1

Rêves de prison

Robert Brinkley – pexels.com

Parfois plus vrais que le réel

Nous avons combattu jusqu’au bout mais le mal a gagné, une fois encore : j’ai été arrêté avec un ami, à la hâte et dans la nuit. On ne nous a même pas fourni un avocat.

Entre rêve et réalité

Le juge nous a présenté les papiers sur lesquels figurait un mandat d’arrêt et a dit :

« Vous êtes arrêtés! »

Puis il a fixé un point inconnu de ses yeux rouges et fatigués, en haussant les épaules. Il a ensuite pointé son index vers le plafond et a poursuivi :

« La décision à votre sujet est la suivante… »

Cela n’a pris que quelques minutes ; dans un stress sans fin, je pensais: comment le mal peut-il gagner aussi facilement?

Bien sûr, il n’est pas facile de trouver la réponse à cette question rude et ancienne qui bat sans interruption dans mon cerveau. Mais, soudain, je me suis souvenu de quelque chose de complètement différent: j’avais déjà vu cette pièce, ce juge, ce groupe de prisonniers en civil. Cette histoire m’était déjà arrivée il y a bien longtemps, de la même manière, dans ses moindres détails…

Mais quand? Il y a combien d’années, de siècles?

Je pensais : peut-être que tout cela n’est pas vrai? C’est peut-être un cauchemar?

Qu’est-ce qui est plus vrai: le sommeil ou la vie?

J’ai dormi pendant mes trois premiers jours et trois premières nuits en prison. Je me réveillais seulement quand les geôliers faisaient leur ronde de surveillance.

***

Il neige. Le monde ressemble à une immense ruelle, blanche de tous les côtés. Je suis seul. J’avance dans cette ruelle solitaire et enneigée…

Ceci est mon premier rêve en prison. J’ai fait ce même rêve à plusieurs reprises durant ma détention. Ce qui est étrange, c’est que je l’ai fait encore à plusieurs reprises après ma libération. La dernière fois, c’était ici, en Suisse, et, ce jour-là, j’ai décidé d’écrire ce texte.

***

Je me réveille subitement. Je vois ma mère dans ma cellule de prison. Elle est assise à mon chevet et caresse mes cheveux.

« Comment es-tu arrivée ici? » – dis-je, bouleversé.

Ma mère, au lieu de me répondre, pose à son tour une question :

« Pourquoi es-tu si maigre mon enfant ? Il fait trop froid ici », et ses yeux se remplissent de larmes.

« Va-t’en ! Il fait assez chaud ici. Ne t’inquiète pas, ils nous donnent de la bonne nourriture. »

« Non, je ne peux pas te laisser seul ici. »

« S’il te plait, Maman, quitte cet endroit au plus vite, les geôliers pourraient te surprendre. » – je la saisis par le bras et la force à sortir.

Quand j’ai été libéré, j’ai appris qu’au moment où j’ai fait ce rêve, la tension artérielle de ma mère, malade depuis longtemps, s’était brutalement élevée et qu’elle avait même failli en mourir.

***

Une salle de spectacle vide. Il n’y a personne, sauf le président azerbaidjanais, Ilham Aliyev, son épouse, Mehriban Aliyeva, et moi.

Avec colère et étonnement, je regarde le président assis à côté de moi. Il fait semblant de ne pas me voir, fixant la scène vide de ses yeux froids. Puis il commence à suivre un spectacle invisible sur la scène toujours vide. La première dame, elle, a cassé le talon d’une de ses chaussures et reste occupée uniquement par ce petit désagrément.

À différents moments, j’ai vu en rêve les dirigeants des États-Unis, de la Russie, du Turkménistan, de la France, de l’Iran et de l’Allemagne. Mais Ilham Aliyev est revenu plusieurs fois dans mes rêves.

***

C’est une immense place avec beaucoup de monde. Quelqu’un m’appelle, je me retourne : le mari de ma tante, accompagné de son gendre, se tient devant moi.

« Allons manger et boire », propose-t-il.

Et nous avons mangé et bu quelque part.

« Pourquoi êtes-vous ici? » ai-je demandé.

« Nous ne nous sommes pas rencontrés depuis longtemps. Nous avons un travail important à faire et devons y aller de toute urgence. Nous avons voulu venir te voir avant de partir ». Le mari de ma tante a levé son verre de vin.

Je me suis réveillé au tintement de nos verres qui s’entrechoquaient.

Après ma libération, j’ai appris que le mari de ma tante et son gendre étaient morts durant ce même mois.

***                                    

Peut-être que certains ne le croient pas. Mais j’ai vu en rêve et su à combien d’années je serai condamné, dans quelles conditions je serai libéré et bien d’autres choses encore. Aujourd’hui, je continue à faire des rêves au sujet de mon avenir ou sur des œuvres à écrire.

C’est un fait incontestable: les gens peuvent être arrêtés, mais il est impossible d’arrêter leurs pensées et leurs rêves.

Qu’est-ce que la liberté? Est-elle peut-être, tout simplement, l’un de nos rêves les plus anciens?

Samir Murad

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




« Mon handicap est devenu une opportunité au lieu d’un obstacle »

Mamadi Diallo (au centre)sur scène. Photo: Grégoire Tafelmacher.

Participer à la création d’une pièce puis la jouer: la plus belle expérience de ma vie !

Mamadi Diallo, membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils, a participé à la dernière création d’Angélica Liddell « Una costilla sabre la mesa : Madre » au théâtre de Vidy à Lausanne.

Depuis trois ans, je suis formateur bénévole à Palabres, une association lausannoise à but non lucratif qui œuvre auprès de personnes migrantes en situation de précarité économique et/ou psychosociale.

L’année dernière, La Marmite, qui se définit comme une université populaire et nomade de la culture, a pris contact avec Palabres. La Marmite collabore avec une association différente chaque année afin de réunir un groupe de personnes autour d’une thématique à développer ensemble. Ces groupes sont ensuite accompagnés dans leur travail par deux médiatrices. J’ai eu la chance de faire partie du groupe de Palabres et je suis resté en contact avec une des médiatrices, Anouk Schumacher, chargée de médiation culturelle au Théâtre Vidy-Lausanne.

« Una costilla sobre la mesa: Madre ». Une pièce d’Angélica Liddell. Photo: Théâtre de Vidy.

Etre acteur pour une grande metteuses en scène d’Europe

En janvier de cette année, Anouk m’appelle pour me dire que la compagnie de théâtre d’Angélica Liddell est à la recherche de figurants malvoyants pour sa dernière création : « Una costilla sabre la mesa : Madre ». Anouk me demande si je suis intéressé par cette expérience. Je ne connaissais pas Angélica Liddell, mais j’avais toujours eu envie de monter sur scène pour ressentir les émotions que peuvent connaître les acteurs face au public. Alors, j’ai tout de suite accepté la proposition et tenté ma chance.

Anouk m’a mis en contact avec Valentin Augsburger, l’attaché au développement des publics et à la communication du théâtre de Vidy. Valentin était chargé du recrutement des figurants pour la compagnie d’Angélica Liddell. C’est donc à lui que j’ai transmis une photo et un texte qui fais part de ma motivation à faire partie de cette aventure. En attendant la réponse, j’en ai profité pour parler à des amis qui connaissaient déjà Angélica Liddell et ses créations. J’ai alors compris qu’elle est une grande metteuse en scène européenne, connue pour ses œuvres fortes qui sont toujours en lien avec l’intime et le cosmique. Après quelques recherches, j’ai été stupéfait par ses œuvres et j’ai compris que le fait de jouer sur scène avec elle serait rien d’autre qu’un grand honneur, si je venais à être choisi.

Un mois plus tard, je reçois une décision me confirmant que je répondais au profil recherché. J’ai sauté de joie, c’était une occasion inespérée de monter sur scène.

« Una costilla sobre la mesa: Madre ». Une pièce d’Angélica Liddell. Photo: Théâtre de Vidy.

Jouer de son handicap

Une semaine avant les répétitions, tous les figurants et acteurs ont été invités à faire connaissance et à rencontrer Angélica qui nous a expliqué nos rôles respectifs.

Cette première rencontre, toutes les répétitions et les 7 représentations du spectacle ont eu lieu dans le nouveau Pavillon de Vidy, une magnifique structure en bois dont la salle est peinte en noir avec des gradins modulables en velours rouge et qui peut accueillir jusqu’à 250 spectateurs.

A notre entrée dans la salle, Angélica était présente, prête à nous accueillir ! Elle était remarquablement sympathique et admirable ! Connaissant un peu son vécu douloureux, j’avoue avoir été surpris par une personnalité si ouverte.

Une fois installée, Angélica nous raconte le pourquoi de ce spectacle et ce qu’il représente pour elle. Elle venait de perdre sa mère avec laquelle elle n’avait pas eu de bons rapports durant sa jeunesse. Mais avant le décès de sa mère, Angelica avait renoué des liens avec elle. Elle nous précise aussi que sa mère n’avait jamais vu aucun de ses spectacles et que pour lui rendre hommage : « je fais un spectacle auquel elle aurait voulu assister ». Comment ne pas admirer une telle intégrité ? Ensuite, elle explique à chacun des figurants son rôle respectif. C’est là que je me suis dit : « Enfin, mon handicap devient un atout ! ». Nous étions trois non-voyants à jouer le rôle de malvoyants qui voient au-delà du visible et qui sont les messagers des dieux de l’Olympe. On retrouve souvent de tels personnages dans les tragédies grecques et dans le théâtre classique.

« Una costilla sobre la mesa: Madre ». Une pièce d’Angélica Liddell. Photo: Théâtre de Vidy.

« Un grand défi et une certaine crainte »

Angélica nous explique que lors d’un des deux passages sur scène, nous devions symboliquement toucher le ventre d’une femme enceinte. Cette interprétation représentait un grand défi pour moi et une certaine crainte aussi, je dois le dire. Mais le contact avec la troupe a été immédiatement excellent. Grâce à cela, j’ai pu m’ouvrir aux autres figurants. J’avais une certaine réticence parce que je n’avais encore jamais touché le ventre d’une femme enceinte, je ne savais pas comment j’allais réagir sur scène. C’est vrai que pour ce rôle très particulier, les deux femmes enceintes, figurantes comme nous, nous ont donné en toute confiance la possibilité de toucher leur ventre et de transmettre ainsi une intense émotion aux spectateurs, puisqu’il s’agissait de parler de vie et de maternité qui sont des éléments essentiels dans toutes les mises en scène d’Angélica Liddell. Dans ce spectacle elle parle à la fois de sa mère, de la moitié de l’humanité, c’est-à-dire toutes les femmes mais aussi de sa souffrance intime, celle ne pas avoir pu vivre l’expérience de la maternité.

Malgré mes craintes devant les défis de cette mise en scène exigeante, j’avoue que je n’ai pas eu de difficulté à jouer mon rôle, grâce au respect et à la confiance dont la troupe d’Angelica Liddell qui nous entourait à chaque instant.

C’est une extraordinaire chance qui s’est offerte à moi, j’en avais rêvé si souvent et, de plus, mon handicap devenait une opportunité et non plus un obstacle. J’étais sur la scène du théâtre de Vidy, figurant dans la nouvelle création d’une importante metteuse en scène européenne et une incroyable actrice, oui c’est vraiment la plus belle expérience de ma vie!

 

Mamadi Diallo

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

 




Des bénévoles de l’International School of Lausanne proposent des activités aux enfants du foyer EVAM de Crissier

Les enfants peuvent stimuler leur créativité à Crissier. Photo Rob Swales.

Le centre d’hébergement EVAM de Crissier accueille environ 400 personnes de cultures et d’origines différents, seules ou en familles. Parmi elles, on trouve beaucoup d’enfants. Tout comme leurs parents, ils ont vécu la guerre, la pauvreté, les menaces. Ils ont quitté leurs amis, parfois des frères et des sœurs, sans nécessairement comprendre ce qu’ils font aujourd’hui dans ce pays étranger qu’est pour eux la Suisse. La seule chose que revendiquent ces petits déracinés, c’est de recevoir de l’attention et de l’affection et de pouvoir vivre leur enfance. Rob Swales, Australien dont la femme travaille à l’International School of Lausanne et Silvia Alvarez, originaire d’Espagne et voisine de Rob, sont deux bénévoles qui proposent des activités de loisirs aux enfants de Crissier.

 

Voix d’Exils : Les parents disent « Si vous voyez beaucoup d’enfants tourner dans le foyer de Crissier, cela signifie que Rob et Silvia sont là !». Vous venez régulièrement vous occuper des enfants ?

Rob Swales : Oui, je passe tous les mercredis à Crissier pour organiser des programmes ludiques, artistiques et sportifs pour autant d’enfants que possible.

Photo: Rob Swales

Silvia Alvarez : J’aide mon ami Rob Swales dans le cadre des activités du mercredi après-midi destinées aux enfants et aussi aux adolescents. Ces activités se déroulent soit à Crissier, soit ponctuellement à L’International School of Lausanne (ISL). Par exemple, en ce moment, les enfants suivent un atelier de sculpture et ils exposeront leurs créations.

Ils visionnent des DVD et font des promenades dans la forêt à proximité. Depuis peu, les enfants ont commencé un cours de Teakwondo animé par Monsieur Omid, l’un des nouveaux résident du foyer.

Pouvez-vous nous parler un peu de cette école et nous dire comment fonctionne la collaboration avec l’EVAM ?

Silvia Alvarez : L’ISL collabore avec l’EVAM depuis le printemps 2011 à travers son programme d’entraide aux requérants d’asile. Cette aide consiste notamment à accorder l’écoute nécessaire aux enfants qui n’ont pas eu la chance de pouvoir vivre une enfance paisible dans leur pays d’origine. Je conseille aussi des adolescentes et des jeunes femmes pour les aider à mener une vie meilleure et leur offrir des possibilités d’épanouissement.

Photo: Rob Swales

Rob Swales: Une grande partie des activités implique la participation des étudiants de l’International School of Lausanne. L’ISL met à disposition des enfants du foyer un autobus qui les amène à son campus du Mont-sur-Lausanne où ils partagent avec un groupe d’étudiants des activités culinaires, musicales, artistiques, sportives et ludiques. Les enfants du foyer ont par exemple été invités à fêter Noël 2011, à manger des gâteaux, à assister à une représentation théâtrale et à une disco organisée par les étudiants et le personnel de l’école.

Qui finance les activités destinées aux jeunes migrants ?

Rob Swales: Les familles des étudiants de l’ISL fournissent des jouets, des livres, des vêtements de bonne qualité ainsi que des produits pour les soins du corps. En plus, des collectes de fonds sont organisées à l’ISL pour alimenter un compte bancaire qui finance des activités pendant les vacances scolaires. L’ISL a également comme projet de proposer un « panier de nouvelles baskets » destiné aux enfants du foyer.

Anush OSKAN

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils