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« Notre rôle est de mettre l’être humain et ses compétences au centre de la discussion »

Francine Kalume, cheffe de l’équipe des conseillers en emploi de l’EVAM.

Le groupe emploi est une structure de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM), composée de plusieurs conseillers en emploi, qui dispensent des cours de formation et qui soutiennent les requérants d’asile dans leur réinsertion professionnelle en Suisse. La population des requérants d’asile est très hétérogène et comprend à la fois des personnes qualifiées et non qualifiées, des personnes scolarisées et non scolarisées, des hommes, des femmes, des jeunes et des vieux, ce qui pose de nombreux défis. Voix d’Exils est allé à la rencontre de Francine Kalume – cheffe de l’équipe des conseillers en emploi – pour creuser cette question centrale qu’est l’insertion professionnelle. Interview.

Voix d’Exils : Pourquoi lorsqu’un requérant d’asile arrive en Suisse, il doit attendre trois mois avant de pouvoir commencer à chercher un emploi ?

Francine Kalume : C’est une disposition légale inscrite depuis la troisième révision de la loi sur l’asile de 1990. Le requérant d’asile en procédure est alors interdit de travailler les premiers mois de son séjour en Suisse. L’EVAM ne choisit et ne crée pas les lois, il les applique.

Quels sont les obstacles que rencontre un requérant d’asile dans sa quête d’un emploi ?

Les principaux obstacles sont les suivants: il y a des obstacles qui sont liés au contexte économique et politique ; alors que d’autres sont liés à la trajectoire personnelle du requérant d’asile. Les freins à l’emploi sont souvent enchevêtrés et il est difficile d’isoler les difficultés hors de leur contexte.

Concernant la trajectoire personnelle du requérant d’asile, le manque de connaissances en langue française pose des difficultés. On peut trouver un travail en ne parlant pas très bien le français, mais c’est exceptionnel. Dans la majorité des cas, l’employeur demande à son employé de comprendre et de pouvoir s’exprimer en français, car lors d’activités de production, où le temps est soumis à l’impératif du rendement, l’employeur a ni l’envie ni le temps d’expliquer trois fois les mêmes choses à son employé.

Maintenant, au niveau du contexte politique et économique, les requérants d’asile souffrent de discrimination à l’embauche. C’est un phénomène difficile à observer, car c’est rarement explicite ; mais ça m’est arrivé de le constater. La crise économique joue aussi un rôle. Par exemple, en 2010, la situation n’était pas la même que maintenant, ce qui a causé la perte de l’emploi de plusieurs requérants d’asile. Il y a aussi les exigences du marché du travail. Par exemple, l’émergence de nouvelles technologies fait que les employeurs exigent davantage de compétences techniques, dont bon nombre de requérants d’asile n’ont pas la maîtrise. Par exemple, dans le secteur de la mécanique industrielle, il faut savoir faire fonctionner des machines à commandes numériques. Il devient dès lors nécessaire d’avoir une certaine aisance dans l’utilisation des nouvelles technologies.

Un autre aspect est le contexte de professionnalisation de plus en plus poussé. Pour accéder à presque n’importe quel emploi, vous devez attester de vos compétences grâce à des diplômes ou des certificats. Ce phénomène traverse toute l’Europe. Or, le problème est, qu’en règle générale, les requérants d’asile n’ont pas pris leurs diplômes avec eux car ils doivent souvent fuir leur pays d’origine dans l’urgence et ensuite ils ont de la peine à les récupérer. A cela s’ajoute que leurs diplômes ne sont souvent pas reconnus en Suisse, les systèmes de formation étant très différents d’un pays à l’autre.

Enfin, pour certaines personnes, il y a le manque de compétences transversales appelées aussi les « soft skills » . Les « soft skills » sont par exemple : savoir organiser son travail, montrer une attitude adéquate, montrer qu’on a envie d’apprendre, poser des questions, aller jusqu’au bout du travail demandé, faire face aux imprévus etc.

C’est donc souvent le cumul de ces facteurs qui rend l’insertion professionnelle difficile; et le statut du requérant d’asile devient une difficulté supplémentaire à surmonter. Dans ce cas-là, le permis devient un obstacle. En règle générale, s’intégrer dans le monde professionnel prend du temps. Il faut avoir de la persévérance et oser se remettre en question. Les compétences ne s’acquièrent pas du jour au lendemain.

Un module de la formation consacrée aux techniques de recherche d’emploi du groupe emploi de l’EVAM.

Quelles mesures avez-vous mis en place pour aider les requérants d’asile à surmonter les difficultés que vous décrivez?

On oriente les jeunes dans des mesures éducatives lorsqu’ils en ont besoin. Il y a des gens qui ne savent pas quel métier choisir, on va donc les aider à s’orienter. Il y a également des personnes qui veulent faire un apprentissage, donc on va faire un bilan d’aptitude.

Certains requérants d’asile ont besoin d’une qualification de base dans un métier. On les oriente alors vers des formations externes à l’EVAM, telle que celle dispensée par la Croix Rouge dans le secteur de la santé.

Pour les personnes qui ont aucune expérience professionnelle en Suisse, on organise des stages. Nous avons organisé l’an dernier 84 stages et, en 2012, à la fin du mois d’août, 93. Ces stages leur permettent de se former, de faire l’expérience du marché du travail, de se faire connaître et d’élargir leur réseau.

En cas de situation médicale difficile, il nous arrive aussi parfois de coordonner notre action avec des médecins et des assistants sociaux. Pour ceux qui ont besoin de se remettre dans une activité (par exemple suite à une longue période sans emploi) on peut les placer dans une mesure de type « entreprise sociale d’insertion ». Ce sont des entreprises qui offrent des activités à des personnes soit qui sont exclues du marché du travail, soit qui ont besoin pour un temps de se remettre dans un rythme avec une activité productive.

Vos stratégies portent-t-elles des fruits?

Oui, on a actuellement des gens qui ont trouvé un emploi et qui travaillent. Par exemple, il y avait une femme qui était à l’écart du marché de l’emploi pendant dix ans. On lui a proposé d’étudier la langue française. Elle a donc effectué un stage organisé par le conseiller, qui l’a ensuite inscrite aux cours dispensés par la Croix Rouge pour suivre une formation d’auxiliaire de santé. Le conseiller a également préparé avec elle son dossier de candidature ainsi que les entretiens pour le recrutement. Pour finir, elle a réussi à obtenir un poste fixe dans un EMS. Le processus a duré deux ans et demi. Malheureusement, on a aussi des gens qui se découragent et qui abandonnent sans aller jusqu’au bout. C’est dommage.

Selon vous, quels sont les secteurs qui embauchent le plus ?

Cela dépend du niveau de scolarisation de la personne. De par le fait que la majorité des personnes qui recourent à nos services ont un niveau de scolarisation relativement bas, on les envoie dans les secteurs de la santé, du nettoyage, de la construction et de l’hôtellerie.

Est-ce que certains employeurs ont des préjugés à l’égard de la population des requérants d’asile?

Lors d’entretiens que l’on mène avec des employeurs dans le cadre d’activités dites de « prospection », il arrive que le conseiller en emploi doive faire face à des représentations négatives, mais également parfois aussi positives. Ces représentations peuvent poser des problèmes, car elles biaisent le regard que porte l’employeur sur le travail réel du requérant d’asile. Le rôle des conseillers est de remettre l’humain ainsi que les compétences professionnelles du requérant d’asile au centre de la discussion. Lorsque la discussion porte à parler de « nous » d’ici et de « eux » là-bas : on est déjà dans des schémas préconçus et on ne parle plus de l’activité et du travail de l’employé. Parfois, il arrive aussi de nous retrouver dans des cas où l’employeur effectue un déplacement, car l’expérience qu’il a avec son nouveau stagiaire requérant d’asile ne colle pas du tout avec l’image qu’il s’était construite à travers les médias notamment. Les préjugés sont un terrain très glissant. Notre rôle est de les éviter et de mettre l’être humain au centre de la discussion, sa recherche d’emploi, ses compétences et ses acquis.

Connaissez-vous un patron qui a embauché un requérant d’asile et qui est très satisfait de lui ?

On ne garde pas toujours des contacts avec les requérants d’asile qui ont trouvé un travail fixe. Ils n’ont plus vraiment besoin de nous. Mais j’ai en mémoire Madame C, qui est en EMS depuis le mois de janvier, ou Monsieur G, qui a effectué un stage en hôpital et qui va travailler comme aide de bloc opératoire. Je pense aussi à cet apprenti assistant dentaire dont son employeur est très satisfait. Il y a également un Monsieur qui m’a appelé l’autre jour pour me dire qu’il a été engagé comme caissier dans un magasin.

Qu’est-ce que vous aimeriez dire aux employeurs ?

J’aimerais les inciter à capitaliser sur le long terme. C’est-à-dire de laisser la chance et le temps aux requérants d’asile de se former et de miser sur l’acquisition de compétences sur le long terme. En même temps, j’ai conscience qu’ils ont aussi des contraintes et que ce n’est pas toujours évident.

Propos recueillis par :

Hochardan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Perspectives post-formation au Botza: entre espoirs et désillusions des requérants d’asile

Dramane k en train de souder. Photo: CDM

Animés par l’envie se prendre en charge, de nombreux requérants d’asile se forment au centre valaisan de formation le Botza. Mais, au final, ils se heurtent à des difficultés d’accès au marché du travail entraînant souvent chez eux incompréhension et déceptions ; ce que tente de dissiper, sans relâche, le personnel des foyers d’accueil.

Courbé sur une machine, lunettes de soudeur sur les yeux, Dramane k* a l’air bien concentré. « La moindre erreur de découpage des barres de fer risque de compromettre les marches d’escaliers métalliques que je fabrique », lance-t-il. Cela fait plus de huit mois que ce requérant d’asile d’origine africaine est en formation en serrurerie au Botza, centre valaisan de formation pour requérants d’asile. L’homme, d’une vingtaine d’années, accorde beaucoup d’importance à cet apprentissage car « j’espère vivement que l’attestation que je recevrai à la fin me permettra de trouver facilement un emploi et de gagner ma vie » confie-t-il.

Cette phrase semble ne pas faire l’unanimité parmi ses camarades d’atelier. « Il faut arrêter de rêver, les attestations du Botza ne sont pas reconnues par les entreprises. J’ai beaucoup d’amis qui sont passés par ici. Ils sont tous à la maison aujourd’hui », réplique le requérant d’asile Babel F*. Notre enquête nous a permis de rencontrer Lawal W*., requérant africain qui a suivi, neuf mois durant, une formation en peinture dans ce centre. « Depuis un an que j’ai fini mon apprentissage, je cherche en vain du boulot. Je suis réduit à cueillir occasionnellement de la vigne. Une activité qui n’a rien à voir avec la peinture que j’ai apprise. Ça fait mal de rester à ne rien faire alors qu’on a l’envie de travailler ». Ces propos mitigés, mêlant espoir et désillusion résume l’état d’âme de nombreux requérants qui s’interrogent sur l’opportunité que leur offrent les formations qu’ils reçoivent au Botza. A en croire leurs propos, cette interrogation s’accompagne souvent d’une dose de déception. « On ne comprend pas pourquoi on nous forme si on ne peut pas trouver du travail avec nos attestations », déclare Babel F., l’air visiblement dépité.

« Ça fait mal de rester à rien faire »

Pour Roger Fontannaz, directeur du Botza,« C’est une erreur d’assimiler l’attestation de fin de formation que nous délivrons à des diplômes reconnus par les entreprises à l’embauche ». « Nos formations », explique-t-il, « ont pour objectif d’occuper les requérants en les mettant à l’abri des effets pervers de l’inactivité. Elles visent aussi à leur permettre d’organiser leur vie en fonction de l’issue de leur demande d’asile ». Selon lui, les connaissances dispensées visent à éviter à ceux qui n’obtiendront pas l’asile de retourner dans leur pays sans aucune capacité, mais au contraire avec des connaissances qu’ils pourront développer pour vivre chez eux en travaillant pour se réinsérer. Quant à ceux qui auront l’asile, cela leur permettra une meilleure adaptation au marché suisse de l’emploi.

C’est d’ailleurs le cas de l’Irakien, Rafik D.* qui, au bénéfice d’un permis F, a pu décrocher son premier emploi d’aide-cuisinier grâce à la formation reçue au Botza. « Ce travail se déroulait en montagne et il fallait avoir, au préalable, des connaissances en cuisine », se rappelle-t-il. « J’ai pu convaincre mon employeur grâce à l’attestation que j’ai eue après mes douze mois de formation ».

Il faut souligner que la législation reste l’un des obstacles majeurs qui empêche les requérants d’asile d’accéder aisément au marché du travail. L’emploi des détenteurs de permis N (autorisation provisoire de séjour pour requérants d’asile, ndlr) étant géré par le Service des populations et des migrations, la pratique a montré que les requérants sont plus souvent autorisés à travailler en montagne qu’en plaine. Très souvent, il y a peu de possibilités de décrocher son premier emploi sans passer par le secteur de l’agriculture ou des activités ayant trait avec la montagne.

« Les requérants refusent d’accepter la réalité »

Jusque-là, le Botza dispense aux requérants une panoplie de formations allant des métiers du bâtiment à la restauration en passant par la maçonnerie, la menuiserie et la peinture. Des cours de couture, de coiffure, de langue française, d’informatique et même d’initiation au métier de journaliste y sont également disponibles. Loin de s’arrêter là, le centre envisage de diversifier davantage ses offres avec un programme d’agriculture – précisément l’horticulture – qui sera mis en route d’ici quelques mois.

Mais en même temps, il importe de prendre des mesures pour éviter aux requérants d’asile des désillusions sur les perspectives après leur formation. « Nos collègues qui administrent les foyers d’accueil ne cessent et ne cesseront de répéter aux requérants la faiblesse des possibilités d’accès au marché de l’emploi avec un permis N », déclare Roger Fontannaz. Et de conclure : « La vérité, c’est que les requérants croient tellement à un futur en Suisse qu’ils refusent d’accepter la réalité qu’on a beau leur expliquer. Néanmoins, leur faire accepter cela est l’un des défis que tente de relever au quotidien tout le personnel travaillant dans l’asile. C’est un travail de longue haleine ».

Constant Couadjio et CDM

Membres de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

*Noms d’emprunt