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Les violences faites aux Iraniennes

Kristine Kostava / Voix d’Exils

Le suicide, le divorce ou l’exil

Dans la société conservatrice et patriarcale des petites villes et des campagnes iraniennes, les hommes ont quasi tous les droits sur les femmes de leur famille. Ils peuvent se montrer cruels et violents avec leurs épouses, leurs sœurs et leurs filles sans être inquiétés. Zahra, rédactrice iranienne de Voix d’Exils illustre les épreuves vécues par ses compatriotes en partageant une histoire vraie.

« Mon amie Soraya m’a raconté l’histoire épouvantable de son cousin Mohamad*. Né dans une famille riche et puissante, fils aîné d’une fratrie de cinq sœurs et trois frères, Mohamad est un homme brutal qui sait se montrer généreux avec ceux qui lui obéissent et ferment les yeux sur ses exactions.

Âgé de 40 ans, Mohamad s’est marié trois fois. A sa première épouse, Fatima, il a infligé de terribles violences physiques et morales. Après des années de mauvais traitements, épuisée, désespérée, ne voyant pas d’échappatoire, Fatima s’est étranglée avec un long foulard alors qu’elle était enceinte de son deuxième enfant. Lors des nombreux séjours hospitaliers de Fatima pour soigner les blessures infligées par son mari, la mère de Soraya lui a apporté des médicaments, des repas, elle a essayé de la réconforter. Malheureusement, Fatima n’en pouvait plus de sa vie faite d’humiliations et de souffrances. Rien n’a pu la retenir de commettre l’irréparable, pas même le bébé qu’elle portait ou sa petite fille Shilan.

Dans la ville où il habite, tout le monde savait que Mohamad maltraitait sa femme et qu’elle s’était suicidée. Pourtant, il n’a pas été inquiété.

Une fillette détruite

Comme beaucoup d’Iraniens, Mohamad estime que la place des femmes est à la maison. Elles doivent se consacrer aux tâches ménagères, à leur mari et à l’éducation des enfants. Hors des grandes villes, les Iraniennes n’ont pas le droit de quitter leur domicile si elles ne sont pas accompagnées par un homme de la famille, que ce soit leur mari, leur père, ou un frère… La scolarité, le travail et la vie sociale à l’extérieur, sont réservés aux hommes.

Malgré les idées rétrogrades de son père, et grâce à la protection de sa tante maternelle, Shilan a tout de même pu aller à l’école jusqu’à l’âge de onze ans. Après, elle a dû arrêter pour s’occuper de son demi-frère né du second mariage de son père. Après la fin tragique de Fatima, l’histoire va se répéter avec Shilan. Terrorisée par un père qui l’étouffe avec ses interdits et ne lui pardonne rien, la malheureuse s’est suicidée à l’âge de 13 ans en se pendant avec son foulard, comme sa mère avant elle. Le jour de son suicide, Shilan avait été battue par son père car son petit frère, dont elle avait la garde, s’était légèrement blessé la main pendant qu’ils jouaient ensemble.

Des sœurs tyrannisées

Amina, la deuxième femme de Mohamad, a demandé le divorce après cinq ans de mariage. Une décision difficile car elle est partie en laissant son fils avec son père. Mohamad aurait voulu punir cette femme qui préférait l’abandonner, mais il ne l’a pas retenue parce qu’il craignait qu’elle se suicide elle aussi s’il l’obligeait à rester avec lui. Il aurait alors pris le risque que la police se montre un peu plus curieuse que lors des deux précédents suicides et se sente obligée d’intervenir.

Après le départ d’Amina, Mohamad s’est marié une nouvelle fois et a eu trois enfants avec sa troisième femme. Il la maltraite aussi, mais comme elle vient d’un milieu pauvre elle subit et elle se tait. En tout cas pour le moment. Mohamad se montre prudent, il achète son silence et celui de sa belle-famille par des cadeaux et des versements d’argent.

Non content de tyranniser ses épouses et ses filles, Mohamad s’en prend aussi à ses sœurs. Quatre d’entre elles sont mariées, et on pourrait penser que leurs maris les protègent. Mais, comme ils ont très peur de leur beau-frère, ils prennent son parti et insistent pour que leurs épouses lui obéisse quelles que soient ses exigences.

Choisir l’exil ou mourir

Marjane, sa sœur célibataire, est la seule qui a osé lui résister. Avec le soutien de ses parents, elle avait terminé des études de comptabilité et avait un travail intéressant à la municipalité de sa ville avant de devoir prendre le chemin de l’exil. Elle aussi avait supporté pendant des années les reproches et les sarcasmes de son grand frère. A partir de l’âge de 16 ans, elle avait même fait plusieurs tentatives de suicide, heureusement sans succès.

Dernièrement, Mohamad avait carrément menacé de la tuer si elle ne se mariait pas au plus tard cet automne avec un homme âgé qu’il avait lui-même choisi et qui avait déjà quatre femmes.

Ne pouvant plus supporter les pressions et les menaces, sachant que ses parents ne pourraient pas la protéger plus longtemps, Marjane a pris la décision de quitter son pays. Elle a d’abord donné son congé à la municipalité, puis, lors de son dernier jour de travail, elle a mis le feu à son foulard. Avec l’argent versé par son employeur, elle est partie en juin dernier et a demandé l’asile en Allemagne.

Malgré les milliers de kilomètres qu’elle a mis entre son frère et elle, elle a toujours peur qu’il la retrouve et la tue. »

Zahra Ahmadyan

Membre de la rédaction vaudoise de voix d’Exils

*Tous les prénoms ont été modifiés

 




Migrantes : de l’ombre à la lumière*

Source: http://www.flickr.com/creativecommons/by-nc-2.0/

Depuis les années soixante, un migrant international sur deux est une migrante. Mais, invisibles, les femmes migrantes marchent à l’ombre. Peu à peu, pourtant, elles apparaissent en pleine lumière car, si leur part est stable, la nature de la migration féminine a changé. Les migrantes ne sont plus seulement épouses, mères ou filles de migrants, mais artisanes de leur propre vie.

 

 

Une réalité qui « crève les yeux » depuis longtemps commence enfin à être prise en compte. Si, en 1960, les femmes étaient 47%, cinquante ans plus tard, sur les 214 millions migrants internationaux, leur pourcentage s’établit à 49%. « Mais ce n’est pas tant cette petite différence quantitative qu’il faut relever, que la différence qualitative », souligne William Lacy Swing, directeur général de l’Organisation Internationale des Migrations (OIM) à Genève.

 Pourquoi des millions de femmes quittent-elles un pays, une culture, une famille ?

La plupart, pour les mêmes raisons que les hommes : la pauvreté – elles sont souvent pauvres parmi les pauvres –, un horizon sans espoir d’amélioration à l’échelle d’une vie, l’impossibilité d’assurer un avenir à leurs enfants et, bien sûr, les conflits, discriminations, persécutions. Selon l’OIM, l’importance de la migration féminine varie selon les régions, mais les flux migratoires d’Asie du Sud-est, d’Europe centrale et d’Amérique latine à destination des Etats-Unis, de l’Europe et du Moyen-Orient sont à prédominance féminine.

Les femmes ont toujours migré. Mais l’image de la femme qui suit ou rejoint son mari, dans le cadre du regroupement familial par exemple, doit être corrigée. « Seules ou cheffes de famille monoparentale, elles migrent désormais pour  prendre leur destin en mains. Aujourd’hui, elles s’autonomisent et deviennent actrices de leur propre vie et de la société», affirme William Lacy Swing. Le stéréotype de la femme « suiveuse » n’est donc plus approprié tant les exemples contraires se multiplient. Derrière ces monstres froids que sont les chiffres, il y a des personnes debout qui résistent au modèle qui leur est proposé, luttent au jour le jour, travaillent, se prennent en charge, s’engagent dans des actions collectives, vivent et meurent dans les combats dont elles sont partie prenante.

Les routes de tous les dangers

Bien sûr, même volontaire, la migration reste une déchirure et un traumatisme. Elle n’est bien souvent pas un libre choix, puisque, sur la carte du monde, elle suit la ligne de situations de misère ou de violences qui dépassent les individus. De plus, les dangers que courent les migrantes sont bien plus graves que ceux auxquels sont exposés les migrants.

Sur les routes migratoires, tout d’abord. Souvent irrégulière, la migration expose les femmes à un risque élevé de mauvais traitements et de violence physique et sexuelle, de la part des passeurs, des forces de police et des migrants eux-mêmes. Proie des réseaux de traite d’êtres humains, bien des femmes vivent un véritable calvaire, « parfois elles n’arrivent tout simplement pas à destination ». On rappellera que, dans le monde, deux millions et demi de personnes sont dans une situation d’exploitation liée à la traite. Les deux tiers sont des femmes.

L’autre risque de taille qui les condamne à une « double peine », en tant que femme et en tant que migrante, est celui qu’elles courent dans le pays d’accueil : préjugés et discriminations entraînent souvent une « déqualification » professionnelle et entravent durablement leur développement. Alors que bon nombre d’entre elles sont des travailleuses qualifiées, des entrepreneuses, des étudiantes, des scientifiques, des artistes ou des intellectuelles, leurs compétences ne sont pas reconnues. Elles se retrouvent reléguées dans des travaux sous qualifiés : entretien, services hôteliers ou hospitaliers ou petite industrie.

Et c’est la porte ouverte à l’exploitation éhontée, aux salaires de misère, au manque de protection sociale ou juridique, à l’accès déficient à la santé. Un sort qui entraîne des conséquences psychosociales individuelles et familiales : sentiment de dévalorisation et d’échec qui engendre des formes de renoncement et de dépression, ce qui conforte les stéréotypes tenaces de la femme passive.

Actrices du développement

C’est peu dire que l’apport de ces femmes n’est pas assez reconnu. D’une part, d’un point de vue économique et de développement pour la société d’origine. Les données de la Banque Mondiale révèlent que les transferts de fonds des migrant.e.s vers leurs familles représentaient 440 milliards de dollars en 2010 et que la contribution des femmes est souvent plus importante et plus régulière que celle des hommes. Et le Directeur général de l’OIM de rappeler leur rôle considérable dans la santé et l’éducation des familles restées au pays. Il insiste aussi sur le fait que « les idées, les attitudes, les compétences, les échanges sociaux que ces femmes maintiennent avec leur communauté d’origine stimulent le développement ». Un autre apport, c’est, sous leur impulsion, une redistribution des rôles, une évolution des rapports sociaux et une réduction des inégalités entre femmes et hommes. Les esprits s’ouvrent, les stéréotypes craquent sous toutes les coutures, les perceptions des uns et des autres se modifient.

D’autre part, pour les sociétés de destination. William Lacy Swing relève que les femmes migrantes « sont souvent employées dans des secteurs qui correspondent à des besoins de nos sociétés, tels que les soins à la personne. Quant à la cohésion sociale, elles y contribuent fortement, puisqu’elles sont souvent investies de la responsabilité de faciliter l’intégration des membres de la famille ». On ajoutera leur engagement dans le tissu associatif et la création de réseaux d’entraide et de formation.

La fin de l’invisibilité

C’est une question de temps. Un jour, les femmes migrantes ne seront plus « objet » d’étude, mais actrices. En se réappropriant la parole, notamment dans le débat sur la migration et en refusant l’enfermement dans l’image de victime démunie ou, selon les expressions consacrées, dans le piège de « gardienne de la tradition » ou de « garante de l’intégration ». Mais pour que cela ne reste pas un vœu pieux, « les gouvernements doivent tout mettre en œuvre pour que les femmes aient accès à des canaux migratoires légaux et sûrs. Ce n’est qu’à cette condition que leurs droits fondamentaux seront garantis à toutes les étapes du processus migratoire » martèle William Lacy Swing. « Ils doivent renforcer des lois existantes, mais inefficaces et assouplir les conditions de l’asile, comme la liberté de mouvement, par exemple». Et de prédire : «L’avenir, c’est inévitable, est à l’identité multiple. Ce sera la règle plus que l’exception et les êtres humains du XXIème siècle se retrouveront autour de valeurs communes plus que d’identité nationale ou ethnique. ».

Jacqueline ALLOUCH

journaliste et enseignante

*Article initialement publié dans « AMNESTY », le magazine de la section suisse romande d‘Amnesty International, N° 68 de mars 2012.