariat d’Etat aux migrations. Beaucoup de lettres ont été adressées à Berne, mais la réponse tarde et l’attente continue.

La séparation : une éternité pour les enfants

Ce genre de séparation a des répercussions négatives et profondes sur la structure familiale, les comportements sexuels, la santé psychique. Il a un impact particulièrement important sur les enfants dont le développement et l’avenir sont hypothéqués.

Dans un rapport consacré aux enfants séparés*, l’organisation Action for the Rights of Children souligne la vulnérabilité particulière des enfants qui subissent une séparation : « Les enfants sont plus vulnérables que les adultes face aux maladies et aux blessures, mais les enfants séparés manquent aussi de protection physique et du soutien psychosocial et émotionnel dont ils ont besoin. Sans ce soutien, leur développement complet risque d’être interrompu ou empêché ». Et d’ajouter : « Les jeunes enfants peuvent avoir un sens du temps limité. Ainsi, un enfant séparé ne pourra peut-être pas saisir le concept de prise en charge « provisoire » sur une période de quelques jours, quelques semaines ou quelques mois et une période de deux semaines peut lui sembler être une éternité ».

Morrasa Sadeghi

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

*Enfants séparés, décembre 2004, Action for the Rights of Children (ARC)