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«La place d’une femme parfaite est au foyer de son mari ou dans sa tombe»

Crédit: voiceofdjibouti.com

Dévalorisées, excisées, soumises à leur mari, les Djiboutiennes souffrent en silence

Dans le monde patriarcal de Djibouti, petit pays situé sur la Corne de l’Afrique, le destin des femmes s’accomplit dans l’obéissance à leur mari et leur capacité à mettre au monde des enfants mâles. Faisant taire sa pudeur et sa discrétion, Sarah, Djiboutienne exilée en Belgique, a accepté d’évoquer cette douloureuse réalité pour Voix d’Exils.

Djibouti. Source: Wikipédia.org (CC BY-SA 3.0)

«La place d’une femme parfaite est au foyer de son mari ou dans sa tombe». Ce dicton, effrayant raccourci de la vie des Djiboutiennes, Sarah l’a souvent entendu citer. Pour les femmes, hors le mariage point de salut et cela jusqu’à ce que la mort libère les épouses des liens maritaux qui les condamnent à se mettre totalement au service de leur mari et de leur belle-famille.
Mariée et mère de deux jeunes enfants, Sarah connaît ce modèle de l’intérieur. Depuis la Belgique où elle a émigré, elle profite de sa liberté d’expression toute neuve pour briser le silence et dénoncer les abus et les injustices dont sont victimes ses compatriotes.

Mal aimées dès la naissance

A Djibouti, malheur aux hommes qui n’ont pas de descendance masculine. Dans une société machiste qui survalorise les garçons, les pères qui n’ont que des filles sont considérés comme des hommes sans valeur et sans pouvoir. Pour retrouver leur dignité, la société les incite à se remarier dans l’espoir que cette nouvelle union répare l’affront. Du moment que l’islam les y autorise, rares sont les hommes qui se contentent de n’avoir que des filles et ne fondent pas une nouvelle famille.
Par conséquent, les femmes n’ayant pas enfanté de garçon sont fragilisées. Elles peuvent être répudiées et en cas de décès du mari, elles n’ont aucun droit à l’héritage.

Excisées malgré l’interdiction légale

Entre 8 et 11 ans, toutes les fillettes subissent des mutilations génitales. Pratiquée par une exciseuse ou une sage-femme, cette intervention cruelle a lieu à la maison, en présence de la mère ou d’une tante. L’excision est considérée par la société djiboutienne comme une étape primordiale qui éloignera les jeunes femmes des relations sexuelles hors mariage. Il est vital qu’elles arrivent vierges au mariage, et l’excision est censée protéger leur « pureté ».
Théoriquement, les lois de l’État interdisent ces pratiques d’un autre âge qui sèment la mort et la souffrance. Mais la coutume a la vie dure et la plupart des familles s’y conforment.

Entravées dans leurs mouvements

L’éducation des filles est totalement différente de celle de leurs frères. Par exemple, elles n’ont pas l’autorisation de sortir de la maison familiale sans être accompagnées, en particulier lorsqu’elles atteignent l’âge adulte. Les parents conjurent ainsi la crainte qu’elles se fassent agresser sexuellement et perdent leur virginité. Si cela devait arriver, elles ne trouveraient pas de mari et leur famille serait déshonorée.

Empêchées dans leur scolarité

A Djibouti, l’école est obligatoire mais la position des familles face à la scolarité n’est pas la même selon le sexe des enfants. Alors que les garçons sont encouragés à faire des études, les filles apprennent rapidement que leur avenir de femme et leur réussite dépendront de leur mari et non pas de leurs études.
A leur retour de l’école, pendant que les garçons vont jouer à l’extérieur, puis rentrent faire les devoirs, les filles sont assignées aux tâches ménagères et aux soins à donner aux petits enfants de la maisonnée. Non seulement, elles n’ont pas le temps de faire leurs devoirs, mais en plus elles et se font reprocher d’avoir de moins bon résultats que leurs frères.
Si elles décident d’arrêter l’école, c’est un soulagement pour la famille, parce que les filles éduquées ne seront pas dociles. Elles risquent de prendre leur liberté et de vivre comme bon leur semble, des comportements de femmes modernes qui vont à l’encontre du rôle qui leur est dévolu dans la société traditionnelle.

Malmenées par des traditions archaïques

Même s’il faut relever que ces dix dernières années, les mentalités ont évolué dans les villes, les femmes sont cependant toujours dans l’obligation de fonder un foyer pour être respectées. Les zones rurales, en particulier, restent attachées à leurs archaïsmes. Les fillettes y sont toujours considérées comme des citoyennes de seconde zone et la naissance d’un bébé fille y est vécue comme une honte.

Des pionnières courageuses

A partir des années 2000, Djibouti a connu quelques changements grâce à la persévérance d’une poignée de femmes qui ont eu le courage et la persévérance de finir leurs études dans les années 1970 à 1990. Selon Sarah, ces pionnières ont bénéficié du soutien de leurs parents qui avaient eux-mêmes reçu une bonne éducation lors de l’époque coloniale. Le résultat c’est qu’elles occupent de nos jours des postes à responsabilités dans le monde social et politique, ce qui ne les empêche aucunement d’avoir aussi une famille.

Exilées et libérées

Alors qu’au pays les femmes n’ont, dans leur grande majorité, d’autres droits que celui de se taire, celles de la diaspora qui ne sont pas soumises à la censure s’expriment volontiers sur Facebook et sur Twitter. Vivant en Belgique, en France ou au Canada, les Djiboutiennes exilées surmontent leur pudeur héritée d’une société coutumière pour partager leurs expériences et leurs traumatismes avec leurs sœurs d’infortune. L’anonymat propre aux réseaux sociaux leur donne le courage d’aborder tous les sujets, même les plus tabous. A elle seule, cette libération de la parole démontre qu’il y a un changement possible, qu’il est nécessaire et qu’il est ardemment souhaité par les principales intéressées.

Témoignage recueilli par:

Oumalkaire

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Les premières visites ravivent les cœurs

Unsplash.com. Auteur: Phil Hearing

Drôles et émouvantes retrouvailles dans un EMS valaisan

Aujourd’hui, il fait beau et je me sens très bien en ce début de mois de juin. C’est la deuxième fois depuis la crise du Coronavirus que je viens à la maison de retraite pour un travail de bénévolat. Je prépare le dispositif des visites. Grâce au beau temps, on peut les organiser dans le jardin.

La première aura lieu dans quelques minutes. Je dois me dépêcher et bien désinfecter la table, les chaises et surtout le plexiglass installé au milieu de la table.

Ils arrivent : une jeune femme avec un homme, ils sont le fils et la belle-fille de Madame… Oh, je suis vraiment « terrible » pour me rappeler le nom des gens, je les oublie toujours !

« Pourquoi n’es-tu pas venu me voir ? »

J’accueille les deux visiteurs et les invite à bien se désinfecter les mains et à remplir les formulaires administratifs. Je les guide ensuite jusqu’au lieu de la visite. Le jeune homme me demande :

– « Est-ce que nous devons porter un masque pendant la visite ? » et il ajoute « C’est notre première visite depuis deux mois. On s’est seulement parlé quelques fois sur WhatsApp. »

– Je lui réponds : « Non, le plexiglass entre vous suffit ; si vous portez le masque ça serait trop difficile pour vous comprendre. »

Après quelque secondes, sa mère arrive sur une chaise roulante, accompagnée d’une infirmière. C’est une petite dame avec de grosses lunettes, elle a des cheveux courts et blancs comme la neige des Alpes. En s’installant derrière la table elle dit d’une voix fragile :

– « Où étais-tu? Pourquoi n’es-tu pas venu me voir ? »
– « Il y avait une maladie grave partout, on n’avait pas le droit de venir, c’était interdit. » explique son fils en s’approchant du plexiglass pour mieux se faire comprendre.
– « Depuis quand est-ce qu’on interdit à des enfants de rendre visite à leur mère ? » demande-t-elle sérieusement.
– « Mais Maman … » J’interromps le fils et l’informe que la durée de la visite est limitée à 30 minutes au maximum.

Je les laisse tranquilles et m’assieds sur une chaise à l’écart, de l’autre côté du jardin, où je m’occupe avec mon téléphone portable.
Je dois faire attention à l’heure, car la visite suivante est annoncée dans 40 minutes. Cela fait déjà 23 minutes que la visite a commencé, et il ne reste que 7 minutes ! C’est le moment le plus difficile, quand je dois les avertir qu’il ne reste que 5 minutes ! Ils vont me dire que le temps a passé très vite!

Je me rapproche d’eux. Heureusement, ils sont plus détendus qu’au début de la visite. Ils me remercient et se disent au revoir. Le fils promet à sa mère qu’il reviendra très vite.

 

« C’est notre anniversaire de mariage »

Je vois arriver la voiture de la deuxième visite. Elle se gare dans la cour de la maison. C’est un monsieur d’environ 80 ans, mais il a l’air d’avoir vingt ans de moins. Il vient vers moi avec un joli bouquet de roses et une boîte dans les mains.

– « C’est notre anniversaire de mariage aujourd’hui et j’ai apporté un petit gâteau pour le manger avec ma femme » me dit-il avec un grand sourire.
– « Joyeux anniversaire ! Mais avant je dois tout désinfecter. »
– « Désinfecter le gâteau ??!!! » me demande-t-il avec un regard étonné.
– « Mais non, on ne désinfecte pas le gâteau, seulement la boîte et le bouquet de fleurs !»

Sa femme arrive avec une infirmière à ses côtés mais je trouve qu’il y a quelque chose de bizarre.
L’infirmière s’adresse à la femme et lui explique que le Monsieur est son mari et qu’il vient lui rendre visite. Mais la femme répond qu’elle n’est pas mariée et qu’elle veut retourner dans sa chambre. Elle est agitée. Son mari est déjà posté derrière le plexiglass et je peux voir de l’amour dans ses yeux. Après quelques minutes de discussion, elle accepte de rester.
Je désinfecte bien le bouquet de roses. Elles sont vraiment jolies et je trouve que le Monsieur a du goût et de l’élégance. Même après toutes ces années, on voit beaucoup signes de beauté dans le visage de sa femme.

Je donne le gâteau à la cafétéria pour qu’on le serve pendant la visite avec une tasse de café et je m’assois à nouveau sur ma chaise. La situation de ce couple me touche beaucoup et occupe mon esprit.

« Vous avez une bonne philosophie de vie »

Au bout d’un moment, je suis distrait par le manège de deux résidents assis à la table voisine : un Monsieur assis en face d’une Dame essaie d’engager la conversation :

– Le Monsieur : « Il fait beau aujourd’hui ! n’est-ce pas ? »
– La Dame : « Oui. »
– Le Monsieur : « La vie est belle ! »
– La Dame: « Quelques fois c’est pénible. »
– Le Monsieur : « Mais on l’oublie vite. »
– La Dame : « Vous avez une bonne philosophie de vie. »
– Le Monsieur : « …. »

Je regarde mon téléphone pour vérifier le temps de la visite. C’est déjà l’heure! Je tourne ma tête vers la table de visite. Wow ! Quel magnifique tableau ! Le bouquet de jolies roses est disposé dans un vase à côté de la femme ; ils sont en train de manger du gâteau en discutant gentiment. Elle a un large sourire et cette fois-ci je n’ai pas envie d’interrompre cette rencontre…

Ahmadirad Salahaddin
Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 

 

 

 




Droits et devoirs des requérants d’asile à Neuchâtel

Vincent Schlatter chef de l’Office social de l’asile en premier accueil (OSAP) du canton de Neuchâtel

Interview de Monsieur Vincent Schlatter, chef de l’Office social de l’asile en premier accueil (OSAP) du canton de Neuchâtel

Voix d’Exils : Quelle est votre fonction au Service des Migrations (SMIG) du canton de Neuchâtel ?

Vincent Schlatter : Je suis responsable de l’OSAP. C’est principalement la gestion de l’hébergement collectif (centres de 1er accueil) et de l’assistance (l’argent et l’encadrement) pour les personnes qui arrivent dans le canton. Ça fait 6 ans que je travaille au SMIG.

Quel a été votre parcours professionnel avant de rejoindre le SMIG ?

J’ai fait beaucoup de missions humanitaires dans différents pays.

Combien y a-t-il actuellement de requérants d’asile dans le canton de Neuchâtel ?

Les statistiques de fin juin 2018 nous donnaient 110 personnes en 1er accueil (hébergement collectif) et 1030 personnes 2èmes accueil (en appartement), et 900 réfugiés, soit un total d’environ 2100 personnes.

Un requérant d’asile a-t-il le droit de travailler ?

Oui, après 3 mois de son dépôt de demande d’asile, mais ça ne veut pas dire que ça va être facile de trouver un travail.

Y-a-t-il des cours de langues pour les requérants d’asile ?

Oui, ils sont obligatoires. C’est la principale porte d’entrée pour trouver du travail.

Y a-t-il des formations professionnelles pour les requérants d’asile ?

Oui, nous « poussons » nos jeunes mineurs non accompagnées (MNA) à faire des formations. C’est un objectif de l’agenda d’intégration Suisse et un devoir des cantons d’y parvenir. L’intégration passe par l’apprentissage de la langue, par l’accès au travail, nous mettons tout en œuvre pour aider ces personnes à s’intégrer.

Que se passe-t-il quand une personne reçoit une décision négative. Peut-elle travailler ?

Les personnes ayant reçu une décision négative doivent quitter la Suisse, donc elles n’ont plus le droit de travailler.

Peut-elle garder son appartement ?

Non, la personne retourne en hébergement collectif et c’est le régime de l’aide d’urgence qui s’applique, si la personne le demande.

Est-ce qu’il y a des différences entre les cantons ?

La loi est la même pour toute la Suisse, mais l’application de la loi est cantonale. Nous avons une même loi et potentiellement 26 mises en œuvre différentes. C’est aussi ça la Suisse.

J’ai observé dans mon entourage des personnes ayant reçu une décision négative qui travaillaient, qui étaient en appartement, comment vous l’expliquer ?

La loi est pareille pour tous, mais chaque procédure est individuelle. Ce n’est pas tout d’avoir une décision négative. En principe la personne doit quitter la Suisse dans un certain délai, mais parfois le renvoi n’est pas exécutable. Après plusieurs années, ça peut devenir un cas de rigueur, c’est la justification d’une différence par rapport à la règle.

Il y a aussi des personnes qui travaillent au noir. Qu’en pensez-vous ?

Le travail au noir n’est pas légal. La législation n’est pas forcément respectée et cela peut amener à des dérives. Je comprends, si une personne ayant l’obligation de quitter la Suisse veut continuer à vivre en Suisse, le travail au noir est une alternative pour gagner sa vie et rester. La Suisse lui demande de partir, la personne travaille au noir et reste. Que faut-il changer ? La loi sur le travail ou la loi sur l’asile, je n’ai pas la réponse et je ne peux pas émettre un jugement.

Une personne ayant reçu une réponse négative peut-elle se marier ? Avec un Suisse ou une personne permis B ou C ?

La loi sur le mariage est très compliquée et subtile. Un avocat pourra mieux vous répondre.

Ce que je peux vous en dire c’est qu’en Suisse le mariage est un contrat. Il faut apporter des documents. Le mariage religieux ou coutumier n’est pas reconnu.

Si une personne ayant reçu une réponse négative peut apporter les documents demandés, elle pourra entamer les démarches en vue d’un mariage mais sans garantir d’aboutir. C’est du cas par cas.

Si un homme arrive en Suisse, demande l’asile et à 4 femmes et 30 enfants (j’en connais un) comment la Suisse va traiter son cas ?

En suisse le mariage est autorisé avec une femme et un homme. Les autres sont des amies, des copines qui devront demander l’asile séparément. Les enfants doivent probablement être reconnus légalement par l’homme pour son droit de paternité.

Avez-vous des projets pour améliorer la situation des requérants d’asile dans le canton ?

Nous sommes en réflexion permanentes pour améliorer les choses. Certains changements sont réalisables rapidement, d’autres prennent du temps, d’autres ne sont pas réalisables pour des raisons économiques.

Il faut toujours s’adapter car la population migrante change continuellement. Ça va très vite, parfois on arrive à anticiper, parfois on a un train de retard.

On doit aussi tenir compte des lois qui se votent sur le plan Suisse. Le peuple est souverain.

Muslim Sabah Muhammad Faraj

Membre de la rédaction Neuchâteloise de Voix d’Exils

 

Un exercice difficile

 Notre rédacteur Muslim Sabah Muhammad Faraj est arrivé en Suisse il y a environ 2 ans et demi. Très assidu aux cours de français, il a intégré le programme Voix d’Exils début 2018, apprenant peu à peu les bases du journalisme. Il m’a demandé comme première publication pour le site de faire une interview. C’est  un exercice difficile. Après 1h15 d’interview, et sur la base de notes et d’enregistrements, nous avons essayé de retranscrire au mieux les mots de Monsieur Vincent Schlatter, tout en gardant les mots de Monsieur Muslim Sabah Muhammad Faraj.

Marie-France Bitz

Responsable de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils




Plus de 100’000 sans-papiers sont discrètement exploités en Suisse

Martin Sharman  "So on into life" (CC BY-NC-SA 2.0)

Martin Sharman
« So on into life »
(CC BY-NC-SA 2.0)

Témoignages de cinq femmes sans-papiers employées dans l’économie domestique

Ils viennent d’un peu partout : du Maghreb, d’Asie, d’Amérique du Sud, d’Afrique et même parfois d’Europe. Les sans-papiers sont généralement des femmes, mais il y a aussi des hommes. Certains vivent et travaillent en Suisse depuis de longues années. Voix d’Exils est allé à la rencontre de ces travailleurs et travailleuses de l’ombre exploités par des patrons peu scrupuleux.

Il est ardu de dénombrer les sans papiers car cette population est quasi invisible. Les chiffres avancés par différentes sources varient parfois considérablement entre 90’000 et 300’000. Selon le Centre de Contact Suisses-Immigrés Genève (le CSSI), ils seraient environ 150’000 actuellement. Ils sont généralement actifs dans des emplois peu qualifiés dans les secteurs de l’économie domestique, la construction, le déménagement, l’agriculture, l’hôtellerie et la restauration.

La plupart d’entre eux paient des cotisations AVS. Très discrets, ils endurent des horaires, des conditions de vie et de traitement dignes de l’esclavagisme. Ils supportent en silence le stress d’une vie dans l’ombre, sans certitudes sur l’avenir. Ils sont confrontés à toutes sortes d’abus : exploitation, escroquerie, harcèlement sexuel… Les sans-papiers sont loin de leur famille et, malheureusement, tout cela contribue à dégrader leur santé.

Bien que l’économie suisse ait besoin de ces travailleurs de l’ombre, leur grand problème est la quasi-impossibilité d’obtenir un permis de travail. Pour les ressortissants en dehors de l’Union Européenne, le seul moyen de régulariser leur situation est le mariage.

«Quand sa femme n’était pas là, mon patron posait sa main sur mon épaule et me faisait savoir que je lui plaisais et qu’il voulait aller plus loin…»

Stewart Leiwakabessy  "Narrow" (CC BY-NC-SA 2.0)

Stewart Leiwakabessy
« Narrow »
(CC BY-NC-SA 2.0)

Amal, Algérienne, 34 ans, en Suisse depuis quatorze ans

 «Une dame, dont les parents habitaient à côté de chez moi, en Algérie, m’a vendu un visa pour Frs. 2000.-. Elle a fait une demande au Contrôle des habitants, en prétendant que j’étais une parente et qu’elle m’invitait à passer un mois de vacances chez elle, en Suisse. Elle m’a hébergée quelques jours, puis une copine à elle m’a trouvé du travail.

J’ai été engagée par un couple de Suisses qui avaient deux enfants et une grande maison sur trois étages avec une piscine. Moi, j’avais une chambre à la cave, sans fenêtre. Ma patronne était très sévère et maniaque. Elle contrôlait tout ce que je faisais à la loupe. Je commençais mon travail à six heures du matin en préparant le petit déjeuner de toute la famille. J’aidais les enfants à s’habiller, à manger, je préparais leur cartable et je les emmenais à l’école. Après, je retournais à la maison, je faisais le ménage, je nettoyais les vitres des salles de bains, car ma patronne était très exigeante. Je mettais en marche les machines à laver le linge et la vaisselle, je faisais la liste des choses à acheter et je partais faire les courses. Ensuite, je retournais en courant à la maison, car je devais préparer le repas pour les petits, les chercher à l’école et leur donner à manger. Enfin, je m’accordais une pause pour me nourrir et je reprenais le ménage car la maison était très grande et je devais tout nettoyer. A, 16h00, j’allais chercher les enfants, je leur donnais le goûter et nous partions en promenade. A 18h00, c’était l’heure du bain, puis la préparation du souper pour les enfants. Je les aidais à faire leurs devoirs et les mettais au lit. Mais ma journée de travail n’était pas encore finie. Je rangeais la cuisine, je mangeais et je descendais faire le repassage. Vers 22h00, je pouvais enfin regagner ma chambre et me reposer.

Je travaillais six jours sur sept. Le dimanche, malgré que c’était mon jour de repos, je devais tout ranger et préparer à manger avant de sortir. J’étais jeune et jolie. Quand sa femme n’était pas là, mon patron posait sa main sur mon épaule et me faisait savoir que je lui plaisais et qu’il voulait aller plus loin… Mais moi, je lui répondais que cela ne m’intéressait pas même si j’avais peur de perdre ma place. Mon salaire était de Frs 1200.- par mois. Il était déclaré, sauf que la famille ne déclarait pas toutes mes heures de travail. »

Nick Kenrick, (CC BY-NC-SA 2.0)

Nick Kenrick, (CC BY-NC-SA 2.0)

«On m’a donné un petit coin dans une cave, alors qu’il y avait des pièces non occupées dans la maison»

Ilda, Brésilienne, 27 ans, en Suisse depuis trois ans

«J’ai trois enfants que j’ai laissés au pays. Je suis sans statut légal. Au Brésil, il y a un réseau qui vend des visas. C’est le couple qui m’a engagée qui m’a procuré un visa et l’a payé. Ma patronne m’a fait passer pour sa nièce qu’elle invitait pour des vacances en Suisse. J’ai travaillé dans cette famille brésilienne avec trois enfants. Ils habitaient une grande maison et m’ont donné un petit coin dans une cave, alors qu’il y avait des pièces non occupées. Ma journée commençait à 6h00 du matin par la préparation du petit déjeuner. J’aidais les deux filles de 5 et 8 ans à s’habiller, je leur préparais le goûter, car elles restaient à l’école jusqu’à 16 heures. A 07:30, le bus de l’école privée venait les chercher. Après je m’occupais de la petite dernière, un bébé de 8 mois. Ma journée entière était consacrée aux enfants, à la maison qui comptait douze chambres et trois salles de bains. Le soir, coiffer et sécher les cheveux des filles me prenait beaucoup de temps. Les enfants mangeaient à la cuisine et les parents dans la salle à manger. Après le souper, les parents s’occupaient un peu de leurs enfants pendant que je rangeais, lavais, repassais… Je gagnais 1000 francs déclarés. Sauf que mes patrons ne déclaraient pas l’intégralité des mes heures. J’ai quitté la famille après une année, en espérant trouver de meilleures conditions de travail ailleurs.»

« J’étais maltraitée, mais comme ils m’avaient confisqué mon passeport, j’étais piégée »

.pipi. « window » (CC BY-NC-SA 2.0)

.pipi. « Window » (CC BY-NC-SA 2.0)

Afa, Tunisienne, 35 ans, en Suisse depuis 10 ans

 «Une cousine m’a fait un visa pour la France, elle avait une amie qui habitait en Suisse et elle m’a mis en contact avec elle. Comme je n’avais pas de travail et que je vivais dans une grande précarité, je me suis dit que j’allais tenter ma chance en Suisse. J’avais 25 ans, ça fait dix ans, que je suis là.

J’ai fait des petits boulots à gauche et à droite. Déjà, c’est très difficile de trouver un travail à cause de ma nationalité. Quand j’en trouvais un, c’était toujours très mal payé et les conditions étaient très difficiles. J’ai travaillé pour un couple. Monsieur était Suisse et travaillait dans une banque et Madame était Italienne et travaillait dans une société. Ils avaient trois enfants. Ils me donnaient Frs. 800.- par mois. J’étais ni nourrie, ni logée. Je partageais une chambre avec une autre dame portugaise. Je travaillais 6 jours sur 7 et ils ne me payaient pas le transport. Le matin, j’arrivais à 07:30, je préparais le grand, je l’accompagnais à l’école et je retournais à la maison pour m’occuper des deux petits et du ménage. Je faisais tout le travail de maison. Le mercredi et le samedi, j’allais faire les courses au marché, parce que Monsieur et Madame avaient des goûts de luxe. J’étais maltraitée, mais comme mes patrons m’avaient confisqué mon passeport, j’étais piégée. Parfois, je restais jusqu’à une heure du matin pour garder les enfants, pendant que les parents avaient une invitation. Je suis restée quatre ans dans cette situation, car j’avais peur qu’on me dénonce si jamais je partais. Avec l’argent que je touchais, je pouvais seulement payer mon loyer et mes transports. Je n’avais même pas assez d’argent pour me nourrir, et je ne pouvais pas me soigner. A l’époque il n’y avait pas de service à l’hôpital cantonal qui soigne les sans-papiers gratuitement comme c’est le cas actuellement. Ma vie de sans-papiers est très compliquée. Pour chaque petite chose, je dois demander à un tiers : pour un abonnement de portable, pour le logement… Je ne suis pas libre et ce n’est pas facile de vivre dans ces conditions de précarité. Le seul moyen de régulariser ma situation, c’est le mariage»

«Je me suis trouvée à la rue sans argent après six années de travail»

Fabiana Zonca, Shadow of a woman - the light at the end of the tunnel, (CC BY-NC-SA 2.0)

Fabiana Zonca, « Shadow of a woman – the light at the end of the tunnel », (CC BY-NC-SA 2.0)

Remziya, Turque de 40 ans

Je suis arrivée en Suisse à l’âge de 20 ans. C’est ma cousine qui m a fait un visa touristique pour un mois, mais je ne suis jamais repartie car elle avait besoin de moi pour l’aider à la maison avec ses enfants. Je ne parlais pas un mot de français et je n’avais pas de contact avec l’extérieur. Je suis restée dans cette situation quatorze ans et ma cousine ne m’a jamais rien payé. Elle disait que chez elle j’avais besoin de rien car j’étais nourrie, logée et blanchie.

Ensuite, j’ai travaillé dans une famille suisse, et comme je ne pouvais plus loger chez ma cousine, ils ont pris un appartement à leur nom. Pour la caution, ils prélevaient chaque mois Frs. 50.- en plus du loyer qui était de Frs. 700.-. J’ai travaillé chez eux pendant six ans. Je me suis occupée de leurs quatre enfants. Le couple était froid. Je faisais partie des meubles. Tous les matins, je me réveillais à 05:00. Je me préparais pour allez travailler. Je sortais de chez moi a six heure et je devais changer à trois reprises de bus, car la famille habitait la compagne genevoise. J’arrivais vers 07:30 quand le couple partait au travail. Ils travaillaient les deux dans le secteur bancaire. Je commençais le travail en préparant le petit déjeuner de la grande, et les biberons des trois petits. Les enfants étaient adorables. J’avais toujours un accueil très chaleureux avec des câlins et des bisous. Je m’occupais d’eux jusqu’à dix-huit heures jusqu’à ce que les parents rentrent à la maison. La sixième année, la dame est tombée malade d’un cancer, malheureusement. J’étais très attachée à leurs enfants, mais la vie était devenue impossible, car il y avait beaucoup de violence au sein du couple. Puis, comme l’état de santé de la maman s’était dégradé, je devais alors m’occuper de leurs enfants 24 heures sur 24, 6 jours sur 7. Pendant une année, mon salaire est resté le même de Frs. 1000.- et mon loyer de Frs. 700.- malgré les heures de travail supplémentaires que je faisais. Mais, malheureusement, l’appartement était à leur nom. Ils m’ont alors mise dehors et ils ont pris une jeune fille au-pair canadienne, qu’ils allaient payer seulement Frs. 600.-. Ils m’ont expliqué que, soi-disant, la dame ne travaillait plus et ils n’avaient plus assez d’argent pour me payer. J’avais donné une caution de trois mois de loyer qu’ils ne m’ont jamais remboursé et je me suis retrouvée a la rue, sans argent, après six ans de travail. Les gens ont toujours des astuces pour profiter de la vulnérabilité des sans-papiers.

« Je gagnais 100 francs par mois et pendant des mois je n’ai plus rien reçu »

João Almeida  "Blurry silhouette" (CC BY-NC-SA 2.0)

João Almeida
« Blurry silhouette »
(CC BY-NC-SA 2.0)

 Najat, Marocaine de 40 ans

 Je travaillais pour une dame marocaine comme nounou au Maroc. Cette dame s’est mariée avec un Suisse et elle est venue s’installer à Genève, avec ses enfants. Comme j’étais attachée à ses enfants et que les enfants étaient aussi attachés à moi, un ami de cette dame m’a fait un visa. Je ne sais pas vraiment comment il a réussi à l’avoir. Mon salaire est resté le même : 100 francs par mois et pendant des mois je n’ai plus rien reçu.

Une autre dame marocaine m’a proposé du travail chez elle. Ma journée commençait à six heures du matin au restaurant de la dame. Je devais nettoyer et éplucher les légumes. A dix heures, elle arrivait pour commencer à préparer le menu et vers onze heures je devais me rendre à la maison pour récupérer les enfants et leur préparer à manger. Vers 13:00, je les amenais à l’école, puis je retournais à la maison pour tout nettoyer, ranger et faire le repassage. A 16:00, je devais chercher les enfants à l’école et m’occuper d’eux jusqu’à 18:00. Une jeune fille prenait après la relève et je devais retourner au restaurant pour aider Madame jusqu’à la fermeture. Ensuite, Madame partait avec des amis faire la fête. Quand je rentrais à la maison, la personne qui venait garder les enfants rentrait chez elle et moi, je prenais la relève. Madame rentrait en général à 05:00 du matin avec Monsieur. Elle ne m’a pas payé pendant plusieurs mois en prétextant que son restaurant ne fonctionnait pas bien et comme je ne parlais pas un mot de français et que je dépendais vraiment d’eux, j’acceptais la situation.

Sandra

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos :

Cliquez ici pour accéder à la plate-forme nationale pour les soins médicaux aux sans-papiers




Voix d’Exils N°35

Dossier : Mariage interdit aux sans-papiers et aux déboutés de l’asile

Pour lutter contre l’immigration illégale, le parlement vient de modifier le Code civil; tout étranger souhaitant se marier avec un Suisse devra dorénavant prouver qu’il réside légalement dans le pays. La polémique enfle.

Télécharger le N°35 au complet