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Flash Infos #71

Illustration: Kristine Kostava / Voix d’Exils.

Sous la loupe : deux fois plus de morts en Méditerranée / Appel à une réforme de Schengen-Dublin / L’enfer des centres de détention en Libye

Augmentation du nombre de migrant·e·s mort·e·s en mer

Le Monde, le 14 juillet 2021

Le nombre de noyades de personnes migrantes se dirigeant vers l’Europe a doublé cette année, notamment via la Méditerranée considérée comme la route la plus dangereuse. Le nombre de leurs bateaux interceptés a également augmenté, leurs occupant·e·s sont souvent renvoyé·e·s en Libye et soumis·e·s à des arrestations, extorsions et tortures après leur débarquement. L’Organisation internationale pour les migrations (l’OIM) a appelé les pays à prendre des mesures urgentes et à laisser travailler les organisations de recherche et de sauvetage, dont les navires sont bloqués dans les ports européens en raison de confiscations administratives et de poursuites pénales visant les membres d’équipage.

 

Système Schengen-Dublin : Karin Keller-Sutter veut réformer

RTS, le 15 juillet 2021

Karin Keller-Sutter a appelé à une réforme du système Schengen-Dublin lors d’une rencontre avec les ministres européens de la justice et des affaires intérieures. Pour elle, la situation de l’immigration est à nouveau tendue. La ministre suisse de la justice a rappelé que le nombre de demandeurs et demandeuses d’asile augmente. De plus, après la crise sanitaire, il faut selon elle s’attendre à des mouvements migratoires importants.

Pour Karin Keller-Suter, il y a urgence à trouver un accord sur le fond de la réforme. Depuis 2015, aucune amélioration importante n’aurait été apportée. « L’heure est au compromis et aux solutions concrètes. », a-t-elle déclaré. Selon elle, il faut éviter de relancer une situation comme en 2015. Le but commun devrait être d’établir « un système d’asile solide et crédible ». Cependant, la conseillère fédérale voit deux blocs qui s’opposent : les États méditerranéens souhaitant une solution globale, tandis que d’autres pays s’emparent de la question de manière « pragmatique » en étudiant chaque mesure spécifique. Elle-même s’aligne sur la seconde option.

 

Une pétition met en lumière l’enfer libyen

Le Matin, le 16 juillet 2021

Amnesty International suisse a lancé une pétition appelant à la libération de trois adolescents de 15, 16 et 19 ans arrêtés pour détournement d’un navire par les autorités maltaises. Suite au naufrage de leur bateau en Méditerranée, les trois adolescents ont été secourus par un pétrolier. Lorsqu’ils ont appris qu’ils retournaient en Libye,  ils ont négocié et obtenu du capitaine du navire qu’il les dépose à Malte. Aujourd’hui. ils font face à des accusations de plusieurs crimes, dont celui de terrorisme, et attendent leur procès depuis deux ans et demi. Ils ont été autorisés à quitter Malte sous caution.

La pétition met en lumière la situation inhumaine en Libye avec des violations des droits humains dans des centres de détention arbitraire. Amnesty reproche également aux pays européens de s’entendre avec les garde-côtes libyens qui interceptent ces personnes pour les renvoyer dans cet enfer.

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils




PWG booste les compétences féminines

Liza Brenda Sekaggya.

« Notre objectif est l’acquisition par les femmes des capacités de leadership »

Liza Sekaggya est co-fondatrice de Phenomenal Women Organisation, une ONG basée en Suisse et en Ouganda. Lors de cette interview menée par notre rédactrice Marie-Cécile Inarukundo, elle présente les différents projets et actions mises en œuvre par son organisation pour que les femmes africaines, les migrantes et les laissées pour compte puissent trouver leur place dans la vie professionnelle et s’épanouir dans leur vie personnelle. 

The english version of the interview is available at the end of the article

Quelle nécessité vous a poussée à fonder cette organisation  ?

J’ai lancé le concept de Phenomenal Women avec quelques autres femmes parce que nous pensions qu’il était nécessaire pour celles d’origine africaine, pour les migrantes et toutes celles qui ne bénéficient pas des mêmes privilèges que les Européennes, de se serrer les coudes pour promouvoir leur vie professionnelle et personnelle ici en Suisse. Alors, en 2018, nous avons organisé une première conférence à Genève. Nous avons mis en avant la solidarité et le soutien mutuel comme moyens d’atteindre le succès professionnel et personnel. S’en sont suivies 4 autres conférences en Ouganda, au Zimbabwe, en Afrique du Sud et à Boston, où nous avons aujourd’hui des points focaux chargés d’exécuter le mandat de notre organisation.

Quand l’organisation a-t-elle commencé et combien de femmes exactement sont à la base de sa création ?

Notre organisation a été officiellement enregistrée en 2019, mais déjà en 2018 le concept était né. Nous avons environ 100 membres, et au niveau du leadership nous comptons 3 membres exécutifs ici en Suisse et une équipe de 5 en Ouganda où nous sommes également enregistrées.

Comment l’idée a-t-elle émergé ? Peut-on avancer que les fondatrices ont eu à gérer les mêmes problèmes ?

Oui, vous avez parfaitement raison. De mon expérience personnelle, comme Human Rights Officer basée à Genève, il m’a été très difficile d’évoluer en termes de carrière aussi rapidement que les Européennes. On peut se retrouver au même poste pendant des années, parfois parce que notre ethnie et notre genre nous empêchent de profiter des mêmes opportunités que les autres. Ou encore, de potentiels employeurs répondent à notre manifestation d’intérêt en nous proposant un poste pour lequel on est surqualifiées. Pour les postes en lien avec nos compétences, il est très frustrant de se voir recalées. Je partage cette expérience avec nombre d’autres femmes pour lesquelles la promotion professionnelle à des postes de responsabilité est quasi impossible, ou celles pour qui le marché du travail est carrément fermé.

Dans ce contexte précis, comment expliquez-vous la présence de votre organisation sur le continent africain ? Est-elle judicieuse ?

Notre présence en Afrique est encore plus nécessaire, car même si elles ne font pas l’objet de racisme, les femmes y ont d’autres défis à relever en matière d’emploi et de carrière. Des défis liés à la violence basée sur le genre, défis liés à aux usages culturels qui peuvent les empêcher d’aller à l’école ou de terminer leurs études, les forcer au mariage précoce, etc. Comme les défis peuvent varier d’un endroit à un autre, les objectifs des conférences que nous animons en Afrique sont différents. Mais dans tous les cas de figure, notre objectif est l’acquisition par les femmes des capacités de leadership. Nous désirons qu’elles soient outillées pour avancer, être autonomes et indépendantes où qu’elles soient. Nous avons également réalisé que partout dans le monde, les femmes avaient à relever pratiquement les mêmes défis liés à la violence et à la ségrégation basées sur le genre.

L’implantation de l’organisation en Suisse a naturellement découlé du fait que vous vivez ici, n’est-ce pas ? Qu’en est-il de son expansion ? De quoi s’est-elle inspirée ?

Notre expansion s’est inspirée des intérêts des unes et des autres parmi nos membres, ainsi que de l’importance de la diaspora féminine là où nous sommes présentes. D’abord, l’Ouganda étant mon pays d’origine, c’est tout naturellement qu’il a été le deuxième pays d’implantation et d’enregistrement. Mon réseau de contacts dans l’économie, la finance et l’administration du pays nous a facilité la tâche. A Boston, nous avons tenu compte de l’immense communauté de femmes africaines et de la présence d’une grande université. Quant au Zimbabwe et à Londres, nous y sommes présentes car j’y ai travaillé.

Quelle est la stratégie pour atteindre les femmes qui ont besoin de votre appui dans des pays comme la Suisse, l’Angleterre ou les USA ?

Notre première stratégie consiste en une Conférence annuelle qui se tient en septembre, mais qui a été annulée en raison du Covid-19 en 2020. Nous avons également une liste de distribution – la mailing list – qui est régulièrement mise à jour et informe sur nos activités. Nous utilisons également les médias sociaux et les webinaires, soit les séminaires sur le web. Nous avons organisé 10 webinaires sur les finances, la santé mentale, ainsi que sur d’autres sujets d’intérêt pour notre population cible. Et nous projetons en 2021 de lancer un programme de mentorat qui donnera lieu à des séances en face à face selon les besoins de nos membres qui pourront profiter de l’accompagnement par nos intervenantes.

Certaines des personnes que vous ciblez sont des migrantes ou des femmes défavorisées vivant dans des conditions difficiles malgré leurs capacités et aptitudes pour être actives sur le marché du travail, et qui gagneraient à bénéficier de votre appui pour sortir du marasme dans lequel elles se trouvent. Quelque chose sera-t-il fait ou est-il fait pour les atteindre ?

Je dois reconnaître que nous ne pouvons pas atteindre tout le monde. Mais nous croyons à l’impact que peuvent avoir sur les autres l’histoire et le parcours personnels par exemple d’une migrante qui a pu s’en sortir et lancer son business ou trouver du travail. Nous comptons ouvrir en 2021 un Centre pour Femmes pour lequel nous devons réunir l’argent nécessaire à son financement. Il servira de centre de formation, d’accompagnement et de mentorat. Ce sera aussi une plateforme de partage, car beaucoup de nos membres travaillent avec des organisations internationales et nous les appelons à partager leurs histoires de réussites, donner quelques conseils, ou même donner aux participantes l’opportunité de faire des rencontres professionnelles intéressantes. J’en connais qui ont lancé leur propre business après s’être rencontrées à l’une de nos conférences, d’autres ont trouvé du travail après avoir été présentées, d’autres encore ont décroché un rendez-vous. Je pense qu’il appartient aux femmes d’être proactives.

Votre Centre, sera-t-il accessible à votre population cible qui a des difficultés financières ?

Notre projet n’étant pas à but lucratif, nous allons tenir compte des conditions de notre groupe cible et appliquer un tarif léger pour pouvoir payer le loyer, l’entretien des locaux, les conférenciers et conférencières, ainsi que les formateurs et formatrices. Mais les formations et autres activités seront gratuites.

Étant moi-même issue de la migration, je suis bien placée pour savoir que certaines femmes qui sont en Suisse avec leurs diplômes et certifications pourraient être intéressées mais se trouvent dans l’incapacité financière d’intégrer votre projet. Pensez-vous qu’il sera possible de les accueillir gratuitement?

Oui, cette option peut être considérée si par ailleurs nous comptons suffisamment de femmes qui sont en position de payer. Nous avons l’intention de collaborer avec les organisations travaillant avec les migrantes.

Ma dernière question concerne votre réseau. Êtes-vous en partenariat avec les associations de femmes ici en Suisse, les institutions œuvrant avec les femmes et la migration ?

Oui, nous venons de lancer des contacts avec celles qui travaillent avec les réfugiées et les migrantes, nous sommes en contacts avec le Canton de Genève, plus précisément le département en charge de la cohésion sociale et de la solidarité, nous travaillons ensemble sur un documentaire sur le racisme qui doit sortir en 2021. Nous essayons également de mettre en place des partenariats avec les organisations qui fournissent des espaces de coworking ainsi que celles qui s’occupent des migrant.e.s. Et certains partenariats vont appuyer notre Centre pour Femmes, afin de pouvoir encadrer les femmes au mieux. Si par exemple nous ne sommes pas en mesure de prodiguer une formation, nous pourrons passer le relai pour qu’une organisation partenaire puisse la prendre en charge.

Propos recueillis et traduits de l’anglais vers le français par:

Marie-Cécile INARUKUNDO

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

The interview of Liza Sekaggya in english is below:

Pour aller plus loin:

Retrouvez PWG sur son site internet: PhenomenalWomenGlobal.com, ou sur ses réseaux sociaux:  facebook, LinkedIn, Twitter




Revue de presse #33

La revue de presse, la nouvelle rubrique de Voix d’Exils. Auteur; Damon / Voix d’Exils.

Sous la loupe : baisse sans précédent des flux migratoires dans les pays de l’OCDE / Suisse : entre 145’000 et 420’000 francs pour obtenir un Permis B / Grèce : une clôture de 27 KM pour renforcer la frontière avec la Turquie / États-Unis : 545 enfants migrants toujours sans parents

Baisse sans précédent des flux migratoires dans les pays de l’OCDE

RTS info, le 19 octobre 2020

Alors que le nombre de personnes migrantes permanentes est resté stable en 2018 et 2019 (environ 5,3 millions par an), le nombre de nouveaux permis délivrés a baissé de 46% au premier semestre 2020, a souligné Jean-Christophe Dumont, chef de la division migrations internationales de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE). Au deuxième trimestre, la baisse a même atteint 72% par rapport à la même période de l’année précédente : en Suisse 31%, en Allemagne 57% et en Autriche 40%.

Compte tenu de la fermeture des frontières en raison de la pandémie du COVID-19 qui a engendré une perturbation des mobilités internationales pendant plusieurs mois, cette baisse sans précédent est qualifiée de « sans surprise ». Elle pourrait néanmoins être partiellement compensée au deuxième semestre, estime le rapport de l’organisation publié le lundi 19 octobre 2020.

Par ailleurs, alors qu’en 2019 plus des deux tiers des personnes migrantes avaient un emploi, les conséquences économiques de la pandémie du COVID-19 pourraient faire reculer les progrès réalisés pour leur intégration sur le marché du travail, estime également l’OCDE. En 2019, Les travailleurs et travailleuses migrant.e.s représentaient en moyenne un quart du personnel médical dans la zone OCDE qui regroupe une quarantaine de pays développés. En Suisse, c’est même près de la moitié. Les secteurs des transports, du nettoyage, de l’industrie alimentaire et des services informatiques sont également concernés.

Suisse : entre 145’000 et 420’000 francs pour obtenir un Permis B

RTS, le 25 octobre 2020

Les cantons suisses peuvent accorder des permis de résidence à des personnes migrantes non européennes, s’ils jugent les rentrées fiscales intéressantes. Depuis 2008, selon une enquête de l’émission de la Radio Télévision Suisse (RTS) Mise au Point, 653 personnes ont bénéficié de cette dérogation à la loi sur les étrangers. Ces grandes fortunes s’installent en négociant un forfait fiscal annuel qui varie beaucoup d’un canton à l’autre. La majorité des bénéficiaires sont des Russes avec environ 30% des permis de résidence accordés. Les Turcs, les Chinois, les Ukrainiens et les citoyens des pays du Golfe sont aussi friands de cette possibilité offerte par la Suisse.

En outre, depuis l’arrivée de la pandémie du COVID-19, afin d’échapper à l’épidémie ou aux infrastructures de santé défaillantes de leur pays, des millionnaires du monde entier contactent des cabinets de consultants pour acheter des permis de résidence en Suisse souligne l’émission.

Néanmoins, les conditions pour déroger à la règle sont strictes. Au-delà des montants financiers révélés par Mise au Point, le bénéficiaire doit habiter au moins six mois par an en Suisse. Il doit également renoncer à exercer une activité lucrative. En revanche, grâce au permis B, il peut circuler librement dans tout l’espace Schengen. Selon les montants planchers transmis à la rédaction de Mise au Point par les cantons romands, c’est dans le Jura que le forfait fiscal, et donc le permis B, revient le moins cher. Pour une personne migrante non européenne célibataire, il faut payer minimum 146’816 francs d’impôts. Suivent Neuchâtel (190’000.-), Fribourg (209’000.-) puis le Valais (287’882.-). Genève et Vaud sont les cantons qui exigent le plus avec respectivement 312’522 francs et 415’000 francs d’impôts à payer. Malgré cela, Genève est le canton qui a délivré le plus de permis B aux fortunés extra-européens depuis 2015 (58). Vaud (24) et le Valais (16) complète le podium.

 

Grèce : une clôture de 27 km pour renforcer la frontière avec la Turquie

Infomigrants, le 16 octobre 2020

Annoncée en août dernier par le gouvernement grec, la construction d’une nouvelle clôture le long de la frontière avec la Turquie a débuté le 15 octobre 2020, rapporte le quotidien grec Kathimerini. Après l’arrivée massive de migrants en Grèce en février et mars, Athènes avait annoncé qu’elle étendrait la barrière de ciment et de barbelés située à sa frontière avec la Turquie, l’objectif étant d’empêcher les migrants de pénétrer dans le pays.

Pour un coût total de 62,9 millions d’euros, la clôture mesurera 27 kilomètres et huit postes d’observation situés en hauteur seront construits et utilisés par l’armée. Endommagée en 2015, la barrière actuelle sera également renforcée grâce à un garde-corps en acier qui mesurera 4,3 mètres de haut, soit près d’un mètre supplémentaire.

 

États-Unis : 545 enfants migrants toujours sans parents

lematin.ch, le 21 octobre 2020

Séparés de leurs enfants après avoir illégalement franchi la frontière des États-Unis, les parents de 545 enfants n’ont pas pu être localisés a indiqué le 20 octobre 2020 la puissante association American Civil Liberties Union (ACLU) œuvrant pour la défense des droits humains. « Via notre action en justice, nous avons informé le tribunal que les parents de 545 enfants sont toujours manquants », a indiqué l’association sur son compte Twitter. Selon un document judiciaire publié par la chaîne CNN, les deux-tiers de ces parents manquants ont probablement été expulsés.

Afin de lutter contre l’immigration clandestine, une politique de « zéro tolérance » avait été instaurée par le Président américain Donald Trump. Conformément à cette politique, les États-Unis ont commencé à séparer les enfants de leurs parents en mai 2018, provoquant une vague d’indignation dans le pays et à l’étranger. Après six semaines de mise en œuvre de la politique, l’administration avait toutefois renoncé à cette pratique, sauf si les parents présentaient « un risque » pour leurs enfants. En outre, une décision de justice datant de 2018 oblige le gouvernement américain à faire le nécessaire pour réunir ces familles.

Masar Hoti / Voix d’Exils




« Je ne regrette aucunement mon retour au bercail »

L'aide au retour pour les requérants d'asile en SuisseAprès cinq années passées en Europe dont deux en Suisse, Emmanuel C. s’est finalement décidé à rentrer dans son pays d’origine, le Nigéria. De retour parmi les siens depuis le 11 janvier 2011, l’ex-requérant d’asile débouté affirme sans ambages s’y plaire et projette même de célébrer au plus vite ses noces, en attendant de lancer sa propre entreprise. Rencontre avec un homme qui « ne regrette aucunement sa décision de rentrer au bercail ». Son choix de rentrer a coïncidé avec la reprise par la Suisse des renvois sous la contrainte à destination du Nigéria, le 19 janvier dernier.

Voix d’Exils : Comment s’est déroulé votre voyage à destination du Nigéria ?

Emmanuel C. : Mon retour au Nigéria s’est bien passé. J’ai quitté la Suisse le 10 janvier dernier en compagnie d’un autre Nigérian inscrit au programme du retour volontaire. Arrivé à l’aéroport international de Lagos, nous avons été accueillis à notre descente d’avion par un agent de l’OIM (Office international des migrations). Il m’a réservé une chambre dans un hôtel de Lagos, où j’ai passé ma première nuit, avant de mettre le cap le lendemain sur mon Etat d’origine, Imo State, situé à environ 450 Km de Lagos, capitale économique du Nigéria.

Comment s’est passé la rencontre avec votre famille?

C’est ma sœur qui est venue m’accueillir à l’aéroport d’Imo State.  Elle était hyper contente de me revoir. Quand nous sommes rentrés à la maison, toute ma famille a explosé de joie. C’est ma mère qui était la plus comblée de retrouver enfin son fils unique. J’ai tellement reporté mon retour qu’en fin de compte, elle n’y croyait plus vraiment.

Qu’est- ce qui vous a motivé à prendre la décision de rentrer au Nigéria?

La toute première raison est que j’ai pris conscience que ça ne sert à rien de vouloir à tout prix rester quelque part où l’on ne veut pas de toi. Les autorités helvétiques ne sont pas entrées en matière sur ma demande d’asile. J’ai passé en tout cinq ans en Europe. J’ai fait l’Autriche et l’Espagne avant de débarquer en Suisse. Et je puis vous dire que mon séjour européen n’a été nullement aisé. J’ai traversé pas mal de choses. Les deux dernières années en Suisse ont été les plus difficiles. J’y ai même fait de la prison. J’ai donc finalement réalisé que je n’avais plus de perspective en Suisse et que le mieux était de retourner au pays où des êtres qui m’aiment m’attendent avec impatience.

La deuxième raison, directement liée à la première, est que je devais réorienter ma vie et arrêter de faire souffrir ceux que j’aime et qui m’aiment aussi. Ma mère, pour qui je suis l’unique garçon, ne cessait de pleurer au motif qu’elle voulait me voir avant ses derniers jours. Contrairement à ceux qui cachent leur condition de vie en Occident et font miroiter à leur famille restée au pays que tout va bien, moi j’ai joué franc jeu avec la mienne. Ma famille savait la vérité sur ma situation en Suisse. Elle savait que j’étais un requérant débouté et que je ne vivais que de l’aide sociale. Compte tenu de la situation dramatique dans laquelle je vivais, ma mère avait coutume de me dire que si je ne savais pas où j’allais, je devais savoir au moins d’où je venais. Face aux différents reports de mon retour, elle avait perdu patience et prit finalement la résolution de ne plus répondre à  mes appels téléphoniques. Je vivais mal cette situation.

D’un autre côté, j’avais laissé au pays l’amour de ma vie. Je ne pouvais plus faire attendre désespérément ma fiancée qui a passé ces cinq longues années à m’attendre, pour une vie sans lendemain en Suisse. C’est alors qu’un jour, j’ai fait le bilan de ma vie et ai pris la décision de rentrer au pays vivre parmi les miens, quel qu’en soit le prix à payer.

Pouvez-vous nous parler de votre nouvelle vie au Nigéria, surtout dans la mesure où tu n’as pas bénéficié de  l’aide au retour?

Je me débrouille comme je peux. L’aide au retour ne m’a effectivement pas été accordée  (note : pour motif de délinquance) mais la vie continue. Ce serait malhonnête et pur mensonge de vous dire qu’aujourd’hui je vis dans l’opulence ou que je  n’ai pas besoin de moyens, surtout financiers, pour me relever. Mais, ce dont je suis cependant sûr, c’est que la satisfaction que j’éprouve de me retrouver parmi les miens me procure une grande stabilité et m’importe en ce moment plus que tout. Actuellement, je prends le temps de faire le vide dans ma tête, de digérer mon séjour en Europe. Et après, je ferai face à ma nouvelle vie ici. Pour l’heure, je prépare mon mariage avec ma femme qui a su faire preuve de patience pour m’attendre durant toutes ces années. Je pense ensuite chercher des moyens pour créer ma propre entreprise. Je ne saurais vous dire avec précision dans quel secteur d’activité je compte évoluer, parce que je viens de commencer à sonder le terrain. Je puis vous assurer cependant que je suis animé d’une réelle volonté de réussir ma nouvelle vie. Je suis en plus titulaire d’une Maîtrise en gestion et marketing et je ne doute pas que je dispose des connaissances requises pour gérer ma propre entreprise. Au demeurant, le fait de retrouver ma famille me procure de l’énergie pour affronter les défis qui pointent à l’horizon et je ne regrette aucunement mon retour au bercail.

Les renvois de requérants déboutés Nigérians, suspendus il y a bientôt un an, ont repris cette année. Que vous inspire cette situation ?

J’ai, comme la majorité de mes compatriotes requérants d’asile en Suisse, l’impression que du fait de préjugés, les autorités helvétiques ont décidé de manière informelle de rejeter systématiquement les demandes d’asile des Nigérians. Il y a parmi nous des gens qui méritent vraiment qu’on leur octroie l’asile. Je voudrais donc demander à l’Office fédéral des migrations d’éviter de mettre tous les dossiers dans un même panier et de pénaliser ceux qui méritent d’être reconnus comme réfugiés.

Quelle leçon tirez-vous de votre séjour en Europe et dans une moindre mesure en Suisse?

Quand on est au Nigéria et généralement en Afrique, on pense que l’Europe est un Eldorado.  Mais lorsque l’on y met pied, on déchante très vite. En ce qui me concerne, j’ai pu réaliser que l’Europe ne veut plus de moi et je me suis décidé à partir. Je ne pourrai conseiller à mes autres frères Nigérians ou Africains de rentrer comme je l’ai fait, cette décision est personnelle et appartient à chacun. Cependant, je voudrais demander aux Occidentaux d’encourager réellement l’établissement de la démocratie en Afrique, de prendre des mesures pour que leurs banques n’hébergent plus les fonds détournés par des dirigeants Africains au détriment des peuples. Cette situation crée la misère en Afrique et tant que la pauvreté sévira sur ce continent, malgré ses nombreuses ressources, les Africains choisiront toujours de prendre le chemin de l’Europe. Et le phénomène migratoire demeurera une problématique non résolue.

Interview réalisée en partie à Viège et par téléphone avec le Nigéria par CDM. 

CDM, membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils