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« Les racines » ou la nostalgie du pays natal

Kristine Kostava / Voix d’Exils

Un film culte du cinéma géorgien

A travers la trajectoire de Georgi, un jeune Géorgien qui quitte sa terre pour échapper à la misère, le film « Les racines » raconte avec beaucoup de finesse la nostalgie du pays natal ressentie par les émigrés. La première fois que je l’ai vu, j’avais huit ans et il m’a fait beaucoup pleurer. Par la suite, je l’ai revu à plusieurs reprises, toujours avec émotion. C’est pourquoi, je souhaite partager avec les lectrices et lecteurs de Voix d’Exils ce chef d’œuvre qui a joué un grand rôle dans l’amour que je porte à mon pays, la Géorgie.

A sa sortie, en 1987, le film « Les racines », tourné par le grand réalisateur Guguli Mgeladze, a connu un énorme succès populaire. Il a aussi récolté de très bonnes critiques et il est resté depuis un film de référence pour les Géorgiennes et les Géorgiens dont beaucoup vivent en exil.

« Les racines » raconte l’histoire de Georgi Zaqariadze. Orphelin de père, il se voit contraint à l’émigration et laisse derrière lui sa mère, son petit frère et sa petite sœur. La famille vit dans la misère et Georgi espère trouver du travail en France pour pouvoir leur envoyer de l’argent. Son départ coïncide avec le début de la Première Guerre mondiale et la fermeture des frontières. Grâce aux quelques notions de langue française apprises à l’école, le jeune homme obtient de se faire engager comme homme à tout faire sur un navire français. A bord, il se lie d’amitié avec Henry, un jeune matelot de nationalité française.

Chauffeur de taxi à Paris

Georgi va passer trois ans à bord du navire avec l’espoir d’atteindre la côte de la mer Noire, qui borde son pays natal. Malheureusement, il contracte une fièvre tropicale et il est débarqué sur la côte marseillaise. Affamé, il arpente les rues et rencontre un riche homme d’affaires qui lui propose une jolie somme d’argent s’il le ramène à son domicile en le portant sur ses épaules. Malgré la faim, Georgi refuse cette proposition humiliante et lui répond fièrement: « Vous vous trompez Monsieur, je ne suis pas un mendiant ! »

Le jeune homme vivote tant bien que mal lorsque, quelques mois plus tard, il rencontre Henry, le matelot, qui cherche aussi du travail. Pour gagner un peu d’argent, les deux amis décident de fabriquer de la crème aigre selon une recette traditionnelle géorgienne et de la vendre dans la rue. Le propriétaire d’un restaurant, qui apprécie les produits géorgiens, leur offre une jolie somme d’argent en échange de la recette.

Les deux amis vont pouvoir réaliser leur rêve : s’acheter une voiture et monter à Paris pour y exercer le métier de chauffeur de taxi. C’est dans ce taxi que Georgi va faire connaissance avec Madeleine, une charmante cliente française, qui deviendra sa femme. De leur union, naîtront deux garçons, dont un mourra en soldat lors de la Seconde Guerre mondiale.

L’importance des racines

La vie en France est difficile, et avec les années qui passent, Georgi a la nostalgie de son pays natal. Heureusement, il a un petit-fils qu’il adore et à qui il transmet la langue, les traditions et l’histoire géorgienne. La femme de Georgi, qui souhaite voir son mari heureux, décide alors de tout vendre en France et de déménager en Géorgie avec toute la famille. Mais il est très difficile d’obtenir des visas et le voyage tant espéré est retardé.

Georgi, qui désespère de revoir son pays natal, fait un terrible accident vasculaire cérébral et oublie toutes les langues qu’il a apprises, sauf sa langue maternelle. Dorénavant, seul son petit-fils, qui a une vingtaine d’années, peut comprendre ce qu’il dit. Quand Georgi sent la mort approcher, il l’appelle et lui dit: « Souviens-toi, la taille de l’arbre ne se mesure pas depuis le sol, elle se mesure depuis les racines !» Puis, il confie à ce petit-fils, qu’il chérit par-dessus tout, la mission d’aller en Géorgie pour disperser ses cendres sur la terre du cimetière de son village d’origine. Ensuite, le vieil homme pose sur son cœur une poignée de terre géorgienne qu’il avait emportée avec lui lors de son exil, et meurt.

Le jeune homme, qui s’appelle aussi Georgi, décide d’exaucer le dernier souhait de son grand-père. Il emporte ses cendres en Géorgie, en se disant qu’après tant d’années personne ne se souviendra de son aïeul. Mais la nouvelle de sa venue se répand et, à sa grande surprise, les villageois l’accueillent à son arrivée à la gare. Tout le monde s’embrasse sous la pluie. Le film se termine sur ces images de joie populaire.

« Les racines » démontre que pour les Géorgiennes et les Géorgiens, la priorité est leur pays et tout ce qui se rattache à leur patrie. On ne peut pas être considéré comme Géorgien si l’on oublie la langue, l’histoire, la culture, la religion qui définissent notre identité. Malgré les grandes épreuves et la vie difficile au pays, les Géorgiennes et Géorgiens en exil n’oublient jamais leurs racines natales!

Kristine Kostava

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Pour aller plus loin:

Lien pour visionner le film sur Youtube : ფესვები [Full Movie] 1987

 

 

 




Aux origines de la fête du 1er Août

Photo: Giorgi, Voix d'Exils

Photo: Giorgi, Voix d’Exils

La Fête nationale suisse ou fête du 1er Août a été célébrée pour la première fois en 1891 pour commémorer le 600e anniversaire du Pacte fédéral de 1291 qui avait été conclu entre les communautés des vallées d’Uri, Schwytz et Nidwald

Ce pacte – un texte juridique défensif considéré comme le plus vieux texte constitutionnel suisse – scelle une alliance entre les communautés des vallées d’Uri, Schwytz et Nidwald situées au centre de ce qui deviendra la Suisse.  Il prévoit une défense mutuelle contre toute personne extérieure susceptible de les attaquer ou de leur causer du tort.

Source: site de la Confédération suisse admin.ch

Le Pacte fédéral de 1291. Source: site de la Confédération suisse admin.ch

Le Pacte fédéral de 1291 est reconnu comme l’acte fondateur de la Suisse, alors que le Serment du Grütli, qui est un mythe fondateur, était célébré auparavant. La légende du Grütli raconte que trois Confédérés représentant les vallées d’Uri, Schwytz et d’Unterwald se réunirent sur la prairie du Grütli en 1307 pour conspirer contre les seigneurs féodaux autrichiens « les baillis », mis en place par la famille des Habsbourg, qui opprimaient les communautés des trois vallées.

La date du 1er août a été retenue car le pacte de 1291 est daté du début du mois d’août sans que l’on connaisse le jour exact de sa ratification. Depuis 1994, le 1er août est un jour férié officiel dans toute la Suisse

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Sources

Wikipedia :

Site Wikipedia: Pacte fédéral

Site Wikipédia: Serment du Grütli

Site de la Confédération suisse: Le Pacte fédéral de 1291 

Site de Swissinfo.ch: 1291, le serment du Grütli

Les feux d’artifices de la fête du 1er août 2017 à Lausanne capturés par l’objectif de Giorgi

Photo: Giorgi, Voix d'Exils

Photo: Giorgi, Voix d’Exils

 

Photo: Giorgi, Voix d'Exils

Photo: Giorgi, Voix d’Exils

 

Photo: Giorgi, Voix d'Exils

Photo: Giorgi, Voix d’Exils

 

Photo: Giorgi, Voix d'Exils

Photo: Giorgi, Voix d’Exils




Le musée de l’immigration à Lausanne : 30 m2 dédiés à l’histoire de l’exil

Ernesto Ricou dans le musée de l'immigration à Lausanne. Photo: Cédric Dépraz

Ernesto Ricou dans le musée de l’immigration à Lausanne. Photo: Cédric Dépraz

C’est en 2005 que le plus petit musée de Suisse a officiellement ouvert ses portes. Situé dans une arrière cour de l’avenue de Tivoli à Lausanne, le musée de l’immigration s’étend sur une surface de 30 mètres carrés. Ce qui peut paraître dérisoire. Et pourtant ! Son fondateur, Ernesto Ricou, a réussi le pari d’y installer une quantité remarquable d’objets, de souvenirs et d’ouvrages traitant de la migration en Suisse et dans le monde.

Fondé il y a maintenant 8 ans, le nombre de visiteurs du musée a maintenu une bonne croissance qui correspond aujourd’hui à une moyenne de 600 à 700 visiteurs par année. Sachant que le musée est ouvert environ une centaine de jours par an, cela représente une moyenne honorable de 6 à 7 visiteurs par jour ouvrable. Les curieux qui se pressent pour découvrir les lieux se composent pour environ deux tiers

Un musée foisonnant d'objets. Photo: Cédric Dépraz

Un musée foisonnant d’objets. Photo: Cédric Dépraz

d’écoliers et de jeunes et pour un tiers d’adultes. Bien qu’il puisse paraître atypique, le musée fait partie de l’Association des musées en Suisse (l’AMS) en tant que membre observateur, ainsi que de l’ICOM (The International Concil of Museums). De ce fait, tous les départements types d’un musée se retrouvent ici : service éducatif, services d’archives, d’inventaires, etc. Un comité d’association, constitué de bénévoles, gère le musée. Mais c’est son fondateur – Ernesto Ricou – qui porte en grande partie le projet sur ses épaules. Il connaît très bien le phénomène de la migration, car il est au centre de son parcours de vie. Fuyant le Portugal instable des années 70, il  s’installe à Lausanne, puis à Genève, et étudie les beaux-arts. En parallèle à ses études, il exerce la fonction de professeur d’arts visuels dans différents collèges lausannois. C’est donc fort d’une grande expérience artistique et pédagogique qu’il crée le musée de l’immigration.

Aux origines du musée

Les valises: symboles de la migration

Les valises: symboles de la migration

Deux éléments sont à l’origine du travail qui a amené Ernesto Ricou à créer ce musée. Le premier concerne la prise de conscience qu’il a eue en voyant plusieurs de ses élèves cacher leurs origines. « Tout en m’interrogeant sur cette peur, je voulais leur expliquer qu’il ne faut pas dissimuler ses origines, encore moins en avoir honte » nous confie-t-il. De là découle un travail pédagogique effectué au musée sur l’origine des gens qui viennent le visiter. Le deuxième est une visite qu’il a effectuée à Ellis Island aux États-Unis. C’est sur cette petite île que furent enregistrés, triés et contrôlés les migrants qui débarquaient à New York entre la fin du 19ème siècle et le début du 20ème. N’oublions pas que New York s’est entièrement construite grâce à l’apport des migrants. C’est en découvrant les conditions d’arrivée de ces personnes, l’accueil difficile qu’on leur réservait, ainsi que le contrôle médical rude et pénible qu’ils subissaient, que le fondateur de notre petit musée a eu l’idée de créer quelque chose qui relate et entretienne la mémoire des migrants. C’est alors qu’il rédigea les textes fondateurs du musée de l’immigration.

A ces deux éléments vient s’ajouter la présence de l’écrivain suisse Charles Ferdinand Ramuz. Présenté comme le « métronome, le maître penseur et le philosophe du musée », cette personne incarne pour, Erneso Ricou, l’esprit de tolérance par excellence. Selon M. Ricou, l’un de ses livres intitulé La beauté sur la terre cristallise les tensions que nous connaissons depuis le début de l’immigration en Suisse. D’ailleurs, la problématique de la migration est loin d’être réglée selon M. Ricou : « C’est une lutte quotidienne pour les nombreuses décennies à venir. Et il faut réinventer continuellement l’acceptation. Cela a à voir avec un problème humain fondamental : la tolérance et l’intolérance. »

Un patrimoine de la migration à découvrir

"Le triangle spirituel". Ensemble de noms de migrants ayant séjourné ou étant toujours en Suisse. Photo: Cédric Dépraz

« Le triangle spirituel ». Ensemble de noms de migrants ayant séjourné ou étant toujours en Suisse disposés sur des briques . Photo: Cédric Dépraz

Les premiers objets qui attirent notre attention dans le musée sont les valises léguées par les migrants. Celles-ci contiennent des documents et objets ayant appartenu à ces derniers, dénués de valeur commerciale mais à haute valeur symbolique et sentimentale, comme aime à le rappeler le maître des lieux. On y retrouve des cartes postales, des journaux sur l’actualité locale, des passeports, permis de séjour et des photographies de familles émigrées. Ces éléments permettent de retracer le parcours d’une famille venue s’installer en Suisse. Ainsi, on garde une trace de ces passages. C’est dans ce sens qu’a été construit le « triangle spirituel » : un mur du musée où chaque brique qui le compose est enrichie d’un nom d’une personne immigrée. Certains sont déjà partis ou décédés, la plupart sont encore en Suisse. Mais tous savent que ce triangle préserve leur mémoire.

Après la préservation de la mémoire des immigrés, c’est l’amélioration du dialogue interculturel qui vient comme seconde mission que se donnent le musée et son fondateur. A cet effet, une petite salle de classe a été aménagée à l’étage de l’endroit. M. Ricou y dispense un cours qui passe en revue l’immigration en Suisse de manière rapide et concise. Puis les personnes présentes participent à des échanges ; le but étant de valoriser l’identité, la culture et l’origine de chacun. Le professeur rapproche cela à une « thérapie transculturelle de groupe ».

"La colonne des nantis". Elle symbolise ceux qui ont un avenir et un statut

« La colonne des nantis ». Elle symbolise ceux qui ont un avenir et un statut. Photo: Cédric Dépraz.

Enfin, plusieurs réalisations artistiques exposées dans le musée témoignent du parcours artistique et pédagogique de son fondateur. Deux colonnes représentants des personnages retiennent particulièrement l’attention. La première symbolise les nantis : les gens qui se trouvent à l’abri des problèmes, qui ont un passeport et donc un statut. Ils ont ce dont ils ont besoin. Ainsi, leur tête est tournée vers l’horizon, vers le futur. La deuxième colonne évoque l’autre catégorie de personnes, celle des exclus. Sans passeport, aux origines pauvres et modestes, ils n’ont pas de statut et de très mauvaises perspectives d’avenir. Ils ne peuvent regarder vers l’horizon, ils ont la tête tournée vers le bas. Notons qu’Ernesto Ricou est lui-même passé par ces deux statuts.

Au final, si tout cela part d’un projet modeste, la réussite n’en est pas moins manifeste. Que ce soit par la diversité et la quantité d’objets et de documents qu’expose le musée, ses aspects pédagogique et artistique comme fils conducteurs, ou ses deux missions d’entretien de la mémoire et du dialogue interculturel, ce qu’Ernesto Ricou a créé de toutes pièces et qu’il continue à enrichir mérite l’admiration. Et bien entendu une visite !

Cédric Dépraz

Contributeur à Voix d’Exils

Commentaire: Les oubliés de l’histoire suisse

Le parti pris d’Ernesto Ricou a cela d’intéressant qu’il raconte justement l’histoire de ces gens que l’on oublierait, ces gens qui ont façonné la Suisse depuis l’après-guerre et qu’aucun monument ou musée ne garde en mémoire. Ernesto Ricou nous confie qu’il « trouve que ces gens ont un mérite, et ce mérite c’est que quelqu’un raconte leur histoire. Il y a une simplicité, une humilité chez ces personnes qui me touche au plus profond de moi-même. Je ne veux pas faire de discours anti-élites, mais je suis plus en lien avec ces gens-là et le musée de l’immigration leur est entièrement dédié. Ainsi leur mémoire est un temps soit peu préservée. »

N’oublions pas que la Suisse fut une terre d’émigration au 19ème siècle. A l’époque, c’est un demi-million de suisses qui ont fui la misère et le manque de perspectives pour aller chercher un avenir meilleur. A partir du milieu du 20ème siècle, la tendance s’inversa. Mais peu se souviennent de nos jours des ces émigrés. Cela devrait être pris en compte dans la représentation que se font les Suisses des immigrés. Ils devraient garder à l’esprit que leur ancêtres ont connu et subi les mêmes difficultés : le déracinement, l’exil et la misère. Leur perception de la migration serait sans aujourd’hui probablement très différente.

C.D

Infos:

Coordonnées du musée:

Musée de l’immigration

Rue Tivoli 14, 1007 Lausanne.

Horaires : Toute l’année, Mercredi de 10h à 12h et de 14h à 17h, et Samedi de 14h à 18h.

Entré libre et gratuite.

Visites de groupe sur demande.

Renseignements : 0041(0)21 311 58 27