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« Je ne baisse jamais les bras car la vie est un éternel combat »

 

Nashwan Bamarné. Photo: Eddietaz.

 

Les 10 ans de l’EVAM – Interview de Hachim Nashwan

De son nom d’artiste Nashwan Bamarné et de son vrai nom Hachim Nashwan, Nashwan est un artiste peintre, sculpteur et dessinateur Kurde. Arrivé en Suisse en 2007, il est atteint d’un handicap physique qui le prive de l’usage de ses jambes.

Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Hachim Nashwan, je viens du Kurdistan Irakien. Je parle arabe, anglais, Italien, Kurde et français. Je suis arrivé en Suisse dans le canton de Vaud en mars 2007.

S’agissant de mon parcours scolaire et académique, j’ai suivi une formation de cinq ans dans les beaux-arts dans la région de Bamarné, ma ville natale, qui se trouve dans le département de Dohuk au Kurdistan d’Irak. J’ai appris les techniques du dessin, de la sculpture sur bois et sur pierres, pour en faire des portraits et fabriquer des stèles commémoratives pour toute la région du Nord du Kurdistan irakien. Après cela, je me suis dirigé vers l’enseignement et j’ai intégré un centre dans la ville de Dohuk, un établissement pour jeune filles où j’ai enseigné l’art et le dessin, ce pendant deux ans et demi. J’ai un parcours de neuf ans dans le domaine de l’art et du dessin. De même, j’ai collaboré avec la radio et la télévision Kurde « AZADI » où j’étais directeur de programmes de trois émissions sur les thèmes : art et vie ; handicap ; et problèmes de société.

Malgré mon handicap moteur, j’ai beaucoup œuvré pour le développement de l’art dans mon pays et pour ma ville natale Bamarné. Autrement, en Suisse, je continue à travailler seul et je n’ai toujours pas intégrés le marché du travail. L’art ne fait pas vivre, surtout que maintenant je me trouve dans un pays étranger et en plus avec un handicap. Franchement, ce n’est pas facile pour moi mais je ne baisse jamais les bras car la vie est un éternel combat.

Je participe à des programmes d’intégration dans plusieurs associations de la région lausannoise en qualité de bénévole. Parmi ces occupations, la plus importante est un atelier d’arts visuels que j’ai développé et animé à l’EVAM.

Nashwan Bamarné. Photo: Eddietaz / Voix d’Exils.

 

Comment s’est passé votre apprentissage de la langue française ?

Au début, ce n’était pas facile pour moi au niveau de l’apprentissage de la langue du pays. J’ai suivi un programme initié par l’EVAM. Ce cursus d’apprentissage de la langue française a duré un mois et demi. C’était à la fin de l’année 2007 et au début de l’année 2008. Je voulais continuer mon apprentissage, mais j’ai dû abandonner en raison de ma maladie. La langue, je l’ai apprise surtout à travers les nouvelles relations que j’ai nouées et les discussions avec les gens que je côtoie dans les associations caritatives et les cercles que je fréquente en ville de Lausanne. Je trouve la langue française facile et pas très compliquée. C’est une belle langue avec des sons et des airs qui donnent à chanter. En quelque sorte un chant et une mélodie se dégagent de cette langue. On dit: « quand on veut, on peut », et c’est tout à fait normal de souffrir au début pour apprendre.

Avez-vous participé aux programmes d’intégration de l’EVAM ?

Oui, j’ai participé à Voix d’Exils entre 2009 et 2011. Voix d’Exils était à l’époque un journal papier qu’on imprimait et distribuait. Ma venue dans ce journal coïncidait avec une transition dans la vie du média : le passage de la presse écrite à une nouvelle formule en ligne sous la forme d’un blog, qui est devenu aujourd’hui un site d’information. Ma participation à ce programme a été quelque chose de très bénéfique pour moi. Je suis d’ailleurs fier de ma contribution à la création de la formule en ligne du journal. J’ai également rédigé des articles et produit beaucoup de caricatures et de dessins, comme par exemple la série « les moutons noirs ». Après deux années passées à Voix d’Exils, j’ai reçu une réponse positive à ma demande d’asile et j’ai dû quitter mon journal pour voler de mes propres ailes.

Quel est votre parcours professionnels en Suisse ?

Ce n’est pas facile pour un homme comme moi en chaise roulante qui parlait au début très peu le français de trouver son chemin au milieu d’une population francophone, sachant parfaitement l’importance de la maîtrise d’une langue dans le monde du travail. Pouvoir trouver un emploi stable adapté à mon handicap, cela demande beaucoup d’énergie et beaucoup de sacrifices.

Dans l’état où je me trouve, il est préférable pour moi de trouver un emploi adapté à mon handicap physique et les employeurs doivent aussi faire un effort pour intégrer une personne en situation de handicap. Et pourtant, dans les structures pour lesquelles je participe bénévolement, il m’ai arrivé de donner plus que d’autres, juste dans l’espoir de faire reconnaître l’intérêt et le rôle que peut jouer une personne en situation de handicap dans le monde du travail. J’ai beaucoup donné pour des associations romandes telles que Point d’appui, Point d’eau etc…

C’est quoi pour vous l’intégration ?

L’intégration commence par : « acceptez-moi comme je suis ». En clair, cela implique de dépasser les préjugés qui freinent l’intégration et qui bloquent le chemin de la progression sociale de quiconque, en particulier en situation de handicap. Ceci dit, je suis bien intégré au sein de la société Suisse, je compte beaucoup d’amis d’origines et de nationalités différentes. Avoir un réseau d’amis là où l’on se trouve est une nécessité et une obligation pour s’émanciper et s’intégrer dans la société. Sortir et se faire des amis, c’est primordial lorsqu’on se retrouve seul et sans famille. Il faut aller de l’avant, ne pas baisser les bras en cours de route ou rester seul et isolé d’un monde grâce auquel on pourra apprendre très vite.

L’art facilite-t-il votre intégration ?

Parfois, en étant assis sur la terrasse d’un café ou dans un restaurant, il suffit que je prenne mon crayon pour faire un dessin quelconque et je me retrouve soudainement entouré de personnes qui me posent des questions sur mon parcours artistique et sur mes dessins. En moins d’une demi-heure, l’ambiance bascule en une série de questions-réponses puis d’échanges de numéros de téléphones et d’adresses. Cela me fait grand plaisir, parce que je reçois des encouragements et des discussions s’ouvrent instantanément avec des personnes que je viens de rencontrer il y a à peine une demi-heure.

Avez-vous gardé le contact avec votre pays d’origine ?

Pas trop. Comme refugié, je ne peux pas rentrer dans mon pays et de ce fait je ne pourrai pas revoir ma famille avec laquelle j’ai beaucoup d’attaches. Mon seul contact est le téléphone. Il est tout à fait normal d’avoir parfois le sentiment de se sentir seul et loin de sa petite famille, mais ici aussi, je veux dire ici en Suisse, j’ai pu constituer une autre famille faite d’amis et de proches.

Nous sommes en tout sept frères et sœurs, j’appartiens donc à une famille nombreuse. Le grand chagrin de ma vie est le décès de ma jeune sœur des suites d’un cancer puis celui de ma mère. C’est difficile de perdre des membres de sa famille sans pouvoir faire son deuil, mais la vie ne doit pas s’arrêter là. Nous devons continuer à vivre normalement, la vie est faite de bonnes et de mauvaises choses et il faut savoir s’adapter. Etant loin de ma propre famille, je vis beaucoup avec des souvenirs que j’ai emportés avec moi dans mes bagages en arrivant en Suisse.

Etes-vous solidaire des requérants d’asiles ?

En fait, je me sens toujours requérant d’asile et proche des anciens comme des nouveaux arrivants dans le monde migratoire en général. Je partage leurs peines et leurs soucis, comme je comprends aussi leur timide retrait de la société. Aller à la rencontre de ces gens et leur tendre la main, c’est peut être qu’un geste qui sans doute leur ferait plaisir et qui les aiderait à sortir de leur coquille pour aller de l’avant.

Un goût, une saveur qui vous manque particulièrement ?  

Ce qui me manque c’est la saveur de ma famille laissée au pays.

Un dernier mot ?

Mon message est destiné particulièrement à tous les requérants d’asiles. Je leur dit ceci : il ne faut jamais perdre espoir et baisser les bras, la vie est un éternel combat. Il faut apprendre coûte que coûte la langue française et connaître la culture suisse si on veut vraiment réussir à s’intégrer.

Je remercie Voix d’Exils, ses responsables, tous les rédacteurs et toutes les rédactrices qui nous font le bonheur de nous informer à travers leurs articles.

Propos recueillis par :

Arslan Zoheir Bouchemal

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Exposition : Heidi ou l’autre côté du miroir

 Maison de Quartier de la Pontaise, Lausanne – jusqu’au 12 juillet 2019.

Expo: Heidi ou l’autre côté du miroir de Nashwan Bamarné. Photo: Eddietaz / Voix d’Exils

Nashwan Bamarné expose actuellement une sélection de caricatures et de dessins de presse à la Maison de Quartier de la Pontaise à Lausanne. Le thème est : son expérience de la Suisse après y avoir obtenu l’asile, comparativement à celle qu’il s’imaginait après avoir lu, à l’âge de six ans, l’histoire de Heidi, cette petite fille des Alpes suisses messagère d’amour et de paix.

Heidi ou l’autre côté du miroir, une exposition à voir à la Maison de Quartier de la Pontaise à Lausanne jusqu’au 12 juillet 2019.

Rue de la Pontaise 33, 1018 Lausanne

Horaires des permanences – informations:

– mardi de 10h à 12h30 et de 16h à 19h

– mercredi de 10h à 12h30 et de 13h30 à 18h

– jeudi de 10h à 12h30 et de 13h30 à 19h

– vendredi de 10h à 12h30 et de 13h30 à 19h

Audry-Clovis Miganda

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exil

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




Masud et Ahmed au pays de Heidi

Masud et Ahmed en cyclistes avec leurs camaradesMasud et Ahmed, deux requérants d’asile séjournant en Valais, nous livrent leurs aventures estivales de Haute-Nendaz à Uri. Quelques beaux souvenirs d’un été entre sport et engagement pour la collectivité… sans oublier quelques « perles  d’enfants ».

 

MasudAhmedPortraits de Masud (à gauche) et Ahmed (à droite), nos correspondants de Voix d’Exils de la rédaction valaisanne. 

 

 

Colonie à Haute-Nendaz avec quelques perles d’enfants

 

Masud :

« La colonie rassemble des enfants requérants d’asile de tous les pays dans les bâtiments de Citée-Joie à Haute-Nendaz. J’ai travaillé comme moniteur durant deux semaines, avec deux groupes successifs d’une quarantaine d’enfants. On n’a pas le temps de s’ennuyer! Tout était bien organisé ; il y avait une bonne ambiance et on s’est beaucoup amusés. J’ai fait de belles rencontres et, en plus, j’ai le sentiment d’avoir fait quelque chose d’utile. M’occuper d’enfants, c’est ce que j’aime. Depuis longtemps je pense en faire mon métier plus tard, en devenant éducateur ».

 Ahmed :

« La colonie c’est une fois par année et les enfants en profitent ! C’est quelque chose de spécial pour eux. On fait plein de belles choses, comme des promenades en montagne. Je me sens bien et j’apprends beaucoup de choses. Quand je serai papa, je saurai comment m’occuper des enfants, c’est important. En plus, on apprend aussi à s’adapter et à vivre avec des personnes différentes ».

 « Perles d’enfants »

Durant la colonie, les moniteurs consignent dans un « livre d’or » les plus jolies phrases des enfants.

  • Dans le bus… La monitrice annonce : « On arrive dans deux minutes ». Jyoti : « Oh, on n’a même pas eu le temps de vomir ».
  • Vullnet : « La colonie, ça passe pire que vite ! ».
  • Esucia à une monitrice enceinte de 8 mois: «J’ai le même pull que toi en blanc… mais le mien il est plat ».
  • Eugène: « Aujourd’hui, j’ai pas l’humour à plaisanter ».
  • Halwest qui part chercher le ballon: « Dis donc, je suis pas un archéologue ».
  • Wilfried: « Demain (samedi fin de la colo) je vais pleurer à mort ; j’aurai même plus d’humidité dans le corps ».

Masud et Ahmed avec leurs camarades en bordure d'une rivière

Soleil, montagne et rivière

 

Tour à Vélo en Suisse centrale

Masud :

« Je garde un très bon souvenir de ce tour à vélo. Il y avait une bonne ambiance entre les participants. Les cultures étaient mélangées et c’était très sympa ; on a beaucoup rigolé.

Tout était bien organisé. C’était agréable d’arriver au camping le soir et de trouver les tentes montées et le repas prêt. La fatigue disparaissait d’un seul coup. Nous étions mieux équipés que les touristes venus en vacances, c’était chouette.

 Le vélo en lui-même était difficile, surtout la montée. Je criais pour « vider » ma tête. Lorsqu’on croisait des gens qui descendaient pendant qu’on montait c’était vraiment dur. Mais arrivés au sommet, on avait une sensation de victoire.

On a pédalé avec un esprit d’équipe. On s’appelait entre nous pour ne pas se perdre. Si quelqu’un avait de la difficulté, on restait près de lui. Si vraiment il n’en pouvait plus, on demandait au chauffeur de pouvoir monter un moment dans le bus. C’était bien.

On a fait plein de rencontres. J’ai également apprécié le paysage, surtout la montagne dans la région de Brigue. C’était vraiment très beau et j’ai ramené de belles photos ».

 Ahmed :

« Durant ce tour à vélo, j’ai appris beaucoup de choses que je ne connaissais pas. Nous avons passé une semaine à parcourir la Suisse centrale en touchant 11 Cantons. J’ai eu l’occasion de m’intéresser à l’histoire suisse, aux guerres qu’il y a eu dans le passé. Lors de  notre passage à Altdorf, dans le Canton d’Uri, on nous a raconté la légende de Guillaume Tell. J’ai aussi découvert l’histoire de la construction de l’autoroute en Suisse, c’est impressionnant.

On a souvent souffert sur nos vélos; je n’avais pas l’habitude, j’avais parfois mal à la tête. Mais j’ai appris à bien respirer et c’est devenu un peu plus facile ; de toute façon, le vélo, c’est bon pour la santé. Lorsque c’était vraiment difficile, j’ai toujours gardé l’envie de réussir, d’aller jusqu’au bout. J’étais super content quand j’arrivais au sommet. Je me disais : « Allez, tu es le seul Somalien à le faire ! ».

L’ambiance de groupe était très bonne. On a appris à se connaître, on a beaucoup discuté. Le soir, après le vélo, on allait à la piscine du camping ensemble ou bien on jouait au volley-ball. C’était de vrais moments de plaisir, car il n’y avait pas de stress ; c’est plutôt rare de trouver des moments comme ça en dehors des vacances.

Si je suis encore là l’année prochaine, je serai volontaire pour la prochaine expédition ! ».

Masud et Ahmed en cyclistes avec leurs camarades 

Une belle équipe qui roule…

à la découverte de la Suisse!

 

Parcs et Jardins au lac de Montorge

Masud :

« Nous avons nettoyé en équipe le Parcours Vita près du lac de Montorge à Sion. C’était une mission confiée par le Service Parcs et Jardins de la ville de Sion. Nous avons débroussaillé les sentiers, nettoyé et remis en état le parcours. Pour moi, c’est une bonne expérience de travail ; j’ai appris à utiliser toutes sortes d’outils. En plus, c’est un travail qui a du sens : c’est important que la nature reste propre ! Je peux maintenant sensibiliser les gens à ne pas jeter des papiers sur le chemin.

En été, on peut parfois ressentir de l’ennui ; alors, trouver une activité physique qui nous permet en plus de gagner un peu d’argent, c’est très intéressant pour nous ».

Ahmed :

« Le travail manuel a été parfois pénible, mais nous étions fiers d’effectuer une tâche utile : quand la nature est polluée, ça peut donner des maladies. Nettoyer au fur et à mesure, c’est plus facile et ça coûte moins cher. Et en été, la forêt est un vrai paradis. Nous avons travaillé dans la bonne humeur : on a chanté, discuté, ça motive à faire de son mieux.  En plus, les gens nous disent merci ! ».

Masud et Ahmed au Mont d'Orge 

Le Mont d’Orge