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Shaima

Arrachée à la vie par une bombe aveugle

Avez-vous entendu parler de Shaima de la ville de Gaza ?  C’est une femme de 20 ans qui a la beauté du soleil de minuit. Je ne l’ai jamais rencontrée. C’est aussi une femme qui se préparait pour le jour de son mariage qui a été retardé par des bombardements…

Je sais très bien à quoi ressemble une mariée avant son mariage: elle collectionne les roses, flirte avec les oiseaux, choisit des vêtements et boit du café le matin dans des airs de musique. Je suis très bien placé pour le savoir car ma fille se prépare également pour le jour de son mariage et, dans tous ses mouvements, je vois Shaima.

Savez-vous ce qui est arrivé à ce visage d’ange le 16 mai 2021 ? Soit quelques semaines avant son mariage ? Quelques jours avant qu’elle n’obtienne son diplôme en médecine dentaire ? Quelques heures après avoir choisi sa robe blanche de mariée ?

Elle a été écrasée par une bombe larguée sur sa maison par un F-16 ou un F-35.

Je sais qui fabrique ces avions et à qui on les a donnés en cadeau pour tuer Shaima. Son beau fiancé a creusé avec ses ongles pendant deux jours consécutifs, il ne pouvait pas croire qu’elle était partie… Il disait à celles et ceux qui étaient venus l’aider quand ils s’arrêtaient un instant parce qu’ils étaient fatigués : « Shaima m’a promis qu’elle ne me quitterait jamais. Ne vous arrêtez pas : elle doit avoir peur sous les décombres ». Mais, au bout de deux jours, il découvrit une touffe de cheveux maculée de sang. Alors, il essuya la poussière du visage lumineux de son aimée.  Il ne savait peut-être pas qu’elle le voyait, qu’elle entendait ses gémissements et à quel point elle était heureuse qu’il ait passé deux nuits à sa recherche, à soulever les décombres recouverts de poudre à canon… Moi, je le sais.

Ces beaux yeux de Gaza ne me quittent pas chaque fois que je regarde dans les yeux de ma fille. Shaima n’a pas pris sa part de cette vie et son seul péché est qu’elle est la fille d’un peuple opprimé depuis plus de soixante-dix ans.

Wael Afana

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 

Pour aller en savoir plus sur l’histoire tragique de Shaima:

Vidéo accessible ici.

 




Une tempête dans une théière

Illustration: Harith Ekneligoda / rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Ou l’effet de loupe des médias occidentaux

J’ai lu quelque part que la cérémonie de mariage de Syed, le fils du camarade Mikhail Gustrev, milliardaire russe, avec Mlle Khadija Ozaku Faz, avait coûté un milliard de dollars….  Et je me suis demandé combien de bouches affamées ce milliard aurait pu nourrir ! Ma mémoire m’a ensuite ramené aux détails du mariage de l’acteur George Clooney avec la libanaise Amal Alamuddin, ainsi qu’aux dépenses de mon propre mariage avec ma femme…Et j’ai réalisé les amplifications médiatiques dans les médias occidentaux !

Le mariage de George Clooney a eu lieu le 27 septembre 2014, et le mien le 19 septembre. Est-ce que ces quelques petits jours font une grande différence ? La tenue de mariage de George provenait de la boutique de tailleur de George Armani et a coûté 150’000$. Mes vêtements à moi venaient des magasins de prêt-à-porter Frij près du restaurant Shawerma au deuxième carrefour d’Alimen Kiosk pour 150 lires !

La robe d’Amal a été réalisée par Alexander Mc Queen. La robe de ma femme a été conçue et exécutée par la couturière Umm Malik, dans la voie du pont blanc à côté du vendeur de falafels, au premier étage, bâtiment Al Karama.

Il a fallu quatre mois jours et nuits pour coudre la robe d’Amal, alors que quatre heures ont suffi pour coudre parfaitement la robe de ma femme. Quant au lieu de la célébration, je ne vois aucune différence significative entre nos deux mariages ! George et Amal se sont unis au Grand Phoenicia Hotel de Venise, devant une grande foule d’invités. Nous, nous étions rassemblés autour d’une table du restaurant Green Valley sur Al Rabwah Road, parmi une grande foule de personnes affamées !

Pour nos deux célébrités, un concert a été donné par le célèbre chanteur d’opéra Andrea Bochley, un ami proche de George. Alors que, pour nous, c’est un enregistreur posé dans le dernier coin du restaurant qui a fait le travail. M. Clooney avait apporté 125 caisses de champagne de Californie dans son jet privé. Moi, j’ai déplacé toutes les affaires de mon épouse, de sa maison de famille dans notre seule chambre, dans un taxi Dozotto, modèle 1959.

Vraiment, les médias ont fait toute une histoire à partir de rien. Quinze jours après son mariage, une nouvelle urgente annonçait que Clooney avait interrompu sa lune de miel pour assister à la conférence « Comic Can » à New York.  Quant à moi… je jure par Dieu Tout-Puissant que, le matin de ma nuit de noce, à six heures précises, j’ai également interrompu ma lune de miel, qui n’a ainsi duré qu’une quinzaine d’heures, afin de rejoindre mon unité militaire où j’effectuais mon service obligatoire! 

Enfin, les médias n’ont cessé d’annoncer qu’Amal Alamuddin était libanaise et de Baalbek ! Nous sommes honorés, mais qu’est-ce que cela signifie? Ma femme est syrienne du quartier d’Al-Qaymariya et je suis d’Al-Jalloum! J’ai parcouru quotidiennement, pendant tout un mois, la page des « faits divers » des journaux de mon pays, mais je n’ai trouvé aucune référence nous concernant! 

Je pense que le boulot des médias… c’est de faire grand bruit avec des bombes fumigènes…

Avis de non-responsabilité : pour chaque fait mentionné ci-dessus, il y a des témoins loyaux qui sont encore en vie !

Wael Afana

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




Quand deux mains se joignent

Le mariage d’Afkar, membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils. Photo: Anaïs Salson.

Le monde renaît

Elle n’a pas eu peur de la glace qui couvrait les trottoirs de Sierre, ce vendredi 14 janvier. Elle s’est mariée, comme une reine, sur 10 centimètres de talons. Robe de mousse blanche et petite veste façon ocelot. C’était un mariage du temps de COVID, seuls les mariés et leurs témoins étaient acceptés dans la salle de mariage. Une autre y serait allée en baskets, avec un vague colifichet dans les cheveux…Pas elle. 

Afkar, ancienne rédactrice de Voix d’Exils, a toujours partagé avec nous, le cœur ouvert, les difficultés de son parcours en Suisse : l’apprentissage du français, le renoncement à sa vie d’avant, l’éloignement de son pays, le Yémen, les pressions déraisonnables de l’administration pour accélérer son intégration. Nous l’avons vue parfois au bord des larmes et même, allez, nous l’avons vue pleurer tout court.

Ce 14 janvier, elle irradiait au bras de son mari. Les invités l’attendaient sur le trottoir gelé, au bord de la route cantonale. Il y a eu des youyous, des cris de joie, des grappes d’enfants surexcités, sur leur 31, dont un petit coriace de deux ans qui cherchait à partir tout seul à l’aventure. Les absents, éloignés à des milliers de kilomètres, étaient aussi présents, sur l’écran des téléphones portables.

C’était vers 17h, l’heure où les Sierrois quittaient le bureau pour commencer leur week-end… une file ininterrompue de voitures longeait le trottoir. Remarquant cette joie parfaite, insolente, démonstrative, les chauffeurs se sont mis à klaxonner, les uns derrière les autres, pour célébrer aussi. Insolite, dans le rugueux Valais, mais beau : ils faisaient d’Afkar, Yéménite, admise provisoirement en Suisse, une Sierroise. Tout simplement. 

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils




Les violences faites aux Iraniennes

Kristine Kostava / Voix d’Exils

Le suicide, le divorce ou l’exil

Dans la société conservatrice et patriarcale des petites villes et des campagnes iraniennes, les hommes ont quasi tous les droits sur les femmes de leur famille. Ils peuvent se montrer cruels et violents avec leurs épouses, leurs sœurs et leurs filles sans être inquiétés. Zahra, rédactrice iranienne de Voix d’Exils illustre les épreuves vécues par ses compatriotes en partageant une histoire vraie.

« Mon amie Soraya m’a raconté l’histoire épouvantable de son cousin Mohamad*. Né dans une famille riche et puissante, fils aîné d’une fratrie de cinq sœurs et trois frères, Mohamad est un homme brutal qui sait se montrer généreux avec ceux qui lui obéissent et ferment les yeux sur ses exactions.

Âgé de 40 ans, Mohamad s’est marié trois fois. A sa première épouse, Fatima, il a infligé de terribles violences physiques et morales. Après des années de mauvais traitements, épuisée, désespérée, ne voyant pas d’échappatoire, Fatima s’est étranglée avec un long foulard alors qu’elle était enceinte de son deuxième enfant. Lors des nombreux séjours hospitaliers de Fatima pour soigner les blessures infligées par son mari, la mère de Soraya lui a apporté des médicaments, des repas, elle a essayé de la réconforter. Malheureusement, Fatima n’en pouvait plus de sa vie faite d’humiliations et de souffrances. Rien n’a pu la retenir de commettre l’irréparable, pas même le bébé qu’elle portait ou sa petite fille Shilan.

Dans la ville où il habite, tout le monde savait que Mohamad maltraitait sa femme et qu’elle s’était suicidée. Pourtant, il n’a pas été inquiété.

Une fillette détruite

Comme beaucoup d’Iraniens, Mohamad estime que la place des femmes est à la maison. Elles doivent se consacrer aux tâches ménagères, à leur mari et à l’éducation des enfants. Hors des grandes villes, les Iraniennes n’ont pas le droit de quitter leur domicile si elles ne sont pas accompagnées par un homme de la famille, que ce soit leur mari, leur père, ou un frère… La scolarité, le travail et la vie sociale à l’extérieur, sont réservés aux hommes.

Malgré les idées rétrogrades de son père, et grâce à la protection de sa tante maternelle, Shilan a tout de même pu aller à l’école jusqu’à l’âge de onze ans. Après, elle a dû arrêter pour s’occuper de son demi-frère né du second mariage de son père. Après la fin tragique de Fatima, l’histoire va se répéter avec Shilan. Terrorisée par un père qui l’étouffe avec ses interdits et ne lui pardonne rien, la malheureuse s’est suicidée à l’âge de 13 ans en se pendant avec son foulard, comme sa mère avant elle. Le jour de son suicide, Shilan avait été battue par son père car son petit frère, dont elle avait la garde, s’était légèrement blessé la main pendant qu’ils jouaient ensemble.

Des sœurs tyrannisées

Amina, la deuxième femme de Mohamad, a demandé le divorce après cinq ans de mariage. Une décision difficile car elle est partie en laissant son fils avec son père. Mohamad aurait voulu punir cette femme qui préférait l’abandonner, mais il ne l’a pas retenue parce qu’il craignait qu’elle se suicide elle aussi s’il l’obligeait à rester avec lui. Il aurait alors pris le risque que la police se montre un peu plus curieuse que lors des deux précédents suicides et se sente obligée d’intervenir.

Après le départ d’Amina, Mohamad s’est marié une nouvelle fois et a eu trois enfants avec sa troisième femme. Il la maltraite aussi, mais comme elle vient d’un milieu pauvre elle subit et elle se tait. En tout cas pour le moment. Mohamad se montre prudent, il achète son silence et celui de sa belle-famille par des cadeaux et des versements d’argent.

Non content de tyranniser ses épouses et ses filles, Mohamad s’en prend aussi à ses sœurs. Quatre d’entre elles sont mariées, et on pourrait penser que leurs maris les protègent. Mais, comme ils ont très peur de leur beau-frère, ils prennent son parti et insistent pour que leurs épouses lui obéisse quelles que soient ses exigences.

Choisir l’exil ou mourir

Marjane, sa sœur célibataire, est la seule qui a osé lui résister. Avec le soutien de ses parents, elle avait terminé des études de comptabilité et avait un travail intéressant à la municipalité de sa ville avant de devoir prendre le chemin de l’exil. Elle aussi avait supporté pendant des années les reproches et les sarcasmes de son grand frère. A partir de l’âge de 16 ans, elle avait même fait plusieurs tentatives de suicide, heureusement sans succès.

Dernièrement, Mohamad avait carrément menacé de la tuer si elle ne se mariait pas au plus tard cet automne avec un homme âgé qu’il avait lui-même choisi et qui avait déjà quatre femmes.

Ne pouvant plus supporter les pressions et les menaces, sachant que ses parents ne pourraient pas la protéger plus longtemps, Marjane a pris la décision de quitter son pays. Elle a d’abord donné son congé à la municipalité, puis, lors de son dernier jour de travail, elle a mis le feu à son foulard. Avec l’argent versé par son employeur, elle est partie en juin dernier et a demandé l’asile en Allemagne.

Malgré les milliers de kilomètres qu’elle a mis entre son frère et elle, elle a toujours peur qu’il la retrouve et la tue. »

Zahra Ahmadyan

Membre de la rédaction vaudoise de voix d’Exils

*Tous les prénoms ont été modifiés

 




Ainsi l’obscurité se dissipe

Kristine Kostava / Voix d’Exils.

 Entre réalité et fiction

Notre rédacteur Rachid Boukhamis vous propose dans cette nouvelle de découvrir le fabuleux destin de Bilal, l’enfant orphelin.

Suite à un glissement de terrain de son village natal, situé dans le gouvernorat de Mila en Algérie, Bilal perdit ses deux parents et devint orphelin à l’âge de trois ans. Ce fût sa grand-mère paternelle qui le recueillit alors qu’elle avait cinquante-cinq ans. Par pitié pour lui, elle le laissa faire ce qu’il voulait. Ainsi, il quitta l’école à un âge précoce et erra dans la rue avec ses pairs. Il fréquenta des tanières où il apprit tous les arts de la perversion et des dérives sociales. Les voisins commencèrent à se plaindre de son comportement imprudent et l’appelèrent « le méchant ». Sa grand-mère le défendit par tous les moyens ; elle haussa la voix jusqu’à en venir aux mains.

Bilal, l’enfant orphelin, tendit d’abord la main aux cigarettes, après quoi il devint accro à tout ce qui lui faisait perdre la raison. Menaçant sa grand-mère par divers moyens, il obtenait tout ce qu’il voulait. Il rêvait de voyager en Europe afin de profiter de tout ce qui lui était interdit dans son pays conservateur. Il voulait être loin des yeux de ses proches et des lois coutumières qui condamnaient son comportement hors du commun et contraire à la loi de la communauté musulmane.

 

En route pour la France

Bilal connaissait Mona, une jeune française d’origine algérienne qui venait passer ses vacances d’été dans l’une des villes proche de la côte. Leur relation évolua vers un accord de mariage. À l’annonce des fiançailles, la famille de Mona dénonça cette décision rapide et lui conseilla de revenir en arrière avant qu’il ne soit trop tard. Mais Mona était déterminée à se marier le plus rapidement possible. Elle s’imagina qu’elle était tombée sur une occasion en or comme on n’en trouve jamais sur terre, et qu’elle devait la saisir avant qu’il ne soit trop tard.

En France, Bilal trouva la liberté totale dont il avait tant rêvé durant sa jeunesse et il se souvint des privations qui lui avaient été imposées dans son pays d’origine. Ainsi, il changea de disque et laissa se déchaîner ses refoulements enfantins. Il partit nager dans ses fantasmes et commença à passer le plus clair de son temps avec des mauvais compagnons dans une atmosphère pleine de gaieté. Il oublia le devoir pour lequel il avait migré, laissant derrière lui sa vieille grand-mère seule pleurant leur séparation, et oubliant aussi sa femme qui avait fait de lui un être humain.

Les soupçons commencèrent à s’infiltrer dans le nid conjugal. Comme un coup de foudre, la nouvelle tomba sur la mère de Mona qui rassembla ses forces et rassura sa fille. Petit à petit, elle réussit à convaincre son gendre de s’asseoir avec un psychiatre qui par la suite lui proposa des activités pour occuper son temps libre. De son côté, la belle-mère n’avait pas baissé les bras et avait conservé un lien fort avec son gendre en lui accordant beaucoup d’attention et de bienveillance. Ainsi, il commença à rester à l’écart des mauvais compagnons jusqu’à ce qu’il en soit complètement coupé.

 

Un nouveau départ

Quelques jours plus tard, il obtint un poste dans une usine de voitures de tourisme en tant qu’agent de sécurité de nuit. Conformément au règlement interne de l’entreprise, il s’abstint de fumer, puis il arrêta de boire de l’alcool et de consommer de la drogue. Avec l’aide de sa femme qui contribua avec ce qu’elle pouvait, ils ouvrirent un garage de lavage de voiture. Ainsi, il découvrit, le secret du bonheur et la beauté de la vie au travail.

Un jour, alors que Bilal tournait les pages de son livre, il se souvint de sa grand-mère qui l’avait élevé et défendu dans toutes les situations. Il se résolut à lui rendre visite avec sa femme et ses deux filles qui n’avaient vu leur grand-mère que sur les photos que leur maman avait gardées depuis le jour de son mariage.

Oh, comme la surprise fut agréable quand il frappa à sa porte, qu’elle sortit en s’appuyant sur sa canne et que ses deux petites-filles la saluèrent. Sa langue fut nouée d’étonnement lorsque Bilal se précipita vers elle et la serra dans ses bras, en pleurant avec des larmes de joie !

 

Rachid Boukhamis

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils