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« Être papier blanc »

Illustration: Kristine Kostava / Voix d’Exils

Vivre au jour le jour avec une attestation d’aide d’urgence

Les requérant.e.s d’asile déboutée.e.s reçoivent une attestation d’aide d’urgence qui leur donne accès à 10 francs par jour environ et une aide d’urgence ne couvrant que le strict minimum vital (généralement la nourriture, les vêtements, l’hygiène, le logement et les soins médicaux d’urgence). Comment vit-on l’aide d’urgence?

Afin de mieux comprendre le mode sous le régime de l’aide d’urgence, nous avons échangé avec trois personnes qui sont dans cette situation et qui sont membres de la rédaction de Voix d’Exils: Kristine, Géorgienne arrivée en Suisse en 2017; Zahra, Kurde, en Suisse depuis 2015 et Karthik, Sri-Lankais, qui vit en Suisse également depuis 2015.

Comment tombe-t-on dans l’aide d’urgence?

Qu’est-ce que l’aide d’urgence? Le site asile.ch donne la définition suivante: « Les personnes frappées d’une décision de non-entrée en matière (NEM) ou de renvoi (« débouté-e-s ») perdent le droit de travailler et sont exclues de l’aide sociale, y compris lorsque leur besoin de protection n’est pas nié (NEM Dublin). Elles sont réduites à demander l’« aide d’urgence », octroyée en vertu de l’art. 12 de la Constitution fédérale. Cette aide consiste en une prestation de survie, remise la plupart du temps sous forme de bons ou en nature (barquettes de nourriture déjà préparées, etc.), rarement en espèces (environ 10 francs par jour, voire moins). Imposant un contrôle administratif intense, parfois quotidien, l’aide d’urgence est conçue comme un dispositif d’incitation au départ ».

Impact psychologique et matériel

La vie à l’aide d’urgence peut durer indéfiniment et la peur d’un renvoi forcé est constante. Les personnes à l’aide d’urgence sont souvent livré.e.s à elles-mêmes. Seules face à leur désespoir, le sentiment d’être dans une impasse, de vivre une incertitude et une angoisse est permanent. Etant un dispositif d’incitation au départ, les conditions de vie qu’impose ce statut a des effets nuisibles sur la santé physique et psychique des personnes qui le subissent.

  • Quels sont selon vous les obstacles du papier blanc ?

Kristine

« Il y a trop d’obstacles, nous sommes limités en tout. On ne peut ni étudier, ni travailler, ni voyager. Il est difficile de se développer et de vivre normalement. »

Zahra

« On ne peut pas étudier dans le domaine de notre choix. Nous ne pouvons ni voyager, ni pratiquer un loisir par manque d’argent ou acheter le nécessaire pour du matériel de bureau. De plus, il est généralement difficile de communiquer avec les personnes qui nous entourent. »

Karthik

« Sans autorisation, nous ne pouvons pas voyager ni travailler. Nous n’avons même pas l’autorisation de nous inscrire pour suivre un cours de français afin de ne plus avoir un problème avec la barrière de la langue. »

Une situation sans fin

Pour diverses raisons, le renvoi n’est pas réalisable et pour d’autres raisons encore, certaines personnes ne veulent ou ne peuvent pas rentrer dans leur pays d’origine. Ainsi, « être papier blanc », comme on dit dans le milieu de l’asile, implique souvent de vivre dans des conditions difficiles et ce pendant plusieurs mois; voire pendant plusieurs années.

  • Peut-on envisager un avenir avec le papier blanc ?

Kristine

« Il est très difficile d’envisager un avenir avec le papier blanc, parce que nous sommes très limités. On ne peut pas apprendre et travailler sans contrat, mais je garde espoir qu’un jour j’obtiendrai une autorisation de séjour. Je me suis toujours battue pour atteindre mes objectifs car se battre pour une chose importante à toujours un sens! »

Zahra

« Jamais! On ne peut pas envisager un avenir avec un papier blanc. C’est un frein pour avancer et construire notre vie. »

Karthik

« Non, c’est impossible! Nous sommes complètement bloqués. Nous ne pouvons rien faire, nous pouvons seulement espérer et attendre que notre situation s’améliore le plus tôt possible. »

Possibilités de changement

Il arrive que certaines personnes obtiennent un statut de séjour qui apporte une certaine stabilité à leur condition de vie. Cela constitue alors un grand changement qui affecte progressivement leur mode de vie et qui peut être déstabilisant.

  • Quels types de changement imaginez-vous une fois l’autorisation de séjour obtenue ?

Kristine

« Cela changerait toute ma vie. J’étudierais, je travaillerais sous contrat, je voyagerais. Cela me donnerait plus de liberté et me permettrait de m’améliorer personnellement. De plus, avec mes progrès et mon indépendance, je profiterais à nouveau de la Suisse. »

Zahra

« Une vie dans laquelle nous serions considéré.e.s comme des citoyen.ne.s ordinaires, dans laquelle on pourrait travailler et étudier sans ce problème de papier d’aide d’urgence. »

Karthik

« Je souhaiterais obtenir le permis B afin de me sentir libre de trouver du travail et de voyager. »

Pourquoi vous ?

La situation à l’aide d’urgence complique la vie de chaque personne détentrice du papier blanc. Beaucoup ont étudié, travaillé, construit leur vie dans leur pays d’origine, puis ont dû tout recommencer à zéro et surtout s’adapter à leur arrivée en Suisse.

  • Pourquoi mériteriez-vous une autorisation de séjour en Suisse ?

Kristine

« Après avoir terminé mes onze années d’école obligatoire, j’ai commencé mes études de graphisme qui ont duré un an au collège. Par la suite, j’ai effectué trois mois de stage et j’ai commencé à travailler comme graphiste chez MBM Polygraph. Parallèlement, j’ai suivi de nombreuses formations sur divers sujets et l’une d’elles était de créer un environnement adapté pour les personnes handicapées. J’ai travaillé pendant plus d’un an, puis j’ai dû quitter mon emploi et la Géorgie en raison de ma santé qui se détériorait. Je suis venue en Suisse et j’ai commencé à travailler en tant que bénévole. Actuellement, je contribue à Voix d’Exils comme rédactrice et graphiste. Je suis productive, je suis capable de travailler avec un contrat, mais malheureusement je ne peux pas travailler avec le papier blanc. »

Zahra

« Après avoir terminé l’école obligatoire, j’ai débuté mes quatre années d’études à l’université et je suis partie d’Iran pour des raisons politiques. Arrivée en Suisse, j’ai débuté les cours de français à l’EVAM et par la suite une formation en cuisine dans cet établissement. J’ai effectué un stage à la fondation « Mère Sofia » et j’ai continué à travailler en tant que bénévole dans la même fondation. J’ai commencé à travailler dans un programme d’activité de l’EVAM et aujourd’hui, cela fait un an et demi que je suis rédactrice à Voix d’Exils. Je souhaite avoir une autorisation de séjour car je voudrais travailler afin de construire et stabiliser ma vie pour devenir indépendante. »

Karthik

« Je viens du Sri Lanka où je n’ai pas la liberté de vivre comme en Suisse car il n’y a aucune sécurité et stabilité pour construire une vie. Après avoir terminé l’école obligatoire, j’ai commencé à travailler dans l’entreprise familiale et trois ans après j’ai quitté le Sri Lanka. À mon arrivée en Suisse, j’ai pu obtenir un permis N et ceci m’a permis de travailler pendant trois ans. Je considère la Suisse comme étant un pays ouvert et tolérant envers les cultures de toutes et tous. »

Propos recueillis par:

L.B.

Membre de la rédaction de Voix d’Exils

Pour approfondir le sujet:

LE QUOTIDIEN AVEC UN « PAPIER BLANC », article paru dans Voix d’Exils le 26.11.2018

LE QUOTIDIEN AVEC UN « PAPIER BLANC » II, article paru dans Voix d’Exils le 07.01.2019




FLASH INFOS #65

Illustration réalisée par Kristine Kostava/Voix d’Exils

Sous la loupe : Réunion du premier Parlement suisse des réfugiés / Royaume-Uni : 4000 migrants déboutés évitent l’expulsion / L’Italie bloque un navire de secours aux migrants

La revue de presse devient le FLASH INFOS de Voix d’Exils. Une formule revisitée de notre rubrique hebdomadaire qui met davantage en valeurs les compétences graphiques et visuelles de nos rédactrices et rédacteurs et qui inclut d’autres nouveautés pour encore mieux vous informer.

Logo réalisé par Kristine Kostava / Voix d’Exils.

Réunion du premier Parlement suisse des réfugiés

RTS, le 6 juin 2021

Le 6 juin 2021, s’est déroulée la réunion du premier Parlement suisse des réfugiés. A cet effet, environ 75 personnes issues de 19 cantons et de 15 pays différents se sont réunies à Berne. Cette réunion a été l’occasion pour les principaux concernés par les questions migratoires de formuler des propositions ayant pour but d’améliorer leur condition. Ainsi, les participants ont émis le souhait d’avoir un meilleur accès à la formation et de rendre possible des visites des familles dans l’espace Schengen pour les personnes admises provisoirement. La question des apprentis déboutés étant en cours de formation a également été soulevée. Un vote favorable au regroupement familial étendu aux parents d’enfants déjà en Suisse a également été accordé par le Parlement. Des membres du Conseil national et du Conseil des Etats étaient présents et pourraient donc relayer ces demandes sous forme de motions au Parlement fédéral. L’événement a été organisé par le National Coalition Building Institute (NCBI).

Royaume-Uni : 4000 migrants déboutés évitent l’expulsion en raison de la crise sanitaire

InfoMigrants, le 28 mai 2021

Selon les informations publiées par le journal britannique The Guardian, les requérants d’asile déboutés – environ 4000 personnes – ne seront pas expulsés de leur logement fourni par l’Etat. Pour rappel, au mois d’avril, le gouvernement du pays avait décidé de reprendre les expulsions « avec effet immédiat » des personnes qui n’avaient pas obtenu de protection internationale, et ce, malgré la crise sanitaire. Néanmoins, les autorités de santé avaient émis un avis négatif face à cette politique. Les représentants de diverses organisations humanitaires avaient également critiqué la décision du gouvernement. Cependant, la politique d’expulsion sera à nouveau envisagée une fois que le Royaume-Uni aura effectué un retour à la normal prévu pour fin juin.

L’Italie bloque un navire de secours aux migrants

Le Monde, le 5 juin 2021

Le 4 juin, un navire de secours aux migrants appartenant à l’ONG Sea-Eye a été bloqué par les garde-côtes italiens après avoir débarqué 415 personnes migrantes. En effet, suite à une inspection, des problèmes de nature technique et sécuritaire ont été relevés. Selon les autorités italiennes, les équipements de sauvetage du navire ne semblaient pas suffisant pour garantir l’évacuation de toutes les personnes à bord. L’ONG allemande a pour sa part dénoncé la décision des autorités italiennes. Pour rappel, l’Italie est l’un des principaux points d’entrée en Europe pour les personnes migrantes en provenance d’Afrique du Nord de Tunisie et de Libye d’où les départs sont en forte hausse par rapport aux années précédentes.

Rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Revue de presse #58

La revue de presse, la nouvelle rubrique de Voix d’Exils. Auteur; Damon / Voix d’Exils

Sous la loupe : Début du procès de Matteo Salvini en septembre / Sea-Eye 4: en route pour l’Espagne / Le Danemark critiqué pour le sort qu’il réserve aux réfugiés Syriens / La justice allemande annule environ un tiers des demandes d’asile rejetées

Le Danemark de plus en plus critiqué pour le sort qu’il réserve aux réfugiés Syriens

L’Orient-le jour, le 11 avril 2021

Le Danemark figure parmi les pays européens ayant adopté une politique migratoire des plus restrictives. A cet effet, jugeant que la situation actuelle à Damas et ses environs est « sûre », depuis l’été 2020, 189 Syriennes et Syriens ont été privés de leur permis de séjours suite à un réexamen de leur dossier. Une partie des personnes migrantes déboutées, qui avaient à l’origine obtenu qu’un permis temporaire, ont été placées en centre administratif de rétention. Selon un avocat spécialisé dans les dossiers migratoires, les principaux concerné.e.s y resteront tant qu’ils n’auront pas signé un document attestant qu’ils s’engagent à rentrer en Syrie de leur propre gré. Le pays nordique, dont la politique d’accueil vise le « zéro demandeur d’asile », propose également des aides au retour volontaire acceptées par 137 Syriens en 2020. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés s’est dit « préoccupé » par la décision de Copenhague. Amnesty International a pour sa part dénoncé « une évolution inquiétante » de la politique migratoire du pays.

 

La justice allemande annule environ un tiers des demandes d’asile rejetées

Info Migrants, le 16 avril 2021

Faire appel contre les décisions de l’Office fédéral allemande pour la migration et les réfugiés (la BAMF) est quasiment devenu la règle. En effet, la majorité des requérant.e.s d’asile débouté.e.s en Allemagne fait appel à la justice. Ainsi, selon les chiffres du gouvernement allemand, en 2020, sur 68’000 refus du droit d’asile du BAMF, 21’200 ont été annulées sur décision de la justice. Néanmoins, la durée moyenne des procédures d’asile s’est vu être rallongée passant de 17,6 mois en 2019 à 24,3 mois en 2020. Bien que le nombre de dossiers en cours est en baisse, la justice allemande se retrouve encore face à plus de 190’000 appels à examen. Dans la plupart des cas, les personnes faisant appel obtiennent dans un premier temps simplement l’interdiction d’être expulsée.

Début du procès de Matteo Salvini en septembre 2021

RTS, le 17 avril 2021

Le tribunal de Palerme, en Sicile, a décidé le 17 avril que Matteo Salvini, le chef du parti italien d’extrême droite de la Ligue, sera jugé pour avoir bloqué des personnes migrantes en mer en 2019. Le procès de l’ex-ministre de l’Intérieur débutera le 15 septembre. Pour rappel, l’homme politique est accusé de séquestration de personnes et d’abus de pouvoir pour avoir interdit le débarquement de 147 personnes migrantes secourues en mer par l’ONG Open Arms en août 2019. Alors que les conditions à bord s’aggravaient, il aurait également refusé pendant six jours d’accorder un port sûr au navire de l’ONG. Alors Open Arms a salué la décision du tribunal, Matteo Salvini a de son côté déclaré sur son compte Twitter que « la défense de la patrie est le devoir sacré de tout citoyen (…) Je vais être jugé pour cela, pour avoir défendu mon pays ? Je m’y rendrai la tête haute ».

Sea-Eye 4 : en route pour l’Espagne

24 Heures, le 17 avril 2021

Le 17 avril, L’ONG allemande Sea-Eye annonce que son nouveau navire de sauvetage de personnes migrantes – le Sea-Eye 4 – a quitté le chantier naval de Rostock en Allemagne pour se diriger vers l’Espagne. L’arrivée du navire en Espagne est prévue pour la fin du mois d’avril, d’où il partira dès que possible pour sa première mission de sauvetage. Le président de l’ONG – Gorden Isler – a soutenu que le départ de ce navire constitue un signal important envoyé par une large alliance de la société civile aux États membres de l’Union européenne. Le navire a en grande partie été financé par l’église protestante allemande.

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 




Revue de presse #47

La revue de presse, la nouvelle rubrique de Voix d’Exils. Auteur; Damon / Voix d’Exils

Sous la loupe : De plus en plus de personnes issues de l’asile intégrées sur le marché du travail vaudois / Frontex suspend ses activités en Hongrie / Un vol spécial pour l’Éthiopie malgré une mobilisation citoyenne / Génération identitaire sur la sellette ?

De plus en plus de personnes issues de l’asile intégrées sur le marché du travail vaudois

swissinfo.ch, le 27 janvier 2021

Lors d’une conférence de presse en ligne qui s’est tenue le 27 janvier, Erich Dürst – directeur de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (l’EVAM) – s’est réjoui de la progression sur le marché du travail des personnes détentrices d’un permis F (personnes au bénéfice d’une admission provisoire). Si la dynamique est positive depuis plusieurs années, les répercussions du Covid-19 sur leur prise d’emploi s’avèrent quant à elles marginales. Selon M. Dürst, l’an dernier, 1’038 personnes (37%) au bénéfice d’un permis F exerçaient une activité lucrative, contre 990 (35,9%) en 2019. Or, elles n’étaient que 588 (25,7%) il y a trois ans.

Dans la même lignée, le directeur de l’EVAM a souligné que 41% des personnes arrivées en Suisse en 2014 (et même 47% de celles arrivées en 2015 et 2016) ont aujourd’hui un emploi. Les autres cantons constatent des hausses similaires. Ces résultats positifs ont un effet bénéfique important sur l’intégration de ces personnes, mais aussi sur les finances publiques, a également affirmé M. Dürst. L’un des objectifs de l’Agenda Intégration Suisse de la Confédération est donc en voie d’être atteint. En effet, la Confédération a fixé aux cantons un objectif lié à l’emploi : sept ans après leur arrivée en Suisse et le dépôt de leur demande d’asile, 50% des personnes adultes détentrices d’un permis F doivent être durablement intégrées sur le marché du travail. Toutefois, « Si ces chiffres sont positifs, il reste beaucoup à faire » a averti Erich Dürst.

Frontex ne veut pas être complice de la politique migratoire hongroise

Le 24 Heures, le 27 janvier 2021

Le 27 janvier 2021, l’agence de surveillance des frontières de l’Union européenne – Frontex – a suspendu toutes ses activités opérationnelles sur le terrain en Hongrie. Cette décision fait suite au constat établi en décembre dernier par la Cour de justice de l’Union européenne qui soutenait l’existence de nombreuses failles dans les procédures d’asile du pays. A cet effet, Andras Lederer, membre du Comité Helsinki hongrois (HHC) – un organisme de surveillance non gouvernemental – a déclaré que la décision de Frontex est importante puisque l’agence n’a jamais suspendu ses activités auparavant. M. Lederer estime que Frontex a été forcée de suspendre ses opérations en Hongrie car elle risquait d’être tenue pour « complice » de la politique migratoire hongroise.

Un vol spécial pour l’Éthiopie diligenté malgré une mobilisation citoyenne

RTN, le 28 janvier 2021  

La mobilisation en Suisse pour empêcher le renvoi forcé de plusieurs personnes en procédure d’asile déboutées vers l’Éthiopie n’a pas suffi. Le 27 janvier dernier, les principaux concernés (cinq requérants d’asile selon plusieurs organisations) ont pris un vol spécial en direction de l’Éthiopie. L’un d’eux vivait dans le canton de Vaud depuis plusieurs années et y était bien intégré, a relevé Élise Epiney de l’association Stop Renvoi. Du côté du Secrétariat d’état aux migrations (le SEM), on souligne que ce vol spécial était publiquement connu et que plusieurs personnes ont été renvoyées à bord de ce dernier. Alors que le départ du vol était imminent, plusieurs ONG humanitaires ont demandé l’arrêt immédiat des rapatriements forcés depuis la Suisse vers l’Éthiopie. En effet, la situation du pays est jugée particulièrement précaire par de multiples organisations rappelle la section vaudoise de la Ligue suisse des droits de l’Homme. Le SEM estime pour sa part que les voyages de retour de requérants d’asile déboutés restent possibles malgré la pandémie. L’exécution des renvois n’est donc pas stoppée, mais cela dépend toutefois fortement du pays concerné.

Génération identitaire sur la sellette ?

Le 24 Heures, le 26 janvier 2021

En évoquant la possibilité d’une dissolution de « Génération Identitaire » (GI), le ministre français de l’Intérieur – Gérald Darmanin – a condamné publiquement les agissements du groupe militant. Pour rappel, fin janvier, une trentaine de militants de GI se sont installées au Col du Portillon et ont utilisé un drone pour surveiller la frontière franco-espagnole. Selon un message posté sur les réseaux sociaux de GI, cette action entendait lutter contre le « risque terroriste et migratoire dans les Pyrénées ». Ce mouvement politique a également fait parler de lui en multipliant les démonstrations d’hostilité envers les personnes migrantes à la frontière franco-italienne. A cet effet, plusieurs élus du sud-ouest de la France, dont la présidente socialiste de la région, Carole Delga, avaient demandé au ministère de l’Intérieur la dissolution du groupuscule.

Masar Hoti

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 

 




Les quatre sommets de l’asile

Auteur: Galen Crout / unspash.com.

Quand chaque montagne à gravir en cache une autre


Comment Bin, arrivé en Suisse en décembre 2018, a gravi les quatre sommets de l’asile. Témoignage.

Sommet numéro 1 : la vie dans un centre d’enregistrement

Il faisait très froid quand, seul, à pied, je me présente au centre d’accueil pour réfugiés de Vallorbe dans le canton de Vaud, avec une valise et un petit sac à dos pour tout bagage. Un agent de sécurité m’ouvre la porte. Après deux jours, je suis transféré dans un autre centre, à Boudry dans le canton de Neuchâtel. Ce ne sera pas le dernier. Quatre mois plus tard, je suis encore transféré vers un autre foyer, à St Gingolph, en Valais. Deux centres et un foyer répartis dans trois cantons, avec des atmosphères différentes.

Le centre de Boudry me marque par son ambiance particulière : les règles y sont très strictes, le comportement des résidents minutieusement documenté dans leur dossier. Il faut suivre le règlement à la lettre. La cohabitation est souvent pénible ; les chambres sont quasi invivables. Malgré les interdictions et la surveillance des agents de sécurité, certains résidents fument et boivent de l’alcool dans des dortoirs. A cela s’ajoutaient des bagarres – parfois violentes – entre résidents, causant une peur palpable dans le centre.
Les journées sont longues. Je m’ennuie. Lire devient impossible à cause du bruit. Tout est chronométré : les heures de repas, de sommeil, de réveil. J’ai le sentiment de perdre le contrôle de ma vie.

Sommet numéro 2 : la procédure d’asile

Et si les choses sérieuses ne font que commencer ? Après quatre semaines, mon nom s’est finalement affiché pour une convocation dans les bureaux du SEM (Secrétariat d’Etat aux Migrations) attachés au centre fédéral pour requérant d’asile (CFA) de Boudry. Le moment crucial pour tout demandeur d’asile.
Mon audition débute à 8h45 pour ne finir qu’à 16h55 : 108 questions sur 24 pages.
« Nous ne pouvons pas terminer aujourd’hui » me dit l’auditrice du SEM. « Vous recevrez une nouvelle convocation dans les prochaines semaines ». Cette deuxième audition dure de 8h45 jusqu’à 11h25. 58 questions supplémentaires sur 10 pages. « C’est fini, la décision vous sera communiquée prochainement », conclut l’auditrice.

Je fais partie d’un projet-pilote qui découle de la nouvelle loi sur l’asile en Suisse axé sur la rapidité procédurale : la décision du SEM n’a de ce fait pas tardé. Mais, contre toute attente, la réponse est négative. C’est alors une vraie descente aux enfers. Je suis incapable de retenir mes larmes. Non pas parce que j’apprends que je suis débouté. Mais surtout parce que je ne peux pas retourner dans mon pays et que je ne sais pas quand et comment je pourrai revoir mes enfants. J’ai laissé au pays 4 garçons de 10 à 7 mois et le petit dernier ne me connaissais pas encore. Mon épouse a perdu la vie quatre jours après sa naissance.

Quelques jours après, j’ai le courage de faire un recours auprès du tribunal administratif fédéral (TAF). Pendant ces jours-là, je reçois un appel téléphonique de mon fils aîné. Il me demande : « Papa quand est-ce que tu reviens ? tu es parti beaucoup plus longtemps que d’habitude » . J’avale mon émotion avant de lui donner une réponse peu convaincante. En attente de la décision du TAF, les jours sont pleins d’angoisse, de stress. La plupart des résidents me découragent en me citant tour à tour les cas de rejet de cette haute instance judiciaire du pays. Mais je reste optimiste malgré tout.

Finalement, le TAF me donne raison en annulant la décision du SEM et ordonnant par le même jugement à ce dernier de me reconnaître la qualité de réfugié. C’est alors la montée au ciel ! Mais ce grand soulagement n’est que de courte durée car d’autres préoccupations – et pas des moindres – s’enchaînaient les unes après les autres.

Sommet numéro 3 : le regroupement familial

Vivre avec sa famille réunie est l’idéal de chacun. Mais, parfois, les situations de la vie font qu’un des membres de la famille sépare des siens, pour toutes plusieurs raisons.
Personne ne peut comprendre le chagrin de vivre loin de sa famille à part celui qui a vécu ou traverse toujours cette douloureuse situation. C’est une période pénible, surtout si elle est forcée.

A l’obtention du statut de réfugié, j’ai immédiatement déposé une demande de regroupement familial. A la lecture de la loi sur l’asile, ça paraît simple mais ce n’est cependant pas automatique. Les personnes admises provisoirement (permis F) doivent prouver leur indépendance professionnelle et celles ayant obtenues le statut de réfugié (permis B) doivent motiver leur demande. Dans mon cas, faisant partie de la deuxième catégorie, plusieurs mois de paperasse sont nécessaires avant d’obtenir – enfin –  une autorisation d’entrée pour mes enfants.

A ce stade, une nouvelle question se pose : « Comment les faire venir ? ». Comme mes fils sont très jeunes et sans famille direct avec eux, il me faut faire plusieurs démarches pour les sortir de mon pays et les emmener en Suisse. Mis au courant de la situation, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui soutient habituellement les réfugiés en demande de regroupement familial, me refuse toute assistance. J’organise moi-même pour me rendre dans un pays proche de mon pays d’origine pour accueillir mes enfants et les ramener. Tout cela à mes frais et sans aucune ressource. Quelle panique !

Finalement, les enfants sont arrivés. Ouf quel soulagement !

Sommet numéro 4 : l’intégration

Toute personne définit les objectifs qu’elle souhaite atteindre dans sa vie et prend ses propres décisions afin de réussir sa vie. Dans le monde de l’asile, cette configuration change. Certes, on poursuit le même but, mais pas nécessairement le même chemin, car l’Etat peut intervenir dans la vie du réfugié. Et même contre son gré, au nom d’une « intégration réussie » . C’est compréhensible mais difficile à admettre pour certains et certaines.
Afin de faciliter l’indépendance socio-professionnelle des personnes reconnues provisoirement et des réfugiés reconnus (AP/R), les autorités fédérales et cantonales ont mis en œuvre l’Agenda Intégration Suisse (AIS). Personne n’y échappe. On n’est plus ni maître ni artisan de son destin. La Confédération, les Cantons et tout un ensemble de collaborateurs et collaboratrices entrent en jeu. La collaboration devient le mot d’ordre.
Dans ce parcours, rien n’est plus blessant, démoralisant et même dramatique que de croiser des personnes sans expériences et pleines de préjugés à l’égard des réfugiés, comme certains témoignages le montrent. Personnellement, j’ai eu la chance de toujours tomber entre de bonnes mains, avec des assistants et assistantes sociaux qui m’encouragent, me soutiennent et me donnent de l’espoir dans ce nouveau chemin.
Une nouvelle page s’ouvre pour moi et mes enfants dans ce pays. A nous de la remplir au mieux des opportunités que nous allons rencontrer.

Bin

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils