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La violence à l’encontre des femmes en Afghanistan

Photo: Renata Cabrales / Voix d’Exils.

Parole à Jamail Baseer : jeune femme afghane refugiée en France

À leur retour au pouvoir en Afghanisant le 14 août 2021, les Talibans ont fermé les écoles aux filles et aux femmes et les ont exclues de l’espace public ce qui a provoqué l’indignation de la communauté internationale.

« En Afghanistan, j’ai travaillé comme traductrice avec des journalistes français, j’ai aussi travaillé en collaboration avec une ONG. Ma sœur était footballeuse professionnelle et travaillait avec un ingénieur civil. Ce n’était pas notre choix de quitter le pays. Le 15 août 2021, ma famille et moi avons quitté le pays. Ce sont les premiers mots de Jamail, une jeune femme afghane qui partage avec nous son témoignage de victime du système extrémiste mis en place par les talibans.

Perspective historique

Quelques faits historiques tirés d’un vieil article de la BBC montrent qu’en 1973, Zahir Shah a été renversé par le militant de gauche Mohammed Daoud Khan, mettant ainsi fin à plus de 200 ans de monarchie en Afghanistan. Depuis lors, sous la République dite d’Afghanistan, les droits des femmes ont progressé puisque qu’elles ont pu entrer au parlement, recevoir une éducation universitaire et obtenir des fonctions publiques. Tout cela grâce aux régimes soutenus par l’Union soviétique à la fin des années 1970, lorsque le Parti démocratique populaire (marxiste) d’Afghanistan a pris le pouvoir lors de la révolution d’avril 1978. La progression de ces droits s’est poursuivie donc après l’invasion soviétique en 1979.

Cependant, lorsque les talibans sont arrivés au pouvoir en 1996, les droits des femmes à l’éducation et à l’emploi ont été totalement anéantis. Les femmes afghanes ne pouvaient sortir qu’accompagnées d’un parent masculin et devaient porter une burqa qui les couvre entièrement. Elles ont également été condamnées à des mesures cruelles imposées par des règles fondamentalistes et rétrogrades, telles que les décapitations et les lapidations, pour une prétendue désobéissance.

Plus tard, lors de l’invasion américaine, la situation a un peu changé, non qu’elle se soit améliorée, car selon le mouvement des femmes RAWA, l’Association révolutionnaire des femmes d’Afghanistan, leurs droits ont été obtenus à cette époque grâce à la lutte du mouvement et non à l’intervention des États-Unis.

Cependant, ce répit a été de courte durée car après le retrait des troupes américaines en août 2021, les talibans (un mot qui signifie ironiquement « étudiants ») sont revenus au pouvoir, redoublant toutes les formes de misogynie. Puis les femmes ont commencé à subir les mêmes violences puis les portes des écoles et des universités leur ont été fermées.

« Nous aidons les professeurs à enseigner à certaines filles, car nous savons que les écoles sont fermées et que, dans les villages, la plupart des familles ne permettent pas à leurs filles d’aller à l’école. C’est donc une bonne occasion pour elles d’étudier près de chez elles » explique Jamail qui, d’ailleurs, avec sa sœur Fanoos, recherchent des aides financières pour les enseignants qui scolarisent clandestinement les filles en Afghanistan.

En guise de protestation contre les nouvelles réformes des talibans, une jeune femme afghane s’est tenue à l’entrée d’une université le 25 décembre 2022 (alors que le monde entier – ou presque – célébrait les fêtes de fin d’année), en tenant une pancarte sur laquelle était inscrit en arabe : « iqra » qui signifie « lire »;  la première parole révélée par Dieu au prophète Mahomet selon la religion musulmane. « Dieu nous a donné le droit à l’éducation. Nous devrions craindre Dieu, pas les Talibans, qui veulent nous priver de nos droits » a déclaré la jeune femme à la BBC. Après avoir exclu les filles de la plupart des écoles secondaires au cours des 16 derniers mois, les talibans ont également interdit il y a quelques jours l’enseignement universitaire aux femmes qui y voyaient le seul moyen de se libérer du joug religieux imposé par le gouvernement fondamentaliste des talibans.

L’Afghanistan aujourd’hui

Aujourd’hui, l’Afghanistan est un pays frappé par la misère que les gens fuient chaque jour à la recherche d’une vie meilleure car s’ils ne sont pas tués par la faim, ils sont tués par les affrontements entre groupes religieux extrémistes. Des familles entières font d’interminables voyages à la recherche d’un avenir meilleur mais, selon la plupart des gouvernements des pays où elles arrivent, il n’y a pas de guerre officielle en Afghanistan. C’est la raison pour laquelle de nombreuses demandes d’asile sont rejetées.

« Il y a aussi beaucoup de femmes exerçant une profession, comme maîtresse d’école, qui mendient dans les rues, ce qui me fait vraiment pleurer » raconte Jamail, les larmes aux yeux. Puis, reprenant son souffle, elle poursuit : « Ce n’était pas notre choix de quitter notre pays. Tout d’un coup, en une heure, beaucoup de gens ont dû quitter l’Afghanistan. Aujourd’hui, ma famille et moi sommes sûres que nous aurons une vie meilleure ici, mais nos pensées sont toujours dans notre pays bien-aimé. Pour ma part, les rues illuminées de Shari, une place célèbre à Kaboul, me manquent toujours. Ma maison, ma chambre et toutes mes affaires me manquent encore, celles que je n’ai pas pu emporter en France… Je ne suis pas heureuse » regrette la jeune femme.

Propos recueillis par:

Renata Cabrales

Membre de la rédaction de Voix d’Exils

 

Jamail Baseer

Je m’appelle Jamail Baseer. J’ai 33 ans et j’ai quitté l’Afghanistan le 17 août 2012. J’étais traductrice en Afghanistan pour des journalistes français et je travaillais également avec des ONG internationales. J’ai travaillé comme interprète et traductrice auprès de journalistes français et de militants des droits des femmes en Afghanistan. Maintenant, je vis en France en tant que réfugiée.

 

 




« Comprendre les trajectoires individuelles et la régulation politique des problèmes d’exclusion »

Une famille vivant dans le squat. Photo: Nasser Tafferant

Des chercheurs du Pôle de recherche national suisse LIVES ont analysé et retracé l’histoire d’un squat urbain peuplé de migrants situé dans la région lausannoise. Cette recherche a donné lieu en parallèle à une exposition. Pour mieux comprendre les enjeux sociaux et politiques du phénomène étudié, nous avons interviewé M. Nasser Tafferant, chercheur au Pôle national de recherche LIVES et membre de l’équipe ayant investigué sur le squat.

Au plus fort de l’hiver, durant les premiers mois de l’année 2012 jusqu’à l’expulsion de ses habitants par les autorités en avril, une équipe du Pôle de recherche LIVES « surmonter la vulnérabilité : Perspective du parcours de vie » a mené une enquête en investiguant sur les cercles de relations amicales, familiales et de couples des habitants du squat des jardins familiaux de Vidy à Lausanne en Suisse. Cette recherche avait pour objectif de mieux comprendre les trajectoires des migrants vivant dans ces cabanons de fortune et les modes de régulation politique des problèmes d’exclusion sociale. L’enquête a, en parallèle, donné lieu à une exposition intitulée « LIVING THE SQUAT, Countdown of an Expulsion », qui s’est tenue à l’Université de Genève du 15 au 29 juin 2012 et à la Haute école de travail social et de santé de Lausanne du 1er octobre au 1er novembre 2012. Elle visait à montrer au public la vie matérielle et sociale du squat à l’approche de son évacuation, tout en retraçant les parcours de vie de ses habitants à la croisée de deux regards : celui du chercheur et celui du photographe.

Voix d’Exils : Vous avez présenté une exposition intitulée « Living the squat » à Lausanne, en octobre dernier. Son sujet était la vie des migrants qui ont squatté les jardins familiaux de Vidy de janvier à avril 2012. Pouvez-vous nous dire quel était l’objectif de cette exposition ?

M. Nasser Tafferant : L’objectif de cette exposition a été de rapporter des éléments d’information concernant l’expérience vécue par certains migrants d’un squat à ciel ouvert, sous le regard des passants ordinaires, à proximité du quartier de la Bourdonnette. Il importe de signaler que nos observations ne portaient pas exclusivement sur les Roms, mais aussi sur d’autres individus en provenance de pays d’Europe et d’Amérique latine et du Sud (ces derniers migrants ayant d’abord transité par l’Espagne). Cela a son importance, puisque la stigmatisation des Roms était, entre autres formes, consécutive aux effets d’annonce de certains médias locaux qui associaient systématiquement les mots « squat » et « Roms » dans quelques articles, encourageant, par-là, certains lecteurs anonymes à rendre public un discours anti-Roms.

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La récupération. Photo: Nasser Tafferant

L’exposition rend compte de hétérogénéité des parcours de vie et de l’épreuve commune d’un squat urbain. Nous avons passé quatre mois – de janvier à avril 2012 – sur le terrain parmi les migrants et quelques suisses cohabitant dans les jardins familiaux de Vidy – du collectif de la Bourdache – jusqu’à leur expulsion définitive. Notre approche se voulait compréhensive, c’est-à-dire que nous voulions saisir les interprétations personnelles et collectives des (més)aventures au quotidien dans et hors du squat. Nous avons mobilisé des techniques sociologiques de recueil d’information en procédant, avec leur accord, à l’enregistrement de témoignages, à des observations distancées et en situation de vie dans les jardins. Nous avons, en outre, pris plusieurs photos témoignant des modalités d’ancrage dans le squat, d’une part, par la façon d’occuper et d’aménager les cabanons, d’autre part, par les formes de sociabilité (liens de famille, de couple, de camaraderie propices à l’entraide, mais aussi rapports de méfiance et, parfois, de tension virulente).

Enfin, l’affaire des jardins familiaux de Vidy ayant fait grand bruit au gré des circonstances liées aux mesures d’expulsion, nous avons porté notre attention sur la manière dont le squat des jardins familiaux de Vidy a été traité politiquement, médiatiquement et perçu par quelques riverains.

Pour quelle raison vous êtes-vous intéressé à ce mode de vie ?

Avant tout, je ferai preuve de prudence avec l’expression « mode de vie », qui ne colle pas du tout à la réalité des destinées individuelles et familiales des migrants que nous avons rencontrés dans le squat. Autrement dit, les habitants des cabanons ne mènent pas une vie de squatteur. C’est le squat qui s’est imposé à eux, par chance d’abord, puisque les cabanons étaient inhabités, par stratégie de survie ensuite, à l’approche des saisons d’automne et d’hiver qui furent rigoureuses. Il a fallu aux habitants beaucoup d’audace, d’inventivité, de confiance en soi et d’entraide pour faire l’expérience du squat dans ces conditions. Certains ont enduré cette épreuve jusqu’à leur expulsion définitive (soit presque une année passée dans les jardins familiaux), d’autres ont pris la route un matin, sans jamais revenir sur leurs pas, en quête d’une situation moins inconfortable ailleurs en Suisse ou à l’étranger. Comprendre leur sensibilité, la manière dont se dessinent les trajectoires, la régulation politique des problèmes d’exclusion sociale…, ce sont là des thèmes qui intéressent chacun des membres de l’équipe ayant participé à cette étude (Raul Burgos Paredes, Emmanuelle Marendaz Colle, et moi-même*) et, par extension, les équipes du Pôle de recherche nationale Lives – « Surmonter la vulnérabilité : perspective du parcours de vie » dont nous sommes membres.

L’exposition a-t-elle suscité une prise de conscience auprès du public et auprès des politiques qui l’ont vue ?

Si nous nous intéressons aux personnes ayant effectué le déplacement pour voir l’exposition – les riverains, les anciens occupants des jardins familiaux, les chercheurs et les étudiants intéressés par la question –, alors je réponds oui. Car l’exposition montre clairement comment, à plusieurs reprises, le traitement politique de l’expulsion du squat a été dysfonctionnel. Concernant la réception de l’exposition par les acteurs politiques, je ne peux faire de commentaires, ne les ayant pas rencontrés, aussi bien dans les moments de vernissage que lors des visites guidées. Il faut aussi dire que l’exposition n’a pas fait l’objet d’une grande visibilité. En 2012 il y a eu deux installations, une à l’Université de Genève, une autre à l’EESP de Lausanne. Nous espérons que 2013 sera propice à une plus grande visibilité.

Que sont devenus les migrants avec lesquels vous avez été en contact pour votre étude ?

La destruction du squat. Photo: Hugues Siegenthaler

La destruction du squat. Photo: Nasser Tafferant.

Entre janvier et avril 2012, nous avions tissé des liens étroits avec une quinzaine d’individus. Au cours de cette période, certains ont pris la route vers l’étranger soit pour retrouver leur ville d’origine ainsi que leur famille – Roumanie, Espagne –, soit pour bénéficier d’un dispositif d’accueil plus efficace, des actions de solidarité (notamment associatives) et nourrir l’espoir de gagner plus d’argent – dans ce cas la France était une piste privilégiée. S’agissant des personnes qui sont restées jusqu’au terme de l’avis d’expulsion, la perspective de certains a été de se maintenir à Lausanne sans qu’aucune mesure tangible de relogement ne leur soit proposée. Nous avons donc perdu leur trace pour l’ensemble, et avons croisé une personne en situation d’errance urbaine et de mendicité au centre ville.

Parmi les migrants, il y a une majorité de Roms. Quelles sont les structures d’accueil officielles accueillant les Roms pendant la saison hivernale ?

Les structures d’accueil officielles renvoient à celles déjà existantes, lesquelles proposent leurs services aux plus démunis. On peut citer le Sleep-in qui offre un gîte pour la nuit, la Soupe populaire qui offre le repas du soir et le Point d’eau qui permet de laver son linge et de faire sa toilette. Au cours de l’hiver 2012, les occupants des jardins familiaux ont notamment eu recours à la Soupe populaire et au Point d’eau. Ils ont cependant affiché une réticence à se rendre au Sleep-in, préférant le confort relatif des cabanons et un entre soi plus rassurant. Il existe, enfin, l’association de solidarité Opre Rrom, dont le siège se trouve à Lausanne, et qui œuvre à assister les Roms dans leurs combats quotidien contre l’exclusion et leur quête de reconnaissance. Ces acteurs associatifs ont suivi de près l’affaire des jardins familiaux de Vidy, manifestant un soutien indéfectible.

En tant que chercheur, avez-vous des pistes à suggérer pour améliorer les conditions de vie des Roms, améliorer leur image au sein de la population et permettre ainsi d’éviter leur exclusion ?

Aussi modeste que fut notre travail de terrain, notre objectif a été de sensibiliser les citoyens à la question du traitement politique des Roms et des migrants qui ont occupé les jardins familiaux de Vidy. Porter un regard différent, tendre l’oreille, se rendre sur place, s’informer auprès d’associations vouées à accompagner ces communautés laissées pour compte, ce sont là des touches d’attention qui contribuent à briser les jugements de valeur et à faire un grand pas. Je peux citer le cas d’un riverain qui m’avait accueilli à son domicile pour témoigner de la situation du squat dans les jardins familiaux de Vidy. La vue de son balcon donnait sur les cabanons. La proximité des occupants le dérangeait et, comme bon nombre de ses voisins, il perdait patience face à l’expulsion qui tardait à venir. Les choses prirent une nouvelle tournure lorsque la municipalité autorisa les occupants du squat à y passer l’hiver. La personne décida alors de changer de perspective sur la situation de ces voisins d’en bas. Depuis sa fenêtre, il prit le temps de bien les observer. La présence d’enfants dans le froid cinglant de l’hiver le heurta péniblement. Il prit alors la décision d’aller à la rencontre d’une famille et de leur faire don de vêtements chauds, de couvertures et de denrées alimentaires. La famille le remercia chaleureusement et ils finirent par tisser des liens, multipliant les rencontres, les deux parties pouvant communiquer en espagnol. Son jugement devint ainsi plus objectif au fil des semaines. Ce n’était plus la présence des squatteurs qui le gênait, mais les conditions dans lesquelles ils étaient maintenus ici, livrés à eux-mêmes, dans l’indifférence de tous. Il tint alors les décideurs politiques pour responsables de cette situation, il ne fut pas le seul d’ailleurs, d’autres riverains ont manifesté leur désarroi. Certes, l’homme en question souhaitait voir les occupants des cabanons quitter les lieux à la venue du printemps, mais dans le respect de leur dignité. C’est sans doute là un exemple manifeste de compréhension et de sagesse, dans la limite de moyens d’action de chacun.

*Au sein du pôle de recherche NCCR LIVES, Raul Burgos est doctorant, Emmanuelle Marendaz Colle est conseillère en communication, tandis que Nasser Tafferant est post-doc senior.

Lamin

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos:

Un cycle de conférences sur le thème de la vulnérabilité dans les parcours de vie est organisé par le Pôle de recherche national LIVES et l’Institut d’études démographiques et du parcours de vie de l’Université de Genève les jeudis du 21 février au 23 mai 2013.

Ces conférences sont ouvertes au public et l’entrée libre.

Pour en savoir plus, cliquez ici




La politique suisse encourage-t-elle le deal ?

Fraîchement arrivé dans un foyer pour requérants d’asile, Gervais Njiongo Dongmo raconte ses premiers pas à Ste-Croix, les duretés de la procédure et la réalité surprenante des vendeurs de drogue. Comme beaucoup d’autres, il résiste à la tentation de l’argent facile, mais s’interroge devant le laxisme des autorités.

A ma sortie du Centre d’enregistrement et de procédure (CEP) de Vallorbe, je dois prendre la direction de Sainte-Croix, nom d’un village qui jusque là m’était entièrement inconnu, situé à plus de 1000 mètres d’altitude au nord du Nord vaudois. Outre le plaisir que me procure ce déplacement, en ce mois de janvier dont l’hiver est rude mais beau, tant de blancheur me procure un sentiment de calme et de sérénité.

Je débarque alors au foyer d’accueil et socialisation de l’Etablissement Vaudois d’Accueil des Migrants (EVAM), milieu où vivent environ 120 requérants de nationalités différentes. Repartis de 2 à 4 par chambre, leur difficulté la plus évidente est la barrière linguistique, mais ils ont aussi en partage la même peine, celle d’observer le dur règlement déjà existant. Leur quotidien est rythmé par la réception des courriers, dont le plus attendu est celui de l’Office fédéral des migrations (ODM) concernant tout naturellement leur procédure d’asile. Pour un grand nombre, même sans avoir lu le contenu, ils s’effondrent en larmes, alors que pour d’autres c’est sans grande surprise, et ils disent en riant : « La décision négative ne me fait pas peur, de toute façon ça ne pouvait pas en être autrement ». Ils ne procèdent alors à aucun effort pour tenter un quelconque recours.

On les appelle dealers

Nouveau venu, je suis stupéfait, car l’assistance financière perçue par un requérant en procédure est de 12 francs par jour. Voilà pourquoi ils sont nombreux, jeunes, forts et célibataires, qui se détournent des règlements et se découvrent un nouveau foyer qui s’appelle Gare CFF d’Yverdon-les-Bains. Ils traînent à cet endroit ou vers les pâquis où bon nombre de gens attendent visiblement un bus qui n’arrive jamais. Ils sont prêts à braver des temps de chien et un froid de canard. On les appelle dealers. Ils rentrent très souvent tard dans la nuit et troublent la tranquillité de ceux qui voudraient continuer à croire en l’avancement de leur procédure d’asile. Mais toutefois, il faut le rappeler, c’est un long périple, une impasse qu’il faut être très fort pour endurer. Car, à « Sainte-Froid », comme beaucoup l’appellent, l’hiver règne en maître des lieux et dicte sa loi : l’interdiction de travail pendant les premiers 3 mois de séjour en Suisse.

Sans télévision ni famille, une seule solution en ce moment : manger, tourner en rond dans les corridors à longueur de journée et dormir le moment venu. Ceux-là sont les plus malheureux car, au foyer, lorsqu’ils ont besoin d’un peu d’argent, les dealers leur répondent : « Tu veux l’argent qui vient d’où ? Fais aussi comme moi et tu en auras ! » Pire, lorsque leur procédure d’asile est menacée, ils te conseillent en permanence de faire du trafic de drogue : « Tu seras expulsé comme moi, que tu deales ou pas, mais tu seras plus pathétique car tu auras enduré la pauvreté ». Et quand tu parviens malgré tout à résister à la tentation, tu deviens l’ennemi.

En dehors du foyer, la situation n’est guère facile. Alors qu’il est impératif de poursuivre notre devoir d’intégration et de socialisation, nous participons volontiers au montage du chapiteau pour la 25ème édition du Carnaval de Ste-Croix. Ainsi nous devons braver les intempéries pendant deux semaines, une expérience enrichissante qui devait nous permettre de nous familiariser avec la population, mais aussi nous offrir un accès gratuit à toutes les animations. Premier événement d’envergure pour nous, nous sommes tout de suite mis en face de la réalité : hostilité des uns, fouille obligatoire et taillée sur mesure pour les personnes de couleur. Un traitement non seulement xénophobe mais en plus discriminatoire. Seule raison donnée par les organisateurs : « Ils sont réputés pour être des dealers ».

Une poignée de personnes est pourtant accueillante. Là il s’agit en majorité de ceux qui te font un sourire, un clin d’œil ou des gestes hors du commun. Mais fais attention ! Ce n’est pas pour te proposer une moindre occupation, mais au contraire pour te demander un service : « You have ? » Je leur demande « pardon ? », et ils s’en vont, parce que là ils comprennent que tu es un non initié. D’autres disent ouvertement : « Tu as de la coke ? »  Et quand bien même tu leur réponds de manière désagréable, ils te disent qu’ils ne sont pas de la police.

Ils étaient comme ça très nombreux à nous approcher. Tourmenté par cette situation, je me demande si c’est ce que l’ODM et la Suisse appellent « intégration » ?

Toujours est il que jusqu’à aujourd’hui, dans les rues, sur les places publiques, dans les trains et même dans notre foyer, ils viennent nombreux, et beaucoup plus que vous ne pouvez l’imaginer, et leur nombre continue à croître chaque jour qui passe de façon exponentielle.

Alors que dans mon pays on m’a appris à travailler pour gagner ma vie, là-bas, bien que j’entendais parler de la drogue, je n’en avais même jamais vu la couleur. Mais aujourd’hui, non seulement les lois sur l’asile et les étrangers nous traumatisent, mais en plus, à cause d’une minorité et de ma couleur peau, on me traite de dealer.

Est-ce que toutes les personnes vivant dans un centre pour requérant d’asile, et en particulier les hommes de couleur, sont des trafiquants de drogue ? Quant à moi je suis prêt à répondre par oui, mais à une condition, celle de traiter également tous les Suisses de consommateurs de stupéfiants.

Ce que nous voulons, c’est simplement nous intégrer, avoir une vie digne et un travail.

Sporadiquement, quand même certains sont appréhendés en flagrant délit dans les gares et les rues, ils font simplement l’objet d’une détention de deux jours maximum ou – plus souvent – d’une pénalité financière. On se demande si c’est une vraie stratégie de lutte contre cette tragédie ou bien purement et simplement une politique de façade qui nous laisse croire qu’on a l’intention de faire quelque chose afin de protéger la société des conséquences néfastes de la drogue.

Quand la police visite le foyer

Un matin, encore endormis, nous avons reçu la visite spontanée de la police accompagnée de chiens et bien aguerris. Trois chambres sont ciblées et réquisitionnées. Bilan : quatre requérants sont mis aux arrêts, une importante somme d’argent saisie et bien sûr des signes palpables de drogue. Mais que sont il devenus ?

Une semaine après le drame, un par un, ils ont retrouvé la liberté. Compte tenu de la gravité du mal que l’on pourrait qualifier de crime, les responsables ne sont pas punis à la hauteur de leurs actes. On se demande si la politique de ce pays n’encourage pas le deal.

Nous, migrants, vivons un parcours parsemé d’embûches en Suisse et le risque de tomber est grand. Quand les uns sont appréhendés, ils devraient servir de leçon. Nous continuons d’être surpris par le laxisme des autorités et l’impuissance de la police, incapable d’arrêter et de punir à juste titre les délinquants qui opèrent sans se cacher. Est-ce une volonté politique de laisser dégrader la situation ?

Mais pourquoi nous appeler tous des dealers, alors que nous sommes peut être les victimes d’une situation ? Tourmenté, je reçois des courriers d’anciens amis du CEP de Vallorbe aujourd’hui dispersés dans d’autres cantons de Suisse, et entends le même son de cloche : le vécu reste inchangé. Seules différences : le nom de leur foyer d’hébergement et de la ville de résidence.

La situation laisse clairement à désirer, car le mal est là, un fléau bien présent qui s’enracine au jour le jour et continue d’étendre ses tentacules. Le souci n’est plus seulement de savoir qui sont les acteurs mais d’éradiquer le mal jusqu’à la racine. La situation est-elle bénéfique quelque part ? Cela, on ne le saura peut être jamais. Mais un signe dans ce sens vient du journal Le Courrier du 1er juillet 2010, qui révèle que les banques ont été sauvées par l’argent de la drogue durant la crise. Ces déclarations sont celles du directeur de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), Mario Costa. Des informations dans ce sens proviendraient d’éléments fournis par des fonctionnaires suisses, italiens et britanniques.

Nous espérons cependant qu’après avoir subi autant d’humiliations, nous ne serons pas simplement expulsés, mais plutôt que derrière les nuages se cache le soleil. Je sais que derrière nos soucis nous sont réservées de belles journées.

Gervais Njiongo Dongmo