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Le courage: la marque des femmes du monde entier

Harith Ekneligoda / Rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Rencontre avec une militante des droits de l’homme

A quoi ressemblerait la vie et les relations humaines si tous les terriens parlaient la même langue? C’est ce à quoi je pense souvent depuis mon arrivée en Suisse. Parce que devoir apprendre une nouvelle langue encore et encore fait de nous, à chaque fois, des nouveau-nés.

A quoi ressemble la vie en Suisse, où des personnes de toutes langues, religions, ethnies, nationalités et genres, venant de presque tous les pays du monde, vivent ensemble en tant que réfugiés?

L’intégration nous demande de nous habituer à une nouvelle vie; ce message, injecté chaque seconde dans notre cerveau, n’est facile pour aucun d’entre nous, avec nos corps déracinés. Lorsque je voyage en train de Sierre, où je vis, jusqu’à Ardon, où nous sommes nombreux à nous rendre au Centre de formation du Botza, il m’est possible de lire le visage de chaque réfugié et de comprendre son histoire.

Nous sommes une armée de réfugiés tombés de partout pour diverses raisons, qui avons laissé notre vie derrière nous et sommes venus en Suisse. Le matin, nous nous réveillons pour la nouvelle journée, prenons la route et, le soir, nous retournons aux adresses qu’ont nous a attribuées.

Entre nous, il est très naturel d’établir un contact visuel, de se dire «bonjour  »ou de sourire chaleureusement. En peu de temps, nous devenons familiers avec des dizaines de personnes. Malgré les blessures à peines refermées que nous portons sur nos épaules, nous cherchons le contact.

Une lauréate du prix de la femme de courage

C’est ainsi que j’ai rencontré une femme sri-lankaise qui rendait visite en Suisse à ses deux fils. En 2017, elle a reçu le Prix international de la femme de courage « International Women of Courage Award » des mains de Melania Trump, l’épouse de l’ancien Président américain Donald Trump, et de Thomas A. Shannon Jr., le sous-secrétaire d’État aux Affaires politiques.

Elle s’appelle Sandya Ekneligoda. Cette femme travaille toutes ses douleurs comme de la dentelle depuis des années, malgré tous les obstacles. Sa vie ressemble à celle de nombreuses femmes en Turquie-Kurdistan du Nord, la terre d’où je viens, qui ont perdu des proches et qui sont à leur recherche. Le mari de Sandya, Prageeth Ranjan Bandara Ekneligoda, était un caricaturiste dissident et n’a plus donné signe de vie après avoir quitté le bureau du site Lankae-News, le 24 janvier 2010. 

Le lendemain, Sandya s’est rendue au poste de police avec la personne qui déposait son mari à la maison tous les soirs. Tout d’abord, on a refusé de l’entendre puis, devant son insistance, on a finalement enregistré la disparition de son mari. Des agents du Département des enquêtes criminelles sont venus l’interroger. Ces interrogatoires et enquêtes ont intensifié la suspicion autour du gouvernement sri-lankais de l’époque et du gouvernement actuel.

Lorsque le mari de Sandya a disparu, ses deux fils avait alors 15 et 12 ans. En luttant avec la force qui lui venait de ses enfants, elle a presque à elle seule changé les choses au Sri Lanka. Puis la première superpuissance mondiale l’a reconnue et lui a décerné le prix de la femme de courage.

Une détermination totale

Sans relâche, Sandya continue de rechercher son mari comme « militante combattante pour la justice » au Sri Lanka même si, jusqu’à maintenant, elle n’a trouvé aucune trace de lui et que ses deux fils ont dû se réfugier en Suisse.

Sandya fait entendre sa voix devant les tribunaux, dans des réunions, des manifestations, malgré les menaces, le harcèlement, l’intimidation et même les violences physiques. Le 25 janvier 2016, elle a reçu une gifle de la part d’un religieux, Galagodaaththe Gnanasara Thero, au palais de justice homogama. Son agresseur a reçu une peine dissuasive ridicule de 3’000 roupies pour menace et violence et de 1’500 pour intimidation, pour un total de 30 dollars américains.

Sandya participe à chaque manifestation du « Janvier Noir » afin de lutter contre les meurtres, les disparitions en détention, la répression forcée et violente, les incendies criminels et toutes sortes de violences contre des journalistes, des travailleurs des médias et des dissidents au Sri Lanka. À l’occasion du 12ème anniversaire de la disparition de son mari, elle a fait un vœu devant la déesse hindoue Kali, se rasant les cheveux. Elle est déterminée à être une épine constante dans le flanc de ceux qui ont assassiné son mari, de ceux qui veulent la faire disparaître et de l’État qui ne rend pas la justice.

Quand elle parle de son mari, Sandya a les yeux qui sourient. Tout son corps parle : « Même s’ils disent qu’il est mort, je vis dans l’espoir qu’il est vivant. Je n’ai pas le temps de verser des larmes, sinon je vais perdre la force de continuer à chercher. Je veux que ses meurtriers soient punis mais je refuse la peine de mort ».

Madame Sandya est sri-lankaise et je suis kurde. Notre langue, notre religion, notre nationalité, notre danse, notre chant, nos traditions, nos vêtements, notre art et notre culture sont différents; mais cela ne met pas de distance entre nous car nous partageons un même esprit intellectuel et la même parole d’égalité, de liberté et de science. Afin d’améliorer la vie future, nous pouvons nous rencontrer et lutter ensemble contre les meurtriers et les pilleurs du monde.

Nürten Kirmizigül

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




La chirurgie esthétique fait des ravages chez les jeunes Iraniennes

Photo: Sarah Rogers / The Daily Beast.

Faut-il tant souffrir pour être « belle » ?

Si le recours à la chirurgie esthétique est un phénomène quasi planétaire, il a pris dans la communauté kurde d’Iran des proportions renversantes. Chaque famille compte une ou plusieurs femmes – plus rarement un homme – qui a eu recours au bistouri. Le prix à payer est lourd, puisqu’à l’endettement s’ajoutent trop souvent des résultats calamiteux: conséquence directe de l’inexpérience de médecins qui, appâtés par le profit, s’autoproclament « plasticiens ». Notre rédactrice Zahra, elle-même Kurde iranienne, s’insurge contre cette obsession féminine d’être belle et s’interroge sur ses origines.

« Dans mon entourage, j’ai plusieurs amies qui ont eu recours à la chirurgie. Personnellement, je trouve bizarre cette volonté de modifier son visage, quitte à s’infliger beaucoup de souffrances et de déceptions… Je pense que les femmes de mon pays sont mal informées sur les problèmes qui peuvent survenir quand l’intervention a été faite par des chirurgiens davantage hommes d’affaires que praticiens expérimentés.

C’est une question d’éducation, les femmes manquent trop souvent de confiance en elles et croient qu’en changeant d’apparence, elles vont plus facilement plaire et trouver un mari.

Je pense aussi que ce surinvestissement du visage est une réaction à l’obligation qui leur est faite de porter le hijab. Puisqu’elles doivent cacher leurs cheveux, elles investissent davantage dans leur visage et veulent qu’il soit « parfait ». Il est dans la nature humaine d’attirer l’attention et de séduire par son corps, sa peau ou ses cheveux. D’ailleurs, il n’y a pas que les femmes qui se font opérer, certains hommes se laissent aussi tenter. C’est vrai qu’ils sont largement moins nombreux !

Tue-moi, mais fais-moi belle ! (Expression iranienne)

Pour beaucoup de Kurdes iraniennes, Il faut idéalement avoir un petit nez retroussé comme une poupée, des lèvres pulpeuses, des pommettes saillantes, des yeux étirés et des fossettes dans les joues. Et qu’importe la douleur, si le résultat est à la hauteur de leurs espérances !

Pour autant, les célibataires qui ont subi des interventions de chirurgie plastique ne sont pas forcément respectées et courtisées par les hommes. Tous ne sont pas sensibles aux charmes des « femmes poupées » et au maquillage sophistiqué qu’arborent beaucoup d’entre elles. Elles sont même la cible de critiques virulentes ou – pire encore – sont considérées comme des prostituées.

Pour illustrer les dégâts occasionnés par les interventions faites par de mauvais chirurgiens, je vais vous raconter les mésaventures de deux amies restées au pays. Et je vais aussi vous raconter l’expérience vécue par une troisième amie exilée en Suisse qui a rencontré un homme à la musculature bizarrement développée.

Farzaneh, 29 ans, divorcée, un master en comptabilité

Farzaneh est ma meilleure amie. C’est une femme instruite qui a été mariée pendant 7 ans avant de divorcer. Comme elle a obtenu son master en comptabilité juste avant de se marier, elle n’a jamais travaillé. Comme beaucoup de femmes kurdes, elle est brune aux yeux noirs. Elle a un joli visage, c’est une femme équilibrée mais qui manque de confiance en elle. Un jour, son petit ami qui ne l’avait jamais vue démaquillée et non coiffée, l’a visitée à l’improviste. Il était très étonné de voir qu’elle avait des cheveux frisés et que, sans maquillage, elle n’était pas aussi jolie qu’il le croyait…

Dernièrement, Farzaneh m’a envoyé un message pour me dire qu’elle était très inquiète. Suite à une intervention chirurgicale destinée à accentuer ses pommettes, elle a eu le visage complètement déformé. Elle m’a envoyé une photo horrible, sur laquelle elle est carrément méconnaissable. La moitié de son visage est tellement gonflé que l’on ne voit plus son œil…

Depuis son divorce, mon amie vit à nouveau chez ses parents et elle est très inquiète à l’idée que son père – qui n’est au courant de rien – découvre le désastre. Elle essaie de cacher son visage tant bien que mal et évite de le croiser. « Si mon père apprend que j’ai fait de la chirurgie, il me tuera ! », m’a-t-elle confié.

Au vu du résultat catastrophique, Farzaneh est retournée chez son chirurgien esthétique pour qu’il lui enlève le gel qu’il avait injecté dans ses pommettes. Maintenant, il faudra patienter quelque temps avant de savoir si cette deuxième intervention lui permettra de retrouver un visage normal. Une chose est sûre, elle regrette d’avoir voulu s’embellir artificiellement, alors qu’en réalité l’intervention lui a ravagé le visage.

Haniyeh, 30 ans, célibataire, professeure d’anglais

Mon amie Haniyeh vit encore chez ses parents et travaille comme professeure d’anglais dans une école privée. Elle, c’est son nez, pourtant parfaitement normal, qu’elle a fait modifier. Pour le moment, sur les photos qu’elle m’a envoyées, on ne voit qu’une zone couverte de pansements, avec autour des chairs gonflées et violacées… Elle doit attendre pour découvrir si le résultat de l’intervention est à la hauteur de ses attentes et de la petite fortune qu’elle a dépensé.

A trente ans, Haniyeh est encore célibataire, ce qui est assez courant chez les femmes qui ont un haut niveau d’instruction. Bien qu’elle gagne correctement sa vie et ne paie pas de loyer, elle a dû vendre la voiture qu’elle avait achetée à crédit et qu’elle n’avait pas encore finit de rembourser pour payer l’intervention chirurgicale. Quelle folie ! J’espère pour elle que ce gros investissement financier la rende heureuse et peut-être lui permette de trouver un mari.

Leila, 30 ans, célibataire, comptable

Leila est une amie Kurde iranienne émigrée en Suisse qui surfe sur les réseaux sociaux pour se trouver un amoureux. Elle m’a raconté sa dernière encontre avec un homme plutôt bizarre… Après quelques jours de conversation en ligne, ils décident de se rencontrer. Il va la chercher en voiture à la gare de Neuchâtel et ils font une balade romantique au bord du lac. Il l’invite à manger une pizza sur une terrasse et en le regardant de plus près mon amie trouve que ses bras, ses épaules, sa poitrine sont bizarres. Elle lui demande pourquoi le haut de son corps est tellement développé alors que le reste du corps est normal… Il lui explique qu’il s’est fait des piqûres de testostérone pour paraître plus viril. En fait, Leila n’était pas convaincue et a même trouvé le résultat assez moche. Elle lui a fait savoir qu’elle ne voulait pas avoir une relation amoureuse avec lui. Comme il voulait connaître la raison de son désintérêt, elle a été honnête et lui a confié qu’elle n’était pas attirée par lui, et qu’elle trouvait sa musculature bizarre et qu’elle ne voulait pas d’un homme qui pense attirer les filles par son physique. De toute façon, mon amie n’aime pas les hommes objets.

Vive le naturel !

J’aimerais – sans trop y croire – que les femmes de mon pays apprennent à accepter leur corps et leur visage tels qu’ils sont au naturel. En Suisse, il me semble que les femmes sont moins intéressées par les interventions esthétiques et beaucoup plus naturelles dans leur façon de se maquiller. Personnellement, je pense que les femmes peuvent charmer et séduire autrement qu’en misant tout sur leur physique. Et si elles cultivaient par exemple, leur esprit d’indépendance, leur intelligence, leur humour… ?

Zahra

Membre de la rédaction vaudoise de voix d’Exils




La lutte de ma famille

Photo: rédaction valaisanne de Voix d’Exils.

Ou comment les soucis de procédure d’asile peuvent peser sur la vie de famille

La famille est un mot précieux et lourd de sens. C’est une expérience de vie, peut-être différente d’un contexte à un autre, mais c’est avant tout une chaîne qui traverse les générations, chacun laissant au passage les traces de sa propre existence. S’il n’y a pas de famille, la vie s’arrête ; sans famille, nous disparaîtrions aussi simplement que, jadis, les dinosaures. Nous devons donc respecter les nécessités d’une famille.

Allons droit au but: je suis Erythréenne, je vis en Suisse, mariée à un compatriote selon les lois locales depuis deux ans. De notre union est née la petite Maria, âgée de 2 ans. Mon mari dispose d’un droit de séjour depuis plusieurs années alors que mon statut personnel est toujours incertain. Depuis longtemps, la peur du renvoi et de la séparation fait partie intégrante de notre vie quotidienne. Ma fille Maria est « amoureuse » de son papa, et jalouse au point qu’elle ne me laisse même pas m’asseoir près de lui. Nous nous rencontrons seulement quand elle a faim ou quand je change ses couches. Je trouve cela très étonnant.

Dernièrement, notre « homme », mari et papa, qui cherche activement un travail, est parti en montagne pour trois petits jours de stage pratique dans un restaurant. Notre famille a ainsi vécu, à toute petite échelle, sa première séparation et ses premières souffrances. Dès le premier soir, Maria, pleine de tristesse, a refusé son repas. Le lendemain fut encore plus difficile : prostrée devant la porte dans l’attente de son héros, elle a pleuré et fait une forte fièvre au point qu’il m’a fallu aller en consultation car, à vue d’œil, elle perdait du poids. Ressentant la douleur de ma fille, j’ai aussi pleuré. Et j’ai réfléchi : si en trois jours notre douleur a été aussi forte, qu’en est-il de toutes les familles qui sont séparées depuis des années? Qu’en est-il de ceux qui constituent une famille sans même se connaître ? Il y a des enfants qui naissent et grandissent loin de leurs pères.

J’aimerais dire un grand Merci à la Suisse. Vous nous avez sauvés de l’enfer. Vous nous avez donné la vraie vie et nous avons appris le sens de l’être humain. De grâce, ne nous séparez pas.

Kokob Mehbratu

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils