1

Flash Infos #78

Kristie Kostava / Voix d’Exils

Sous la loupe: Lafarge poursuivi pour complicité de crimes contre l’humanité en Syrie / Les enfants: premières victimes de la politique migratoire grecque / Des camps de migrants high-tech dénoncés en Grèce

Le groupe français Lafarge poursuivi pour complicité de crimes contre l’humanité en Syrie

BFM TV, le mardi 7 septembre 2021

Par sa décision du 7 septembre 2021, la Cour de cassation française remet en examen le Groupe Lafarge SA accusé de «complicité de crimes contre l’humanité» en Syrie, annulant ainsi la décision prise par la Cour d’appel de Paris en novembre 2019.

Lafarge est également accusé de financer le terrorisme. Pour maintenir l’activité de ses usines en Syrie le géant français du ciment, à travers sa filial Lafarge Cement Syria (LCS), aurait versé, entre 2013 et 2014, 13 millions d’euros environ aux groupes armés, dont l’organisation État islamique (EI), alors que le pays s’enfonçait dans la guerre.

Cette affaire remonte à l’année 2017, suite à l’ouverture d’une enquête judiciaire sur les activités du cimentier en Syrie l’impliquant dans des crimes de «financement du terrorisme», de «violation d’embargo», de «mise en danger de la vie d’autrui» et de «complicité de crimes contre l’humanité». Lafarge était suspecté, dans ce dossier, d’avoir vendu du ciment de ses usines à l’EI et d’avoir payé des intermédiaires pour s’approvisionner en matières premières auprès de factions djihadistes.

La plus haute juridiction judiciaire française a donc estimé qu’il y a des éléments substantiels qui justifient les poursuites du Groupe Lafarge pour «complicité de crimes contre l’humanité».

Kristine Kostava / Voix d’Exils

Les enfants: premières victimes de la politique migratoire grecque

Infomigrants, le 10 septembre 2021

Les conditions de vie des enfants migrants qui vivent dans le camp de Kara Tepe sur l’île de Lesbos en Grèce sont très difficiles. Kare Tepe est le nouveau camp qui a été construit après le gigantesque incendie qui a ravagé le camp de Moria sur cette même île. Les enfants qui vivent dans le camp n’ont pas accès à une scolarité normale et à des activités sportives. A cela s’ajoute que l’environnement dans lequel ils vivent n’est pas sûr. Les ONG essaient d’aider ces enfants pour qu’ils puissent aller à l’école publique grecque, mais il est compliqué de les faire acceptés. «Seul un très petit pourcentage d’enfants va dans les écoles publiques […] Certaines ONG organisent un peu d’éducation informelle. Mais ce n’est pas le but, le but c’est que les enfants puissent aller à l’école publique» relève Babis Petsikos, de l’association Lesvos Solidarity. Les ONG sur place tentent de les aidés comme elles peuvent, comme Unicef qui donne des cours quelques heures par jour. Mais ce qui inquiète le plus les ONG, ce sont les conditions de vie des enfants dans le camp de Kara Tepe. Artémis Christodoulou, psychologue chez Médecins sans frontières (MSF), prévient: «Plus les enfants sont jeunes, plus le stress affecte leur cerveau. Donc si les enfants et les adolescents vivent constamment dans un état de stress, leur développement s’en ressentira forcément.»

Des camps de migrants high-tech dénoncés en Grèce

L’Express, le 20 septembre 2021

Plusieurs ONG, dont Amnesty International, considèrent le camp de migrants qui a ouvert le 18 septembre sur l’île grecque de Samos comme une prison exposant les réfugiés à la maladie mentale. Or, les autorités grecques considèrent cette réalisation comme la première du genre et la plus propre, et ont indiqué qu’elles disposent de procédures d’examen strictes pour s’assurer que les réfugiés qui vivent à l’intérieur sont exempts d’éléments terroristes et de faux documents.

Les infrastructure du camp sont confortables, mais ce qui le distingue aussi est le fait qu’il soit protégé comme un bunker high-tech pour filtrer les éventuels terroristes. «Le but est de suivre la loi, et la loi dit que nous devons les filtrer et les enregistrer pour nous assurer qu’ils n’ont pas de faux [papiers] et qu’ils ne sont pas des terroristes, ne sont pas un danger et cela prend du temps», justifie Manos Logothetis qui supervise l’accueil des réfugiés au ministère grec des migrations.

Les ONG ont également dénoncé le caractère fermé du nouveau camp et les conséquences sanitaires de l’incarcération. Médecins sans frontières a également condamné cet ouvrage et le considère comme «une honte» et «un cauchemar dystopique». Quant à la la Commission européenne, elle s’engage à fournir une somme importante pour financer cinq camps recevant des arrivées en provenance de la côte turque afin d’éviter les conditions insalubres que Samos a connue ces dernières années avec le camp de Moria.

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 




Revue de presse #3

La revue de presse, la nouvelle rubrique de Voix d’Exils. Auteur; Damon / Voix d’Exils.

Au plus près de l’actualité internationale de la migration

Sympathisante de l’État islamique, elle risque de perdre sa nationalité suisse

24 heures, 04 février 2020

Ce serait la deuxième fois, depuis la Seconde Guerre mondiale, qu’une personne de nationalité suisse se verrait privée de sa nationalité. Il reste à voir si la femme concernée a déposé un recours en temps voulu auprès d’une ambassade à l’étranger. Dans le cas contraire, le retrait de ses droits civils deviendra effectif en début de semaine prochaine (le 17 février). Âgée de 30 ans, celle qui possède également la nationalité française est originaire de Berolle, petite commune vaudoise.
Juridiquement, le SEM (Secrétariat d’Etat aux Migrations) peut retirer la nationalité suisse à une personne ayant la double nationalité si elle a causé un préjudice aux intérêts ou à la réputation de la Suisse et met la sécurité du pays en danger. Le site internet du Tages-Anzeiger rapportait début janvier que la femme est née et a grandi à Genève. Elle est partie en 2016 en Syrie dans les territoires sous contrôle de l’organisation Etat islamique (EI) avec ses deux filles aînées à l’insu des deux pères. A noter que le retrait du passeport suisse n’est possible que si la personne concernée possède une autre nationalité. Dans le cas contraire, la Suisse créerait des apatrides, ce qui est interdit par le droit international.

L’accélération de la nouvelle procédure d’asile aux dépens de la qualité ?

Le Temps, 03 février 2020

Depuis mars 2019, les procédures d’asile sont mises en œuvre de manière accélérée au sein de six principaux centres fédéraux. Quel est le premier bilan et les chiffres de l’asile ? Dans une interview accordée au Temps, Miriam Behrens, directrice de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) – organisation qui a soutenu la nouvelle procédure accélérée, également approuvée par la population en 2016 – constate des dysfonctionnements. Après dix mois d’application, le nouveau système en place, plus rapide que le précédent, ne garantit pas un traitement équitable des demandes. Miriam Behrens relève notamment que le taux de renvois est actuellement de 16,8%, alors qu’il n’était que de 4,8% avant la réforme. L’OSAR s’occupe de la protection juridique des requérants dans quatre des six régions d’asile de Suisse. Dans chacune d’entre elles, un recours sur trois a été admis ou renvoyé au SEM. Selon l’OSAR, cela démontre de graves problèmes de qualité dans la procédure d’asile.

Toujours moins de requérants d’asile choisissent la Suisse

24 heures, 31 janvier 2020

Le recul de la migration par la Méditerranée centrale explique en partie la diminution du nombre de requérants qui demandent l’asile en Suisse. Au total, 14 269 demandes ont été déposées en 2019, soit 6,5% de moins que l’année précédente. Il s’agit du niveau le plus bas depuis douze ans. Avec 2899 demandes, l’Erythrée est le principal pays de provenance des requérants d’asile.
Le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) a traité 19 140 demandes en première instance et accordé l’asile à 5551 personnes.
Le taux de reconnaissance de la qualité de réfugié est en augmentation. Il est passé de 25,9% en 2018 à 31,2% en 2019.
Les cas en suspens se sont élevés à 8377, soit 3217 de moins que l’année précédente.
Les départs volontaires en 2019 ont légèrement augmenté à 1631, contre 1613 en 2018. A l’inverse, 2985 personnes ont été rapatriées vers leur Etat d’origine, ou renvoyés vers un Etat tiers, soit 281 personnes de moins qu’en 2018. Les transferts dans un Etat Dublin ont aussi légèrement baissé, passant de 1560 à 1521.
Pour 2020, le SEM table sur environ 15 000 nouvelles demandes.

Valmar / Voix d’Exils

Pour aller plus loin:

Révision de la loi sur l’asile, article publié le 10 janvier 2019 sur Voix d’Exils

Des procédures d’asile accélérées dès le 1er mars, article publié le 21 février 2019 sur Voix d’Exils




Réflexion sur l’ascension et la chute d’une ville

La guerre dans les villes Syriennes. Photos: Voix d'Exils

La guerre dans les villes Syriennes. Photos: Voix d’Exils.

Quand la vie bascule du jour au lendemain 

Une partie importante de mon travail en tant que traducteur juridique dans ma ville Qamishli, située dans le nord-est de la Syrie, à la frontière avec la Turquie, était de travailler avec les demandeurs d’asile et les migrants ; particulièrement les Irakiens qui avaient fui leur pays après l’invasion américaine en 2003. A cette époque, je ne pouvais en aucun cas imaginé que je me retrouverais dans leur situation.

Je préparais leurs dossiers, traduisais des documents, prenais rendez-vous avec les ambassades et remplissais les formulaires etc. Des centaines de familles sont passées par mon bureau. Chacune avait une histoire extrêmement douloureuse de persécutions subies ou de déplacements forcés. Il était très pénible d’entendre les récits de ces malheureux qui, jadis, menaient des vies assez confortables avant qu’elles ne soient subitement chamboulées par la guerre qui les a contraints à fuir pour se retrouver au final sans abri dans des pays étrangers.

Étant moi-même un descendant d’une famille de réfugiés, leurs histoires n’étaient pas totalement inconnues pour moi. Mon grand-père était le seul survivant d’une famille élargie massacrée pendant le génocide arménien, mené par le gouvernement ottoman contre les Arméniens et les autres chrétiens de la Turquie, pendant et après la Première Guerre mondiale. En 1920, à l’instar de nombreux compatriotes, il survécu miraculeusement en traversant à pied l’immense territoire qui sépare son village natal dans la province de Diyarbakır, au sud-est de la Turquie, et la ville frontalière syrienne de Ras al Ayn. C’est ainsi que les récits de déplacements et de massacres avaient déjà largement abreuvé ma mémoire depuis mon plus jeune âge.

La guerre dans les villes Syriennes. Photos: Voix d'Exils

La guerre dans les villes Syriennes. Photos: Voix d’Exils

Néanmoins, en me mettant à la place de ces réfugiés irakiens, je ne pouvais pas m’empêcher de penser ce qui aurait pu m’arriver à moi et à ma famille si nous avions vécu la guerre dévastatrice en Syrie. Le seul fait de songer à cette idée était terrifiant, cauchemardesque.

Alors que je considérais ce fait à l’époque comme quelque chose d’impensable est brutalement devenu une réalité en 2011. La guerre civile a éclaté en Syrie et la boîte de Pandore, avec tous les maux du monde, a été grande ouvert. Cette fois-ci, ce sont les visages troublés de mes compatriotes qui ont commencé à affluer dans mon bureau, portant aux côtés de leurs précieux documents des histoires horribles d’enlèvements, de pillages et de meurtres. La sécurité intérieure et les services vitaux du pays étaient déjà complètement disloqués et de larges territoires qui entouraient ma ville étaient tombés entre les mains de l’Etat Islamique.

Ironiquement, les petits-enfants des réfugiés qui avaient, il y a cent ans, fondé cette ville frontière comme un refuge pour parer à la persécution se retrouvent aujourd’hui à fuir frénétiquement la dévastation apocalyptique imminente et la mort en cherchant à leur tour un refuge en Suède, en Allemagne et dans d’autres pays européens.

Les lumières de la ville animée, multiethnique et prospère de Qamishli se sont soudainement éteintes; les activités bourdonnantes se sont tues et les rues se sont vidées pour longtemps.

Une triste histoire de l’ascension et de la chute d’une ville dans un guerre sans fin.

Hayrenik DONO

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Il échappe à Daesh mais pas au SEM

Said. Photo: rédaction vaudoise de Voix d'Exils.

Said. Photo: rédaction valaisanne de Voix d’Exils.

Témoignage saisissant de Saïd ⃰, un jeune Erythréen qui raconte son périple jusqu’en Suisse. Emprisonné dans son pays pour avoir déserté l’armée, il s’enfuit et gagne la Libye. Traité comme du bétail par les passeurs qui lui promettent la traversée de la Méditerranée, il croise le chemin des troupes de Daech. Il leur échappera de justesse et continuera sa route jusqu’en Suisse où il espère enfin trouver la paix. Ses espoirs seront vite déçus : le SEM (Secrétariat d’Etat aux migrations) prononce à son encontre une décision de non entrée en matière.

Voix d’Exils (VE): Voulez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Saïd : Je suis né en septembre 1993 à Asmara, en Érythrée, où vivent encore deux de mes frères ; le troisième est au Soudan. J’ai une sœur, également requérante d’asile,  qui vit à Saint-Gall ; Ma mère est en Israël et mon père est militaire en Erythrée.

VE: Quand est-ce que vous avez quitté votre pays? Et pourquoi l’avez-vous fait?

Saïd : En Erythrée, le service militaire est obligatoire. En 2011, j’ai été appelé. Comme j’avais eu un accident et reçu une balle dans la main gauche, je pensais que je serais dispensé. Mais ils m’ont retenu et j’ai dû continuer jusqu’à la fin. Après cela, j’ai été affecté à un régiment du renseignement militaire. Une semaine après, j’ai quitté mon poste et je suis rentré chez moi. Les autorités se sont mises à ma recherche. J’ai essayé de m’enfuir en traversant la frontière avec l’Ethiopie, mais j’ai été vite rattrapé et jeté en prison. C’est là-bas que j’ai rencontré ma femme. Dès que je suis sorti de prison, j’ai essayé à nouveau de quitter le pays et cette fois-ci j’ai réussi en passant par la frontière soudanaise.

VE: Comment s’est déroulé votre périple ?

Saïd : Je suis parti seul ; ma femme m’a rejoint plus tard au Soudan. A ce moment-là, elle était déjà enceinte. En compagnie de neuf amis d’enfance, nous avons traversé la frontière libyenne sans aucun problème jusqu’à Ajdabiya, une ville contrôlée par les trafiquants qui vous retiennent en otage jusqu’au paiement des frais de traversée de la mer. Ma femme n’ayant pas assez d’argent pour continuer le voyage, ils ont décidé de nous séparer. Ils m’ont envoyé vers un lieu où étaient regroupés ceux qui s’étaient déjà acquittés de leurs frais. Mes nuits se sont alors peuplées de cauchemars et de toutes sortes de frayeurs. Au mois de mars 2015, à Tripoli, un certain Monsieur Aman nous a conduits chez lui, nous informant qu’il y avait un groupe de personnes prêtes à faire le voyage en mer. Comme je n’avais aucune nouvelle de ma femme, j’ai refusé d’embarquer. Après un mois environ, j’ai pu la joindre. Nous sommes alors partis dans le même bateau pour l’Italie. Après deux jours, nous avons continué notre voyage pour la Suisse.

VE: Avez-vous été retenu par Daesh⃰⃰  ⃰  en Libye?

Saïd: Je n’ai pas été capturé personnellement par les terroristes. Mais le lendemain de mon arrivée à Ajdabiya, les trafiquants, profitant de notre détresse, nous (138 personnes) ont entassés dans de gros containeurs sur des camions remorques. Ils ont d’abord fait entrer les femmes en rangs bien serrés et, enfin, les hommes, en nous obligeant à rester debout. Il n’y avait ni eau ni nourriture ; certains ont perdu connaissance à cause du manque d’air. Nous avons crié pour faire arrêter le camion mais en vain. A environ trois heures du matin, ils ont décidé de nous transborder du camion vers des véhicules plus petits. Au bout d’un certain temps, nous sommes arrivés à une route montant sur une colline au bas de laquelle, nous ne l’avions pas remarqué, la route était bloquée par Daesh. Nous descendions, lorsque soudain, des coups de feu éclatèrent, accompagnés de cris nous intimant l’ordre de nous arrêter. Les véhicules étant lancés à toute vitesse, ils ne pouvaient plus s’arrêter. Nous avons essuyé des tirs ; certains d’entre nous furent blessés. Soudain, notre voiture s’est arrêtée, j’ai sauté dehors avec quatre autres compagnons et nous avons couru aussi vite qu’on pouvait. Tout le monde criait et pleurait ; notre voiture a explosé sous un tir de roquette en une boule de feu gigantesque. Caché derrière de gros rochers sur le sommet de la colline, j’ai essayé de voir ce qui se passait mais je n’entendais que les cris « Allahou Akbar, Allahou Akbar » des terroristes. Tous les véhicules étaient en flammes. Ce souvenir reste encore vivant dans mon esprit et continue à me hanter. J’étais sûr que j’allais mourir là-bas.

VE: Comment avez-vous échappé aux griffes de l’EI ⃰  ⃰  ⃰ ?

Saïd: Nous n’étions que quatre survivants et les terroristes n’ont pas tardé à se mettre à notre recherche à l’aide de lampes torches. Finalement, ils sont retournés à leurs voitures et sont partis en nous laissant sous le choc. Vite ressaisis, nous avons poursuivi notre course dans le sens opposé à celui pris par les terroristes de l’EI. Le lendemain, nous avons rencontré des fermiers ; Lorsque leur patron est venu, il nous a donné à boire et à manger. Nous sommes restés trois jours chez lui et nous avons pu joindre Tripoli en taxi avec son frère.

VE: Qu’arrivait-il à ceux qui se faisaient prendre par Daesh ?

Saïd: Ceux qui ont eu le malheur de se faire prendre m’ont raconté les sévices qu’ils ont subis. Au début, il y avait un grand nombre de prisonniers aux mains de l’Etat islamique. L’un des geôliers a commencé à marquer certains avec des signes sur le bras. Il a pris ceux qu’il n’avait pas marqués et a laissé les autres. Il y avait deux frères parmi ces victimes de l’EI, qui étaient mes amis. Un a été marqué et l’autre non. Ceux qui n’avaient pas été marqués étaient très jeunes et subissaient un endoctrinement intensif de Daesh (changement de nom, apprentissage du coran, entrainement à la décapitation,…). Un jour, ils ont décapité le groupe dans lequel se trouvait le frère qui avait été marqué. L’autre frère ne pouvait pas pleurer ni montrer son chagrin devant ses geôliers. Il a fait comme s’il n’était pas du tout affecté par l’exécution de son propre frère. Bien sûr, la nuit, aucun d’entre eux ne pouvait s’empêcher de laisser sortir sa peine en pleurant. Cependant, le fait d’avoir apparemment accepté leur sort leur a fait gagner la confiance de leurs bourreaux et une certaine liberté de mouvement. Dès que la chance s’est montrée, ils se sont échappés. Malgré les moyens que les terroristes ont déployés pour les capturer, ils ont pu s’éloigner. La décapitation du frère de mon ami et de ses compagnons d’infortune s’est passée le 7 mars 2015.

VE: À l’issue de ce périple de tous les dangers, quels sont vos sentiments?

Saïd: La seule chose que je souhaite dire c’est que ma femme a accouché, il y a de cela cinq mois. Mais notre demande d’asile, à tous les trois, a été rejetée. J’ai fait tout ce chemin, bravant tous les dangers, dans l’espoir qu’en arrivant en Suisse notre enfant puisse avoir une vie moins tumultueuse que la nôtre. Hélas, jusqu’ici, on ne m’a même pas donné la chance de dire ce que j’ai vécu. J’étais au centre d’enregistrement de Bâle et pendant la première interview on ne m’a questionné que sur le moment où j’ai quitté mon pays, sur les routes que j’ai empruntées et sur les circonstances de mon arrivée en Suisse. Je n’ai pas eu l’opportunité d’exposer les conditions qui m’ont poussé à quitter mon pays. Je voudrais profiter de cette tribune pour dire que j’ai réellement besoin d’être aidé car nous souffrons énormément. Au moment où je vous parle, ma femme et moi avons un statut de NEM (Non Entrée en Matière).

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils ⃰ Nom d’emprunt ⃰⃰  ⃰ l’Etat Islamique en arabe ⃰  ⃰  ⃰ Acronyme de l’Etat Islamique




« A Yarmouk nous n’avons pas faim, nous sommes affamés »

Photo du camp de Yarmouk. Dr Moawia.

Photo du camp de Yarmouk. Dr Moawia.

Témoignage exclusif du seul médecin du camp de Yarmouk en Syrie à propos de la situation humanitaire catastrophique qui sévit là-bas. 

Voix d’Exils s’est procuré le témoignage exclusif du Dr Moawia qui est le seul médecin encore présent dans le camp palestinien de Yarmouk en Syrie. Il nous est parvenu en mai 2015 sous la forme d’un enregistrement audio.

Le camp de Yarmouk, construit en 1957 et situé à proximité de Damas, est en état de siège depuis juillet 2013. Le gouvernement syrien bloque donc le ravitaillement du camp en nourriture, eau, médicaments et électricité depuis bientôt deux ans.

A cela s’ajoute que Yarmouk est aujourd’hui le théâtre d’affrontements violents qui opposent les forces du régime de Bachar el-Assad à l’État Islamique, qui s’est introduit dans le camp le 1er avril de cette année. Depuis, plus de 80 barils, bourrés de ferraille et d’explosifs, ont été largués de manière aveugle par les hélicoptères du régime sur la population du camp tuant de nombreux civils.

A travers son témoignage, le Dr Moawia offre une évaluation objective et actuelle de la situation humanitaire du camp de Yarmouk et énumère les besoins élémentaires et urgents de son unique hôpital.

Pour écouter le témoignage du Dr Moawia cliquez ici

Voix d’Exils a également retranscrit son témoignage en français, anglais et en arabe pour améliorer sa diffusion. N’hésitez pas à partager aussi largement que possible cet article.

Cette contribution est le fruit d’une collaboration entre les rédactions vaudoise et valaisanne de Voix d’Exils. Un grand merci, en particulier, à Moaz, Amra, Alyssa et Rachel pour leur travail.

Omar Odermatt

Responsable de la rédaction de Voix d’Exils

« Nous avons besoin de tout pour survivre ici »

 

Photo de l’unique hôpital qui fonctionne encore à Yarmouk. Photo: Dr Moawia

Photo de l’unique hôpital qui fonctionne encore à Yarmouk. Photo: Dr Moawia.

« Je suis le Docteur Mohawia. Je suis un spécialiste en urologie et troubles génitaux depuis avril 2012. Je vis dans le camp de Yarmouk qui était, autrefois, la plus grande communauté marchande de Syrie. Il se situe à Damas, la capitale, et a été construit en 1951 pour servir de camp aux réfugiés palestiniens. Il y a 5 ans, pas moins d’un demi-million de personnes y vivaient. Aujourd’hui, il n’en reste que quelques milliers, car la plupart de ses habitant sont partis vivre dans des zones avoisinantes, ou ont quitté le pays. Le camp de Yarmouk est en état de siège depuis le 15 juillet 2013. Les conditions ici m’obligent à travailler en qualité de médecin généraliste : je traite des personnes avec différentes maladies, et pas seulement des personnes souffrant de problèmes urologiques. A travers cette présentation, je vais tenter de résumer la situation générale ici, en me concentrant particulièrement sur les aspects médicaux.

On me demande souvent ce dont j’aurais besoin. Une fois, j’ai essayé de répondre à la question aussi brièvement que possible : peu importe, nous avons besoin de tout ! Personne à Yarmouk, y compris moi-même, bien entendu, a un semblant de droit humain. Suis-je en train de parler du droit à la liberté ? De liberté d’expression ? De liberté de penser ? Peut-être, mais je parle surtout de besoins élémentaires comme se nourrir, de survie. Nous n’avons pas faim, nous sommes affamés. 177 personnes sont mortes de faim durant les deux derniers mois de l’année 2013 et les deux premiers mois de 2014. La plupart d’entre elles étaient soit des personnes âgées, souffrant de maladies chroniques telles que le diabète ou l’hypertension, ou des enfants, particulièrement des nouveaux nés qui ne pesaient pas plus de 1,8 kilos à la naissance. Les mères de ces bébés souffraient de malnutrition et ne pouvaient leur donner une quantité suffisante de lait maternel. De plus, il y avait (et il y a toujours) une pénurie de lait en poudre. Il y a les personnes qui meurent de faim, mais la santé de tous les habitants du camp est dangereusement affectée par la malnutrition. Durant des semaines, leur unique repas se composait d’eau épicée engendrant énormément de problèmes rénaux.

Pour empirer le tableau, l’approvisionnement en eau a été coupé depuis 9 mois maintenant. Les personnes sont obligées de boire l’eau des puits qui est polluée par les égouts. Ceci cause des cas quotidiens d’infections intestinales, avec des protozoaires tels que entamoeba histolytica et giardia lamblia. Des diarrhées sévères sont également les conséquences de la malnutrition. A tous ces maux s’ajoutent des cailloux urinaux, en raison de l’oxalate contenu dans l’eau. Soigner ce genre de maladies, et toutes les autres d’ailleurs, représente un défi d’envergure en raison du manque criant de médicaments.

Pour rester sur le sujet des maladies, les personnes souffrent de nombreuses maladies chroniques et infectieuses. Au sommet de la liste des maladies chroniques on trouve le diabète mellitus et l’hypertension. Les patients, n’ayant reçu quasiment aucun traitement durant une longue période, développent des complications bien connues de ces maladies, telles que l’acido cetose, les pieds diabétiques, l’angor, les maladies cardiovasculaires et les accidents cérébraux-vasculaires. La faim cause également des épisodes d’hypoglycémie sévère, engendrant de nombreuses morts. Je me souviens toujours de cet homme, la cinquantaine, décédé d’hypoglycémie. Si nous avions eu du sirop de dextrose, nous l’aurions sauvé. Mais ce n’est qu’un simple « si », ne changeant pas le fait que nous l’avons regardé mourir devant nos yeux. La non-disponibilité de recherches basiques de laboratoires ou de radiologie nous empêche de diagnostiquer de nombreuses maladies ; nous sommes donc impuissants face à elles. Les patients cancéreux ne peuvent recevoir leurs chimiothérapies et leurs radiothérapies. Abu Raid était l’un d’entre eux. Un homme de 70 ans souffrant d’un cancer de la prostate avec des métastases pulmonaires et vertébrales : il souffrait énormément, notamment de dyspnée, de profondes thromboses veineuses et de cachexie. Après des mois de traitements symptomatiques et de soutient psychologique, nous avons été en mesure de l’envoyer en Jordanie. Il est décédé là-bas 5 jours après son admission dans un hôpital d’Aman. Même si les maladies chroniques sont limitées à certaines personnes, tout le monde est sujet à des infections ici.

Je vais maintenant vous faire part de quelques chiffres, mais il est important de comprendre que ce ne sont que les cas que j’ai diagnostiqués depuis mai 2014, sachant que j’ai examiné plus de 370 individus. J’ai diagnostiqué 78 cas de fièvre typhoïde, le premier d’entre eux était le 12 juillet 2014. J’ai également diagnostiqué 20 cas de coqueluche, tuberculose et poliomyélites et 300 cas d’hépatites infectieuses A. La plupart des victimes étaient des enfants. Comme il fallait s’y attendre dans de telles circonstances extrêmes, l’esprit n’est pas à l’abri de l’impact psychologique de ces maladies. En effet, les maladies les plus répandues à Yarmouk sont de type psychologiques. La névrose remporte la première place ! La plupart des gens souffrent de troubles majeurs dépressifs, généralisés en tant que troubles anxieux, obsessionnels compulsifs, phobies et attaques de panique. Toutes ces névroses pourraient être un signe de psychose.

Photo de l’unique hôpital qui fonctionne encore à Yarmouk. Photo: Dr Moawia

Photo de l’unique hôpital qui fonctionne encore à Yarmouk. Photo: Dr Moawia

Amal est une jeune femme de 23 ans. Son prénom signifie « espoir. » Elle s’est rendue pour la première fois à mon bureau, accompagnée de sa mère, le 4 juin 2014. Elle a passé les 20 premières minutes de l’entretien à parler à l’appareil à prendre la tension qui se trouvait sur mon bureau. Elle adorait la peinture et la littérature anglaise. Rien dans son passé médical n’indiquait qu’elle développerait un jour des hallucinations auditives et visuelles, qu’elle souffrirait d’une perception déformée de la réalité et de troubles de l’humeur. J’ai dû la soigner durant 6 mois avec du Risperidone, un médicament normalement destiné aux schizophrènes, et ce afin qu’elle redevienne elle-même. Aujourd’hui, elle va beaucoup mieux, mais n’est toujours pas revenue à son état normal.

Je suis désolé de parler aussi longtemps, mais je vous demande la permission de vous résumer ce que dont nous avons besoin sur le plan médical. Premièrement, j’aurais besoin d’une équipe médicale qualifiée, car je suis le seul médecin professionnel. Ici, la plupart des membres de l’équipe sont des volontaires. Dans le camp de Yarmouk, les gens sont habitués aux médecins qui soignent des cas qu’ils n’ont pas étudié. Nous avons besoins de chirurgiens et de spécialistes dans tous les domaines. Deuxièmement, nous avons besoin de médicaments de toute sorte : antibiotiques, analgésiques, médicaments cardio-pulmonaires, anti-inflammatoires, compléments alimentaires ; en gros, nous avons besoin de tout. Troisièmement, nous avons besoin de vaccins, car il y a encore des naissances dans le camp et il y a une centaine d’enfants. Même si certaines organisations effectuent des vaccinations de temps en temps, cela n’est de loin pas suffisant. Quatrièmement, il nous faut une source de courant. L’électricité a été coupée depuis deux ans maintenant. On dépend des générateurs, qui fonctionnent avec un carburant cher et de mauvaise qualité dérivé du plastique. L’endroit où je travaille ne peut être alimenté en électricité plus de 3 heures par jour. Durant ces heures, nous devons accomplir toutes nos tâches. Nous avons besoin de tout comme je l’ai dit avant ! J’espère que le tableau que j’ai dépeint est aussi clair que possible. Je vous remercie énormément pour le temps que vous m’avez consacré, et vous remercie de la part de toutes les personnes ici. Merci encore. »

Docteur Mohawia

Unique médecin du camp de Yarmouk en Syrie

Amar: l’enfant de Yarmouk blessé à trois reprises

Amar: l'enfant de Yarmouk blessé à trois reprises

Amar: l’enfant de Yarmouk blessé à trois reprises.

Les enfants sont particulièrement victimes des exactions qui se produisent dans le camp de Yarmouk. Voici l’histoire d’Ammar Alaa Akla, un enfant de 4 ans. Il a été blessé à trois reprises dans le camp de Yarmouk. La première fois, c’était au niveau de l’os de la main gauche par des éclats d’un obus, trois opérations ont échoué. La deuxième fois, un sniper lui a tiré dans le genou. Et la troisième fois, un éclat d’obus a atteint son pied gauche. En plus des opérations, Ammar a aujourd’hui besoin de médicaments onéreux, mais sa famille est à court de moyens financiers.

Amar: l'enfant de Yarmouk blessé à trois reprises

Amar: l’enfant de Yarmouk blessé à trois reprises

Amar: l'enfant de Yarmouk blessé à trois reprises

Amar: l’enfant de Yarmouk blessé à trois reprises