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« Être papier blanc »

Illustration: Kristine Kostava / Voix d’Exils

Vivre au jour le jour avec une attestation d’aide d’urgence

Les requérant.e.s d’asile déboutée.e.s reçoivent une attestation d’aide d’urgence qui leur donne accès à 10 francs par jour environ et une aide d’urgence ne couvrant que le strict minimum vital (généralement la nourriture, les vêtements, l’hygiène, le logement et les soins médicaux d’urgence). Comment vit-on l’aide d’urgence?

Afin de mieux comprendre le mode sous le régime de l’aide d’urgence, nous avons échangé avec trois personnes qui sont dans cette situation et qui sont membres de la rédaction de Voix d’Exils: Kristine, Géorgienne arrivée en Suisse en 2017; Zahra, Kurde, en Suisse depuis 2015 et Karthik, Sri-Lankais, qui vit en Suisse également depuis 2015.

Comment tombe-t-on dans l’aide d’urgence?

Qu’est-ce que l’aide d’urgence? Le site asile.ch donne la définition suivante: « Les personnes frappées d’une décision de non-entrée en matière (NEM) ou de renvoi (« débouté-e-s ») perdent le droit de travailler et sont exclues de l’aide sociale, y compris lorsque leur besoin de protection n’est pas nié (NEM Dublin). Elles sont réduites à demander l’« aide d’urgence », octroyée en vertu de l’art. 12 de la Constitution fédérale. Cette aide consiste en une prestation de survie, remise la plupart du temps sous forme de bons ou en nature (barquettes de nourriture déjà préparées, etc.), rarement en espèces (environ 10 francs par jour, voire moins). Imposant un contrôle administratif intense, parfois quotidien, l’aide d’urgence est conçue comme un dispositif d’incitation au départ ».

Impact psychologique et matériel

La vie à l’aide d’urgence peut durer indéfiniment et la peur d’un renvoi forcé est constante. Les personnes à l’aide d’urgence sont souvent livré.e.s à elles-mêmes. Seules face à leur désespoir, le sentiment d’être dans une impasse, de vivre une incertitude et une angoisse est permanent. Etant un dispositif d’incitation au départ, les conditions de vie qu’impose ce statut a des effets nuisibles sur la santé physique et psychique des personnes qui le subissent.

  • Quels sont selon vous les obstacles du papier blanc ?

Kristine

« Il y a trop d’obstacles, nous sommes limités en tout. On ne peut ni étudier, ni travailler, ni voyager. Il est difficile de se développer et de vivre normalement. »

Zahra

« On ne peut pas étudier dans le domaine de notre choix. Nous ne pouvons ni voyager, ni pratiquer un loisir par manque d’argent ou acheter le nécessaire pour du matériel de bureau. De plus, il est généralement difficile de communiquer avec les personnes qui nous entourent. »

Karthik

« Sans autorisation, nous ne pouvons pas voyager ni travailler. Nous n’avons même pas l’autorisation de nous inscrire pour suivre un cours de français afin de ne plus avoir un problème avec la barrière de la langue. »

Une situation sans fin

Pour diverses raisons, le renvoi n’est pas réalisable et pour d’autres raisons encore, certaines personnes ne veulent ou ne peuvent pas rentrer dans leur pays d’origine. Ainsi, « être papier blanc », comme on dit dans le milieu de l’asile, implique souvent de vivre dans des conditions difficiles et ce pendant plusieurs mois; voire pendant plusieurs années.

  • Peut-on envisager un avenir avec le papier blanc ?

Kristine

« Il est très difficile d’envisager un avenir avec le papier blanc, parce que nous sommes très limités. On ne peut pas apprendre et travailler sans contrat, mais je garde espoir qu’un jour j’obtiendrai une autorisation de séjour. Je me suis toujours battue pour atteindre mes objectifs car se battre pour une chose importante à toujours un sens! »

Zahra

« Jamais! On ne peut pas envisager un avenir avec un papier blanc. C’est un frein pour avancer et construire notre vie. »

Karthik

« Non, c’est impossible! Nous sommes complètement bloqués. Nous ne pouvons rien faire, nous pouvons seulement espérer et attendre que notre situation s’améliore le plus tôt possible. »

Possibilités de changement

Il arrive que certaines personnes obtiennent un statut de séjour qui apporte une certaine stabilité à leur condition de vie. Cela constitue alors un grand changement qui affecte progressivement leur mode de vie et qui peut être déstabilisant.

  • Quels types de changement imaginez-vous une fois l’autorisation de séjour obtenue ?

Kristine

« Cela changerait toute ma vie. J’étudierais, je travaillerais sous contrat, je voyagerais. Cela me donnerait plus de liberté et me permettrait de m’améliorer personnellement. De plus, avec mes progrès et mon indépendance, je profiterais à nouveau de la Suisse. »

Zahra

« Une vie dans laquelle nous serions considéré.e.s comme des citoyen.ne.s ordinaires, dans laquelle on pourrait travailler et étudier sans ce problème de papier d’aide d’urgence. »

Karthik

« Je souhaiterais obtenir le permis B afin de me sentir libre de trouver du travail et de voyager. »

Pourquoi vous ?

La situation à l’aide d’urgence complique la vie de chaque personne détentrice du papier blanc. Beaucoup ont étudié, travaillé, construit leur vie dans leur pays d’origine, puis ont dû tout recommencer à zéro et surtout s’adapter à leur arrivée en Suisse.

  • Pourquoi mériteriez-vous une autorisation de séjour en Suisse ?

Kristine

« Après avoir terminé mes onze années d’école obligatoire, j’ai commencé mes études de graphisme qui ont duré un an au collège. Par la suite, j’ai effectué trois mois de stage et j’ai commencé à travailler comme graphiste chez MBM Polygraph. Parallèlement, j’ai suivi de nombreuses formations sur divers sujets et l’une d’elles était de créer un environnement adapté pour les personnes handicapées. J’ai travaillé pendant plus d’un an, puis j’ai dû quitter mon emploi et la Géorgie en raison de ma santé qui se détériorait. Je suis venue en Suisse et j’ai commencé à travailler en tant que bénévole. Actuellement, je contribue à Voix d’Exils comme rédactrice et graphiste. Je suis productive, je suis capable de travailler avec un contrat, mais malheureusement je ne peux pas travailler avec le papier blanc. »

Zahra

« Après avoir terminé l’école obligatoire, j’ai débuté mes quatre années d’études à l’université et je suis partie d’Iran pour des raisons politiques. Arrivée en Suisse, j’ai débuté les cours de français à l’EVAM et par la suite une formation en cuisine dans cet établissement. J’ai effectué un stage à la fondation « Mère Sofia » et j’ai continué à travailler en tant que bénévole dans la même fondation. J’ai commencé à travailler dans un programme d’activité de l’EVAM et aujourd’hui, cela fait un an et demi que je suis rédactrice à Voix d’Exils. Je souhaite avoir une autorisation de séjour car je voudrais travailler afin de construire et stabiliser ma vie pour devenir indépendante. »

Karthik

« Je viens du Sri Lanka où je n’ai pas la liberté de vivre comme en Suisse car il n’y a aucune sécurité et stabilité pour construire une vie. Après avoir terminé l’école obligatoire, j’ai commencé à travailler dans l’entreprise familiale et trois ans après j’ai quitté le Sri Lanka. À mon arrivée en Suisse, j’ai pu obtenir un permis N et ceci m’a permis de travailler pendant trois ans. Je considère la Suisse comme étant un pays ouvert et tolérant envers les cultures de toutes et tous. »

Propos recueillis par:

L.B.

Membre de la rédaction de Voix d’Exils

Pour approfondir le sujet:

LE QUOTIDIEN AVEC UN « PAPIER BLANC », article paru dans Voix d’Exils le 26.11.2018

LE QUOTIDIEN AVEC UN « PAPIER BLANC » II, article paru dans Voix d’Exils le 07.01.2019




De la naissance à l’âge adulte avec un permis F

Photo: Voix d’Exils

« Que l’on soit né en Suisse ou non ne fait aucune différence avec un permis F. Nos droits sont dans tous les cas limités »

Actuellement, près de 50’000 personnes ont un permis F en Suisse. Mais deux cas de figure doivent être distingués: d’une part, les personnes immigrées en Suisse ayant formulé une demande d’asile et obtenu un permis F; et d’autre part, les personnes nées en Suisse avec un permis F.

La plupart des enfants nés dans le pays avec un permis F considèrent la Suisse comme étant leur pays d’origine, car ils y ont grandi, appris et vécu depuis leur naissance. Toutefois, leurs droits ne correspondent pas à ceux de toutes les personnes nées en Suisse. Mes frères, ma sœur et moi-même sommes nés en Suisse avec un permis F. Nous avons grandi sans pouvoir sortir du pays. Nous nous sommes toujours contentés du minimum et des seuls droits qu’on nous a depuis toujours accordés, en tant qu’étrangers admis provisoirement.

Comment un détenteur d’un permis F né en Suisse peut-il s’adapter pleinement à son pays de naissance, si on lui accorde moins de droits et d’opportunités que la moyenne ?

Qu’est-ce qu’un étranger admis à titre provisoire ?

Selon le Secrétariat d’état aux migrations (SEM), une personne admise à titre provisoire fait l’objet d’une décision de renvoi de Suisse car « l’exécution du renvoi se révèlerait interdite, inexigible ou matériellement impossible ». L’admission provisoire est initialement fixée à douze mois, mais le canton peut prolonger la durée du séjour chaque année.

En ce sens, une personne admise à titre provisoire reste un étranger dont la présence en Suisse ne doit être que temporaire. Que l’on soit né en Suisse ou non ne fait aucune différence avec le permis F.

Un obstacle pour entrer dans le monde du travail

La loi n’interdit pas aux personnes nées avec un permis F de travailler. Le canton de Genève parle à ce propos d’un « accès sans restriction au marché de l’emploi dans toute la Suisse et à l’ensemble des domaines professionnels ». Mais beaucoup n’ont pas l’opportunité d’être embauchés dans le domaine de leur choix. De l’enfance à l’âge adulte, une personne naturalisée ou détentrice d’un permis B ou C a souvent plus de droits, de chances et d’opportunités d’emploi qu’une personne admise à titre provisoire avec un permis F.

Les détenteurs et détentrices d’un permis F sont considérés comme étant des personnes ayant une situation compliquée, dont l’embauche impliquerait de trop lourdes démarches administratives. Pour ces raisons, les personnes qui détiennent un permis F ne sont pas toujours évaluées sur la base de leurs compétences professionnelles. Au contraire, elles sont bien souvent rejetées dès le départ.

En ce sens, le simple fait d’être né avec un permis F peut constituer une raison suffisante pour refuser un poste de travail à un demandeur ou une demandeuse d’emploi et l’impact que ce refus pourrait avoir dans la suite du parcours de ces personnes n’est pas suffisamment pris en compte. Les refus répétés peuvent évoluer vers une forme grave de démotivation, créer un blocage psychologique ou encore provoquer une dépression.

Voyager avec un permis F

Certains enfants nés avec une admission provisioire apprennent à connaître leur culture et leur pays d’origine uniquement à travers leurs parents, leur famille et leurs amis parce qu’ils n’ont jamais eu l’opportunité de sortir de la Suisse.

D’après les conditions préalables du site du canton de Vaud, pour demander une autorisation de sortie du territoire en tant qu’écolier titulaire d’un permis F, il est impératif de ne pas être ressortissant de l’Union européenne (UE) ou de l’Association européenne de libre d’échange (AELE).

Sous certaines conditions, la Confédération peut accorder un passeport de remplacement pour voyager à l’étranger. Le service de la population (SPOP) réceptionne alors la demande et la soumet aux autorités fédérales.

Cependant, les personnes titulaires d’un permis F nées en Suisse ne sont pas toujours informées des différentes possibilités de voyage. Afin de s’informer sur ces possibilités, il est nécessaire d’effectuer des recherches conséquentes sur internet. Il faut également avoir un niveau de français suffisamment clair pour s’orienter dans le site et il est important de noter que chaque démarche est propre au canton où l’on habite.

En ce sens, bien que la possibilité de voyager existe pour les personnes nées avec un permis F, les démarches à accomplir pour sortir du pays s’avèrent donc compliquées.

Naitre avec un permis F implique donc d’accepter de vivre dans un entre-deux : nous ne sommes ni complètement intégrés dans le pays dans lequel nous sommes nés, ni à même de découvrir notre pays d’origine vers lequel il est prévu que nous soyons renvoyés un jour ou l’autre. Sous ces conditions, le permis F constitue alors un statut transitoire : un balancement entre deux mondes qui nous sont tous deux refusés.

L. B.

Membre de la rédaction vaudoise de Vois d’Exils

« Voi(es)x de résistance »

La question du statut provisoire sera au cœur de l’événement « Voi(es)x de résistance » proposé par l’Association Reliefs. Celui-ci aura lieu le 20 janvier 2022 dès 19h à l’Eglise Saint-François de Lausanne. Sur la base de témoignages audio de personnes vivant avec un permis provisoire ou avec un « papier blanc » (en cas de refus  d’admission en Suisse), l’événement cherche à rendre compte de la précarité vécue par ces personnes.

Plus d’informations sur l’adresse suivante : Voi(es)x de résistance – Association Reliefs – des rencontres pour agir !

Autres articles en lien avec le sujet  :

Interdiction stricte de voyager pour les personnes admises à titre provisoire

Fiche d’information (HCR) : Remplacer l’admission provisoire

Toute une vie dans le provisoire: un rapport dénonce les effets pervers du permis F – humanrights.ch




Revue de presse n°28

La revue de presse, la nouvelle rubrique de Voix d’Exils. Auteur; Damon / Voix d’Exils

Sous la loupe : Pratiques médicales d’un autre âge dans un centre de détention américain / Des migrants prennent tous les risques pour traverser la Méditerranée / Quand le port d’un pantalon training est un obstacle à la naturalisation.

États-Unis, des détenues privées d’utérus

huffingtonpost.fr, le 15.09.2020

Suite à l’alerte lancée par une infirmière, cinq ONG (Project South, Georgia Detention Watch, Georgia Latino Alliance for Human Rights et South Georgia Immigrant Support Network) ont porté plainte auprès du gouvernement américain.

Elles dénoncent un nombre important d’hystérectomies pratiquées sur des migrantes placées dans un centre de détention privé de l’état de Géorgie.

« Quand j’ai rencontré toutes ces femmes qui ont subi cette intervention chirurgicale, je me suis dit que ça ressemblait à un camp de concentration expérimental. C’était comme s’ils faisaient des expériences sur nos corps », a témoignée une détenue interviewée par une des ONG à l’origine de la plainte. « Plusieurs détenues m’ont dit être allées voir le médecin et avoir fait l’objet d’hystérectomies sans en avoir été informées au préalable. »

L’hystérectomie n’est pas une intervention banale puisqu’elle consiste à retirer l’utérus et parfois d’autres parties de l’appareil génital féminin comme les ovaires. Cette opération aux conséquences graves, notamment la stérilité, ne se fait normalement pas sans le consentement éclairé des patientes.

Des migrants traversent la Méditerraniée en jet-skis et kayaks

infomigrants.net, le 14.09.2020

Les migrants prennent toujours plus de risques pour rejoindre les côtes espagnoles depuis le nord du Maroc. À tel point que certains tentent même de traverser la Méditerranée à bord de jet-skis et de kayaks.

Bien que rarement utilisés, ces modes de transports ont aussi été observés sur la Manche par des migrants souhaitant atteindre le Royaume-Uni depuis la côte française.

Les contrôles dans le nord du Maroc ont fait chuter en 2020 le nombre d’arrivées dans le sud de l’Espagne. Pour les huit premiers mois de l’année, on dénombre 8 200 entrées illégales, soit moins de la moitié qu’en 2019 à la même période. Les Algériens représentent les deux tiers de ces arrivées cette année et les Marocains sont la deuxième nationalité représentée.

Pour échapper aux forces de l’ordre marocaines, les candidats à la migration tentent désormais leur chance via la route des Canaries, situées au sud-ouest du pays. L’archipel volcanique de l’Océan Atlantique est redevenu une porte d’entrée de choix en Europe, comme ce fut le cas au début des années 2000.

Les arrivées de migrants y ont été presque multipliées par sept depuis le début de l’année par rapport à la même période en 2019, s’élevant à 3 933 du 1er janvier au 31 août, selon le ministère de l’Intérieur espagnol. Sur cette route maritime balayée par de forts courants, au moins 239 migrants se sont noyés entre le 1er janvier et le 19 août.

Naturalisation refusée pour port de pantalon training !

rts.ch, le 12.09.2020

L’assemblée bourgeoisiale de la commune de Bubendorf, à Bâle-Campagne, s’obstine à refuser la naturalisation d’un Kosovar, au prétexte qu’il se promène en pantalon de training dans le village. La même assemblée persiste et signe puisqu’elle vient de faire appel de l’injonction cantonale lui ordonnant de revoir sa position.

Il y a maintenant 15 ans que Hamdi Halili espère devenir un citoyen suisse à part entière. Alors que son épouse et leurs enfants ont pu être naturalisés, la demande lui a été refusée il y a quatre ans.

La raison invoquée pour justifier ce refus ? Selon les bourgeois, c’est le fait de l’avoir aperçu en pantalon de training dans les rues de la commune… Une explication répétée l’an dernier, lors d’une nouvelle demande, qui avait elle aussi été rejetée.

En août dernier, le canton a donné l’ordre à la commune de naturaliser le « Kosovar porteur de training », comme l’appellent les médias outre-Sarine. Mais la bourgeoisie de Bubendorf n’a rien voulu savoir, et elle a fait appel au Tribunal cantonal. Cette affaire rocambolesque est donc repartie pour un troisième tour !

Le fameux pantalon de training suffit-ils à expliquer ce refus ? L’affaire repose sans doute sur des motifs plus inavouables. En 2005, la famille Halili, réfugiée de guerre, était menacée d’expulsion. L’église de Bubendorf lui avait alors offert l’asile et lui avait ainsi évité le renvoi forcé. Un épisode que certains bourgeois n’ont apparemment toujours pas digéré.

Au-delà de l’aspect rancunier de cette affaire, c’est le système de naturalisation qui est en cause dans la petite commune alémanique. Les voix se multiplient pour dénoncer une procédure basée sur l’arbitraire et l’émotionnel. Plutôt que de se fier au bon vouloir d’une assemblée, pourquoi ne pas confier les naturalisations à une commission ou à un exécutif ? En tous les cas, cette délirante saga pourrait faire jurisprudence dans la campagne bâloise.

Oumalkaire / Voix d’Exils




« Notre rôle est de mettre l’être humain et ses compétences au centre de la discussion »

Francine Kalume, cheffe de l’équipe des conseillers en emploi de l’EVAM.

Le groupe emploi est une structure de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM), composée de plusieurs conseillers en emploi, qui dispensent des cours de formation et qui soutiennent les requérants d’asile dans leur réinsertion professionnelle en Suisse. La population des requérants d’asile est très hétérogène et comprend à la fois des personnes qualifiées et non qualifiées, des personnes scolarisées et non scolarisées, des hommes, des femmes, des jeunes et des vieux, ce qui pose de nombreux défis. Voix d’Exils est allé à la rencontre de Francine Kalume – cheffe de l’équipe des conseillers en emploi – pour creuser cette question centrale qu’est l’insertion professionnelle. Interview.

Voix d’Exils : Pourquoi lorsqu’un requérant d’asile arrive en Suisse, il doit attendre trois mois avant de pouvoir commencer à chercher un emploi ?

Francine Kalume : C’est une disposition légale inscrite depuis la troisième révision de la loi sur l’asile de 1990. Le requérant d’asile en procédure est alors interdit de travailler les premiers mois de son séjour en Suisse. L’EVAM ne choisit et ne crée pas les lois, il les applique.

Quels sont les obstacles que rencontre un requérant d’asile dans sa quête d’un emploi ?

Les principaux obstacles sont les suivants: il y a des obstacles qui sont liés au contexte économique et politique ; alors que d’autres sont liés à la trajectoire personnelle du requérant d’asile. Les freins à l’emploi sont souvent enchevêtrés et il est difficile d’isoler les difficultés hors de leur contexte.

Concernant la trajectoire personnelle du requérant d’asile, le manque de connaissances en langue française pose des difficultés. On peut trouver un travail en ne parlant pas très bien le français, mais c’est exceptionnel. Dans la majorité des cas, l’employeur demande à son employé de comprendre et de pouvoir s’exprimer en français, car lors d’activités de production, où le temps est soumis à l’impératif du rendement, l’employeur a ni l’envie ni le temps d’expliquer trois fois les mêmes choses à son employé.

Maintenant, au niveau du contexte politique et économique, les requérants d’asile souffrent de discrimination à l’embauche. C’est un phénomène difficile à observer, car c’est rarement explicite ; mais ça m’est arrivé de le constater. La crise économique joue aussi un rôle. Par exemple, en 2010, la situation n’était pas la même que maintenant, ce qui a causé la perte de l’emploi de plusieurs requérants d’asile. Il y a aussi les exigences du marché du travail. Par exemple, l’émergence de nouvelles technologies fait que les employeurs exigent davantage de compétences techniques, dont bon nombre de requérants d’asile n’ont pas la maîtrise. Par exemple, dans le secteur de la mécanique industrielle, il faut savoir faire fonctionner des machines à commandes numériques. Il devient dès lors nécessaire d’avoir une certaine aisance dans l’utilisation des nouvelles technologies.

Un autre aspect est le contexte de professionnalisation de plus en plus poussé. Pour accéder à presque n’importe quel emploi, vous devez attester de vos compétences grâce à des diplômes ou des certificats. Ce phénomène traverse toute l’Europe. Or, le problème est, qu’en règle générale, les requérants d’asile n’ont pas pris leurs diplômes avec eux car ils doivent souvent fuir leur pays d’origine dans l’urgence et ensuite ils ont de la peine à les récupérer. A cela s’ajoute que leurs diplômes ne sont souvent pas reconnus en Suisse, les systèmes de formation étant très différents d’un pays à l’autre.

Enfin, pour certaines personnes, il y a le manque de compétences transversales appelées aussi les « soft skills » . Les « soft skills » sont par exemple : savoir organiser son travail, montrer une attitude adéquate, montrer qu’on a envie d’apprendre, poser des questions, aller jusqu’au bout du travail demandé, faire face aux imprévus etc.

C’est donc souvent le cumul de ces facteurs qui rend l’insertion professionnelle difficile; et le statut du requérant d’asile devient une difficulté supplémentaire à surmonter. Dans ce cas-là, le permis devient un obstacle. En règle générale, s’intégrer dans le monde professionnel prend du temps. Il faut avoir de la persévérance et oser se remettre en question. Les compétences ne s’acquièrent pas du jour au lendemain.

Un module de la formation consacrée aux techniques de recherche d’emploi du groupe emploi de l’EVAM.

Quelles mesures avez-vous mis en place pour aider les requérants d’asile à surmonter les difficultés que vous décrivez?

On oriente les jeunes dans des mesures éducatives lorsqu’ils en ont besoin. Il y a des gens qui ne savent pas quel métier choisir, on va donc les aider à s’orienter. Il y a également des personnes qui veulent faire un apprentissage, donc on va faire un bilan d’aptitude.

Certains requérants d’asile ont besoin d’une qualification de base dans un métier. On les oriente alors vers des formations externes à l’EVAM, telle que celle dispensée par la Croix Rouge dans le secteur de la santé.

Pour les personnes qui ont aucune expérience professionnelle en Suisse, on organise des stages. Nous avons organisé l’an dernier 84 stages et, en 2012, à la fin du mois d’août, 93. Ces stages leur permettent de se former, de faire l’expérience du marché du travail, de se faire connaître et d’élargir leur réseau.

En cas de situation médicale difficile, il nous arrive aussi parfois de coordonner notre action avec des médecins et des assistants sociaux. Pour ceux qui ont besoin de se remettre dans une activité (par exemple suite à une longue période sans emploi) on peut les placer dans une mesure de type « entreprise sociale d’insertion ». Ce sont des entreprises qui offrent des activités à des personnes soit qui sont exclues du marché du travail, soit qui ont besoin pour un temps de se remettre dans un rythme avec une activité productive.

Vos stratégies portent-t-elles des fruits?

Oui, on a actuellement des gens qui ont trouvé un emploi et qui travaillent. Par exemple, il y avait une femme qui était à l’écart du marché de l’emploi pendant dix ans. On lui a proposé d’étudier la langue française. Elle a donc effectué un stage organisé par le conseiller, qui l’a ensuite inscrite aux cours dispensés par la Croix Rouge pour suivre une formation d’auxiliaire de santé. Le conseiller a également préparé avec elle son dossier de candidature ainsi que les entretiens pour le recrutement. Pour finir, elle a réussi à obtenir un poste fixe dans un EMS. Le processus a duré deux ans et demi. Malheureusement, on a aussi des gens qui se découragent et qui abandonnent sans aller jusqu’au bout. C’est dommage.

Selon vous, quels sont les secteurs qui embauchent le plus ?

Cela dépend du niveau de scolarisation de la personne. De par le fait que la majorité des personnes qui recourent à nos services ont un niveau de scolarisation relativement bas, on les envoie dans les secteurs de la santé, du nettoyage, de la construction et de l’hôtellerie.

Est-ce que certains employeurs ont des préjugés à l’égard de la population des requérants d’asile?

Lors d’entretiens que l’on mène avec des employeurs dans le cadre d’activités dites de « prospection », il arrive que le conseiller en emploi doive faire face à des représentations négatives, mais également parfois aussi positives. Ces représentations peuvent poser des problèmes, car elles biaisent le regard que porte l’employeur sur le travail réel du requérant d’asile. Le rôle des conseillers est de remettre l’humain ainsi que les compétences professionnelles du requérant d’asile au centre de la discussion. Lorsque la discussion porte à parler de « nous » d’ici et de « eux » là-bas : on est déjà dans des schémas préconçus et on ne parle plus de l’activité et du travail de l’employé. Parfois, il arrive aussi de nous retrouver dans des cas où l’employeur effectue un déplacement, car l’expérience qu’il a avec son nouveau stagiaire requérant d’asile ne colle pas du tout avec l’image qu’il s’était construite à travers les médias notamment. Les préjugés sont un terrain très glissant. Notre rôle est de les éviter et de mettre l’être humain au centre de la discussion, sa recherche d’emploi, ses compétences et ses acquis.

Connaissez-vous un patron qui a embauché un requérant d’asile et qui est très satisfait de lui ?

On ne garde pas toujours des contacts avec les requérants d’asile qui ont trouvé un travail fixe. Ils n’ont plus vraiment besoin de nous. Mais j’ai en mémoire Madame C, qui est en EMS depuis le mois de janvier, ou Monsieur G, qui a effectué un stage en hôpital et qui va travailler comme aide de bloc opératoire. Je pense aussi à cet apprenti assistant dentaire dont son employeur est très satisfait. Il y a également un Monsieur qui m’a appelé l’autre jour pour me dire qu’il a été engagé comme caissier dans un magasin.

Qu’est-ce que vous aimeriez dire aux employeurs ?

J’aimerais les inciter à capitaliser sur le long terme. C’est-à-dire de laisser la chance et le temps aux requérants d’asile de se former et de miser sur l’acquisition de compétences sur le long terme. En même temps, j’ai conscience qu’ils ont aussi des contraintes et que ce n’est pas toujours évident.

Propos recueillis par :

Hochardan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils