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« Un requérant d’asile doit savoir défendre son motif d’asile et faire le premier pas vers l’autre »

M. Luul Sebhatu. Photo: Voix d'Exils

M. Luul Sebhatu. Photo: Voix d’Exils.

Suisse d’origine érythréenne, Luul Sebhatu est l’un des premiers Erythréens arrivé dans le canton de Neuchâtel en 1982. D’abord requérant d’asile, il obtiendra, trois ans et demi plus tard, le statut de réfugié. Marié, père de trois enfants et employé depuis 1984 dans une grande entreprise suisse de distribution, il est membre de la Communauté de travail pour l’intégration des étrangers (CTIE) depuis sa création en 1991 et représentant les réfugiés du canton. Entretien avec Voix d’Exils.

 

 

 

Voix d’Exils: Que faites-vous concrètement au sein de la CTIE?

Luul Sebhatu: Au sein de la CTIE, je représente les réfugiés et je ne parle pas des sujets personnels, mais plutôt des problèmes généraux de l’asile. On évoque des questions de langue, de logement, d’insertion au travail et des problèmes sociaux.

Vous arrive-t-il de visiter les centres d’accueil cantonaux de Couvet et Fontainemelon ?

Bien sûr et c’est souvent même. Je visite les trois centres d’accueil cantonaux de Couvet, de Fontainemelon et de Perreux.

Quels problèmes les requérants d’asile résidant dans ces centres vous soumettent-ils?

Des problèmes d’administration des centres. Le personnel des centres d’accueil s’occupe comme il faut des requérants d’asile, mais il y a toujours des problèmes de cohabitation, de manque de connaissance du règlement des centres d’accueil, des problèmes particuliers des personnes qui nuisent à leur entourage. Je discute avec ces personnes, je les conseille et les encourage à se respecter et à respecter le règlement des centres.

Selon vous, en tant qu’ancien requérant d’asile, quelles attitudes un requérant d’asile doit-il adopter pour favoriser son intégration?

Premièrement, il faut être ouvert et à l’écoute des responsables de centres. C’est nous qui sommes venus et on doit avant tout respecter les lois du pays d’accueil et s’adapter. Être requérant d’asile en général et surtout être requérant d’asile d’Afrique noire, ce n’est pas si facile. On doit prendre conscience de notre statut et convaincre la Suisse du motif de l’asile et c’est à nous de faire le premier pas vers l’autre.

Vous avez obtenu en 2007 le prix « Salut l’étranger » institué par le Conseil d’État neuchâtelois, peut-on savoir pour quel mérite?

Ce n’est pas moi qui me suis présenté mais ce sont d’autres personnes qui ont déposé mon dossier sans me consulter. J’étais surpris quand on m’a appelé, mais je sais que depuis l’abandon en 2007 par Caritas et le Centre social protestant (CSP) de l’organisation de la journée nationale de refugiés à Neuchâtel, on a créé une association de la journée de réfugiés que je préside. Aussi, comme membre de la la communauté pour l’intégration des étrangers (la CTIE), j’ai pris l’initiative de constituer un groupe de contact africain qui se réunit quatre fois l’an et, de temps en temps, on traite des problèmes d’intégration. On a évoqué une discrimination raciale dans les transports publics neuchâtelois (TransN) qui n’engageaient pas les chauffeurs africains. On a discuté avec eux et ils ont fixé des critères et des chauffeurs africains ont été engagés. On souhaite étendre cette action pour la ville de La Chaux-de-Fonds mais elle n’est pas encore concrétisée. Je crois toutefois que j’ai été primé pour l’ensemble de ce que je fais dans le mouvement associatif à Neuchâtel et ce prix m’a encouragé à continuer et je suis reconnaissant envers les autorités cantonales.

Vous avez demandé l’asile en 1982 et 30 ans après, la loi sur l’asile continue d’être durcie et la révision votée le 9 juin 2013 ne permet plus aux Érythréens d’invoquer la clause de conscience lorsqu’ils fuient leur pays pour ne pas être enrôlés de force dans l’armée. Comment voyez-vous l’avenir de l’asile en Suisse?

Ça devient de plus en plus difficile. A l’époque, déjà pour quitter l’Érythrée et venir en Suisse, il y avait beaucoup d’obstacles et aujourd’hui c’est encore plus dur. Mais avec des personnes courageuses, avec la lutte, ça va s’améliorer. Autrement, ça va être encore difficile. Je n’ai pas d’autres explications, mais je sais que sur le terrain c’est compliqué et il y a des efforts supplémentaires à fournir par les autorités fédérales et cantonales pour améliorer la situation. L’asile est un sujet assez complexe et ce n’est pas la modification de la loi qui va résoudre le problème.

On dit souvent que Neuchâtel est un canton modèle en matière d’intégration des étrangers, le confirmez-vous?

Bien sûr, Neuchâtel est un canton modèle d’intégration, non seulement en Suisse mais aussi en Europe. Le droit de vote des étrangers existe depuis de nombreuses années, le Service de la cohésion multiculturelle (le COSM) est créé depuis plus de 20 ans et le travail abattu par ce service facilite la communication et l’ouverture.

Comme ancien requérant d’asile, avez-vous un message à adresser aux actuels requérants d’asile?

Premièrement, il faut savoir pourquoi on est venu et, suivant son motif d’asile, il faut savoir défendre sa cause. Il ne faut pas être dépassé par les événements, il faut être respectueux des lois du pays d’accueil, être attentif et vigilant, ne pas déranger l’autre, chercher les bonnes informations. Il ne faut pas lâcher, il faut lutter avec persévérance et, même si c’est dur à la fin, si on suit le chemin qu’on vous guide, je crois qu’on peut obtenir ce qu’on vient chercher. Mais surtout, il faut avoir la patience, la discrétion, montrer la volonté de s’intégrer, savoir communiquer et apprendre le goût suisse. Je lance un appel aux réfugiés et aux communautés étrangères d’accueillir et d’encourager leurs compatriotes à chercher du travail, à apprendre des métiers, les anciens doivent parler de leurs expériences aux nouveaux et de se donner un coup de main pour soutenir les efforts des autorités.

Propos recueillis par :

Paul Kiesse

Journaliste, membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

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« On part toujours de l’expérience professionnelle, car elle est la richesse de la personne »

Table ronde organisée par Mode d'emploi le 16.11.12 à l'Université de Lausanne pour célébrer ses 20 ans d'existence. Photo: Pastodelou.

Table ronde organisée par Mode d’emploi le 16.11.12 à l’Université de Lausanne dans le cadre d’un événement à l’occasion de son 20 ème anniversaire. Photo: Pastodelou.

Au service de l’insertion professionnelle et sociale depuis 20 ans, la fondation Mode d’emploi a pour principale mission d’œuvrer contre l’exclusion sociale et professionnelle. Elle s’occupe, en Suisse romande, des personnes en difficultés sur le marché du travail.

 

Voix d’Exils s’est donc penché sur les activités de cette fondation, étant donné que les requérants d’asile sont confrontés à l’exclusion professionnelle. Plus particulièrement, nous avons tenté d’éclairer le cas de ceux qui ont le droit de travailler, mais qui parviennent trop rarement à décrocher un emploi. Patricia Hurzeler, responsable de prestations et membre du comité de direction de la fondation Mode d’emploi a répondu à nos questions.

Voix d’Exils : Mode d’emploi propose aux migrants des cours de mise à niveau et des cours de techniques de recherche d’emploi. Quand tout se déroule bien, le migrant trouve un stage en entreprise dans l’économie privée et reçoit ensuite un certificat qui contribue à son intégration.

Patricia Hurzeler : Quand cela se passe mieux encore, la personne est engagée ! On a eu plusieurs fois des personnes qui ont fait des stages et l’employeur nous a dit «  sur dossier, on ne l’aurait pas engagé mais, par contre, maintenant qu’on l’a vu travailler, on peut l’engager. »

Tenez-vous compte de l’expérience professionnelle acquise à l’étranger par les personnes migrantes?

Oui bien sûr. Je peux vous donner l’exemple d’un monsieur d’origine vietnamienne qui nous avait été adressé par l’Office Régional de Placement avec un projet professionnel de nettoyeur. En essayant de discuter avec lui pour élaborer un CV, j’apprends qu’il était professeur d’université et journaliste au Vietnam, mais qu’il ne l’avait jamais mentionné car quelqu’un lui avait dit que ça ne comptait pas. Nous avons discuté à ce sujet et, le lendemain, il m’a amené sa carte de journaliste ; il écrivait encore dans une revue vietnamienne située au Canada. Nous avons alors pu orienter la recherche d’une place de travail sous un autre angle, d’autant que ce monsieur savait bien lire et écrire en français. Par contre, sa prononciation rendait la compréhension difficile, ce qui ne nous a pas permis d’envisager un projet professionnel dans l’enseignement. En revanche, il a pu réaliser un stage dans une bibliothèque et bénéficier d’un excellent certificat de travail validant ses compétences dans ce domaine.

Les exigences des entreprises sont-elles différentes en Suisse ?

Le niveau exigé dans le pays d’origine des migrants n’est pas forcément le même qu’en Suisse, ce dont nous devons tenir compte. Dans certains cas, le stage permet de valider auprès d’un employeur suisse l’employabilité de la personne dans un domaine, voire d’identifier les formations possibles qui lui permettrait de postuler pour un poste similaire. Mais on part toujours de l’expérience professionnelle, car elle est la richesse de la personne.

Les diplômes étrangers sont-ils reconnus par Mode d’emploi ?

On aide les migrants à faire une demande d’équivalence à Berne, cela nous permet de savoir à quoi correspondent leurs diplômes en Suisse. Mais, la plupart des requérants arrivent sans leurs diplômes et cela pour différentes raisons. C’est le cas, par exemple, des réfugiés politiques qui sont partis précipitamment et qui n’ont pas pu prendre leurs papiers avec eux.

Quels sont les éléments qui maximisent les chances d’un migrant d’obtenir du travail grâce à l’aide de Mode d’emploi ?

Premièrement, la langue française. Un bon nombre des gens que nous avons reçus l’année passée avaient un niveau de français insuffisant. Ils avaient juste bénéficié d’un cours qui les a amenés à un niveau A2. Ils ont fait, pour certains, de très bons stages dans des professions qui n’exigent pas beaucoup de qualifications, mais souvent l’employeur nous disait : « Si son français était meilleur on pourrait envisager de l’engager, mais pas aujourd’hui, il y a trop de choses qu’il ne comprend pas… » Deuxièmement, le permis de travail. Pour une personne titulaire d’un permis F ou N, par exemple, deux éléments font souvent hésiter l’employeur : le risque de départ précipité et les démarches à entreprendre même si, pour ces dernières, nous sommes prêts à apporter notre aide à l’employeur.

Propos recueillis par :

Pastodelou et Chulio

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils