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L’exil d’un soldat déserteur syrien

Illustration: L. B. / voix d’Exils

Il a choisi de fuir son pays pour ne pas assassiner son peuple

Issam* est réfugié syrien né en 1992 qui a trouvé l’asile en Suisse. Il a raconté à Doaa Sheikh Al Balad, membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils, l’histoire de sa désertion du service militaire en 2011 et les horreurs qu’il a rencontrées sur le chemin de la migration.

Issam a commencé son service militaire obligatoire en 2011, soit deux mois avant le début de la guerre en Syrie. Il a été témoin de plusieurs massacres à Deraa, mais il n’y a pas participé car il ne voulait pas ôter la vie de quelqu’un et se retrouver par la suite impliqué dans des actes criminels. C’est la raison pour laquelle il a décidé de fuir son pays la Syrie. Il a donc demandé un congé de son service militaire et s’est rendu chez lui à Qamichli, sa ville natale, où il a passé deux jours. Au cours de ces deux jours, son père a contacté un passeur pour aider son fils à sortir du pays. Le lendemain, au soir, Issam a voyagé avec deux autres jeunes hommes – déserteurs comme lui – accompagnés du passeur dans un petit village frontalier. Cependant, comme il s’agissait d’un village kurde, il leur a été demandé de se porter volontaires dans les forces armées kurdes. Mais Issam a refusé et s’est enfui immédiatement avec ses camarades.

Fuite de Syrie

Issam et ses compagnons ont quitté le village frontalier avec le passeur et se sont dirigés vers le Tigre au milieu de la nuit où ils sont montés à bord d’un petit bateau que le passeur avait affrété.

Malheureusement, alors qu’ils avançaient le long de la rivière, ils ont été poursuivis par un groupe armé kurde d’Irak. Ils ont été la cible de plusieurs tirs de balles et de grenades aveuglantes. Pendant cette fusillade, l’un des soldats en fuite a été touché à la tête. Lorsqu’ils ont finalement atteint l’extrémité opposée du fleuve dans la région du Kurdistan irakien, le passeur s’est enfui, après minuit, laissant Issam et son ami seuls avec le soldat blessé.

Issam et son compagnon ont alors transporté leur camarade blessé et ont marché pendant plusieurs heures dans les montagnes sans savoir s’ils se dirigeaient dans la bonne direction ou non. Après plusieurs heures de marche, ils ont commencé à crier pour que quelqu’un entende leur voix et leur vienne en aide. Puis ils ont vu, de loin, une lumière qui avançait vers eux: c’était un membre des forces peshmergas qui leur faisait signe. Une voiture de ces forces s’est alors précipitée pour transporter le blessé. Tous sont montés dans la voiture en direction d’un hôpital, mais le jeune homme est malheureusement décédé peu avant leur arrivée.

Issam et son compagnon ont passé toute la nuit à l’hôpital. Le lendemain matin, des officiers ont ouvert une enquête pour connaître les circonstances et le déroulement de la fusillade de la veille. L’enquête s’est poursuivie pendant trois jours. Après cela, ils ont été libérés à la condition de ne pas quitter la ville tant que l’affaire n’était pas terminée.

Ils ont passé les trois premiers jours de deuil avec les proches du défunt, après quoi Issam et son ami sont allés chercher un abri. Issam a trouvé une opportunité de travailler dans une usine de plastique dans laquelle il dormait également. Il y a travaillé durant deux mois. Durant cette période, la police l’a également emmené sur les lieux de la fusillade afin de connaître les détails de ce qui s’était passé sur les bords du Tigre. Après cela, il a déménagé dans la ville de Dohuk pour obtenir un permis de séjour qui lui permettrait de rester et de se déplacer entre les zones kurdes irakiennes. Issam a ensuite déménagé après deux mois dans la ville d’Erbil où il a travaillé comme serveur pendant un an.

Par la suite, Issam a pu travailler dans une entreprise d’équipements électriques de 2014 à 2017. Au cours de ces années, il a contribué à l’envoi de matériel et de denrées alimentaires dans les zones kurdes syriennes assiégées par Daech via le point de passage de Faysh Khabur. Il a ensuite travaillé dans un restaurant jusqu’en 2019 et, pendant cette période, il a tenté par divers moyens d’obtenir un passeport syrien afin de pouvoir se déplacer entre les villes irakiennes, mais en vain car les lois syriennes ne lui permettaient pas d’obtenir un passeport pour voyager en raison de sa désertion du service militaire.

L’asile en Europe

L’exil d’Issam vers l’Europe a commencé en 2020, lorsqu’il a décidé de mettre fin à son travail à Erbil. Son père a alors contacté un autre passeur qui a demandé à Issam de se rendre dans la ville de Zakho afin qu’ils se dirigent ensemble vers la Turquie. Ce voyage clandestin a duré cinq heures. Ils ont ensuite pris une voiture en direction d’Istanbul mais, en route, Issam s’est fait volé son argent par les autres membres du réseau du passeur.

A Istanbul, Issam a contacté un autre passeur et il a pu séjourner chez ce dernier pendant plusieurs jours. Durant cette période, il a fait plusieurs tentatives pour se rendre en Grèce.

Le passeur a finalement conduit Issam et un autre groupe de personnes exilées jusqu’à la frontière gréco-turque. Lorsqu’ils y sont arrivés, ils ont été contraints de parcourir une trentaine de kilomètres à pieds, car le déploiement de la police grecque sur toute la frontière rendait l’utilisation des voitures difficile. Malgré cela, ils ont réussi à atteindre leur objectif et ont pu tous se rendre à Athènes.

Malheureusement, une patrouille de la police grecque les a arrêtés dès leur arrivée à Athènes. L’ensemble du groupe a alors été reconduit vers la partie turque de la frontière gréco-turque. Tous ont été alors emprisonnés pendant une semaine. Mais Issam n’a pas perdu espoir et n’a pas abandonné l’idée de se rendre à nouveau en Grèce. Il a alors fait plusieurs autres tentatives pour rejoindre la Grèce, mais toutes ont échoué.

Toutefois, lors d’une ultime tentative, Issam a rencontré à son arrivée à la frontière gréco-turque un groupe de jeunes hommes qui, comme lui, voulaient se rendre en Grèce. Ensemble, ils ont marché pendant 11 jours vers Thessalonique, jusqu’à ce qu’ils atteignent une ferme près de la ville depuis laquelle ils ont pris un bus en direction d’Athènes.

Arrivés dans le quartier d’Omónia, le groupe a contacté des Syriens et a loué un appartement par l’intermédiaire du passeur où ils sont restés plusieurs jours jusqu’à ce qu’on leur fournisse de faux passeports. L’affaire a été couronnée de succès et ils ont pu obtenir les papiers tant attendus. Issam s’est alors envolé directement de la Grèce vers la Suisse, où sa demande d’asile politique a été acceptée un mois après son arrivée dans le pays.

Issam: nom d’emprunt

Doaa Sheikh Al Balad

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Qui vole le pétrole du Kurdistan irakien ?

Photo : auteur Aso Ali, photographe irakien. Photo prise à Kalar, 2005. Photo primée en novembre 2012 au Kurdistan, Heartland Alliance.

Photo : auteur Aso Ali, photographe irakien. Photo prise à Kalar, 2005. Photo primée en novembre 2012 au Kurdistan, Heartland Alliance.

De la fumée pour les habitants, le pétrole pour les dirigeants !

Les difficultés de la vie quotidienne au Kurdistan irakien sont nombreuses. Par exemple les habitants doivent courir derrière les camions citerne quand arrive l’été pour se procurer du pétrole afin de se chauffer durant l’hiver. Si on ne parvient pas à en trouver en été, on risque de mourir de froid ou alors de devoir l’acheter à un prix exorbitant.

En 2016, le gouvernement kurde n’a pas livré une goutte de pétrole à la population bien qu’il ait encaissé l’argent que les gens avaient versé pour l’obtenir. Et sur le marché libre, le prix du pétrole est monté à 110 dollars le baril. Les gens n’ont pas pu l’acheter à un tel prix notamment parce que les salaires n’ont été versés que partiellement par le gouvernement. En raison de cette situation, chaque jour des gens risquent de mourir de froid comme ce fut le cas en janvier 2017 où, dans la ville de Sulaymainia, plusieurs personnes ont péri. J’écris ça parce que j’ai grandi avec les maux de mon pays ayant vécu à Sulaymania où habite encore une partie de ma famille.

Le Kurdistan Irakien regorge de pétrole

Et pourtant, le Kurdistan irakien est très riche en ressources naturelles : le pétrole et le gaz. Pour les seules villes d’Erbil, Dhok et Sulaymania on compte une réserve de plus de 45 milliards de barils de pétrole. A quoi s’ajoutent les champs de Kirkuk, d’Hamrin, de Bay Hasan et de Xanaqine qui sont revendiqués par l’Irak et le Kurdistan irakien. Après l’arrivée de Daech en Irak, cette région a été dirigée par le Kurdistan irakien. Elle contient à elle seule une réserve de 25 milliards de barils. Pour comprendre ce que ce chiffre signifie, on peut rappeler qu’en Irak, de 1934 à aujourd’hui, on a extrait 9 milliards de barils. Par ailleurs, dans les villes d’Erbil, de Dhok et de Sulaymania on a 5,7 billions de m3 de gaz naturel soit les 3% de la réserve mondiale.

La mainmise de la famille Barzani

Malgré ces immenses ressources, la population n’obtient pas de pétrole pour le chauffage, car le pays est dirigé, depuis 26 ans, par la famille Barzani qui est un vrai cauchemar pour la population qu’elle prive des richesses naturelles du pays. Cette famille dirige un parti politique (le PDK) qui détient, de notoriété publique, une fortune énorme, ce qui fait de lui le parti le plus riche du monde. « Si vous ne marchez pas avec les autorités, il est impossible de faire du business » comme l’affirme Niazy Brahim ingénieur et homme d’affaires d’Erbil. Il est seul à décider de tout ce qui touche à l’exploitation du pétrole et du gaz. Ainsi il a signé un contrat d’une durée de 50 ans avec la Turquie pour le transport et la vente de pétrole, sans consulter aucun des autres partis politiques. Depuis les 26 ans qu’elle est au pouvoir, elle n’est toujours pas rassasiée par les richesses du pays qu’elle s’approprie. Et en plus, elle est en train de vendre le pays. Comme on peut le lire dans un rapport publié sur Wikileaks qui révèle que Ashti Hawrami, ministre des ressources naturelles du Kurdistan irakien, en date du 19 mars 2016, a envoyé un e-mail à Birat Bairaqdar ministre de l’énergie et des ressources naturelles de Turquie pour lui proposer la vente de quelques champs de pétrole pour 5 milliards de dollars. On peut vraiment dire que le pétrole est un cadeau empoisonné pour les habitants du Kurdistan irakien. Pour moi il y a encore un espoir. Comment rendre propre mon pays ? L’unique solution c’est la révolution.

Un billet de

Revan Noori

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils




Une génération sacrifiée au Kurdistan irakien

Auteur: Rawa Ali

Auteur: Rawa Ali

Si durant l’enfance on doit vivre comme un adulte, comment vivra-t-on quand on sera adulte ?

Au Kurdistan irakien et en Irak, les luttes entre les différents partis politiques s’aggravent jour après jour. L’attention de tous les journaux et des chaînes de télévision au Kurdistan irakien est focalisée sur la guerre, sur les affaires financières et politiques. Chacun donne sa version des faits et propose sa vision du futur sans penser que c’est la nouvelle génération qui édifiera l’avenir.

Hélas on a tendance à l’oublier sous la pression des événements. La situation des enfants est cachée sous le tapis aussi bien dans les journaux, sur les sites et à la télévision. On ignore le sort qui est réservé aux enfants qui ont perdu tous leurs droits et qui sont traités comme des adultes.

Anéantir l’esprit critique

Une des causes de cette catastrophe humanitaire est que beaucoup d’enfants vivent dans des zones occupées par des groupes fondamentalistes (Daech) qui terrorisent la population kurde et irakienne. L’autre cause est l’application par le régime du Kurdistan irakien de mesures qui visent à affamer sa population. Son but est d’anéantir son esprit critique pour continuer à la dominer. Les enfants ne sont pas scolarisés car ils doivent travailler pour gagner de quoi vivre, comme on le voit sur cette photo ci-dessus prise par mon frère à Solaymania où deux fillettes en uniforme de l’école vendent des chewing-gums dans la rue. Quand on agit sans penser aux risques pour l’avenir, c’est le futur des prochaines générations qui s’annonce très sombre. Si la situation reste la même, on prépare une génération d’analphabètes qui fera reculer toute la population de cent ans dans le passé. Notre avenir ne sera pas meilleur que maintenant, car aujourd’hui déjà le pays est dirigé par des gens incultes qui ont eu pour seuls maîtres d’autres anciens dictateurs. De plus, ils ferment les yeux sur les conséquences qu’ont eues les anciennes dictatures comme celle de Saddam Hussein et ne veulent pas voir les conséquences auxquelles aboutira leur propre dictature.

« J’ai mieux à faire ! »

Le 21 décembre 2014, j’étais comme journaliste sur le territoire de Chengal, (une région revendiquée par l’Irak et le Kurdistan irakien) pour la couverture médiatique de la guerre entre les Pechmergas (combattants kurdes) et Daech. C’était le soir. J’avais dormi dans la voiture. Au matin, en ouvrant les yeux, j’ai vu un tout jeune berger qui portait un fusil à l’épaule presque de la même taille que lui. Je l’ai pris en photo, puis je suis allé vers lui et je l’ai salué. Il m’a répondu et je lui ai demandé ce qu’il faisait là. Il m’a dit : « Je suis berger ». Je lui ai alors demandé : « Tu ne vas pas à l’école ? » Il m’a répondu : « Non, laisse tomber j’ai mieux à faire ! Est-ce que vous connaissez ces Pechmargas là-bas ? Vous pouvez leur demander qu’ils me donnent des munitions pour mon fusil ? »

La demande de ce garçon m’a fait beaucoup réfléchir au fait que, au Kurdistan irakien, nous n’avons pas seulement raté le passé et le présent mais que nous sommes également en train de rater l’avenir.

Revan Noori

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils