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Notre histoire, c’est notre bagage pour l’avenir

Lion ailé, art assyrien. Photo: Glyn Nelson  (CC BY-NC-SA 2.0)

Un lion ailé, art assyrien. Photo: Glyn Nelson
(CC BY-NC-SA 2.0)

En 2010, l’état de santé de ma mère m’amenait à multiplier mes voyages à Damas. En moyenne, je prenais l’avion tous les deux mois pour passer de longs week-ends auprès d’elle. Ce qui m’interpellait à chaque fois que je me rendais à l’aéroport de Damas, c’étaient les files d’attente interminables à l’enregistrement des bagages. De nombreux chariots surchargés de valises identiques, une foule nombreuse, adultes, enfants et vieillards, portant tous le même sac en plastique estampillé du logo de l’Organisation Internationale pour la Migration (OIM). Ils étaient assistés par un employé portant le badge de cette organisation, qui facilitait leurs démarches et planifiait leur embarquement.

Je me suis demandée qui sont ces migrants ? D’où partent-ils ? Où vont-ils ? Quelles persécutions subissent-ils pour supporter ce calvaire et partir tous, vieux, jeunes, familles entières, vers l’inconnu ? Fuient-ils l’Irak voisin ? Son insécurité et son chaos ?

Lors de l’un de ces voyages, un de ces migrants s’est assis sur le siège jouxtant le mien dans l’avion. J’ai donc entamé la discussion et lui ai demandé d’où il venait et où il allait. Il m’a répondu qu’il était assyrien, du nord-est de la Syrie et a pointé le doigt sur sa famille et ses enfants. Ils avaient tous des yeux immenses, ornés de sourcils semi-circulaires comme dessinés par une plume d’artiste. J’ai cru voir l’une de ces statues de dieux assyriens que nous étudiions dans nos livres d’histoire et admirions dans le musée national.

Ecriture cunéiforme mis au point en Basse Mésopotamie entre 3400 et 3200 avant J.-C. Photo: Jeff Stvan (CC BY-NC-ND 2.0).

Écriture cunéiforme mise au point en Basse Mésopotamie entre 3400 et 3200 avant J.-C. Photo: Jeff Stvan (CC BY-NC-ND 2.0).

Les assyriens, habitants de la Mésopotamie depuis des milliers d’année, précurseurs de notre civilisation, ont façonné la structure des premières sociétés modernes, de l’économie et inventé le premier code de loi connu à ce jour. Les assyriens, contemporains des babyloniens, des araméens, des hittites, ont donné leur nom à la Syrie d’aujourd’hui. Je me suis souvenue des cours d’histoire, lors desquels notre professeur remplissait l’atmosphère de la classe de poussière de craie en essuyant avec ses mains la carte dessinée avec soin pendant un quart d’heure pour nous montrer les migrations des peuples mésopotamiens et l’étendue de l’empire assyrien. Ce premier empire de l’humanité allant, à son apogée, de l’Iran jusqu’en Égypte, en passant par l’Irak, la Turquie, la Syrie, le Liban et la Palestine. Je me suis souvenue des noms des rois assyriens : Assour Banibal l’Assyrien, le roi Sargon et son palais décoré de lions ailés, etc.

 J’avais également le souvenir de lointaines discussions familiales, surtout avec mon oncle qui travaillait pour l’éducation nationale dans la région de la ville de Hassaké, au nord-est de la Syrie, qui nous disait que les Assyriens existaient encore, qu’ils étaient devenus chrétiens, et qu’il y avait des incitations venues de l’extérieur qui les appelaient à migrer vers la Suède ou la Norvège. Discussions qui, en général, se terminaient par des lamentations sur notre civilisation qu’il voyait disparaître avalée par l’Occident tout puissant.

Et le voilà à présent à côté de moi, l’héritier du roi Sargon, ses parents, ses enfants et toute sa descendance qui prennent l’avion. Et où partez-vous Inch’Aallah ? Au Canada, ils nous ont informés que nous allions habiter la ville de Calgary. La connaissez-vous ? La seule chose que je connaissais de Calgary est qu’elle a accueilli les Jeux olympiques de l’hiver 1988. Ce qui voulait dire qu’elle se trouve forcément à côté de hautes montagnes où l’on pratique le ski.  Nous étions au mois de janvier, en plein milieu de l’hiver donc. J’ai jeté un coup d’œil aux habits du descendant du roi Sargon : petite veste en simili cuir et des mocassins bon marché. Ses enfants aussi avaient des bottes de fabrication locale et de petites vestes. J’ai répondu : oui, j’ai entendu que c’est joli, je vous souhaite d’y trouver le bonheur. Et parlez-vous l’anglais ? Non, je ne parle que l’arabe et l’assyrien. Voici mon fils Gorguios. Et le descendant de Sargon s’est mis à parler en assyrien avec Gorguios pour lui demander de dire bonjour à la dame. Gorguios m’a observé de ses grands yeux qui se sont plissés dans un sourire timide.

L’avion a atterri en Europe. Une délégation de l’OIM attendait nos migrants pour leur indiquer le chemin pour la poursuite de leur voyage au Canada. J’ai salué les héritiers de Sargon et Banibal, en leur souhaitant intérieurement la réussite de leur périple, tout en sentant une tristesse immense de voir un pan entier de notre civilisation quitter le pays sans retour. Continueront-ils à parler l’assyrien au Canada ? Jusqu’à quand ? Combien de générations faudra-t-il avant que cette langue, vieille de plus de quatre mille ans, ne disparaisse définitivement de la liste des langues encore vivantes ? Nous faut-il sauvegarder à tout prix les vieilles civilisations ? Ou est-ce une affaire sans importance, puisqu’elles sont amenées à disparaître de toute façon ?

Ce qui se passe à Raqqa aujourd’hui, et ce qui s’est passé à Maaloula hier, n’a pas qu’une dimension religieuse. Et la destruction des églises me semble être un sujet annexe. Maaloula, comme le nord-est de la Syrie, est l’un des rares endroits au monde, témoin encore vivant de ces vieilles civilisations ; celles qui ont fondé l’humanité telle que nous la connaissons aujourd’hui. La destruction de ces sociétés n’est qu’une tentative d’effacer les traces de l’évolution que l’humanité a accompli pendant des siècles et des siècles de pensée, création, civilisation, progrès et évolution.

Mais l’humanité, malgré ses multiples phases sombres et rétrogrades à travers le monde et à travers les époques, a toujours su reprendre le chemin du progrès et continuer le voyage de l’évolution. Ce que nous espérons, c’est que cette période obscur ne soit qu’épisodique, qu’elle ne soit qu’un passage, qu’elle ne détruise pas trop notre passé, parce que notre histoire, c’est notre bagage pour l’avenir.

Katia Hilal

Contributrice de Voix d’Exils




Ce soir c’est « Newroz » : la fête de l’an des Kurdes

"Newroz" Galerie de Isa Fakir (CC BY-NC-ND 2.0)

La fête de « Newroz »
Galerie de Isa Fakir
(CC BY-NC-ND 2.0)

Durant la nuit du 20 au 21 mars, certains peuples du Moyen-Orient célèbrent la fête traditionnelle et même nationale de Newroz. Aujourd’hui, à travers le blog Voix d’Exils, j’aimerais partager avec vous l’origine de cette fête du point de vue kurde.

Les Kurdes célèbrent Newroz comme le jour de l’an selon le calendrier kurde. Ce, depuis 612 avant Jésus-Christ et le jour de l’équinoxe de printemps. Newroz est un terme d’origine avestique et un mot qui se compose de deux syllabes (nava et rezanh) et qui signifie : nouveau jour au sens de « nouvelle lumière du jour ». En langue persane et kurde, il a le même sens, mais il est décliné différemment selon les dialectes: Newroz, Nuroj et Newroc.

Le mythe de Newroz et son symbole actuel

Suivant la variante kurde, l’histoire de Newroz a commencé en Mésopotamie (correspondant actuellement en grande partie à l’Irak), au pied des montagnes de Zagros. Il y avait un grand château en pierres qui comptait de nombreuses tours et de hauts remparts. Ce château était gouverné par un tyran cruel appelé Dehak. Il avait deux serpents sur ses épaules, et quand ces derniers avaient faim, le tyran souffrait horriblement d’une douleur très aigüe. Des médecins prescrirent au tyran de nourrir ses serpents avec les cerveaux des jeunes gens. C’est pour cela que tous les jours, le bourreau de Dehak exigeait deux jeunes gens en guise de sacrifice pour les serpents.

Dans un village, à côté du château, se trouvait un forgeron – nommé Kawa – qui avait sacrifié 16 de ses 17 enfants. Quand le moment fut venu pour sa dernière fille d’être sacrifiée, son père, qui l’aimait très fort, fut très attristé et envoya au roi, à la place du cerveau de sa fille, celui d’un mouton mort. Le roi ne s’aperçu de rien. Puis, Kawa réfugia sa fille dans les montagnes.
Les autres habitants comprirent alors qu’ils pouvaient tromper le tyran. C’est alors qu’à chaque fois que le roi demandait un nouveau sacrifice, les gens faisaient la même chose que Kawa. Petit à petit, le nombre des jeunes gens sauvés augmenta dans les montagnes de Zagros, jusqu’à ce qu’ils soient réunis pour former une grande armée. Kawa prit alors la tête de cette armée, attaqua le château, et Kawa tua le roi Dehak. Ensuite, ils montèrent sur les hautes montagnes et allumèrent des feux pour avertir les habitants des villages voisins que le roi avait été tué. Ceci advint un 20 mars et, le lendemain, le peuple célébra son premier jour de liberté. Depuis cette date-là, Newroz devint alors un symbole important et un jour sacré pour les Kurdes qui le considèrent aujourd’hui, non seulement comme le nouvel an Kurde, mais aussi comme un symbole de la révolution contre la répression, la négation de l’interdit, et l’affirmation de la paix, de l’amitié, de la solidarité entre les peuples.

Les rituels et traditions de Newroz au Kurdistan et en Europe

Chaque année, durant la nuit du 20 au 21 mars, les Kurdes allument des feux sur les sommets des montagnes en mémoire du jour

de la victoire de Kawa sur le roi Dehak. Dans les grandes villes, les jeunes marchent dans les rues en portant des torches et des bougies,  en se félicitant de l’arrivée de la fête. Le lendemain, ils sortent dans la nature avec des vêtements folkloriques colorés (rouge, jaune, vert), ils allument un feu autour duquel ils dansent et sur lequel ils sautent en chantant durant toute la journée.

Rappelons que le Kurdistan se situe à la jonction de quatre pays : la Turquie, l’Irak, la Syrie et l’Iran. Chacun de ces pays tolère différemment les festivités de Newroz.

En Turquie: depuis la création de la République turque en 1923, les festivités de Newroz ont été officiellement interdites. Mais, durant ces dix dernières années, suite à l’insistance des Kurdes, le gouvernement turc a été obligé de les laisser célébrer la fête.

En Irak: les Kurdes considèrent cet événement comme la fête nationale et ils ont 4 jours fériés

En Syrie: le 21 mars est aussi un jour férié pour la fête des mères. Mais la fête de Newroz est toujours interdite.

En Iran: les Kurdes ont la permission de fêter le Newroz comme le jour de l’an persan et non comme une fête kurde.

En Europe, les Kurdes célèbrent le Newroz dans des salles fermées. Symboliquement, ils allument des feux d’artifices à l’extérieur.

Mon souhait est que le Newroz devienne une fête officielle dans l’ensemble des quatre pays du Kurdistan.

Joyeux Newroz à toutes et à tous !

J.A.

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils