1

Comment les requérants d’asile vivent-ils l’intégration et ses difficultés en Suisse ?

L’intégration est considérée, dans le domaine de la migration, comme un processus par lequel l’étranger arrivant dans un nouveau pays accède aux ressources économiques, culturelles, sociales et politiques du pays d’accueil. L’idée qui guide la rédaction de cet article est d’aider les requérants d’asile à comprendre l’intégration dans sa globalité et de soulever les difficultés qu’ils rencontrent à s’intégrer en Suisse, pays auquel ils ont demandé protection.

Le 5 juillet 2011, je réalise ma première interview avec Georges, 25 ans, Egyptien, requérant d’asile à Couvet (NE). Selon lui  « les requérants d’asile doivent respecter la société dans laquelle ils font une demande d’asile, même si leur demande est rejetée. Ils doivent s’intégrer dans le système et ne pas devenir un autre, ne pas changer de personnalité ». Dans ce même registre, un jeune homme de 27 ans, de nationalité togolaise, affirme que « de nos jours, l’intégration perd de sa valeur même chez les sujets nationaux. Je vois aussi des Suisses qui travaillent « au noir » pour ne pas payer d’impôts, qui n’achètent pas de billets avant de monter dans les transports publics, qui ne respectent pas les lieux communs, qui abusent de l’aide sociale.

Ce que nous demandons, déclare un requérant Ivoirien âgé de 30 ans vivant au centre d’accueil de Fontainemelon (NE), « c’est un esprit d’accueil de la part du canton dans lequel nous résidons. Nous sommes des êtres humains dans ce monde et devons nous adapter à toutes ces nouvelles choses qui nous sont étrangères. Cela prendra un certain temps, mais c’est pour mieux nous intégrer et espérer par la suite trouver un travail ».

Au centre des préoccupations des requérants d’asile : le travail

Le travail reste la grande préoccupation du requérant d’asile. L’Ivoirien trentenaire interviewé ci-dessus affirme ainsi qu’il a « l’impression que les employeurs des agences de placement du canton ne veulent plus engager de permis N et ne donnent pas de travail à ces derniers. Cela empire encore avec le chômage qui augmente et la crise actuelle qui touche toute l’Europe ». Cela a pour conséquence que les requérants qui, un classeur sous le bras, avec des documents, un CV, qui se rendent dans les entreprises, dans les bureaux de placement qui cherchent pendant des mois du travail finissent par se décourager et déprimer…Les seuls emplois a leur portée restent les travaux d’utilité publique proposés par le canton qui sont payés Frs. 30.- par journée de 8 heures de travail…

Une difficulté majeure que rencontre aussi les requérants d’asile est l’attente, parfois très longue, du développement de leur procédure d’asile. Ne trouvant pas de travail à cause de leur permis N, ils se sentent rejetés par la société. Par exemple, lors de la fête du 1er août 2011 (la fête nationale suisse), j’ai interviewé trois requérants d’asile de nationalités nigériane, congolaise et guinéenne sur des questions relatives au thème de l’intégration. Ma recherche de témoignages concernant l’intégration et le travail me conduit à penser aujourd’hui que ceux qui ont une activité lucrative sont au bénéfice d’une meilleure intégration. Les autres, qui n’ont pas cette chance, sont des proies faciles pour le travail au noir, le vol, le deal et peuvent tomber dans les filières interdites et dangereuses de l’argent facile.

Pour savoir ce qui pousse bon nombre de requérants à travailler au noir, j’ai interviewé l’un d’entre eux, Mamadou, Guinéen de 30 ans, qui affirme que « je n’ai rien à cacher et je vous dis la vérité! Je voulais travailler, je voulais être déclaré selon la loi, mais c’est comme si les autorités suisses avaient signé un accord avec les responsables des agences de placement afin qu’ils n’engagent plus de permis N. Je suis découragé! Ceux qui trouvent du travail, ce sont ceux qui sont en Suisse depuis plus de 5 ans et qui ont obtenu le permis B. Pour  moi, voilà ce qui m’a poussé à travailler au noir. Je gagne Frs. 2500 par mois, en plus des Frs 480.- de l’assistance financière, ce qui fait un total de Frs. 2980.-. En plus je ne paie pas d’impôts et je bénéficie d’un studio pendant 3 ans en Suisse. Je pose la question suivante à la Suisse : qui perd et qui gagne dans cette situation? A vous de juger, mais vos lois sont bloquantes ».

Dans ce même ordre d’idées, un Congolais, âgé de 35 ans, ne bénéficiant ni d’un permis de séjour ni d’un travail, depuis deux ans, déclare que les autorités « nous privent de nos droits à nous intégrer en Suisse pour que nous retournions dans nos pays ».

« Il ne faut pas mettre tous les requérants dans le même panier »

Voici le témoignage d’un requérant qui a la volonté  de travailler mais qui est contraint de prendre ce qui lui est proposé. Il suit actuellement un programme d’occupation du nom de « Neuchâtelroule »*. Il est très déçu car il a reçu une lettre du service de la main d’œuvre qui lui annonçait qu’il a le droit de travailler 10 jours par mois, ce qui lui permet de réunir la somme de Frs. 300.-. Somme qu’il ne doit pas dépasser, car il reçoit déjà l’assistance. C’est un dédommagement plus qu’un salaire. Pourquoi? Parce qu’il a un permis N.

Dans ces circonstances, un autre requérant m’a avoué avoir vendu de la drogue ce qui lui rapportait Frs. 2000.- par jour. Il m’a rétorqué, pour expliquer le motif de son trafic, que « j’ai une famille et je suis responsable, mais le système m’a poussé à faire ça ».

Encore un autre requérant, un nigérian âge de 32 ans me dit : « arrêtez de nous appeler « envahisseurs, profiteurs » : c’est la politique de la procédure de demande d’asile et le travail qui ne nous encourage pas et nous amènent dans l’illégalité pour avoir une meilleure vie… Écoutez-nous, certains de nous veulent garder une bonne réputation dans la société d’accueil, c’est pourquoi le permis B est la première condition pour nous pour trouver un emploi, faciliter notre intégration et pour que la population ne nous juge pas comme des « envahisseurs et des profiteurs ».

En effet, chaque jour, nous pensons au permis B. L’attente est très longue et décourageante. Nous sommes obligés de rester à l’assistance financière en gagnant Frs. 480.- par mois (dans le canton de Neuchâtel), ce qui ne couvre pas nos besoins journaliers. Ce que nous demandons, c’est que L’ODM accélère la procédure et améliore l’ouverture au marché du travail pour les requérants au bénéfice d’un permis N. Il ne faut pas mettre tous les requérants dans le même panier. Il faut ainsi cibler ceux qui ont la bonne volonté de s’intégrer au sens de la lois ».

Nous remercions certaines autorités suisses et associations qui luttent, défendent les réfugiés et qui crient haut et fort que déposer une demande d’asile en Suisse est un droit, malgré la forte pression de la politique de L’UDC quant à « l’immigration massive ».

Le fait de recueillir tous ces propos auprès des requérants d’asile m’a poussé à réaliser cet article sur le blog Voix d’Exils et me conduit, pour conclure, à poser la question suivante:

Que veulent les autorités suisses ? Pousser les étrangers hors de la Suisse ou trouver des solutions pour une meilleure intégration ?

Joseph

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

Informations:

*Neuchâtelroule donne la possibilité d’emprunter des vélos, d’avril à octobre, en déposant une caution de 20 frs, pour une durée de 4h.




Opération coup de poing au foyer lausannois de Vennes

Le foyer de Vennes à Lausanne qui abrite exclusivement des requérants d’asile déboutés

Mardi 4 octobre, au petit matin, une perquisition d’envergure comptant 148 policiers accompagnés d’un procureur débute au foyer de l’EVAM de Vennes à Lausanne. Témoignage d’un résident du foyer.

Alors que la plupart de résidents dormaient paisiblement, des policiers se sont introduits soudainement et de manière fracassante dans les chambres communes du foyer à 5h30. Sans nous informer du motif de cette intrusion, ils nous ont tirés du lit, menottés les bras dans le dos, puis ont pratiqués des fouilles corporelles individuelles avant de nous faire nous assoir sur nos lits. Pour les chambres communes comprenant 5 lits, les requérants ont été déplacés dans les couloirs et ont été assis par terre. Je croyais alors qu’il s’agissait d’une expulsion collective et que le lendemain j’allais prendre l’avion.

Le contrôle des chambres a débuté à 6 heures du matin. Celles-ci ont été mises sens dessus dessous. Chaque coin et recoin a été fouillé minutieusement pendant que les chiens reniflaient nos affaires. Des sacs ont été remplis de nos effets personnels considérés comme suspects. Une fois ma chambre fouillée, l’on m’a conduit au rez de chaussée pour une notification du matériel saisi. C’est ainsi que vers 9 heures le tri des sacs personnels a commencé. Lorsque du matériel suspect était saisi, les personnes susceptibles d’être poursuivies étaient amenées au poste de police pour des contrôles approfondis. Les autres ont été mises à l’écart dans un coin appelé « zone verte » vers 10 heures. Elles ont été ensuite relâchées, sans pour autant obtenir l’autorisation de quitter les lieux.

La prise de photo m’a été interdite pour motif de sécurité et mon appareil m’a été confisqué pour faire l’objet d’un contrôle de provenance.

Vers 10 heures, on nous a informé du motif de l’opération qui était destinée à saisir des marchandises et interpeler les personnes en possession de substances illicites et de matériel volé.

Sur les 91 personnes contrôlées, 44 ont été déférées devant le procureur pour différents motifs et six demandes de détention ont été adressées par le ministère public au tribunal des mesures de contrainte, selon le communiqué de la police lausannoise.

J’aimerais cependant souligner qu’une partie des requérants fouillés ne s’adonnent pas au vol ou au trafic de drogues et qu’ils essayent, malgré la misère, de rester honnête.

Chacha

Correspondant pour la rédaction vaudoise de Voix d’Exils  




Violences à Nyon, la parole aux requérants

Dans l'abri PC de Nyon

Débat à propos de l’altercation à Nyon. Photo: Gervais NJIONGO DONGMO

Une altercation s’est produite le mardi 4 janvier entre les requérants de l’abri PC (Protection Civile) de Nyon faisant un blessé. La police, venue en nombre, a été la cible de jets de pierres et d’extincteurs. Un rédacteur de Voix d’Exils s’est rendu sur place et revient sur ces événements à travers les témoignages des requérants.

Ce mercredi 5 janvier, le ciel est très couvert sur Nyon et le thermomètre affiche des températures négatives au lendemain d’une sanglante bagarre qui s’est déroulée dans l’abri PC où séjournent des requérants d’asile. Des requérants qui n’ont jamais suscité autant d’intérêt auprès de la population, des autorités et des médias. Si certains pensent que les catastrophes sont les fêtes des pauvres alors ils ont trouvé, peut être, la formule idéale. A notre arrivée, l’entrée de l’abri PC, qui abrite le centre nyonnais, ressemble à l’entrée du tombeau de Jésus de Nazareth – pour ceux qui ont vu le film – ou simplement à un tunnel. Les requérants du lieu prennent l’air en petits groupes aux alentours et sont sollicités par des journalistes de télévisions, de radios et de journaux, pour témoigner de la nuit agitée qui a secoué le centre. Tous parlent de l’argent qui à disparu du casier d’un résident et de la situation qui s’est très vite envenimée : des Nigérians ont accusé un Algérien du vol. Ils se sont dirigés vers sa chambre, et c’est alors que le surveillant du foyer a tenté de les repousser. Au cours de la bousculade, un des protagonistes a planté a plusieurs reprises un couteau dans la cuisse gauche de l’Algérien. S’en est suivi une bagarre générale impliquant environ 90 résidents sur les 130 qui habitent dans le centre. Alertée, la police a identifié l’auteur des coups de couteau mais, lorsqu’elle a voulu l’emmener, ses camarades ont fait bloc pour le défendre en lançant des pierres et des extincteurs sur les agents. L’affrontement a fait trois blessés chez les policiers.

Le ras le bol des noirs Africains

Pour comprendre ces violences, nous avons choisi de donner la parole aux résidents. Un requérant Ghanéen, au centre depuis cinq mois, confie : « Nous n’avons pas de problèmes avec la population, ni avec le personnel de l’EVAM (Etablissement Vaudois d’accueil des Migrants), mais nous en avons avec les agents de la sécurité présents dans le centre 24 heures sur 24. Ils sont partiaux dans leur travail et ils écrivent des rapports arbitraires. Quant à la police, lorsqu’il y a un problème entre les requérants noirs Africains et les autres, les noirs sont coupables d’avance ! » Les requérants de l’abri PC de Nyon pointent du doigt les agents de sécurité et s’interrogent sur la formation des policiers : « Sont-ils formés pour éviter les réflexes xénophobes ? ». Echaudés, les requérants font la liste de leurs griefs : « les dérapages à répétitions », « les investigations intempestives » « l’amalgame entre Africains et dealers, Africains et violences ». Tous demandent un traitement équitable.

Un requérant Nigérian, au centre depuis quatre mois, demande à être entendu. Il a la voix grave, la respiration saccadée: « La fois dernière, lors d’une de leurs multiples visites ici, les policiers ont vu un noir assis à l’extérieur. Ils ont exigé de lui qu’il rentre. Mais il a répliqué qu’il se sentait mieux dehors. Alors les policiers l’ont brutalement jeté dans la neige. C’était horrible ! C’est vrai qu’il y a du trafic de drogue, mais nous ne sommes pas tous des dealers et nous aimerions être traités avec humanité ». A ces propos, un Monsieur de couleur blanche à la barbe grisonnante secoue la tête comme pour reconnaître les souffrances de ses compagnons de misères.

Les acteurs de l’ombre

Des membres de l’Association EDEA (Europe Development Entertainment Association), constituée en majorité de Nigérians bien intégrés socialement et professionnellement, est également sur place ce mercredi 5 janvier. Ils ont pour but de porter une aide concrète et un enseignement aux immigrés en détresse, délaissés, et surtout à ceux en contact avec le milieu de la drogue ou de la prostitution. Vêtus de tee-shirt jaunes, ils discutent avec les requérants Nigérians et tentent ensemble de trouver une solution. C’est ainsi que la colère redescend d’un cran. Vincent Ofamchiks, président de l’association, tient aussi à témoigner: «Il ressort que le vol est une réalité dans cette histoire, mais les Africains ont l’impression que la police s’acharne sur les requérants noirs et ne fait pas la différence entre ce problème de vol et les problèmes de drogue. Je les encourage à dialoguer et non a recourir à la violence afin d’éviter la récidive ».

Entrée de l'abri PC de Nyon en Suisse

Un membre de l’association EDEA devant l’entrée de l’abri de Nyon.

L’EDEA a conclu un contrat avec la Municipalité de Nyon, afin d’exercer ses activités au sein de l’abri PC de Nyon, qui a supplanté celui conclu avec l’EVAM qui est arrivé à terme le 31 décembre dernier. Maintenant, l’association compte rencontrer la Municipalité pour lui faire part des ressentiments des requérants. Néanmoins, Vincent Ofamchiks fait aussi passer ce message auprès des requérants : « Les Nigérians doivent s’intégrer, notamment en apprenant le français. Celui qui ne fait pas cet effort, n’a pas sa place en Suisse. Notre Association propose des places de bénévoles dans des magasins africains et des rôles d’acteur dans des films ».

Reprise des renvois à destination du Nigéria en vue

 

Le Nigéria, ce géant africain présidé depuis février dernier par Jonathan Goodluck, a du pain sur la planche avec la gestion de la crise dans le Delta du Niger et les affrontements ethniques et religieux. De plus, le pays semble avoir perdu sa couronne en Suisse et en Europe, où ses ressortissants sont considérés comme des dealers. Sans oublier le décès d’un requérant Nigérian le 17 mars 2010 à l’aéroport de Zurich Kloten. Ce drame a entraîné un blocus des opérations de rapatriements. Aujourd’hui, malgré le laxisme des autorités nigérianes, il semblerait que des vols de retour soient en train de s’organiser, ce qui pourrait constituer une source de tension supplémentaire selon certains requérants de l’abri PC de Nyon.

La fermeture de l’abri PC de Nyon est-elle vraiment imminente ?

Prévu comme une solution provisoire, l’abri PC nyonnais accueille actuellement quelques 130 âmes. 354 résidents y ont transités depuis son ouverture le 16 février 2009. Des résidents qui affichent toujours le même profil : des hommes seuls en bonne santé physique et psychique, en dépit de la fragilité de certains. Des hommes qui vivent une jeunesse sans perspective professionnelle et qui seront refoulés, le moment venu, comme une balle de ping-pong dans leur premier pays de transit, pour les cas Dublin, et dans leur pays d’origine pour les déboutés. L’essentiel restant, selon les personnes que nous avons rencontré, que malgré tous les problèmes évoqués précédemment, la cohabitation avec la population nyonnsaise reste bonne.

Gervais NJIONGO DONGMO

Membre de la rédaction de Voix d’Exils




« Nous étions devenus des machines à tuer »

Ibrahim Koroma

Ibrahim Koroma. Photo: Niangu Nginamau

Voici l’histoire d’Ibrahim Koroma, actuellement requérant d’asile en Suisse qui, à l’âge de 13 ans, a été enrôlé de force à par les combattants rebelles de Sierra Leone. Ils lui ont appris à manipuler les armes et l’ont drogué pour qu’il arrive à exécuter les ordres malsains des ses supérieurs. Aujourd’hui, cet ancien enfant soldat suit une cure de désintoxication à la Fondation du Levant à Lausanne.

 

 

Voix d’Exils : Parlez-nous de vous.

Je suis né en 1984 et je suis fils unique. J’étais un enfant heureux jusqu’à l’âge de 13 ans. J’avais la chance d’avoir une mère qui faisait tout pour son enfant. A cette époque, ma mère avait quand même les moyens de subvenir à nos besoins, et je vivais comme un enfant en Europe. Mais en 1997, alors que j’avais tout juste 13 ans, un coup d’Etat a eu lieu en Sierra Leone.

De quelle nationalité êtes-vous ?

Je suis Sierra Léonais. Mon père est Libérien, mais je ne l’ai plus vu depuis l’âge de 5 ans.

Depuis combien de temps êtes-vous en Suisse ?

Je suis en Suisse depuis six ans, et je suis arrivé en juin 2004.

Quelle est votre situation depuis votre arrivée en Suisse ?

Cela fait maintenant deux ans et demi que je me trouve au sein de la Fondation du Levant à Lausanne, pour une cure de désintoxication.

En quoi consiste cette fondation ?

C’est une fondation qui s’occupe des personnes qui ont des problèmes liés à la toxicomanie. Moi, j’ai consommé ma première drogue à l’âge de 13 ans… par obligation.

Qu’est-ce qui vous est arrivé dans votre pays ?

J’avais 13 ans lorsque les rebelles m’ont pris. Cette formation s’appelait R.U.F (Révolution Unité Front). Je me trouvais à Freetown, la capitale de Sierra Leone, lorsqu’il y a eu le coup d’Etat militaire. Il  y a eu des pillages et on ne pouvait plus rester à Freetown avec ma mère. Elle a alors décidé d’aller vivre en province, dans un endroit nommé Makene. La situation là-bas était meilleure que dans la capitale. Un jour, je suis parti rendre visite à un ami. Sur le chemin du retour, vers 19 heures, j’ai vu un camion rempli de militaires qui m’a dépassé. Il s’est alors arrêté devant moi. C’était des rebelles et ils m’ont mis de force dans le véhicule. Dedans, il y avait plusieurs autres enfants qui pleuraient. Ils nous ont conduits dans une ville qui s’appelle Kono, où se trouvait leur base. Le lendemain, la première chose qu’ils ont faite a été de nous remettre à chacun un fusil AKA 47. Ils m’ont montré juste comment manier le fusil, puis il y a eu l’intervention du chef, et son premier mot a été que «ce fusil Kalachnikov, c’est ton meilleur ami, c’est avec ça que tu seras payé ».

A partir de ce jour, ils ont commencé à nous faire des injections sans qu’on sache le contenu des substances. Il y avait du cannabis comme cigarette et deux types de pilules dont j’ignore le nom. Ces médicaments me rendaient agressif. Tu ne dors plus et tu n’as pas faim. Au bout d’une semaine, je venais de tuer ma première victime.

Pouvez-vous me dire dans quelles circonstances cela a pu arriver de tuer une personne juste après une semaine dans le camp ?

Dans le camp, il y avait un tribunal militaire, une structure bien organisée qui jugeait des militaires et des civils. Ils venaient de condamner 76 personnes, et j’ai été choisi avec d’autres enfants pour pouvoir exécuter ces personnes sous l’emprise de toute cette drogue. Nous étions devenus des machines à tuer.

Avez-vous eu d’autres choses semblables ?

Un jour,  j’ai reçu l’appel de mon chef qui me demande d’exécuter une tâche. Arrivé sur place, je trouve une dame qui avait presque l’âge de ma mère. Il me demande de lui donner cent coups de chicotte, et je n’ai pas voulu exécuter cet ordre, car cette dame je la voyais comme ma mère. Après mon refus, mon chef a organisé un comité restreint pour m’administrer le châtiment que je méritais devant tous les enfants pour faire un exemple. C’est alors qu’ils ont amené une casserole remplie d’huile de palme cuite. J’ai été tenu par deux personnes aux poignets, les deux autres m’ont balancé de l’huile sur le corps et un autre m’a poignardé au mollet. Depuis ce jour-là je suis devenu quelqu’un d’autre, quelqu’un de très très agressif lorsqu’on me demande d’exécuter les tâches quotidiennes d’un soldat. Je me surpassais pour faire du mal.

Une autre fois nous étions en patrouille dans la forêt avec ma troupe, lorsque tout à coup a surgi un homme avec sa famille. Le commandant a voulu dépouiller cet homme de son argent et il lui a sorti de son portefeuille deux à trois mille dollars. L’homme insistait et nous suivait pour qu’on lui rende son argent. L’ordre a alors été donné par mon commandant d’abattre cette personne. Je lui ai mis une balle, et au moment de mourir, il m’a dit : « ça ne va jamais bien se passer dans ta vie ». Vous savez, ces choses sont très lourdes à porter et à raconter. J’ai toujours ce flash back qui me revient.

Combien de temps êtes-vous resté dans l’armée ?

Je suis resté cinq ans dans l’armée. Durant ces cinq années, il y a eu beaucoup de choses qui se sont passées, et je ne peux pas vous détailler toutes ces atrocités.

Vous avez eu beaucoup de missions durant tout ce temps ?

Nous avons eu beaucoup de missions. Presque chaque jour, lorsqu’il y avait des sorties et nous, les enfants soldats, étions devant. Avec toutes les drogues qu’on consommait, on avait peur de rien.

A quinze ans, je suis même devenu capitaine. En Sierra Leone, il n’y avait plus de soldats, et lorsqu’il  y a eu la rébellion, les soldats sont venus des pays d’Afrique de l’Ouest qui contrôlaient le pays. Nous nous battions contre ces soldats pour récupérer la ville de Kono qui avait été assiégée. Je venais de tuer un capitaine nigérian et j’ai pris sa veste avec ses galons. Je l’ai ramenée au camp auprès du commandant, ce qui m’a valu le même grade, et j’ai alors été nommé commandant des enfants du groupe S.B.U. (Small Boys Unit). Au début, j’avais cinquante enfants, mais après six mois j’avais deux cents enfants à ma charge.

Comment avez-vous fait pour en sortir ?

En 2000, lorsque la guerre a touché à sa fin, nous sommes partis avec une partie du bataillon vers le Liberia pour porter main forte au président Charles Taylor qui se battait contre les rebelles de son pays. Nous y sommes restés jusqu’en 2002, jusqu’à ce que la situation devienne plus ou moins calme. A cette période je ne prenais presque plus de produits. Un jour ils m’ont laissé aller en ville tout seul. C’est là que j’ai rencontré un Monsieur qui venait chez les rebelles de Sierra Leone acheter des diamants, et j’avais un diamant avec moi qui venait de mon commandant. Je l’ai proposé au Monsieur en échange de m’amener aux Etats-Unis ou en Europe. Lorsqu’il a vu le diamant, il a fait toutes les démarches nécessaires pour m’amener en Europe et aujourd’hui, je suis en Suisse.

Propos recueillis par
Niangu NGINAMAU
Membre de la rédaction lausannoise de Voix d’Exils

 




Le khat, obstacle à l’intégration

Le khat drogue à mâcherLe khat est une herbe qui se mâche dans tout l’Afrique de l’Est et une partie de la péninsule arabique. Quel impact a la consommation de cette drogue sur la population immigrée de ces régions en Suisse ? L’exemple de Zahra et de Tefreh est à cet égard édifiant.
Zahra*, une mère somalie, se lamente auprès de son ami et voisin Tefreh, qui est lui d’origine éthiopienne.

Elle prétend ne pas comprendre ce qui lui arrive cette année : « J’ai de plus en plus de problèmes d’argent, la situation scolaire de mes enfants chemine vers l’échec, une dette qui ne fait qu’augmenter et mon caractère qui devient insupportable pour les autres. »

Son ami lui répond : « Nous aussi, on est dans les mêmes draps. Oublions tout ça, la vie continue et fais vite ton petit plat de pâtes aux enfants, parce qu’il est déjà l’heure. »

Ils vont alors passer des coups de fil pour s’assurer de l’arrivage de la « nourriture des anges » : le khat. Il s’agit de feuilles tendres d’un arbuste qui pousse en Afrique de l’Est et dans une partie de la péninsule arabique. Le khat contient de l’alcaloïde, un stimulant qui provoque l’euphorie. Dès 1980 l’Organisation mondiale de la santé a classé le khat dans la liste des drogues du fait qu’il provoque une dépendance psychologique. Cette substance est illégale en Suisse comme dans beaucoup de pays.

Après avoir fait une dizaine de téléphones et siroté du thé pendant une heure et demie, ils réussissent à localiser la réceptrice d’aujourd’hui. Tous les jours, des personnes introduisent illégalement le khat sur le marché suisse, la marchandise étant ensuite acheminée à différentes adresses du réseau de vente : ce sont les récepteurs et les réceptrices.

Les préludes du rituel peuvent alors commencer : plusieurs va-et-vient sur l’avenue qui longe le bâtiment où réside la réceptrice pour être sûrs que la police n’a pas suivi la marchandise.

Une fois rassurés sur la sécurité du lieu, ils se présentent chez la réceptrice. N’ayant que 30 francs suisses chacun, ils ne peuvent s’acheter que deux bouquets, soit une vingtaine de petites branches d’environ 10 centimètres. Mais comme c’est le début du week-end, ils veulent consommer au minimum cinq bouquets par personne pour veiller toute la nuit du samedi, comme ils en ont l’habitude chaque semaine.

La réceptrice rejette leur demande en leur rappelant qu’ils ont déjà une ardoise sacrément débitrice qui ne fait qu’augmenter chaque jour.

Pour arriver à leurs fins, ils font la louange de la réceptrice et du « patron », le propriétaire de la marchandise, au point de brader leur âme.

De retour à la maison avec les doses espérées, ils préparent le lieu de broutage et dès qu’ils ont mis la feuille sous les dents, ils se rappellent de leurs enfants.

Zahra demande à sa fille : « A la rentrée, tu seras en 5ème ou en 6ème année? » « Mais non, lui répond sa fille, je serais en 7ème année. » Tefreh rétorque : « Ah, tu seras au même niveau que ma fille ! » La petite, exaspérée par ces propos, répliques : « Oncle Tefreh, ta fille sera en 6ème année et moi en 7ème année ! »

Le samedi et le dimanche, nos deux khateurs ont passé leur temps à résoudre tous les problèmes auquel l’ONU ne trouve pas de solution, et fait beaucoup de promesses de chercher du travail, etc.

Le lundi matin, Zahra se réveille à une lenteur qui mettrait en colère le paresseux. Les enfants, surpris, lui disent : « C’est étonnant, aujourd’hui tu t’es réveillée tôt. Tu va nous préparer des omelettes. » La réponse est à la mesure de son humeur : « Je ne m’occupe pas de vous, préparez-vous des popcorns avec du lait, moi je dois aller à l’hôpital pour une transfusion de fer, je me sens très fatiguée. »

La fille de Tefreh revient à la maison vers 15 heures avec une pénalité de 80 francs pour absence de titre de transport. Le père s’énerve, la gronde et l’accuse d’être fautive parce qu’elle a oublié d’amener son abonnement.

La petite, d’un air normal, comme si elle était habituée à ce genre d’histoire, lui répond : « Mais papa, ça fait trois mois que tu me dis chaque fois demain pour me payer l’abonnement du bus. »
Le père : « Je n’ai pas d’argent, je vais dire à Zahra de nous trouver un peu de crédit auprès des voisins pour payer les bouquets de khat d’aujourd’hui, et si possible ton abonnement bus. »

S’ensuivent la quête d’un crédit, la localisation du lieu d’arrivage de la marchandise, la mendicité auprès des vendeurs, l’évocation perpétuelle de tous les problèmes du monde et des promesses sans lendemain, tels un mécanisme infernal qui se répète jour après jour.

Hassan Cher Hared