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Dans l’enfer des prisons syriennes

Illustration: dessin réalisé par Kristin Kostava / Voix d’Exils sur la base d’une photographie de l’intérieur d’une prison syrienne transmise à la rédaction par Abdullah.

Abdullah, un survivant témoigne

 Jeudi 27 mai, Bachar al-Assad a été réélu comme président de la Syrie pour un quatrième mandat avec 95,1% des voix dans un pays en proie à une guerre dévastatrice et fratricide qui a débutée en 2011 et qui a fait à ce jour au moins 300’000 victimes. Abdullah est un jeune syrien qui a échappé de peu à la mort et qui a payé par la prison puis l’exil son opposition au régime de Bachar al-Assad. Arrêté, emprisonné et torturé dans les geôles du régime, il en est miraculeusement ressorti vivant. Vivant, mais pas indemne. Comme beaucoup d’hommes et de femmes ayant traversé des épisodes d’une violence extrême, il souffre d’un trouble de stress post-traumatique. Lors de ses confidences à Voix d’Exils, il a parfois eu du mal à retracer la temporalité des événements et la localisation des prisons dans lesquelles il a croupi de longs mois. Si les incarcérations successives ont marqué au fer rouge sa chair et son esprit, les dates, les lieux et les durées se sont par moment brouillées. Mais ce qui frappe dans ce difficile travail de mémoire, c’est la force et l’authenticité qui s’en dégagent. La rédaction prévient d’emblée les lectrices et lecteurs que certains passages du récit d’Abdullah documentent des violences extrêmes de manière explicite.

Il faut savoir que, dix ans après le début du conflit, le témoignage de Abdullah reste d’une brûlante actualité. Aujourd’hui encore, le régime syrien continue d’utiliser les détentions arbitraires, les disparitions forcées, la torture et les exécutions sommaires pour faire taire les dissidences.

Plongée au cœur de la machine de mort syrienne…

17 mars 2011, nos manifestations pacifiques sont violemment réprimées

Carte de la Syrie. Source: Wikipedia.

« C’était un vendredi, j’étais descendu avec des amis dans les rues de ma ville, Al-Quriyah. Une belle ville construite le long de l’Euphrate et bordée de grands arbres très touffus. Al-Quriyah était l’épicentre des manifestations. Les gens venaient de très loin pour se joindre à nous. Après les prières de l’après-midi à la mosquée et les courses quotidiennes, d’autres amis nous ont rejoints.

Nous portions les fleurs de la liberté et le président Bachar al-Assad a répondu en envoyant son armée nous détruire. Ce jour-là, j’ai perdu mon meilleur ami qui était comme un frère. C’était un activiste engagé, heureux de se battre pour la liberté.

Par la suite, mes amis, mes cousins et moi-même avons rejoint l’Armée syrienne libre. Nous voulions protéger les manifestant.e.s et revendiquions plus que jamais la liberté. Nous étions quelques milliers à exiger le départ d’Assad. Lui, il avait le soutien de l’armée syrienne et celui l’armée Iranienne. Plus tard, il pourra également compter sur l’appui du Hezbollah libanais, de mercenaires afghans et pakistanais, ainsi que du Hezbollah irakien.

 

« L’armée avait brûlé les maisons des personnes qui avaient pris part aux manifestations »

Le lendemain, samedi 18 mars, 200 blindés ont investi Al Quriyah. Ils ont brûlé les maisons de toutes celles et ceux qui avaient pris part aux manifestations et toutes les maisons qui se trouvaient sur leur chemin. Ils ont aussi brûlé les voitures et les motos, ils ont volé tout l’argent et tout l’or possible. Ce même jour, une centaine de personnes ont été arrêtées. Moi, j’ai dû me séparer de mon frère et de mes amis pour éviter d’être facilement traçable. Je me suis enfui dans le désert.

La nuit suivante, je suis retourné à Al-Quriyah. Les hommes d’Assad s’y trouvaient encore et avaient érigé un barrage au centre-ville. J’ai vu un de mes frères ainsi que quatre amis et voisins. Certains étaient chrétiens d’autres musulmans, mais nous étions très proches. J’ai aussi vu mon ex-copine, une Philippine dont le père travaillait pour une compagnie pétrolière chinoise installée près de la frontière irakienne.

J’ai découvert que l’armée avait mis le feu à notre maison et que mes deux grands frères avaient fui vers un autre village, où ils étaient à l’abri. Les voisins dont les maisons avaient brûlé étaient aussi de retour et s’étaient installés dans les décombres. Quant à mes trois jeunes frères, ils s’étaient réfugiés dans un autre village avec mes parents. Plus tard, ils se sont installés à quelques kilomètres de notre ville. Ma mère a vu son diabète dangereusement monter à cause du choc subi.

« La répression était animale »

Pendant cette tristement « fameuse » nuit de printemps, j’ai retrouvé mon jeune frère Mohammed qui trainait dans la rue. Il avait 14 ans, était en état de choc, car il avait été témoin d’arrestations violentes et arbitraires. Les soldats de l’armée de syrienne avaient battu des manifestants devants les yeux de leurs parents ou de leurs enfants.

Internet et Facebook ont été bloqués par le régime pour éviter l’organisation de nouvelles manifestations. Toute tentative de communiquer avec d’autres personnes représentait un danger de mort. L’armée était omniprésente. J’avais l’impression d’avoir vu tout ça à la télé dans des documentaires sur la deuxième Guerre Mondiale. Nous n’étions plus considérés comme des êtres humains, la répression était animale.

Pendant la journée, nous nous cachions pour nous protéger des rafles de l’armée, mais à la nuit tombée, nous sortions pour filmer les manifestations avec nos téléphones portables et ensuite les publier sur internet. Un an plus tard, les rassemblements avaient lieu chaque nuit et chaque nuit des protestataires étaient embarqués par les soldats et emprisonnés.

Nous nous demandions pourquoi le monde laissait faire Assad. Nous qui pensions que l’Europe et les États-Unis interviendraient pour arrêter son armée… En réalité, il y avait quelques pourparlers qui n’ont servi à rien.

 « Je me fais arrêter et battre jusqu’à l’évanouissement » (août 2011)

J’étais avec mon cousin Kheder, qui vit aujourd’hui sous une tente dans le même camp que ma famille. Il y avait aussi mon voisin Nuri qui s’est ensuite exilé à Londres. C’était le 7 août 2011, il était environ 17 heures. Le soleil était encore chaud en ce jour d’été. Nous étions dans les rues de Al-Quriyah et nous rentrions pour manger lorsque j’ai aperçu cinq voitures pleines de soldats armés. C’étaient les voitures de trois services connus : celui du Renseignement de l’Armée, celui de l’Armée Secrète et celui de « l’Armée des chaussures », comme on les surnommait, car les soldats brûlaient les maisons et volaient tous les biens, chaussures et chaussettes comprises…

Kheder est parvenu à s’enfuir et Nuri n’a pas été inquiété car il n’avait jamais pris part aux manifestations. Quant à moi, on m’a fait monter dans une jeep et mon calvaire a commencé. Après les premiers coups, j’avais des côtes cassées, même respirer me faisait mal. J’ai été emmené, avec 9 autres personnes, au service de renseignement situé dans la ville de Al-Mayadin, à 90 kilomètres de la frontière irakienne. Alors que nous entrions, nous avons vu trois cellules d’environ 4 mètres sur 4, toutes pleines à craquer. Moi, j’ai été enfermé dans une armoire et battu jusqu’à l’évanouissement. Je ne pouvais plus bouger.

Nous mangions du pain et des olives. Nous étions accusés d’être des traîtres qui avaient permis l’entrée des Américains dans le pays. Nos gardiens nous insultaient et menaçaient de s’en prendre à nos familles. Ils nous électrocutaient… nous obligeaient à battre les autres prisonniers. Certains en mouraient. Nous étions forcés de vivre comme des animaux.

« Entassés dans une cellule » de la prison de Al-Qabun (décembre 2011)

La ville de Damas, capitale de la Syrie. Source: Wikipedia.

Le service de renseignement de Al-Mayadin servait de prison escale où tous les « manifestants », toutes celles et ceux qui osaient revendiquer la liberté étaient rassemblés en attendant d’être transférés dans une autre prison. Nous étions environ 25 hommes, agglutinés là à attendre de comparaître devant le juge.

Puis, certains d’entre nous ont été envoyés à Al-Qabun, où nous étions entassés dans une « pièce » ouverte et vide. Juste quatre murs à ciel ouvert, un repère de rats, froid et sale, entouré de salles de bains et de cuisines crasseuses. C’est dans cette pièce qu’a commencé ce que je pensais être un voyage sans retour… Tout ce qui m’était arrivé jusqu’ici n’était rien comparé à ce qui m’attendait derrière cette porte.

Je n’oublierai jamais Aldmeir, un vieux prisonnier originaire de Damas. Il tremblait de froid dans ses vêtements mouillés et criait « Je me meurs, je me meurs, je me meurs ! » J’étais là, perplexe, à me demander si je devais lui donner mes vêtements… Mais, si je le faisais, c’est moi qui allais geler. De plus, ils étaient très grands et amples. Et pour cause, ils n’étaient pas à moi. Un détenu resté dans la première prison, m’avait prêté ses habits quand j’avais dû me rendre à l’interrogatoire avant d’être envoyé ici.

Je me suis dirigé avec précaution vers la porte. Le geôlier est venu et a demandé ce que je voulais. Je lui ai répondu qu’il y avait un vieil homme qui mourait de froid à cause de ses habits mouillés. Alors il s’est directement adressé au vieil homme et lui a crié « Inch’Allah, tu vas mourir à l’instant ! Tu as juste à tourner en rond ici. » Et il lui a balancé une longue tirade d’insultes avilissantes.

Les conditions de vie étaient terriblement dégradantes à Al-Qabun, mais je savais que le pire était à venir : j’allais être transféré à Adra ou à Saidnaya. Le jugement des détenus avait lieu sur place et il était de notoriété publique que ceux qui y entraient n’en ressortaient jamais.

Dans l’enfer de Saidnaya, « l’abattoir humain »

J’ai finalement été transféré à Saidnaya, à 30 kilomètres au nord de Damas. J’y suis resté pendant environ deux mois. Nous étions 95 à cohabiter dans une étroite cellule. Nous n’étions pas appelés par nos noms. Nous n’étions que des numéros. Pendant la journée, nous avions le droit de sortir en plein air pour nous dégourdir les jambes, mais nous devions rentrer au plus tard à 16h. Saidnaya avait été construite dans un tel no man’s land, que nous n’avions nulle part où nous enfuir.

La plupart des tortionnaires d’Assad n’avaient pas fréquenté d’école, ils étaient illettrés. Nous les entendions parler et rire au téléphone, ils fumaient et écoutaient de la musique, indifférents à notre sort. Nous étions complètement coupés du monde extérieur. Aucune nouvelle de qui que ce soit. Personne dehors ne savait si nous étions morts ou vivants. Le juge de la prison était toujours saoul. Le jour de mon jugement, il avait tellement bu qu’il m’a condamné à quelques années de prison à Saidnaya. Je pensais que ce transfert n’aurait pas de billet retour. Au moment du jugement, j’ai souhaité mourir tout de suite.

 

Vue aérienne de la prison de Saidnaya. Source: Amnesty International.

La prison de Saidnaya était surnommée « l’abattoir humain ». Elle comportait trois grands complexes en forme d’étoile. Chaque bloc comptait trois étages dotés chacun de deux quartiers, abritant vingt dortoirs collectifs. Je séjournais dans la partie rouge réservée aux prisonniers politiques. La partie blanche était celle des militaires ayant « violé la loi martiale » en refusant de tirer sur les manifestant.e.s. Le dernier complexe était celui des « terroristes » irakiens, jordaniens, libanais, syriens ou palestiniens.

Les tortures pratiquées à Saidnaya étaient encore pires que tout ce que j’avais pu endurer et voir dans les autres départements de sécurité. J’avais viscéralement peur… Les gardiens frappaient, torturaient, affamaient ou laissaient mourir d’infections dues à la mauvaise hygiène. Parfois, ils ordonnaient à un prisonnier de frapper un de ses camarades d’infortune. Ils pratiquaient aussi la torture dite de la « chaise allemande ». Ils plaçaient des bougies directement au contact de la peau dénudée pour brûler les parties intimes des prisonniers. L’une de leurs tortures favorites était l’injection mortelle d’air dans la carotide.

« Les surveillants avaient un quota mensuel de prisonniers à tuer »

Amar, mon meilleur ami, était aussi emprisonné à Saidnaya. Nous avions grandi ensemble. Il avait un tempérament rebelle et n’avait pas eu peur de protester contre Assad. Je n’avais jamais vu quelqu’un d’aussi courageux. Ils lui ont fait subir des brûlures sur la chaise allemande. Après chaque séance, je ne pouvais pas faire grand-chose pour le réconforter, juste lui tenir la main et lui répéter « Sois fort ». Il me répondait en pressant ma main comme un bébé aurait pressé la main de sa mère. Après son troisième passage sur la chaise allemande, il m’a regardé intensément et j’ai compris qu’il me disait : « Je m’en vais ». Il est mort peu après.

Les mauvais traitements commençaient dès 7h30 du matin. Les geôliers avaient un quota mensuel de morts à épingler à leur palmarès. Si le chiffre demandé était de 20 victimes et qu’ils n’en exécutaient « que » 18, ils devaient à tout prix compléter le tableau avant la clôture du mois. Alors, ils choisissaient des noms au hasard, ils allaient chercher les prisonniers, leur bandaient les yeux et leur liaient les mains dans le dos. Ils les emmenaient au rez-de-chaussée, au pied des escaliers où étaient empilés des sacs de ciment. Ils leur donnaient l’ordre de se mettre à plat ventre puis leur faisaient une injection d’air. En quelques petites minutes, les prisonniers étaient morts. Un « docteur » venait ensuite constater le décès. Les prisonniers « éduqués » comme les médecins, les enseignants, les journalistes, étaient les plus exposés.

Chaque nouveau surveillant devait tuer un prisonnier le jour de sa prise de fonction, confirmant ainsi sa capacité à faire le travail. Les surveillants pouvaient aussi être tués ou subir des interrogatoires s’ils n’arrivaient pas à exécuter les ordres. Les gardiens étaient incapables de comprendre que notre lutte pour la liberté leur profitait aussi. Que la liberté était la même pour tous.

« Un système carcéral esclavagiste »

Les responsables de la prison de Saidnaya avaient imposé un système esclavagiste : chaque geôlier avait des prisonniers-esclaves. Ces derniers déposaient les repas devant les dortoirs et, alors que le geôlier débloquait les portes, les prisonniers étaient tellement collés les uns aux autres qu’ils devaient pousser les autres avec force pour se frayer un chemin. Le maigre repas était posé sur un large plateau et consistait en quelques morceaux de pain et une petite quantité de riz ou de gruau. Nous devions nous battre pour en attraper un peu. Parfois, la nourriture était intentionnellement « pourrie » avec du savon de toilette ou de lessive. Ou elle était intentionnellement jetée sur le sol ce qui nous donnait droit à un repas crasseux.

Les prisonniers-esclaves servaient aussi de souffres douleurs aux geôliers. Par exemple, quand ils passaient la tête dans l’entrebâillement de la porte pour récupérer le repas, les geôliers s’amusaient à les taper avec leurs chaînes en fer ou à les électrocuter. Et parfois, leur sang giclait sur la nourriture.

Les corps des morts n’étaient pas enlevés tout de suite. Ils restaient là parmi nous et dégageaient une odeur putride de décomposition et de sang mêlés. Il fallait qu’ils soient en nombre suffisant pour mériter d’être enlevés.

« Contre toute attente, je suis libéré »

Contre toute attente, je suis libéré le 12 février 2012 de la prison de Saidnaya pour être transféré dans un autre département de détention de Damas connu sous le nom « 248 ». Je ne pouvais rien voir car j’avais les yeux bandés pendant le transfert. Je suis resté deux semaines dans des locaux situés près de la prison de Al-Qaboon.

Une fois de plus, avec un bandage sur les yeux, ils m’ont pris la main et forcé de signer un papier et ont ensuite pris mes empreintes digitales. Je n’avais aucune idée de ce que pouvait être le document, mais je savais seulement que si je refusais de signer je serais exécuté. Ensuite, ils m’ont informé que je comparaissais pour avoir tué plusieurs officiers de l’armée gouvernementale. Ils m’ont emmené, les yeux toujours bandés, mais je pouvais entendre un geôlier chanter que Saidnaya et tous ses « traitements préférentiels » m’attendaient.

J’ai appris plus tard que j’avais signé sans le savoir mon bon de sortie. Ce bon avait coûté beaucoup de tractations, d’énergie et 30’000 dollars américains à mon père. Une semaine plus tard, sur ordre du général en charge de la structure « 248 », j’ai retrouvé la liberté. Non pas celle pour laquelle nous étions descendus dans les rues du pays, mais celle dont les prisonniers du « 248 », Al-Mayadin, Saidnaya, Al-Qabun… étaient cruellement privés. »

Témoignage recueilli par la rédaction vaudoise de Voix d’Exils en collaboration avec Aude Flückiger

Le dossier César: 55’000 photos de cadavres de prisonniers

Carte de la Syrie. Source: Wikipedia.

400’000 morts, des dizaines de milliers de disparus, six millions de Syriens et Syriennes réfugiés à l’étranger, probablement autant de déplacés à l’intérieur du pays.

Le bilan de dix ans de guerre est accablant et toutes les familles du pays cherchent des proches disparus ou emprisonnés.

A Idleb, une association leur vient en aide en s’appuyant notamment sur le Dossier César qui documente quelque 55’000 photographies prises dans les prisons du régime et les deux hôpitaux militaires de Damas, par un fonctionnaire de police chargé de photographier les morts pour les archives administratives.

Ces photos représentent l’outil de travail de Hassan, un avocat installé près d’Idleb, une des dernières enclaves tenues par les opposants syriens.

Le processus est simple : quand un prisonnier libéré d’un des centres de détention du pays se réfugie à Idleb, Hassan le rencontre pour recueillir des informations sur ses compagnons d’infortune et pouvoir ainsi – en croisant les photos et les témoignages – aider les familles des disparus à retrouver leurs proches. Morts ou vivants.

 

Pour aller plus loin:

Abattoir humain, pendaison de masse et extermination à la prison de Saidnaya, en Syrie. Rapport d’Amnesty International, février 2017.

« Syrie : les disparus d’Idleb » un reportage de France 24 le 01.05.2021

Articles de Voix d’Exils à propos de la Syrie

« J’ai divisé mon cœur, la moitié est encore en Syrie » paru dans Voix d’Exils le 02.12.2020

600’000 Syriens rentrent en Syrie paru dans Voix d’Exils le 18.10.2017

Les femmes des ruines en Syrie paru dans Voix d’Exils le 24.07.2017

Sept ans que la guerre fait rage en Syrie paru dans Voix d’Exils le 22.05.2017

Mon dernier Noël en Syrie paru dans Voix d’Exils le 20.12.2016

« Je peignais inconsciemment ma maison en Syrie » paru dans Voix d’Exils le 05.10.2016

Regard d’une petite fille du camp de Yarmouk sur la fête de Noël paru dans Voix d’Exils le 28.12.2016

« A Yarmouk nous n’avons pas faim, nous sommes affamés » paru dans Voix d’Exils le 02.06.2015

Être journaliste en Syrie « c’est comme marcher sur un champ de mines » paru dans Voix d’Exils le 29.12.2014

Regard d’un kurde Syrien sur son pays paru dans Voix d’Exils le 07.06.2012




« Vous devez partir immédiatement, ils vont vous tuer »

Martha Campo en campagne électorale en 2015 lors des élections municipales de Palmira Valle.

Tout quitter pour avoir une chance de vivre en paix

C’était en août 2018. Je ne me souviens plus du jour. Je me souviens juste qu’il faisait très chaud comme d’habitude dans mon pays. C’était une journée de travail, je quittais les bureaux de la Cour situés sur la Carrera 32 à Palmira Valle, ma ville natale en Colombie. En marchant dans le couloir, j’ai croisé un homme en uniforme militaire. Je ne l’ai pas reconnu jusqu’à ce qu’il soit très proche de moi : c’était le commandant de la police de sécurité.

Une semaine auparavant, je l’avais déjà vu à l’entrée du parc des expositions ; il s’était approché du véhicule dans lequel je me trouvais. C’était la première fois que je le voyais. Il a demandé à l’un de mes gardes du corps si j’étais Martha Campo et s’il pouvait me parler. Avec leur permission, il s’est approché de moi et m’a dit qu’il devait absolument me parler. Il m’a donné un rendez-vous pour le lendemain auquel je ne me suis pas rendue. A l’époque, je vivais comme dans une grande paranoïa car j’avais fait l’objet de plusieurs tentatives d’assassinats et je savais que les autorités étaient impliquées. Donc, je préférais les éviter et les ignorer.

De gauche à droite: Andrés Villamizar, Jairo Carrillo & Martha Campo, PLC, Colombie, session du conseil de l’Internationale socialiste à l’ONU, New York, 11-12 juillet 2017. Source: https://www.internacionalsocialista.org/consejos/nueva-york-2017/#gallery-48

« Il faut que nous parlions de toute urgence »

A la Cour, il s’est à nouveau approché de moi et m’a dit: « Venez dans mon bureau, il se trouve devant la Cour, il faut que nous parlions de toute urgence ». J’ai terminé ma procédure devant le tribunal, puis j’ai demandé à l’un de mes gardes du corps de m’accompagner de l’autre côté de la rue pour me rendre au bureau du commandant. A mon arrivée, il m’a priée de m’asseoir et a demandé à sa secrétaire de quitter le bureau. Il m’a dit qu’il allait me révéler ce qu’il s’organisait contre moi mais, avant de commencer, il m’a demandé de ne pas divulguer son nom, car dans ce cas, il se ferait sûrement tuer ou on s’en prendrait à sa famille. Les premiers mots qu’il m’a dit ont été : « Vous devez partir immédiatement d’ici, ils vont vous tuer ». Puis il m’a expliqué qui étaient impliqués, que de hauts fonctionnaires, des colonels et des policiers avaient donné des ordres, qu’ils avaient l’intention de libérer des criminels et de les engager pour commettre mon meurtre. Il m’a également informée qu’il ne faisait pas confiance à l’unité de protection nationale car c’était de là qu’était venu l’ordre du colonel en chef qui disait que mes plaintes étaient infondées, que tout allait bien, qu’il n’y avait pas d’attaques contre moi et que toutes les plaintes que j’avais déposées allaient être supprimées. Leur plan était d’entrer chez moi pour m’assassiner en faisant comme s’il s’agissait d’un cambriolage ou d’un fait divers.

Martha Campo en campagne électorale en 2015 lors des élections municipales de Palmira Valle.

« Je ressentais de la terreur à chaque feu rouge »

Avertie et mortellement effrayée, je suis partie et j’ai averti mes gardes du corps de ce qui se passait. C’étaient des jours difficiles. Je ne pouvais plus trouver le sommeil, je ressentais de la terreur à chaque feu rouge qui stoppait mon véhicule. Je ne savais pas quoi faire pour protéger ma famille; en particulier Daniel, mon plus jeune fils, qui avait alors dix ans. Cela a duré environ un mois.

Le 10 septembre de la même année 2018, je suis allée travailler comme d’habitude. En tant que journaliste, j’étais fortement liée à la politique sociale de ma commune. J’avais aussi travaillé comme chancelière départementale à la défense et à la représentation des femmes. Dans ce cadre, j’ai porté de vives plaintes contre la corruption du gouvernement, et surtout au sujet d’une grande fraude électorale qui s’est produite lors des élections à la mairie de Palmira Valle de 2015.

Martha Campo représente l’internationale socialiste des femmes pour la Colombie.

« Mes souvenirs se sont bloqués »

Je suis rentrée chez mon père où je vivais depuis un mois et demi à cause d’autres tentatives d’assassinats qui visaient ma personne. C’était un quartier familier où tous les voisins me connaissaient depuis que j’étais enfant. À l’heure du déjeuner, mes gardes du corps m’ont laissée à l’intérieur de la maison. Ils se sont assurés que tout allait bien et sont partis pour manger. 15 minutes se sont écoulées, mes filles aînées étaient en visite avec leurs enfants et nous déjeunions ensemble. Une de mes filles est sortie pour faire du shopping mais s’est rendu compte que quelque chose n’allait pas… Quand elle a essayé de rentrer, on lui a tiré dessus. Elle a alors couru en s’efforçant de refermer la porte. A ce moment-là, un des tueurs à gage a donné de forts coups de pied contre la porte pour l’enfoncer. Mon autre fille est alors venue l’aider à maintenir la porte… Je me souviens du bruit des coups de feu qui résonnent dans ma tête comme un écho, des cris assourdissants de mes filles me demandant d’appeler les gardes du corps, ou la police, qu’ils allaient me tuer. A ce moment-là la porte a été détruite et mes souvenirs se sont bloqués.

Il n’y a alors que du silence dans mon esprit. Je ne vois rien, je ne sais pas ce qui s’est passé, je ne sais pas comment nous avons été libérés. L’impact était si grand que peu importe combien j’essaie de me souvenir de ce moment je ne trouve pas. Je me souviens seulement avoir regardé la rue pour me rendre compte que ma maison était bouclée par des équipes de la police judiciaire ; un de mes gardes du corps se tenait debout à l’extérieur et parlait avec un policier ; il y avait du verre brisé et du sang par terre.

Annonce de la tentative d’assassinat de Martha Campo sur le média colombien N & D, le 12 septembre 2018.

« Fuir pour sauver ma famille »

L’une de mes filles a été kidnappée, torturée puis violée et l’autre a frôlé la mort en recevant une balle dans la jambe. C’est à ce moment-là que j’ai pris la décision de fuir mes terres pour sauver ma famille. En prenant d’abord mon fils – Daniel – nous nous sommes réfugiés à Bogota, la capitale, puis quelques jours plus tard nous avons pris la direction de la Suisse.

Cela fait partie de mon histoire parce que j’ai émigré de mon pays, parce que je suis maintenant réfugiée en Suisse. Mais il y a des milliers d’autres histoires – peut-être plus terribles encore que la mienne – qui forcent des personnes à abandonner leur maison, leur vie, tout ce qu’ils ont construit, et qui les obligent à tout quitter pour chercher une nouvelle destination et avoir une chance de vivre en paix.

 

Martha Campo

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 

Biographie de Martha Campo

Je m’appelle Martha Cecilia Campo Millan. En Colombie, avant mon exil, j’ai exercé plusieurs fonctions et emplois à la fois dans le domaine de la politique – notamment la politique des femmes – et en tant qu’entrepreneuse en communication.

Je suis une professionnelle en journalisme et droits de l’homme, également professionnelle de l’administration, écrivaine et poète. Dans ma carrière politique je suis représentante internationale des femmes de l’organisation nationale des femmes colombiennes et membre de l’internationale socialiste des femmes, représentante de l’assemblée générale des femmes du département de Valle del Cauca, vice-présidente du parti socialiste libéral de la vallée de Palmira.

Je suis aussi une femme d’affaires dans le domaine des communications, ancienne directrice de plusieurs chaînes radio et télévision comme television CNC, radio en Caracol ou radio palmira.

J’ai dû m’exiler de Colombie car j’ai dénoncé des fraudes électorales survenues lors des élections à la mairie de Palmira Valle en 2015. J’ai dénoncé des actes de corruption et j’ai été victime de plusieurs attentats. Le Ministère de la protection m’a affecté des gardes du corps et une camionnette blindée et je devais en permanence porter un gilet pare-balles pour me protéger.

 

 

 




Droit international et valeurs démocratiques ou pétrole?

Le chef de la commission d’une circonscription en Azerbaïjan explique à des électeurs âgés comment voter. Auteur: Carpeblogger /flicker.com.

La démocratie à intensité variable : le match Suisse Azerbaïdjan

En Azerbaïdjan, il n’y a pas de vrai processus électoral comme celui que j’ai pu observer dernièrement en Suisse. Tout est mensonge, tout est spectacle!

Le 19 octobre dernier, des élections ont eu lieu en Suisse. J’ai regardé de nombreuses interviews à la télévision ; j’ai lu beaucoup d’articles et d’informations dans les journaux et les médias en ligne. J’ai été témoin d’une véritable compétition électorale, d’une concurrence loyale, d’une campagne électorale progressiste.

Oui, j’ai assisté à un processus électoral normal. Mais…

Dans mon pays, ce processus électoral n’existe pas depuis des années et il n’y a vraiment pas d’élections comme en Suisse. Le gouvernement actuel de l’Azerbaïdjan a transformé le pays en un grand théâtre et les élections en grande représentation. Tout est mensonge, tout est spectacle. Les citoyens n’ont pas le choix. Bien entendu, la Constitution contient des dispositions sur le droit des citoyens de choisir leurs représentants et d’être élus. Mais le gouvernement ne respecte pas ses propres lois. De facto, les citoyens ont été privés de ces droits.

Depuis des années, le gouvernement manipule le vote et falsifie les élections. La violence policière est utilisée contre les personnes qui revendiquent leurs droits. Des centaines de personnes ont été arrêtées ou enlevées. Des milliers de personnes ont été victimes de violence et de vandalisme. Les prisons sont également des machines de torture, des dizaines de personnes y sont mortes. Les arrestations illégales et la torture sont les caractéristiques de tous les régimes autoritaires et des dictatures.

Tout cela se passe sous les yeux des grandes nations du monde qui parlent de valeurs démocratiques. Les pays démocratiques du monde ne font que regarder. Oui, ils regardent seulement, il n’y a pas de réaction appropriée. Après tout, les droits de l’homme sont violés de manière flagrante. Après tout, les institutions actuelles ne respectent pas les obligations internationales ni les normes du droit international et les droits de l’homme sont violés de manière flagrante. Face à cela, le monde démocratique reste silencieux.

La question qui se pose, c’est : pourquoi ce silence ?

L’Azerbaïdjan est un pays riche en champs de pétrole et de gaz. C’est l’un des principaux exportateurs d’énergie en Europe et dans le monde.

Peut-être que c’est la raison?

Non, c’est peut-être la réponse?

Samir Murad

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 

 

 




La République Démocratique du Congo retient son souffle

Des jeunes hommes de République Démocratique du Congo reagardent dans le vide

Julien Harneis (CC BY-SA 2.0)

La prolongation du mandat présidentiel de Joseph Kabila est le scénario de la classe dirigeante 

La République démocratique du Congo traverse une période d’incertitudes depuis la réélection contestée du président Joseph Kabila, en novembre 2011, à l’issue d’un scrutin entaché de fraudes massives. Son mandat présidentiel arrive à terme le 19 décembre prochain, mais ce dernier ne lâchera pas les rênes du pouvoir.

Arrivé deuxième de la course à la présidence de la RDC en novembre 2011, selon les résultats officiels, l’opposant Etienne Tshisekedi, fondateur de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), n’a cessé de contester la réélection de M. Kabila. Le blocage institutionnel est aujourd’hui tel qu’aucune élection directe n’a eu lieu depuis novembre 2011. Mis à part le Président, dont le mandat s’achèvera en décembre 2016, les députés nationaux élus (députés provinciaux, sénateurs, gouverneurs), qui sont en fonction également depuis 2011, siègent toujours alors que leurs mandats ont expirés.

Une situation explosive

La crise économique que traverse le pays, depuis bientôt un an, contribue à aggraver les conditions de vie déjà misérables des 10 millions de Kinois – les habitants du pays – ce qui attise un sentiment de frustration et de rejet du pouvoir de M. Kabila qui s’est manifesté à plusieurs reprises ces dernières années. En janvier 2015, déjà, un projet de loi électorale contesté avait donné lieu à trois jours d’émeutes anti pouvoir qui ont été sévèrement réprimandées et lors desquelles 150 personnes ont péri. Puis, le 19 septembre 2016, suite à la non convocation du scrutin présidentiel par la Commission électorale nationale indépendante (le CENI), la majorité des partis politiques de l’opposition, réunis au sein d’une plateforme dénommée « le Rassemblement », ont appelé à manifester dans tout le pays. A Kinshasa, la capitale, la manifestation avait dégénéré et avait fait 53 morts selon le rapport final des Nations-Unies.

La position de la Communauté internationale

L’Union Européenne assène depuis des mois que la Constitution congolaise de 2006 doit être respectée afin de réussir la première transition démocratique de l’histoire de la RDC. Ralliée désormais à l’idée que la présidentielle ne pourra avoir lieu cette année, la Communauté internationale appelle tous les partis à conclure un accord politique permettant l’organisation du scrutin en 2017. Elle déplore par ailleurs l’interruption du signal de deux stations radio : Radio France internationale (RFI) et Radio Okapi, la radio des Nations-Unies. Interviewé le 16 novembre dernier à ce sujet lors d’une émission télévisée sur RFI, le Président français François Hollande a déclaré que « chaque fois que la liberté de la presse est mise en cause, c’est pour nous un sujet d’alerte ».

Les manœuvres du pouvoir

Réunies le 18 octobre 2016 à la demande de l’Organisation de l’Unité Africaine (l’OUA), la majorité présidentielle et une frange minoritaire de l’opposition ont signé un accord à l’issue d’un « dialogue national ». Ce dialogue repousse la présidentielle à avril 2018. Cependant, aux yeux du Rassemblement, qui boycotte cette démarche, ceci constitue une manœuvre afin de maintenir Joseph Kabila au pouvoir alors que son mandat prend fin le 19 décembre 2016 et que la Constitution lui interdit de se représenter.

Entendu le 15 novembre 2016 devant le congrès, M. Joseph Kabila reste vague sur son avenir politique. Le Rassemblement appelle donc à un soulèvement populaire le 19 décembre 2016 dans tout le pays. Wait and see !

Dina N.

Membre de la rédaction Neuchâteloise de Voix d’Exils

 




Présidence perpétuelle en République démocratique du Congo ?

Le 20 septembre dernier, Voix d’Exils interrogeait sur les ondes de Radio Django le journaliste congolais Germain Dimbenzi Bayedi au sujet de la mainmise de Joseph Kabila, l’actuel président de RDC Congo, sur le pouvoir. Confiscation du pouvoir avérée, puisque l’élection présidentielle qui était prévue en décembre de cette année a été reportée la veille au 29 avril 2018.

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