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Tout est possible!

Une étudiante en soins infirmiers. Auteur: Lower Columbia College (CC BY-NC-ND 2.0)

Pita, jeune Guinéen de 23 ans et requérant d’asile dans le canton du Valais depuis 14 mois a accepté de répondre à nos questions.

Quand Pita (nom d’emprunt) est arrivé en Suisse, il n’avait comme bagage que ses trois années passées à la faculté de médecine de son pays. Très vite, il a intégré l’équipe valaisanne de Voix d’Exils, ainsi que l’atelier de formation serrurerie du centre de formation et d’occupation « Le Botza » à Vétroz. Aujourd’hui, il se confie à nous :

« Dès mon arrivée en Suisse, mon premier objectif était d’éviter l’inactivité qui est la source de tous les maux des requérants d’asile (vol, vente de drogue, etc.), je savais que le chemin serait long et semé d’embûches. Mon souhait était de continuer mes études dans un domaine médical, même si j’avais de la peine à croire que ce soit possible. Après un laps de temps nécessaire pour m’adapter à mon nouveau pays d’accueil et grâce à l’écoute des encadrants qui s’occupaient de moi, j’ai émis le désir de m’inscrire à la HES-SO (Haute Ecole Spécialisée de Suisse occidentale) de Sion, dans le domaine d’étude de la santé. Cette école,  avec ses sept filières de spécialisation, prépare des professionnels à participer à la promotion de la santé et au développement d’une politique de santé communautaire. Les formations sont conçues en alternance entre études et terrain dans des lieux de pratiques professionnelles.

Après une première demande écrite qui a été refusée par le SPM (Service cantonal de la population et des migrations), j’ai reçu une réponse positive, un mois plus tard, suite à une deuxième demande.

A l’époque j’habitais à Martigny avec plusieurs colocataires qui n’avaient pas le droit de travailler ; ainsi ils veillaient la nuit et dormaient la journée, donc c’était compliqué pour moi d’étudier et de trouver l’argent pour me payer les transports jusqu’à la HES-SO. Mais tout s’est enchaîné pour mon plus grand bonheur, le Service de l’asile m’a trouvé, à Sion, une petite chambre qui n’a pas de cuisine mais qui me permet de me concentrer sur mes études, sans être dérangé. En contrepartie, j’officie en tant qu’appui aux devoirs scolaires pour les requérants d’asile mineurs accueillis au RADOS (structure d’accueil pour requérants d’asile mineurs non accompagnés à Sion) et je peux y prendre mes repas.

A l’école, la couleur de ma peau me fait de la pub. Jamais je n’aurais cru être si bien accueilli, tout le monde me connaît et discute avec moi. Pour eux, je ne suis pas un requérant d’asile, je suis un collègue. Une étudiante venant de Brigue m’a avoué n’avoir jamais discuté avec un Noir avant de m’avoir rencontré. Elle m’a proposé de me donner des cours de ski cet hiver. Je dois vous avouer que j’ai été très surpris de remarquer que ce que racontent certains politiques et médias afin de discréditer les requérants d’asile est totalement différent de ce que pensent les étudiants de cette école. Ce qu’il y a de bien, à part les cours, c’est l’ouverture d’esprit des étudiants et…le nombre de jolies filles !

Dans le cadre de ma formation, j’ai eu l’opportunité d’effectuer mon stage au sein du service de gériatrie d’un établissement hospitalier. Les objectifs de ce stage étaient de découvrir les différentes professions du domaine de la santé; de réaliser des actions de soins et d’accompagnement; d’évaluer mes aptitudes à travailler dans une équipe de soins et d’affirmer ma motivation de poursuivre mes études dans le domaine de la santé en général et, plus particulièrement, en soins infirmiers. Ce stage a été très enrichissant pour moi, tant au point de vue professionnel (j’ai pu valider mon stage avec 92 points sur 100) que relationnel et, sur ce deuxième point, je vais vous conter quelques anecdotes.

Souvent les patients me demandaient d’où je venais et je leur répondais que j’étais Haut-Valaisan. Devant leur mine ahurie et quand ils me demandaient : mais de quelle commune ? Je précisais enfin que je suis Africain.

Un jour, une patiente m’a demandé : Est-ce que vous faites de la magie pour changer aussi souvent de taille: le matin vous êtes petit et le soir vous êtes grand ? Je suis resté sans voix et, en réfléchissant, j’ai compris ce qu’elle voulait dire. Dans le même service que le mien se trouvait un collègue Sud-Américain très grand et de peau foncée. En fait, cette dame, très âgée, nous confondait (je suis plutôt petit). Une autre patiente m’appelait son rayon de soleil, cela me réchauffait le cœur.

Au terme de ce stage, j’ai eu la satisfaction d’avoir atteint mes objectifs. Mais plus que cette satisfaction, ce stage a été très enrichissant pour moi. J’espère donc continuer mes  études de Bachelor en soins infirmiers, en Suisse ou ailleurs, car je n’ai toujours aucune garantie de pouvoir rester ici. »

Ce que Pita nous a transmis par son témoignage, c’est que la clé de réussite est d’essayer car tout est  possible avec de la bonne volonté.

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils




Perspectives post-formation au Botza: entre espoirs et désillusions des requérants d’asile

Dramane k en train de souder. Photo: CDM

Animés par l’envie se prendre en charge, de nombreux requérants d’asile se forment au centre valaisan de formation le Botza. Mais, au final, ils se heurtent à des difficultés d’accès au marché du travail entraînant souvent chez eux incompréhension et déceptions ; ce que tente de dissiper, sans relâche, le personnel des foyers d’accueil.

Courbé sur une machine, lunettes de soudeur sur les yeux, Dramane k* a l’air bien concentré. « La moindre erreur de découpage des barres de fer risque de compromettre les marches d’escaliers métalliques que je fabrique », lance-t-il. Cela fait plus de huit mois que ce requérant d’asile d’origine africaine est en formation en serrurerie au Botza, centre valaisan de formation pour requérants d’asile. L’homme, d’une vingtaine d’années, accorde beaucoup d’importance à cet apprentissage car « j’espère vivement que l’attestation que je recevrai à la fin me permettra de trouver facilement un emploi et de gagner ma vie » confie-t-il.

Cette phrase semble ne pas faire l’unanimité parmi ses camarades d’atelier. « Il faut arrêter de rêver, les attestations du Botza ne sont pas reconnues par les entreprises. J’ai beaucoup d’amis qui sont passés par ici. Ils sont tous à la maison aujourd’hui », réplique le requérant d’asile Babel F*. Notre enquête nous a permis de rencontrer Lawal W*., requérant africain qui a suivi, neuf mois durant, une formation en peinture dans ce centre. « Depuis un an que j’ai fini mon apprentissage, je cherche en vain du boulot. Je suis réduit à cueillir occasionnellement de la vigne. Une activité qui n’a rien à voir avec la peinture que j’ai apprise. Ça fait mal de rester à ne rien faire alors qu’on a l’envie de travailler ». Ces propos mitigés, mêlant espoir et désillusion résume l’état d’âme de nombreux requérants qui s’interrogent sur l’opportunité que leur offrent les formations qu’ils reçoivent au Botza. A en croire leurs propos, cette interrogation s’accompagne souvent d’une dose de déception. « On ne comprend pas pourquoi on nous forme si on ne peut pas trouver du travail avec nos attestations », déclare Babel F., l’air visiblement dépité.

« Ça fait mal de rester à rien faire »

Pour Roger Fontannaz, directeur du Botza,« C’est une erreur d’assimiler l’attestation de fin de formation que nous délivrons à des diplômes reconnus par les entreprises à l’embauche ». « Nos formations », explique-t-il, « ont pour objectif d’occuper les requérants en les mettant à l’abri des effets pervers de l’inactivité. Elles visent aussi à leur permettre d’organiser leur vie en fonction de l’issue de leur demande d’asile ». Selon lui, les connaissances dispensées visent à éviter à ceux qui n’obtiendront pas l’asile de retourner dans leur pays sans aucune capacité, mais au contraire avec des connaissances qu’ils pourront développer pour vivre chez eux en travaillant pour se réinsérer. Quant à ceux qui auront l’asile, cela leur permettra une meilleure adaptation au marché suisse de l’emploi.

C’est d’ailleurs le cas de l’Irakien, Rafik D.* qui, au bénéfice d’un permis F, a pu décrocher son premier emploi d’aide-cuisinier grâce à la formation reçue au Botza. « Ce travail se déroulait en montagne et il fallait avoir, au préalable, des connaissances en cuisine », se rappelle-t-il. « J’ai pu convaincre mon employeur grâce à l’attestation que j’ai eue après mes douze mois de formation ».

Il faut souligner que la législation reste l’un des obstacles majeurs qui empêche les requérants d’asile d’accéder aisément au marché du travail. L’emploi des détenteurs de permis N (autorisation provisoire de séjour pour requérants d’asile, ndlr) étant géré par le Service des populations et des migrations, la pratique a montré que les requérants sont plus souvent autorisés à travailler en montagne qu’en plaine. Très souvent, il y a peu de possibilités de décrocher son premier emploi sans passer par le secteur de l’agriculture ou des activités ayant trait avec la montagne.

« Les requérants refusent d’accepter la réalité »

Jusque-là, le Botza dispense aux requérants une panoplie de formations allant des métiers du bâtiment à la restauration en passant par la maçonnerie, la menuiserie et la peinture. Des cours de couture, de coiffure, de langue française, d’informatique et même d’initiation au métier de journaliste y sont également disponibles. Loin de s’arrêter là, le centre envisage de diversifier davantage ses offres avec un programme d’agriculture – précisément l’horticulture – qui sera mis en route d’ici quelques mois.

Mais en même temps, il importe de prendre des mesures pour éviter aux requérants d’asile des désillusions sur les perspectives après leur formation. « Nos collègues qui administrent les foyers d’accueil ne cessent et ne cesseront de répéter aux requérants la faiblesse des possibilités d’accès au marché de l’emploi avec un permis N », déclare Roger Fontannaz. Et de conclure : « La vérité, c’est que les requérants croient tellement à un futur en Suisse qu’ils refusent d’accepter la réalité qu’on a beau leur expliquer. Néanmoins, leur faire accepter cela est l’un des défis que tente de relever au quotidien tout le personnel travaillant dans l’asile. C’est un travail de longue haleine ».

Constant Couadjio et CDM

Membres de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

*Noms d’emprunt




Hausse de la violence dans les centres d’hébergement pour requérants d’asile : quelles solutions ?

M. Peter Schnyder

En lisant les journaux, nous avons constaté une hausse de la violence dans les centres d’hébergement pour requérants d’asile. En discutant avec des requérants d’asile, nous nous sommes aperçus que ces actes de violence sont souvent dictés par des motifs assez futiles : l’emprunt d’un rasoir, le caractère de son colocataire, le bruit de sa radio, etc.) ; leurs conséquences pouvant être parfois graves pour les protagonistes. Ces lectures nous ont donné envie de rencontrer le responsable d’un centre – M. Peter Schnyder – pour recueillir son avis sur cette question de la violence.

M. Peter Schnyder nous a reçu dans son bureau. Collaborateur de l’Office de coordination des prestations sociales du Valais  depuis de longues années, il a dirigé plusieurs centres d’accueil et connaît toute l’histoire de l’asile en Valais.

Voix d’Exils : Pouvez-vous vous présenter ? Depuis combien d’années travaillez-vous dans le domaine de l’asile ?

M. Peter Schnyder : J’ai commencé à travailler il y a plus de 25 ans, très précisément le 1er mai 1985 au foyer d’accueil de Vernamiège.

Que pensez-vous de la violence qui se manifeste dans les centres pour requérants?

Il est vrai que nous avons assisté à une augmentation des violences dans le milieu de l’asile, plus accentuée durant les derniers mois de cette année.

Selon vous, quelles sont les causes de ces violences ?

On assiste surtout à une hausse des vols et de l’agressivité en général, pour ma part, je considère qu’il s’agit avant tout d’un problème d’éducation. La violence se manifeste surtout entre les requérants d’asile. Il faut également souligner l’intolérance qui existe entre les différentes ethnies qui cohabitent dans un centre d’accueil. La religion, à mon avis, n’est pas en cause.

Quelles pistes verriez-vous pour trouver une solution à cette situation ?

Aujourd’hui, l’asile est vidé de sa substance il n’a plus de valeur. Il faut réformer le système. Il faut également essayer de contrer l’inactivité des personnes en leur proposant des activités. Avec l’ouverture du centre de formation et d’occupation tout proche : le Botza, j’ai observé des changements positifs chez certains. Une autre dimension sur laquelle nous pourrions travailler est celle de l’espace : en effet, les manifestations d’agressivité sont très directement liées au sentiment d’être confiné dans un espace insuffisant. Je dirais que l’on peut prendre des mesures pour limiter les violences dans les foyers, mais qu’il est illusoire d’imaginer l’éradiquer, car il s’agit d’un phénomène qui se retrouve partout ailleurs dans la société d’aujourd’hui.

Ma conclusion est que l’une des meilleures façons d’affronter la question de la violence serait probablement de faire appel à des médiateurs communautaires pour discuter des événements passés, dans l’espoir de désamorcer les crises.

Propos recueillis par :

PITA

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




« Je passe mon temps à manger pour dominer mes problèmes »

Photo: Hubert YIGO

Pour combattre les clichés du requérant d’asile paresseux, Alex*, requérant débouté de 38 ans, a accepté de lever le voile sur son quotidien de requérant d’asile condamné bien malgré lui à l’inactivité. Interview d’un homme dans la force de l’âge qui ne demande qu’une chose : pouvoir travailler !



 

Voix d’Exils: Bonjour, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs?

Alex : J’ai 38 ans, je suis marié et père de 4 enfants, je viens d’Afrique de l’Ouest et je suis débouté. J’étais technicien en bâtiment dans mon pays d’origine. Ma femme et mes quatre enfants sont restés au pays. Je vis en Suisse depuis une année et demie au foyer de Crissier, près de Lausanne, où nous sommes plus de 300 migrants.

A quelles heure vous réveillez-vous d’habitude?

Dans mon pays, je me levais entre 5h00 et 5h30, mais maintenant il m’arrive de me lever à 10h00 ou à 11h00. Ça dépend des jours, de mon humeur… A quoi bon me lever plus tôt puisque, à part chercher mon courrier, je n’ai rien à faire ? En tant que débouté je n’ai pas le droit de chercher du travail.

A quoi ressemble votre habitation ?

Nous sommes deux dans une chambre qui ressemble à celle des autres requérants sauf qu’elle est parfois en désordre. Pour moi, il faut être cool dans sa tête pour pouvoir mettre de l’ordre dans sa chambre ou dans sa vie.

Quel est votre budget quotidien pour la nourriture, les vêtements, les loisirs ?

En tant que débouté, je reçois 9 francs par jour. Je peux oublier les loisirs et les vêtements décents… Je n’ai jamais eu la chance ou le privilège d’aller manger dans un McDonald’s… C’est au-dessus de mes moyens.

Avec qui avez-vous des échanges pendant la journée ?

Mes seuls interlocuteurs sont les migrants qui restent au foyer. D’autres sont inscrits dans des Programmes d’occupation et d’autres encore vont faire leur « business ». On commence par des causeries qui encouragent mais on finit toujours déprimés et même avec des plans de suicide que je n’encourage pas, contrairement aux autres.

Quelles sont les conséquences de l’inactivité sur votre vie?

Voyez mon «œuf colonial » ! Je vous parle de mon ventre qui pousse chaque nuit. Pas par insouciance mais parce que je passe mon temps à manger pour dominer mes problèmes. C’est ce que m’a dit l’infirmière dernièrement. Pourtant, j’aime le sport, mais j’ai ni les vêtements ni les chaussures appropriés… L’inactivité peut aussi conduire à la révolte et à des comportements dépressifs. Les nuits sans sommeil, les troubles de la mémoire et les maux de tête sont mes compagnes.

Avez-vous entrepris des démarches pour trouver du travail avant d’être débouté?

J’ai démarché dans les magasins, les usines, les entrepôts, les sociétés, les restaurants et j’y ai déposé mon CV Sans parler des annonces sur anibis.ch, job.ch, le site du canton de Vaud, Manpower, les appels téléphoniques aux viticulteurs et aux jardiniers pour ne citer que ceux-là. Sans résultat, rien absolument rien.

Si la Suisse vous refusait l’asile, que feriez-vous pour répondre à la nécessité de travailler ?

Je demanderais que la Suisse m’envoie dans un autre pays mais pas dans mon pays d’origine où je risque ma vie. Ou alors je chercherais un travail au noir afin de partir vers le Canada ou les USA. Si ces mesures échouaient, je deviendrais ce que la Suisse veut que je sois : un nouveau commercial de la multinationale « Deal » dont le CV et la lettre de motivation s’appelleraient respectivement déception et contrainte. Je ne tomberais pas d’un immeuble ni ne me suiciderais pour prouver la légitimité de ma demande d’asile ou bien pour faire plaisir à qui que ce soit. Advienne que pourra !

Qu’est-ce qui est le plus difficile au quotidien dans votre vie actuelle ?

D’abord l’attente interminable d’une réponse au recours que j’ai déposé à l’encontre de mon statut de débouté. Ensuite ma situation d’improductivité qui est le symbole d’une non affirmation, de l’ennui et de la pauvreté pour ne citer que cela.

Malgré la dureté de ma situation actuelle, malgré les nuits blanches, les interrogations sans réponse, l’humiliation, les regrets, la précarité, l’oisiveté, la carence émotionnelle, jamais je ne me suis drogué ni saoulé la gueule. Je reste un homme qui cherche toujours les solutions appropriées.

Que pensez-vous de l’intégration en Suisse ?

Je pense que je serai intégré quand la société suisse me permettra d’entrer dans le système de participation socio-économique et culturel au lieu de me garder dans les marges pendant une durée indéterminée en attendant de statuer sur mon sort. Pour le dire clairement : l’intégration c’est le travail !

Cette interview est le premier article d’un dossier consacré au thème de l’inactivité et ses conséquences sur la vie des requérants d’asile.

Propos recueillis par :

Hubert YIGO

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

* Prénom d’emprunt.