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Fragments du début de la guerre en Ukraine

Arrivée des troupes russes dans Kharkiv, le 27 février 2022. Capture d’écran réalisée à partir d’une vidéo extraite du photoreportage ci-dessous de Natalia Rafalska.

Deux ans de guerre en Ukraine #3

Le 24 février 2022, la Russie envahit l’Ukraine. Cela fait donc deux ans que la guerre a éclaté. Voix d’Exils a décidé de publier une série d’articles autour de cet événement marquant. Dans cette nouvelle publication, Liana Grybanova, rédactrice à Voix d’Exils originaire d’Ukraine, revient sur les premiers jours de la guerre à travers des témoignages de personnes ayant vécu ces événements et un photoreportage de Natalia Rafalska.

Le 24 février 2022, j’ai été réveillée à 5 heures du matin par un appel de ma voisine. D’habitude, elle ne se réveille pas avant l’heure du petit-déjeuner. Elle m’a dit que trois mots : « Ils bombardent Kharkiv ! ». En un instant, c’était clair: ce que nous ne voulions pas croire était en train d’arriver! En effet, nous ne pouvions pas imaginer que nous pourrions être attaqués un jour par nos frères et sœurs Russes, celles et ceux que nous considérions comme les plus proches par la culture, par l’esprit, par notre passé soviétique commun. C’est ainsi que malgré tous les avertissements que nous ne voulions pas entendre, la guerre avait soudainement commencé. Et le choc était accentué par l’incrédulité et l’incompréhension de ce qui se passait. Mais il fallait néanmoins réagir très vite!

J’ai donc décidé d’appeler ma mère. J’ai essayé de trouver les mots justes pour ne pas l’inquiéter. Mais ce n’était pas la peine: la liaison téléphonique était défaillante car elle ne pouvait pas supporter la vague d’appels qui étaient passés en même temps. Mon mari et moi on vivait alors dans la banlieue de Kiev et nous avons alors décidé de nous rendre en ville. La première chose que nous avons vu c’est une file d’attente de plusieurs kilomètres aux stations d’essence. À 8 heures du matin, il y avait également d’énormes files d’attente dans les magasins d’alimentation, les distributeurs de billets et les pharmacies. En même temps, il était surprenant de voir à quel point les gens restaient calmes, attendaient leur tour et étaient le plus souvent silencieux. Les gens achetaient de la nourriture, des médicaments, des allumettes, des bougies et du ruban adhésif pour sceller leurs fenêtres.

Le compte à rebours de la guerre s’était enclenché et il fallait dorénavant vivre avec !

Porte d’entrée de la maison Liana Grybanova. Au début de la guerre, les Ukrainiens mettaient du ruban adhésif sur les fenêtres pour faire en sorte qu’en cas de bombardements, l’onde de choc ne brise pas le verre. Photo: Liana Grybanova le 24.02.2022.

« Non seulement les événements et les modes de vie ont changé, mais nous avons nous-mêmes changé intérieurement »

Le 24 février 2022, nous avons franchi une ligne de démarcation, une ligne rouge, au-delà de laquelle il ne nous est aujourd’hui plus possible de vivre comme avant. Non seulement les événements et les modes de vie ont changé, mais nous avons nous-mêmes changé intérieurement. Beaucoup de gens ont commencé à aider davantage les autres, à les comprendre, à faire du bénévolat.  D’autres, au contraire, ont commencé à utiliser le malheur commun à des fins égoïstes. La guerre a divisé la vie entre l’avant et l’après, les gens ont été sommés de choisir leur camp et les personnes se sont concentrées sur les valeurs les plus importantes: la paix, la famille, l’amour et la vie.

Une de mes amies, écrivaine et directrice d’un théâtre à Kiev, m’a dit qu’elle n’aurait jamais imaginé qu’elle enverrait à l’un de ses acteurs non pas un scénario pour une nouvelle pièce de théâtre, mais des colis au front. Une autre de mes amies, directrice d’une clinique privée, attend, quant à elle, que sa fille de 19 ans revienne du champ de bataille.

Nous sommes devenus différents, peut-être plus forts. Mais chaque jour de cette guerre, qui dure depuis deux ans maintenant, renforce notre certitude qu’il n’y a rien qui la justifie.

Liana Grybanova

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

« Notre hôtel est situé dans un endroit magnifique au bord du lac. Mais au début, les Ukrainiens ne pouvaient pas apprécier cette beauté »

Ludmila, originaire d’Ukraine, installée à Estavayer-le-Lac en Suisse

Je vis en Suisse depuis 13 ans. Lorsque j’ai appris que les villes Ukrainiennes avaient été bombardées et attaquées par les roquettes russes le 24 février 2022, j’ai été choquée car ma sœur, sa famille ainsi que ma mère étaient sur place. Heureusement, ils ont pu quitter Kiev et venir en Suisse dès les premiers jours de l’invasion russe. Je les ai tous accueillis chez moi.

Mais j’ai réalisé que je pouvais faire plus en aidant d’autres Ukrainiens et Ukrainiennes aussi. Travaillant comme réceptionniste à l’hôtel SeePark, situé à Morat, j’ai proposé aux gérants de l’hôtel d’accueillir des réfugiés Ukrainiens. L’hôtel appartient à une société dont les propriétaires vivent en Europe occidentale et ont des origines Russes. Non seulement ils ont accepté, mais ils ont aussi mis en place toutes les conditions d’hébergement pour accueillir les réfugiés. Les responsables de l’hôtel sont allés personnellement chercher les gens à la gare. Ils ont installé une cuisine provisoire sur le toit de l’hôtel dans une pièce donnant sur le lac. Les autres chambres disposaient de lits supplémentaires pour accueillir les familles avec enfants.

Notre hôtel est situé dans un endroit magnifique au bord du lac. Mais au début, les Ukrainiens et Ukrainiennes ne pouvaient pas apprécier cette beauté. Les enfants pleuraient tout le temps et les femmes s’inquiétaient pour leurs maris restés en Ukraine.

Propos recueillis par L.G.

 

Les premiers jours de la guerre

Un photoreportage de Natalia Rafalska

Réfugiée Ukrainienne actuellement en année préparatoire à l’Université de Lausanne, Natalia Rafalska livre son témoignage qu’elle accompagne de photos qui retracent les premiers jours de la guerre telle qu’elle les a vécus.   

Nous vivions à Kharkiv. Cette ville a été l’une des premières à être bombardée par l’armée russe. Lorsqu’on a entendu les première détonations, nous avons appelé nos connaissances qui vivent en périphérie de la ville. Ils nous ont dit que des soldats russes étaient déjà dans la ville…. sous leurs fenêtres!

La prise de conscience d’un terrible désastre, d’une catastrophe, nous a fait agir rapidement et clairement. Nous avons rassemblé des documents, de l’eau et des rations sèches. Je travaillais alors dans l’un des magasins d’une grande chaîne de produits laitiers fermiers. Les rames du métro circulaient encore durant la matinée et j’ai pu me rendre au travail. Mes jambes tremblaient de peur, mais nous devions travailler car les gens avaient besoin de nourriture, de produits laitiers pour leurs familles.

La première nuit, mon mari et moi avons dormi sur le sol d’une station de métro. Les rames avaient cessé de circuler et les gens utilisaient les stations pour s’abriter des bombardements. Le matin, mon mari est rentré à la maison parce que notre chat était seul. Quant à moi, je suis retournée au travail.

Pendant les neuf jours qui ont suivi, je suis allée travailler et j’ai dormi dans l’abri antiatomique le plus proche. Je n’avais rien d’autre qu’un petit sac à dos et un tapis de yoga pour m’allonger. Il faisait terriblement froid. J’étais émue aux larmes lorsque des inconnus partageaient avec moi un bol de soupe chaude, une couverture ou un vieux manteau. Ils m’ont aidée en silence, sans attendre de remerciements.

Les habitants et habitantes de l’abri, unis par le malheur qui leur est soudainement tombé dessus – la guerre – sont devenus une grande famille. J’ai pu ensuite quitter notre refuge pour rentrer chez moi pendant une courte période et je suis finalement partie pour rejoindre la Suisse.

Vidéo envoyée à Natalia Rafalska et datée du 27.02.2022, 7 heures ou 8h du matin. Traduction des échanges: « Les gars ils réfléchissent à l’endroit où aller. Ils tournent à nouveau. Ils doivent être en train de réfléchir à l’endroit où aller. Le voilà assis dans la voiture, prêt. Il y a deux personnes sur le toit de chaque voiture. Bâtards, pourquoi, pourquoi ? Ici, ils se sont promenés le long du 335 rue Shevchenko, dans le quartier de Lower Shishkovka, Saperca. C’est une matinée amusante. Je suis rentré juste à temps ».

Un engin blindé des défenseurs de la ville touché par les forces spéciales russes lors des combats. Photo prise le 27.02.2022.


Un véhicule blindé tigré des forces spéciales russes détruit par les défenseurs de la ville. Photo prise le 27.02.2022.


L’école numéro 134 à Kharkiv après une bataille entre l’unité spéciale du MUU Kraken, les combattants de la brigade 92, l’unité de volontaires Freikor, l’unité de police de la ville et les forces spéciales russes. Photo prise le 27.02.2022.


« Peaches », le chat de Natalia, attend de monter dans un bus pour quitter Kharkiv. Photo prise le 06.03 2022.


Bus à la gare d’Oujgorod au poste de douane à la frontière entre l’Ukraine et la Slovaquie. Il est inscrit sur la bande lumineuse « Navire de guerre russe, va te faire foutre ! ». Cette phrase a été prononcée par un militaire Ukrainien sur l’île des serpents le 24.02.2022, alors qu’un navire russe le sommait de se rendre sinon il allait bombarder sa position. Au début de la guerre, tous les Ukrainiens connaissaient cette phrase qui était devenue un slogan de ralliement. Photo prise le 08.03.2022.


Natalia Rafalska, ici à un passage piétons entre Oujgorod (Ukraine) et Vyšné Nemecké (Slovaquie). Photo prise le 08.03.2022.

La guerre en quelques chiffres 

En 2 ans de guerre, plus de 14 millions d’Ukrainiens et d’Ukrainiennes ont été contraints de fuir leur foyer à un certain moment. Cela équivaut à presque un tiers de la population du pays. 

Eurostar rapporte que 4.2 millions de réfugiés en provenance d’Ukraine ont été enregistrés pour une protection temporaire ou des mécanismes similaires dans l’Union Européenne.

Selon l’agence des Nations Unies pour les Réfugiés, plus de 8 millions de réfugiés en provenance d’Ukraine ont été enregistrés à travers l’Europe.

Environ 17,6 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire d’urgence en Ukraine.

Plus de 5 millions de personnes sont déplacées à l’intérieur de l’Ukraine.

La mission de surveillance des droits de l’homme de l’ONU en Ukraine a indiqué qu’à la fin du mois de novembre 2023, au moins 10’000 civils avaient été tués depuis le début de l’invasion armée de l’Ukraine par la Russie. Quelque 18’000 personnes ont été blessées selon les données disponibles. Les chiffres peuvent être considérablement plus élevés. 

L.G.

Les autres articles de la série « Deux ans de guerre en Ukraine »




Flash infos #187

Sous la loupe : Le village thurgovien de Steckborn refuse la fermeture de son centre d’asile / Elections européennes : quatre questions sur le ralliement au RN de Fabrice Leggeri, ancien patron de Frontex / Situation humanitaire très alarmante en RDC

 

Le village thurgovien de Steckborn refuse la fermeture de son centre d’asile

 Le Temps, le 16 février 2024

Elections européennes : quatre questions sur le ralliement au RN de Fabrice Leggeri, ancien patron de Frontex

Franceinfo, le 19 février 2024

Situation humanitaire très alarmante en RDC

DW, le 15 février 2024

Ce podcast a été réalisé par :

Zana Mohammed et Kristine Kostava, membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils et Malcolm Bohnet, civiliste à la rédaction.




Frontex, le spectre des disparu.e.s

Le nouveau livre de la philosophe Marie-Claire Caloz-Tschopp

La philosophe Marie-Claire Caloz-Tschopp a présenté son nouveau livre : « Frontex, Le spectre des disparu.e.s. Nihilisme politique aux frontières » le 21 novembre à la Librairie Boulevard à Genève. 

Cet événement était l’occasion pour l’auteure de présenter au public son nouvel essai politico-philosophique qui explore ce qu’elle identifie comme l’avènement d’un nouveau « nihilisme politique » aux frontières : « Dans cet essai, je me propose d’apporter une réflexion politique/philosophique sur le spectre des disparu.e.s et du faire disparaître aux frontières de l’UE, sur le terrain de Frontex en sachant qu’ils existent ailleurs dans l’histoire et l’actualité de la planète. Cet organe de l’Union européenne est un lieux d’observation, d’analyse du démantèlement de la (dé)construction politique européenne » (Caloz-Tschopp : 2023, p.25).

Le nihilisme politique : un danger commun

Le nihilisme politique est donc un concept central de son nouvel ouvrage qu’elle définit comme : « le nihilisme c’est considérer que rien n’a de valeur, c’est le rien, c’est le néant et c’est la mort de masse. Regardez ce qui se passe en Ukraine, au Moyen-Orient, en Syrie, au Kurdistan, regardez les frontières. On a l’impression que ce sont des problème différents, mais en fait tous ces phénomènes sont une figure d’une civilisation où rien ne compte ». Ce nihilisme politique se déploie selon l’auteure dans différents espaces géographiques mais également à différentes époques : « Il y a des moments de crise où ce nihilisme apparaît particulièrement et aujourd’hui on est dans un moment politique où on banalise la destruction, la destruction de la nature, des humains aux frontières ».

L’hospitalité politique pour contrecarrer le nihilisme politique

Cependant, Marie-Claire Caloz-Tschopp reste optimiste quant à la capacité de l’humanité à ne pas sombrer dans ce nihilisme destructeur car « quand il y a le nihilisme, il y a l’anti-nihilisme. Il y a la possibilité du chaos destructeur ou que quelque chose s’invente ». C’est ainsi que face au nihilisme politique qui mène « à une banalisation de la violence extrême (notion empruntée au philosophe Etienne Balibar), l’auteure pose en contrepied la notion « d’hospitalité politique » qu’elle définit en ces termes : « l’hospitalité n’est pas seulement une question d’accueil des personnes étrangères, c’est une question qui devrait être à la base de toutes les constitutions politiques […]. C’est peut-être la seule manière de mettre en cause la violence extrême et la destruction totale de la planète ». Elle propose une définition holistique de l’hospitalité politique en replaçant cette notion au niveau de l’ensemble de la vie en société : les rapports entre les humains et le rapport humains-nature. Selon Marie-Claire Caloz-Tschopp, l’hospitalité politique est une philosophie qui se fonde sur le droit fondamental que tout être humain a « le droit d’avoir des droits » (notion développée par la philosophe Hanna Arendt) et d’avoir une place sur Terre reconnue par les autres.

Podcast de la présentation du livre

Présentation du livre « Frontex, le spectre des disparu.e.s » à la Librairie du Boulevard le 21.11.2023. De gauche à droite: Marie-Claire Caloz-Tschopp (philosophe, auteure), José Lillo (metteur en scène, auteur), Manuela Salvi (modératrice, journaliste à la RTS), Olivier de Marcelus (activiste du climat, auteur) et Martin Caloz (artiste, auteur).

A propos du livre

L’ouvrage « Frontex: le spectre des disparu·es. Nihilisme aux frontières » a été publié aux éditions l’Harmattan en 2023. Il rassemble des contributions originales de Iside Gjergji – Portugal/Rome, Claude Calame – Lausanne, Marion Brepohl – Brésil, Marcelo Vignar – Uruguay, Sophie Guignard et Lorenz Naegeli – Solidarité Sans Frontières (SOSF), Berne, Christophe Tafelmacher – Lausanne, Olivier de Marcellus – Genève, José Lillo – Genève, Lucia Melgarero – Lausanne.

La rédaction

A propos de l’auteure

Marie-Claire Caloz-Tschopp est philosophe. Elle a enseigné la théorie politique à l’Université de Lausanne et de Genève. Elle a également été directrice du programme « Exil » du Collège international de philosophie de Paris. Ses travaux portent sur les politiques migratoires et le droit d’asile.




Moi capitaine

Un film percutant sur le périple migratoire de jeunes migrants sénégalais actuellement au cinéma

Du Sénégal à la mer Méditerranée, en passant par le Niger et surtout la Lybie, « Moi capitaine » offre une fenêtre unique sur cette réalité de l’exil. Matteo Garrone, le réalisateur de « Gomorra », film qui traite du crime organisé dans la banlieue napolitaine, base son nouveau long-métrage sur de multiples témoignages et notamment celui d’un jeune sénégalais de 16 ans à l’époque qui vit aujourd’hui en Belgique.

C’est l’histoire de deux jeunes sénégalais qui quittent leur terre pour l’Europe sans prévenir leur famille. Cette fiction basée sur des faits réels raconte essentiellement la violence du chemin de l’exil, dans le cas présent,  jusqu’en Europe.

Voix d’Exils a eu l’occasion de voir le film lors de son avant-première suisse à Lausanne le 14 décembre 2023. Le film a déjà remporté le lion d’argent du meilleur réalisateur à la Mostra de Venise ainsi que le prix du meilleur espoir pour Seydou Sarr. Selon le cinéaste, le film, qui se base sur des témoignages, veut « donner une forme visuelle à toute cette partie du périple qui se déroule avant l’arrivée [ou non] qui est invisible ».   

Payer ou être torturé

La rédaction de Voix d’Exils tient à souligner un moment marquant du film sans pour autant le spoiler. Ce dernier témoigne notamment des conditions inhumaines dans lesquelles se trouvent des milliers de personnes sur le chemin de l’exil en Libye. Ces violences sont très documentées et ressortent à travers de nombreux témoignages. Nous en avions d’ailleurs dernièrement parlé dans le cadre du Flash Infos 180 suite au rapport de Médecins Sans Frontières sur les prisons de Abu Salim et d’Ain Zara. 

Le film montre notamment le chantage courant qui est fait aux personnes migrantes enfermées dans les centres de détention des mafias libyennes. Elles sont alors obligées de payer leurs geôliers (en donnant ce qui leur reste d’argent et/ou en appelant la famille au pays afin qu’elle envoie de l’argent) sous peine d’être torturées. Cependant, le long métrage montre aussi les solidarités qui peuvent naître le long du parcours migratoire.

 

Une avant-première avec SOS Méditerranée

Dans le cadre de cette avant-première du 14 décembre, l’association SOS Méditerranée, organisation de sauvetage aux embarcations en détresse en mer Méditerranée, était présente. En effet, étant donné que l’action de SOS Méditerranée intervient à un moment clé du parcours migratoire représenté dans le film, un membre de l’association a pris la parole à la fin de la projection afin de partager l’expérience de l’association sur les sauvetages en mer ainsi que les enjeux et obstacles auxquels ils font face dans le cadre de leur mission.

 

Prise de parole remarquée d’un spectateur

À la fin du film, le public a eu l’occasion de poser des questions à SOS Méditerranée et donner son avis sur le film. Maky Madiba Sylla, réalisateur sénégalais actuellement en train de tourner un documentaire qui fait suite au naufrage d’une embarcation au départ du Sénégal transportant des personnes migrantes, a fait une intervention remarquée. Etant donné que c’est le point de départ de « Moi, capitaine », M. Sylla a souhaité amener un complément d’information sur ce qui pousse aujourd’hui beaucoup de jeunes à quitter le Sénégal. Selon lui, depuis plusieurs décennies, plusieurs multinationales soutenues par des puissances étrangères développent la pêche intensive au Sénégal, pillant les ressources de l’océan et mettant en péril l’économie locale qui fonctionnait en grande partie grâce à la pêche artisanale. Selon lui, près de 2 millions de familles sont aujourd’hui mises en danger à cause de cette surpêche. Par conséquent, cette situation force beaucoup de jeunes à devoir quitter leur pays pour survivre, alors même qu’ils ne souhaiteraient pas partir.

Au vu de tous les enjeux qu’il soulève, la rédaction de Voix d’Exils vous conseille chaleureusement d’aller voir dès que possible « Moi, capitaine » !

Alix Kaneza, membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils et Malcolm Bohnet

Commentaire

« Après avoir vu ce film, j’ai mal dormi et je me suis posé beaucoup de questions. Je me demande pourquoi autant de droits humains des personnes exilées sont bafoués, pourquoi de telles tortures restent impunies, je me demande ce que nous pouvons faire pour les arrêter. Cependant, je m’interroge aussi sur le rôle de nos pays africains dans cette tragédie. Le film fait revivre le passé à des gens qui ont vécu la même chose, donc je ne peux pas conseiller à mes amis africains de le voir parce que je ne sais pas comment ils sont arrivés ici en Europe et j’ai peur qu’il leur fasse revivre leur propre chemin d’exil ».

Alix Kaneza

 

Où voir le film?

Le film « Moi, capitaine » est dans les salles obscures depuis le 3 janvier et est notamment diffusé dans des grandes salles de Suisse Romande ; Genève, Lausanne, Neuchâtel, Delémont, Fribourg, La Chaux-de-Fonds

Bande annonce de Moi Capitaine : https://youtu.be/peOwMyk0FRk?si=3hwUKhVIryt-Cz_F

 




Tensions entre aide humanitaire et crise migratoire

Source : Observatoire éthique et santé humanitaire / Nago Humbert

Une journée de conférences à l’Université de Neuchâtel à retrouver en ligne

Le 10 novembre 2023 a eu lieu une journée de conférences intitulée « Tensions entre aide humanitaire et crise migratoire » à l’Université de Neuchâtel. A l’occasion de la mise en ligne sur YouTube des conférences en question, la rédaction de Voix d’Exils a décidé de revenir sur cet événement passionnant.

Cette journée était organisée par l’Observatoire d’Ethique et Santé Humanitaire qui a pour vocation de servir de plateforme de questionnement et de dialogue autour des pratiques actives dans l’action humanitaire et la coopération internationale. A travers 5 conférences, cet événement donne la parole à des acteurs directement impliqués sur le terrain, ainsi qu’à des chercheurs et chercheuses spécialisés dans ces thématiques. Cette approche multidisciplinaire a pour objectif de favoriser une compréhension approfondie de ces enjeux complexes et d’ouvrir des perspectives d’action en vue de l’élaboration de politiques plus cohérentes, humaines et équitables.

La journée a débuté avec l’introduction de M. Thomas Facchinetti, membre de l’exécutif de la commune de Neuchâtel.

S’en est suivi la première conférence donnée par M. Nago Humbert, responsable de l’Observatoire d’Ethique et Santé Humanitaire. Sa prise de parole a porté sur le poids de l’émigration des personnels de santé pour de nombreux pays du Sud. Ce manque de personnel de santé a des répercussions sur le taux mortalité infantile et maternel. Il a également été l’occasion pour M. Humbert de détailler le contexte géopolitique dans lequel s’inscrit cette émigration du personnel de santé et les conséquences que cela entraine.

La deuxième conférence donnée par Mme Cesla Amarelle, professeure de droit des migrations à l’Université de Neuchâtel et ancienne Conseillère d’Etat du canton de Vaud, a présenté les enjeux qui entourent les crises migratoires dans le contexte du déploiement des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle. Elle a développé son propos en rappelant que les situations d’exil forcé risquent de se multiplier étant donné l’enchevêtrement des différentes crises. Mme Amarelle a également partagé ses réflexions quant à la mise en place du futur Pacte européen sur la migration et l’asile ainsi que les risques de violations des droits humains à travers la sécurisation et le développement des techno-frontières.

Dans un troisième temps, Alice Corbet, anthropologue et chercheuse au Centre national de la recherche scientifique français (CNRS), a développé un propos sur la thématique des camps de réfugiés et des conditions sociales vécues à l’intérieur de ces derniers. En effet, l’intervenante a notamment pu montrer la contradiction vécue entre le temps long passé par les personnes dans ces camps alors que ces derniers fonctionnent avec des logiques d’urgence. Il s’agissait également de revenir sur le financement des dispositifs humanitaires et les enjeux de la communication utilisée pour faire ces levées de fonds.

Suite à Mme Corbet, M. Robin Stünzi, membre du centre suisse de recherche sur la migration et la mobilité, a fait une intervention intitulée : «De l’accueil des réfugiés hongrois à celui des ukrainiens : l’inclusivité sélective des politiques d’asile suisses en perspectives historiques» qui a permis de tracer historiquement les grandes orientations des politiques d’asile en Suisse.

La dernière conférence a été dispensée par M. Filippo Furri, anthropologue et consultant pour le CICR à Paris ainsi que pour l’ONG euroMed rights. M. Furri est revenu sur la situation humanitaire épouvantable en mer Méditerranée depuis de nombreuses années. Il a également rappelé la responsabilité de l’Europe face à ces événements ainsi que celle de Frontex comme instance sécuritaire qui s’est renforcée à travers le temps au dépend des programmes de « Search and rescue ».

La journée s’est terminée autour d’une table ronde passionnante regroupant plusieurs intervenantes et intervenants de la journée, politiciennes et politiciens ainsi que des acteurs de la société civile.

 

Interview de M. Nago Humbert 

Suite à cette table ronde, nous avons eu l’occasion d’interviewer M. Nago Humbert, fondateur de Médecins du Monde Suisse, professeur agrégé à la faculté de médecine de Montréal et organisateur de cette journée en tant que fondateur de l’Observatoire d’Ethique et de Santé Humanitaire.

Lors de cette interview, nous avons pu aborder différents sujets à la fois nationaux et internationaux, portant sur les discours et pratiques qui entourent aujourd’hui les enjeux de la migration.  

 

Vous pouvez retrouver les différentes conférences sur la chaine YouTube de l’Observatoire d’Ethique et de Santé Humanitaire 

 

Elvana Tufa et Malcolm Bohnet

Rédaction vaudoise de Voix d’Exils