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Un confinement aux visages multiples

Mème réalisé par Hajar, membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils.

Des rédacteurs et rédactrices de Voix d’Exils s’expriment sans fard sur leur vécu

A quoi ressemble le quotidien des migrants et des migrantes en ces temps de Covid-19 ? Trois rédacteurs de Voix d’Exils, deux hommes et une femme, ont accepté de lever le voile sur leur vie de « reclus » pour répondre à cette question. Entre joies créatives et domestiques, peur du regard d’autrui et réflexions désabusées, le moins que l’on puisse dire c’est que le confinement recouvre des réalités très contrastées.

 

« Un choc bénéfique pour la réflexion »

Damon, 28 ans, Iran, confiné dans un petit appartement

« Ma fragilité a été cassée il y a 6 ans, entre les quatre murs d’une cellule de prison. Aujourd’hui, je ne veux pas me plaindre d’être obligé de rester à la maison. Je me rappelle ces moments où toucher les cordes de mon violon, prendre une photo avec mon appareil, entendre une seule note de musique n’étaient que des rêves. J’avais perdu ma liberté en raison de mes activités politiques et artistiques. Paradoxalement, c’est en prison que j’ai appris comment vivre et comment apprécier le moment présent. Dès que j’ai été libéré, je me suis promis de ne plus perdre un seul instant.

En tant qu’artiste – mais en suis-je vraiment un ? -, je dois admettre que les 24 heures que compte chaque journée passent trop rapidement. C’est un vrai défi pour moi de comprendre pourquoi les gens se plaignent d’être confinés…

Chez moi, il y a tout le temps quelque chose à faire. Jouer du violon ou de la guitare, prendre et développer des photos-montage surréalistes, finaliser mon projet de film, écrire, cuisiner, faire le ménage, prendre soin de moi et de mes fleurs… Sans compter internet qui me connecte aux autres et efface la distance entre les personnes.

Pour moi, le confinement représente aussi une opportunité pour planifier mon avenir. Je crois que ce type de choc est bénéfique pour que chacun puisse prendre le temps de réfléchir sur son quotidien. »

 

« Le port du masque est une épreuve »

Oumalkaire, 24 ans, Djibouti, confinée avec une colocataire

« Durant cette crise sanitaire causée par le Covid-19, tout le monde a le mot confinement à la bouche. Ce qui est étrange, c’est de voir comment la majorité des activités se sont arrêtées d’un coup. Ça fait peur de voir des routes quasiment vides, des rues calmes, des endroits publics désertés ou fermés. Rien ne bouge, on a l’impression de vivre dans un cauchemar ou dans un film d’horreur.

Ce qui est intéressant, c’est la manière dont les gens suivent les informations concernant le Covid-19. En peu de temps, ils sont devenus accros à l’actualité, et rien de ce qui est dit sur la pandémie ne leur échappe.

Alors que nous sommes confinés dans nos maisons, l’évolution de ce virus qui s’est propagé partout à travers le monde nous fait réviser la géographie et découvrir de nouveaux pays, de nouveaux lieux.

Pour moi, le port du masque est une épreuve. Normalement, il est porté pour se protéger soi-même d’une contamination ainsi que pour en protéger les autres et non pas pour faire peur. En réalité, lorsqu’on le porte, les personnes que l’on croise font un détour de plusieurs mètres par peur d’être contaminées ! Et ce, non sans nous avoir jeté un mauvais regard… Elles pensent probablement que si on porte un masque, c’est forcément qu’on est malade et qu’il faut nous éviter.

Certes, être confiné chez soi n’est pas agréable, mais chaque situation est différente. Le confinement peut aussi représenter une opportunité ou une chance à saisir pour achever les travaux qui traînent depuis longtemps faute de temps.

En ce qui concerne les requérants d’asile, c’est une bonne période car il semble que le SEM (Secrétariat d’État aux migrations) traite les demandes et donne ses décisions plus rapidement qu’avant le confinement. »

 

« Rien n’a changé ! »

Hajar, 23 ans, Irak, confiné dans un foyer EVAM

« Le confinement n’a rien changé à ma vie! Un réfugié qui doit toujours rester dans sa boîte ne connaît peut-être pas toujours la différence entre la vie sans confinement et la vie avec le confinement. Pour moi, c’est du pareil au même! »

 

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils




« Le climat actuel autour de la migration incite les autorités à prendre des décisions incompréhensibles »

Fatxiya Ali Aden. Photo: rédaction valaisanne de Voix d'Exils

Fatxiya Ali Aden. Photo: rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Fatxiya Ali Aden, de nationalité suisse et somalienne est assistante sociale au Centre Suisse-Immigrés (CSI) à Sion. Active auprès des migrants dans le Valais central depuis 1984, l’association Centre Suisses-Immigrés (CSI) offre notamment une permanence juridique. Rencontre avec une battante passionnée par son métier.

Voix d’Exils : Qu’est-ce qui vous a motivé à vouloir aider des réfugiés à travers le travail que vous faites au CSI?

Fatxiya : Cela ne s’est pas fait tout de suite. Enfant, je voulais travailler dans le milieu médical. C’est plus tard que je me suis orientée vers l’aide aux personnes migrantes.

En quoi consiste votre travail ?

Depuis 2007, mon travail consiste à soutenir les personnes migrantes en difficulté pour des motifs liés à leur statut juridique. Avant tout, il s’agit de les informer sur les possibilités de recours qui existent par rapport aux décisions qu’elles ont reçues.

Subissez-vous des pressions ?

La pression vient surtout du manque de temps au niveau des délais à respecter dans nos interventions auprès des autorités de l’asile.

Votre situation paraît difficile : d’une part, les autorités campent sur leurs positions et, de l’autre côté, vous voyez la détresse du requérant.

Je pense qu’il n’existe pas de travail qui soit facile. Au Centre Suisses-Immigrés, nous rencontrons des personnes qui ont parfois énormément de peine à comprendre ce qu’il se passe. Majoritairement, les gens collaborent avec nous, ils sont capables de réunir les documents nécessaires pour défendre leur dossier. Mais lorsqu’on a quitté une région à cause d’une guerre civile, ces documents parfois n’existent plus.

Notre principal souci vient de l’extrême hypocrisie de nos autorités qui rejettent la demande de protection d’une personne parce qu’elle n’a pas pu fournir certains documents dans un délai 48 heures. Je trouve cela très difficile à admettre pour des personnes qui font des efforts surhumains pour faire aboutir leur demande. On voit des situations tragiques : la détresse de personnes hospitalisées, des enfants qui sont placés… Mais ensuite qu’est-ce qu’il se passe ? Au final, on dirait que ça n’a aucune incidence, on a l’impression de parler à un mur. On se pose souvent des questions : qu’est-ce qu’on a loupé ou bien aurions-nous dû procéder différemment, quel élément supplémentaire aurait-il fallu apporter ? La lutte contre l’immigration incite les autorités à prendre des décisions incompréhensibles.

Certaines situations ne risquent-elles pas de vous affecter personnellement ? Vous avez raison, une personne qui fait ce travail doit faire attention à reconnaître ses limites. Elle va faire l’expérience de sentiments très forts de colère ou d’impuissance. Avoir bénéficié d’une formation dans ce sens aide beaucoup.

Comment faites-vous pour garder le moral?

Entre collègues, nous nous soutenons mutuellement. Dans le système médical j’ai plutôt connu un système hiérarchisé. Mais au Centre Suisses-Immigrés, je peux partager mes soucis par rapport à un dossier, demander son regard à une collègue pour m’assurer que tout est correct. C’est important aussi, après le travail, de prendre le temps autour d’un café ou d’un verre pour  lâcher le surplus d’émotion avant de rentrer chez soi, même si on est fatigué.

Est-ce que votre travail vous satisfait ?

Oui ! C’est un domaine qui m’a toujours passionnée. Je me suis intéressée dès l’adolescence à ce qui fait que des gens de la même langue, de la même religion arrivent à se retourner les uns contre les autres. Cela m’amène à chercher à connaître chaque personne que je rencontre, de comprendre son vécu, son parcours, quelle est la situation qui l’amène. Le plus important n’est pas forcément de savoir si j’ai été utile parce que la personne a décroché un permis de séjour grâce au CSI. Ce qui est central, c’est de ne pas remettre en question sa parole, d’être clair avec notre mandat : on l’accompagne dans ses démarches, on travaille ensemble. On donne à ces personnes également la possibilité de s’exprimer sur la richesse de leur pays et elles le font avec énormément de plaisir, ça peut-être de la musique, de l’art plastique etc… Il n’y a pas que de la souffrance qui entoure ces gens et ils nous apprennent beaucoup aussi.

Auriez-vous un message particulier à adresser à nos lecteurs?

Je pense que je n’ai pas besoin de convaincre; les personnes qui lisent Voix d’Exils sont déjà convaincues. J’aimerais que vos lecteurs se donnent la permission de ramener d’autres personnes pour agrandir le cercle. S’il y en a qui ont envie de s’engager, nous les attendons.

Propos recueillis par:

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils