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S’intégrer par le bénévolat

Notre rédactrice Anahit, avec la petite chienne Théa sur les genoux, en compagnie de Josiane quelle a rencontrée dans le cadre de son activité de bénévole à la ludothèque d’Orbe (VD).

« A la ludothèque d’Orbe j’ai fait la connaissance de personnes qui m’accompagnent dans mon chemin d’intégration »

Anahit a dû quitter l’Arménie dans l’urgence, en laissant derrière elle une partie de sa famille et un pays qu’elle aimait. Arrivée en Suisse en 2012, elle a progressivement surmonté les difficultés liées à l’exil et à l’adaptation à une nouvelle culture. Souhaitant être active dans la vie locale, et donner de son temps à sa ville d’adoption, elle est devenue bénévole à la ludothèque d’Orbe, une commune qui se trouve dans le Canton de Vaud. Une activité enrichissante qui lui a permis d’élargir son horizon.

« C’était l’automne 2012. L’automne le plus triste de ma vie. J’avais laissé derrière moi mes parents, mon travail, ma patrie l’Arménie, mes amis et surtout mes deux garçons de neuf et treize ans. J’étais sûre que ce départ n’était que provisoire, mais la suite a démontré le contraire.

Avec mon mari, on est partis dans l’urgence parce qu’il était en danger. Sur la route de l’exil, je repensais à mes parents, à mes enfants qui étaient si loin et je pleurais de toutes les larmes de mon corps. Il me semblait que ma vie s’était arrêtée. Après quelques jours très difficiles pendant lesquels on a traversé différents pays en avion et en voiture, on est arrivés en Suisse, un pays que je considérais comme un paradis inaccessible…

Au début, on a été accueillis au Centre de Vallorbe, dans le canton de Vaud, où on a déposé notre demande d’asile. Pour moi, ce nouveau monde était incompréhensible et étrange. Je pleurais sans arrêt, c’était plus fort que moi. Je me sentais impuissante et j’avais envie de crier très fort. C’était d’autant plus difficile que, jusqu’à notre départ d’Arménie, mon mari et moi on n’avait jamais rien demandé à personne, on avait les deux un travail et de bons salaires. C’est vrai aussi que le bâtiment de Vallorbe ressemble à une prison, mais je dois dire qu’on a été reçus avec bienveillance et professionnalisme par le personnel qui s’occupe du Centre.

Lors de ce séjour, je me suis dit que j’avais une dette envers la Suisse et je me suis promis de la rembourser en travaillant un jour gratuitement.

Je surmonte ma timidité et je postule

Neuf mois après notre arrivée en Suisse, nos enfants nous ont rejoins à Orbe, petite ville du canton de Vaud, où nous avions emménagé entre-temps. Petit à petit, on a surmonté les difficultés que rencontrent beaucoup de personnes en procédure d’asile: apprendre à vivre loin de sa patrie et de ses proches, apprendre une nouvelle langue, trouver un apprentissage pour les garçons, ce qui était très difficile car nous ne connaissions pas bien les usages et la manière de faire en Suisse. Chaque fois qu’après un stage, l’un de nos fils recevait une réponse négative, mon mari et moi on se sentait coupables de ne pas pouvoir aider nos enfants, coupables de les avoir coupés de leurs racines. Heureusement, on a été aidés et nos fils ont maintenant trouvé un apprentissage.

Un jour, à fin 2015, j’ai lu sur un flyer collé sur la porte de notre immeuble, que la ludothèque d’Orbe cherchait un bénévole. Le mot bénévole a tout de suite attiré mon attention, et m’a rappelé que je n’avais pas tenu la promesse que je m’étais faite lors de mon séjour à Vallorbe. J’ai pris une photo de l’annonce et j’ai dit à mon mari que j’allais postuler. J’étais très intéressée parce que, en Arménie, j’étais enseignante et cette activité dans une ludothèque me permettrait d’avoir à nouveau des contacts avec les enfants. Mon mari était moins enthousiaste, il pensait que ce serait trop difficile pour moi parce que je ne parlais pas suffisamment bien le français.

J’ai quand même appelé le secrétariat… Et j’ai obtenu un rendez-vous pour le lendemain. J’étais très tendue et agitée, mais l’entretien s’est bien passé et j’ai été engagée. Le lendemain de ce premier entretien, j’ai fait la connaissance des onze autres membres du personnel. Ils ont tous été très gentils avec moi. Sachant que j’étais arménienne, ils m’ont parlé de Charles Aznavour, le chanteur français d’origine arménienne, et ont évoqué le génocide arménien. L’un d’eux s’était déjà rendu en Arménie et il avait beaucoup apprécié ce voyage. Il m’a proposé son aide, si j’en avais le besoin. Cette conversation m’a donné beaucoup de force. Dans le groupe, il y avait une bénévole avec une veste rouge, nommée Josiane, qui me regardait attentivement. Je n’imaginais pas à ce moment-là qu’un jour elle serait comme une marraine pour ma famille.

Je fais du « dog sitting »

J’ai commencé à travailler à la ludothèque d’Orbe. Je vérifiais que les jeux et les jouets qui étaient ramenés par les enfants étaient complets et en bon état. J’ai trouvé que cette idée de proposer des jeux et des jouets en prêt comme on le fait pour les livres dans les bibliothèques était excellente et je me suis aussitôt demandé pourquoi il n’y avait rien de tel en Arménie ? Quand on est exilé, on compare tout le temps ce qui se fait ici et ce qui se fait dans son pays d’origine !

Au début, je parlais très peu. J’avais peur de faire des erreurs et, quand on me posait une question, j’étais confuse, je rougissais et ma voix était à peine audible. Au début des vacances d’été, on s’est réunis pour nettoyer les jouets, les trier et les remettre en état. Josiane cherchait une personne de confiance à qui laisser sa petite chienne Théa, car elle ne voulait pas la mettre en pension. J’ai surmonté ma timidité pour lui dire que je l’accueillais volontiers chez moi. Je savais que mes fils en seraient très heureux car ils rêvaient d’avoir à nouveau un chien. Cette perspective m’a ramenée en Arménie, dans notre maison qui était gardée par une femelle berger allemand nommée « Jessi » et j’ai ressenti une grande bouffée de nostalgie.

Mes enfants étaient très contents à l’idée d’accueillir une petite shih tzu, mais mon mari un peu moins, il était inquiet : « C’est une grosse responsabilité ! Tu feras quoi si le chien tombe malade, s’il ne mange pas, s’il a l’ennui de sa maîtresse ? » Finalement, Théa est restée chez nous une semaine et tout s’est bien passé. Pour moi, cet épisode a été le début d’une belle amitié avec Josiane.

« Je me réjouis de pouvoir voter un jour »

Mon activité à la ludothèque d’Orbe est une expérience très enrichissante : elle m’a permis de rembourser ma dette vis-à-vis de la Suisse qui nous a accueillis ma famille et moi, j’ai aussi beaucoup progressé en français et suis devenue moins timide, j’ai une occupation à moi maintenant que mes enfants sont grands et j’ai le sentiment d’être utile. J’ai aussi fait la connaissance de personnes intéressantes et généreuses qui m’aident et m’accompagnent dans mon chemin d’intégration.

Depuis 4 ans, Arman, mon mari, est aussi bénévole dans la ludothèque. Il s’occupe de beaucoup de choses différentes : vérifier les jouets, dresser le stand de présentation lors du marché de Noël, préparer des salles pour accueillir une fête ou des événements particuliers, accompagner les enfants lors du passeport vacances… Maintenant, ce qui me ferait plaisir c’est que Arman trouve du travail. Et, à titre personnel, je me réjouis d’avoir un jour le droit de voter.

Je reste positive, comme le dit un dicton populaire : « Après la pluie vient le beau temps ! »

Anahit

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




« Schéhérazade »

pixabay.com CC0 Creative Commons

Chroniqueur du génocide

En mémoire du 103ème anniversaire du génocide arménien

J’ai lu l’œuvre épique de Franz Werfel (900 pages) Les_Quarante_Jours_du_Musa_Dagh (1933), il y a près de vingt ans. Un roman passionnant basé sur les témoignages épouvantables des réfugiés arméniens, que le célèbre écrivain autrichien-bohémien avait rencontrés à Damas-Syrie, en 1929, lors d’une tournée au Moyen-Orient avec sa femme[i].

J’ai été tellement impressionné par les événements et les personnages que pendant des mois ils sont devenus une partie de moi. Je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que je suis moi-même un descendant d’un survivant du génocide et mon âme troublée a été hantée par d’innombrables histoires de massacres et de déportations.

Pour vous dire la vérité, je me suis parfois posé la question hypothétique: Si Franz Werfel avait poursuivi son voyage en Syrie en traversant les camps de concentration de Deir elzor au nord-est de la Syrie: Ras alain, et ma ville natale Qamichli, il aurait pu rencontrer, parmi innombrable d’autres survivants du génocide arménien, mon grand-père Bedros et bien entendu son incroyable histoire de mort et de résurrection! Et pourquoi pas? Il aurait pu produire son deuxième chef d’œuvre intitulé Schéhérazade, d’après la célèbre conteuse des Mille et Une Nuits!

Tout a commencé dans un petit village du sud-est de la Turquie dans la province de Batman, district de Besiri, région principalement peuplée de Kurdes, d’Arméniens et d’autres minorités chrétiennes, pendant et à la suite le génocide arménien perpétré par la Turquie ottomane en 1915.

Après le massacre de sa famille élargie, l’orphelin Bedros, ne fut pas mis à mort pour la seule raison d’avoir été doté d’une voix merveilleuse et d’une étonnante capacité à mémoriser et chanter des chants traditionnels kurdes d’origine folklorique!

Ainsi, l’enfant arménien analphabète, qui ne parlait que kurde, âgé probablement de 14 à 15 ans, grandira pour devenir le principal chanteur traditionnel d’un chef féodal kurde influent de la région.

Chaque soir, les villageois fatigués et les invités des régions voisines affluaient dans la grande salle, présidée par le Chef, désireux d’entendre le « divertissement » de Bedros. Il récitait de son « répertoire » sans fin, des chansons folkloriques et des récits historiques qu’il avait entendus depuis son enfance: des histoires de batailles féroces, de vaillants héros et de grandes villes. Il chantait aussi les louanges du Chef, louant ses vertus ainsi que les mérites de ses ancêtres. Mais, pas un mot de la douleur brûlante qui tourmentait son corps et son âme: les horribles images du massacre de sa famille et de l’extermination de toute son ethnie !

Comme l’héroïne intelligente des Mille et Une Nuits qui gardait le roi Shahryar excité par ses contes pour qu’il puisse épargner sa vie un jour de plus, Grand-père n’oublia jamais le récit du jour suivant, de peur que cela ne lui coûte sa vie.

Mais, tandis que l’histoire de Schéhérazade se termine heureusement à la fin des Mille et Une Nuits, son épreuve prend encore un autre tour tragique.

Une fin de soirée morne, ayant terminé sa « performance », épuisé et désespéré, il traîne ses pieds à la maison à l’extrémité du village, et découvre une scène qui lui glace le sang et qui laissera abasourdi jusqu’au dernier jour de sa vie! Sa maison était totalement pillée, sa femme kidnappée, son petit-fils et son neveu, âgés de 3-4 ans, étroitement attachés aux barreaux de la fenêtre, égorgés d’une oreille à l’autre…

Je n’ai pas vu mon grand-père qui est décédé quelques années après son évasion miraculeuse en Syrie et après avoir sauvé sa femme. Mais, je me souviens bien de son visage pâle qui regarde le vide sur une photo accrochée au mur de notre chambre. Ses yeux grands ouverts semblaient désespérément à la recherche de quelqu’un pour raconter les histoires jamais racontées de ses êtres chers, ainsi que de nombreuses autres histoires douloureuses et tristes…

H. Dono

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

1-  BBC radio Documentaire sur le roman de Franz Werfel Quarante jours de Musa Dagh http://www.bbc.co.uk/programmes/b09pkmpc

2- Base documentaire sur le génocide arménien http://www.imprescriptible.fr/

 




Réflexion sur l’ascension et la chute d’une ville

La guerre dans les villes Syriennes. Photos: Voix d'Exils

La guerre dans les villes Syriennes. Photos: Voix d’Exils.

Quand la vie bascule du jour au lendemain 

Une partie importante de mon travail en tant que traducteur juridique dans ma ville Qamishli, située dans le nord-est de la Syrie, à la frontière avec la Turquie, était de travailler avec les demandeurs d’asile et les migrants ; particulièrement les Irakiens qui avaient fui leur pays après l’invasion américaine en 2003. A cette époque, je ne pouvais en aucun cas imaginé que je me retrouverais dans leur situation.

Je préparais leurs dossiers, traduisais des documents, prenais rendez-vous avec les ambassades et remplissais les formulaires etc. Des centaines de familles sont passées par mon bureau. Chacune avait une histoire extrêmement douloureuse de persécutions subies ou de déplacements forcés. Il était très pénible d’entendre les récits de ces malheureux qui, jadis, menaient des vies assez confortables avant qu’elles ne soient subitement chamboulées par la guerre qui les a contraints à fuir pour se retrouver au final sans abri dans des pays étrangers.

Étant moi-même un descendant d’une famille de réfugiés, leurs histoires n’étaient pas totalement inconnues pour moi. Mon grand-père était le seul survivant d’une famille élargie massacrée pendant le génocide arménien, mené par le gouvernement ottoman contre les Arméniens et les autres chrétiens de la Turquie, pendant et après la Première Guerre mondiale. En 1920, à l’instar de nombreux compatriotes, il survécu miraculeusement en traversant à pied l’immense territoire qui sépare son village natal dans la province de Diyarbakır, au sud-est de la Turquie, et la ville frontalière syrienne de Ras al Ayn. C’est ainsi que les récits de déplacements et de massacres avaient déjà largement abreuvé ma mémoire depuis mon plus jeune âge.

La guerre dans les villes Syriennes. Photos: Voix d'Exils

La guerre dans les villes Syriennes. Photos: Voix d’Exils

Néanmoins, en me mettant à la place de ces réfugiés irakiens, je ne pouvais pas m’empêcher de penser ce qui aurait pu m’arriver à moi et à ma famille si nous avions vécu la guerre dévastatrice en Syrie. Le seul fait de songer à cette idée était terrifiant, cauchemardesque.

Alors que je considérais ce fait à l’époque comme quelque chose d’impensable est brutalement devenu une réalité en 2011. La guerre civile a éclaté en Syrie et la boîte de Pandore, avec tous les maux du monde, a été grande ouvert. Cette fois-ci, ce sont les visages troublés de mes compatriotes qui ont commencé à affluer dans mon bureau, portant aux côtés de leurs précieux documents des histoires horribles d’enlèvements, de pillages et de meurtres. La sécurité intérieure et les services vitaux du pays étaient déjà complètement disloqués et de larges territoires qui entouraient ma ville étaient tombés entre les mains de l’Etat Islamique.

Ironiquement, les petits-enfants des réfugiés qui avaient, il y a cent ans, fondé cette ville frontière comme un refuge pour parer à la persécution se retrouvent aujourd’hui à fuir frénétiquement la dévastation apocalyptique imminente et la mort en cherchant à leur tour un refuge en Suède, en Allemagne et dans d’autres pays européens.

Les lumières de la ville animée, multiethnique et prospère de Qamishli se sont soudainement éteintes; les activités bourdonnantes se sont tues et les rues se sont vidées pour longtemps.

Une triste histoire de l’ascension et de la chute d’une ville dans un guerre sans fin.

Hayrenik DONO

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils