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Papillon

 

Madame Soha Khoie, une des fondatrices de l’association Papillon.
Photo: Vahid Farkhondeh / Voix d’Exils.

Une association neuchâteloise exemplaire en matière de cohésion sociale et multiculturelle

En 2015, Soha Khoie crée l’association Papillon qui propose d’abord des cours de français et persan. Rapidement, le Papillon se diversifie et étend ses ailes. Si bien qu’en 2016, il remporte le prix « Salut l’étranger-ère! », décerné par le Conseil d’Etat neuchâtelois, qui récompense les actions exemplaires en faveur de la cohésion sociale et multiculturelle. Interview de la fondatrice de Papillon: Soha Khoie.

Voix d’Exils : Soha Khoie, pour quelle raison avez-vous quitté l’Iran ?

Soha Khoie : En 2009, quand j’avais 30 ans et j’ai décidé de partir. J’étais étudiante en sociologie à l’Université de Téhéran lorsque mon domaine d’études a été dissout en raison du mouvement vert et du soulèvement postélectoral de 2009 en Iran.

Comment s’est passé votre intégration ?

Quand je suis arrivée en Suisse, j’étais totalement confuse. Je pensais que les conditions de vie des femmes dans mon pays allaient s’améliorer et que je pourrais y retourner et continuer mes études. Mais cela n’est jamais arrivé. Tout d’abord, j’ai appris les bases du français et puis une personne m’a demandé : « aimeriez-vous devenir bénévole à la boutique de seconde main de la Croix-Rouge à Neuchâtel? ». J’ai trouvé que c’était une bonne idée et j’ai commencé mon activité sociale en tant que vendeuse.

Cela s’est-il bien passé ?

A la Croix-Rouge, j’avais des collègues qui parlaient très vite et je ne comprenais rien. Pour cette raison, je ressentais beaucoup de peur comme, par exemple, celle du jugement. Je me sentais très mal, j’ai donc décidé de suivre des cours de français intensifs.

S’agissait-il simplement d’un problème de langue ?

En intégrant une nouvelle communauté et une nouvelle culture, j’ai pensé que mon adaptation se ferait rapidement. Mais j’avais grandi dans la culture iranienne, j’étais allée à l’école et j’avais appris à vivre en Iran. C’était donc très difficile pour moi cette adaptation.

D’où vous est venue l’idée de créer une association ?

En communiquant avec mes compatriotes, j’ai réalisé que, pour bien apprendre le français, on a besoin de connaître déjà la grammaire de sa langue maternelle: dans mon cas le persan. Bien connaître sa langue maternelle aide à l’apprentissage d’autres langues. C’est de là qu’est né le projet de créer l‘association Papillon. J’ai ensuite décidé de partager mon expérience et de mettre sur pied des cours de français et de persan au sein de l’association pour que les migrants de langue persane vivent plus facilement ici. Avec Sahar Ghaleh, Farzaneh Piran, Bahareh Payab,Teresa Gutierrez et Mariana Pascal, Soraya Roux, nous avons créé ensemble, en 2015, l’association Papillon.

Qui avez-vous accueilli?

Nos premières élèves étaient un petit groupe de femmes qui ne parlaient pas bien le français. Avec elles, nous avons abordé des questions sociales, culturelles, sexuelles, religieuses… Nous avons lancé des cours de persan surtout pour les Afghans et Afghanes qui savent parler le persan, mais qui ne l’écrivent pas. Nous avons également proposé des cours de développement personnel, de citoyenneté et différents ateliers : théâtre, mosaïque et modelage.

Comment avez-vous utilisé le prix que vous avez reçu ?

Cet argent nous a permis de louer un bel endroit pour donner des cours et nous avons tenu des stands dans la ville de Neuchâtel qui proposaient des spécialités culinaires iraniennes et afghanes. Nous avons aussi mis en place des ateliers de cuisine persane. Depuis 2017, nos activités se sont encore étoffées. Nous avons ouvert des ateliers de dessin et de peinture ainsi qu’une boutique où nous vendons des vêtements de seconde main.

Quels sont vos projets pour l’avenir ?

Depuis que je suis active dans l’univers des migrants, j’ai remarqué qu’un sujet n’était pas ou peu abordé, c’est le problème de la dépendance aux drogues ou à l’alcool. Malheureusement, les migrants qui souffrent de dépendances refusent de le dire lorsqu’ils entrent dans une nouvelle société.

Pour quelle raison ?

En raison de la peur d’un renvoi, du manque de connaissances, de la solitude, de l’embarras… Je me suis demandée comment je pouvais les aider ? J’ai écrit à 50 institutions auprès desquelles j’ai sollicité des fonds pour lancer ce projet de réflexion sur la dépendance aux drogues et à l’alcool. Jusqu’à maintenant, personne ne m’a aidée, mais je ne baisse pas les bras et j’espère pouvoir atteindre cet objectif entre 2020 et 2022.

D’autres projets ?

J’aimerais créer un atelier de couture. Il y a beaucoup d’Afghans et d’Afghanes qui savent coudre et certains d’entre eux ont du talent pour la couture, mais n’ont pas les moyens pour le développer et le mettre en valeur

Qu’aimeriez-vous dire pour la fin de l’article ?

Je voudrai remercier tous ceux qui nous ont aidés tout au long de ces années.

 

Propos recueillis par:

Vahid FARKHONDEH KHOY FARD

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

 

Le prix « Salut l’étranger-ère! » en 4 points

  1. Il a pour objectif de promouvoir publiquement les actions qui favorisent l’ouverture, la cohésion sociale et la sensibilisation au respect de la diversité.
  2. Il a été institué par le Conseil d’État neuchâtelois en 1995.
  3. Il est doté de 7000 francs.
  4. Son jury est composé de cinq personnalités nommées par le Conseil d’État.

Vous souhaitez candidater pour le Prix Salut l’étranger? Rendez-vous sur le site de l’Etat de Neuchâtel en cliquant ici pour plus d’informations

Ou téléchargez le flyer du Prix 2019 ici.

Délai des candidatures: le 25 octobre 2019.

 

 

 

 

 




« Le migrant le plus connu de la Suisse »

Exposition Chaplin en correspondance avec la Suisse mai 2018, Sion. Photo: Voix d’Exils

Exercice grandeur nature et montre en main lors de la formation multimédia de Voix d’Exils

Lors de la formation multimédia de Voix d’Exils du 16 mai dernier, les rédacteurs expérimentés ayant déjà suivi les dix modules de la formation étaient invités à mettre en pratique leurs connaissances en relevant un défi: réaliser un reportage sur un événement en une petite après-midi.

La formation multimédia de Voix d’Exils se tient une journée par mois au Centre de formation du Botza à Vétroz en Valais. Elle offre des cours d’écriture journalistique, d’informatique et de photographie aux rédactrices et rédacteurs des trois rédactions cantonales de Voix d’Exils. Deux rédacteurs de la rédaction vaudoise, avaient en tout trois heures à disposition pour réaliser un reportage sur l’exposition Chaplin en correspondance avec la Suisse qui s’est tenue du 1er mai au 26 mai 2018 à Sion en Valais.

Durant le temps qui leur était imparti, les rédacteurs avaient pour mission de se rendre à Sion pour couvrir l’exposition, de restituer puis organiser la matière, d’exposer leur travail aux trois rédactions réunies en plénière et de répondre aux questions des formatrices, des formateurs et du public. Top chrono! Et voilà le résultat tel qu’il a été présenté le 18 mai dernier sans aucune retouche :

Le migrant le plus connu de la Suisse

La Médiathèque à Sion organise une exposition intitulée « Chaplin en correspondance avec la Suisse » pendant ces jours. Le 16 mai, la rédaction valaisanne de Voix d’Exils a organisé la visite de deux rédacteurs vaudois à cette exposition dans le cadre de la formation multimédia pour les rédactions de trois cantons. Les rédacteurs ont découvert que l’idole du cinéma muet était exclue des Etats-Unis et arrivée en Suisse. Ils ont également saisi les raisons de son immigration, ainsi que la vie de sa famille en Suisse, présentées dans l’exposition à travers des lettres, des photos, des documents et des archives numérisés. Le photoreportage ci-dessous donne une idée générale sur l’exposition.

 Charlie Chaplin et sa famille

Photo de la famille devant leur maison le Manoir de Ban (1957)

 

Lecture de l’autobiographie de Charles Chaplin (1964)

 

La vie de la famille et l’apprentissage du ski

 

Charlie Chaplin dans les films et le cirque

 

Chambre ronde pour regarder des films muets du grand comédien

 

A l’intérieur de la chambre ronde pour regarder des films

 

Le film « Le Cirque »

 

Le film « Le Cirque »

 

Clowns de Cirque Knie devant Charlie Chaplin (1964)

 

La rédaction de Voix d’Exils

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




10 ans pour construire un nouveau chemin

Keerthigan Sikakumar à l’ECAL. Auteur: Eddietaz

10 ans de l’Evam – Le parcours de Keerthigan Sivakumar en Suisse

Voici presque 10 ans que Keerthigan Sivakumar est arrivé en Suisse. Passé par les structures de l’Evam, autonome et déterminé, il a su construire son chemin pour réaliser aujourd’hui son rêve : étudier le cinéma. Retour sur un parcours épatant.

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils est allée à la rencontre d’un de ses anciens membres : Keerthigan. Très enthousiaste, ouvert et sympa il nous a fièrement accordé cette interview à l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL).

« J’ai suivi des études secondaires pendant six mois dans mon pays d’origine, le Sri Lanka. Ensuite j’ai fui mon pays en 2009 et je me suis réfugié en Suisse. Les premières trois années, j’ai commencé par apprendre le français et j’ai participé au programme Voix d’Exils jusqu’en 2013. Entre 2014 et 2016, j’ai suivi ma première formation professionnelle à l’Ecole cantonale d’art et de communication de Lausanne (l’éracom). En 2017, j’ai réussi à commencer une formation en cinéma à l’ECAL.

« Les cours de français m’ont permis de sortir du foyer »

Quand je suis arrivé en Suisse, j’habitais au foyer de Sainte-Croix dans une montagne isolée et c’est là que j’ai appris le français en commençant par l’alphabet pendant six mois. C’était très dur, surtout la prononciation. Les cours n’étaient pas intenses, on avait trois jours de cours par semaine. Après six mois, j’ai dépassé le niveau de français des cours qu’on donnait au foyer et on m’a alors proposé de suivre les cours à Renens. Et c’est là où j’ai eu la chance de sortir du foyer pour la première fois. Avec ça, je me suis dit que les cours de français, ce n’est pas seulement pour apprendre une langue, mais aussi pour sortir du foyer, voir, observer, écouter et intégrer la communauté suisse. Donc les cours de français m’ont donné toutes ces opportunités.

« Les cours de français m’ont permis de réaliser mes études professionnelles »

Au début, je voyais le français comme une langue très bizarre. Des gens me disaient que c’est une langue qui est un peu similaire à l’anglais et que si tu parles l’anglais, tu pourras vite l’apprendre. Comme je parle l’anglais, je pensais que ça serait facile pour moi. Mais tel n’a pas été le cas. Les professeurs de français ne parlaient pas l’anglais pendant les cours de français pour définir les mots et nous aider à comprendre. Tout se disait en français. En plus, à cette époque, on n’utilisait pas les smartphones pour chercher la définition des mots. C’est une méthode très dure et difficile pour apprendre la langue. Mais, j’apprécie beaucoup cette méthode, car aujourd’hui elle m’a permis d’être bon en français et de pouvoir faire mes études professionnelles.

« Quand les vaudois parlent, ils parlent très vite »

J’ai eu la facilité d’apprendre cette langue car j’avais l’opportunité de suivre des cours intensifs de français, une demi-journée tous les jours de la semaine à Ecublens. Ensuite, j’ai eu la chance d’être soutenu par une bourse d’études d’une association qui s’appelle ENVOL pour suivre des cours jusqu’au niveau B2. Toute langue est comme un océan, une mer. L’une des difficultés que je rencontre est de me familiariser avec l’accent vaudois. Quand les vaudois parlent, ils parlent très vite. Je me sens toujours comme un débutant dans cette langue. J’ai toujours des difficultés et des défis à relever. Maintenant à l’école, on écrit beaucoup, on rédige des textes. Alors pour faire ça, il me faut d’abord les rédiger dans ma langue maternelle, pour les traduire en français ensuite. Après, je les donne pour relecture à d’autres personnes.

« Voix d’Exils est un vrai emploi »

Je trouve que Voix d’Exils n’est pas un programme d’activités, c’est un vrai emploi. Car à travers ce programme, nous apprenons les vraies techniques du journalisme en Suisse. Alors, il nous donne beaucoup d’expérience et c’est bénéfique. Il nous permet aussi d’avoir la confiance et une grande motivation pour aller rencontrer des gens, faire des interviews et écrire des articles. Voix d’Exils m’a beaucoup aidé à développer mes compétences pour pouvoir suivre ma première formation réussie à l’Eracom. Ce programme m’a aussi appris à connaître la vie politique, sociale, culturelle et professionnelle en Suisse.

« Ce qui facilite l’intégration, c’est d’être toujours ouvert et d’avoir la persévérance d’apprendre »

L’intégration c’est le vivre ensemble des communautés différentes en respectant ces différences. Je ne me sens pas intégré en Suisse et je ne pense pas réussir à m’intégrer un jour, car l’environnement social et politique change tous les jours. Donc, avec ces changements constants, nous n’arriverons jamais à nous intégrer. Mais ce qui facilite cette intégration, c’est d’être toujours ouvert et avoir la persévérance d’apprendre.

Une saveur, un goût qui te parle ?

La crêpe au chocolat. Au Sri Lanka il y des crêpes : les Dosa, mais on ne les mélange jamais avec du chocolat.

Une expression dans ta langue qui t’es chère, qui te ressemble ?

Nous sommes tous citoyens du monde donc nous écoutons.

En tamil : யாதும் ஊரே! யாவரும் கேளீர்! »

Propos receuillis par:

Lamine

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Bio expresse de Keerthigan Sivakumar

1988 : naissance au Sri Lanka, âge actuel : 29 ans

Langue maternelle : Tamil

2009 : Arrivée en Suisse

2014-2016 : Ecole romande d’art et communication (éracom)

2017 : Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL)

 

 




Accueil de requérants d’asile en Valais : bientôt trois ans pour le centre des Barges

Les jardins des Barges. Photo: Voix d'Exils

Les jardins des Barges. Photo: Voix d’Exils.

A la fin du mois de mai, la rédaction valaisanne de Voix d’Exils a eu l’occasion de visiter le centre de formation et d’hébergement pour requérants des Barges à Vouvry. Les rédacteurs ont pu découvrir ce vaste domaine utilisé par l’office valaisan de l’asile depuis 2011. Ils ont également fait la rencontre de migrants et encadrants qui font vivre le site au quotidien.

Situé au beau milieu de la plaine du Rhône, le domaine des Barges à Vouvry s’étend à perte de vue, entouré de paysages magnifiques, au cœur des Alpes et à quelques kilomètres du lac Léman. Ce domaine de 5’000 m2 appartient à l’Etat du Valais. Depuis août 2011, il est utilisé par l’office valaisan de l’asile. Il sert de structure de formation et de 2ème accueil pour requérants d’asile. « 26 migrants y séjournent actuellement, hommes et femmes, entourés par 6 encadrants », précise Claude Thomas, responsable du centre. Le nombre de pensionnaires est en baisse, conséquence des derniers durcissements de la loi sur l’asile. « Nous avons la capacité d’accueillir une quarantaine de personnes », énonce le chef des lieux.

Depuis 2011, 152 requérants d’asile sont passés par les Barges. Sans véritable problème disciplinaire, se félicite Claude Thomas : « dans 90% des cas, cela se passe bien. Les quelques difficultés que nous rencontrons sont surtout liées à des incompréhensions linguistiques et parfois à la consommation d’alcool ». Mais ces dérives alcoolisées appartiennent au passé, promettent les résidents actuels que nous avons rencontrés. Quant à la cohabitation avec la population locale, elle est plutôt réussie selon Claude Thomas : « par ignorance, certains ont peur, d’autres sont ouverts. A nous de faire passer un message positif, même si ça prend du temps ».

Claude: le responsable des Barges (au centre) accompagné des 4 membres présents ce jour-là de la rédaction de Voix d'Exils. Photo: Voix d'Exils.

Claude: le responsable des Barges (au centre) accompagné des 4 membres présents ce jour-là de la rédaction de Voix d’Exils. Photo: Voix d’Exils.

Composé de deux grandes maisons et plusieurs ateliers, le domaine des Barges compte aussi de nombreux terrains pour le jardinage. De quoi héberger les différentes formations proposées sur place : cours de français, de couture et de coiffure, atelier cuisine, service, nettoyage, coupes de bois de feu, tri de bouchons ou encore agriculture. Les produits frais cultivés au domaine des Barges sont ensuite conditionnés ou utilisés dans les cuisines des différents foyers pour migrants du canton. Dans le même ordre d’idée, les requérants contribuent eux-mêmes à la rénovation du centre, dans le cadre d’ateliers liés au bâtiment. Les requérants participent également aux projets d’utilité publique en collaboration avec les communes environnantes. Mais malgré cette offre de formation, peu de requérants parviennent à trouver un emploi sur le marché suisse. « Leurs chances sont maigres, explique Claude Thomas. Pour les détenteurs d’un permis N, les possibilités se limitent à des domaines où le personnel manque : l’agriculture, les ménages privés et collectifs, les professions de la boulangerie-boucherie et l’hôtellerie restauration. La situation se simplifie avec un permis F ».

Malgré cette réalité, Claude Thomas encourage vivement les requérants à se former : « la vie est longue, on ne peut pas savoir ce qui se passera demain. Il vaut mieux avoir un diplôme dans son CV que de rester les bras croisés. Même si le requérant retourne dans son pays natal, personne ne pourra lui enlever ce qu’il aura appris ici ».

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Marie-Pascale: la prof de français dans sa salle de cours. Photo: Voix d'Exils.

Marie-Pascale: la prof de français dans sa salle de cours. Photo: Voix d’Exils.

« Travailler avec les requérants : un vrai partage »

Elle est suissesse, elle a 48 ans. Elle, c’est Marie-Pascale Chambovey, qui travaille au domaine des Barges depuis 2 ans comme professeur de français. La « maman des Barges », comme la considèrent les résidents, vit sa première expérience d’enseignante auprès d’étrangers. Rencontre.

Voix d’Exils : Marie-Pascale, expliquez-nous en quoi consiste votre travail ?

Marie Pascale : Je donne des cours de français chaque matin. Ces classes sont obligatoires. Chaque élève vient une demi-journée par semaine à mon cours. A mon avis, l’intégration passe par la connaissance de la langue française. J’essaie donc de leur apprendre des choses qui leur seront utiles au quotidien. Pour moi, ce n’est pas important qu’ils sachent la différence entre l’imparfait et le passé simple. Il est par contre nécessaire qu’ils apprennent certains aspects pratiques, c’est pourquoi j’organise des sorties de groupes sur le terrain, à la gare ou dans des magasins, afin que les requérants apprennent à se débrouiller eux-mêmes dans ces lieux.

D’où viennent les élèves à qui vous enseignez ?

La plupart sont originaires d’Afrique. Les femmes viennent d’Erythrée et d’Ethiopie. Les hommes d’Algérie, de Guinée équatoriale, de Turquie, de Syrie, du Maroc, de Tunisie, de Guinée, de Mauritanie, du Niger, d’Irak, d’Israël et du Libéria.

Et quelle est votre relation avec ces migrants ?

Cela se passe bien. Certains m’appellent même « la maman des Barges ». On vit dans un esprit familial. Je suis à leur disposition pour les aider et les renseigner tout au long de la journée.

La serre qui se trouve sur le domaine. Photo: Voix d'Exils.

La serre qui se trouve sur le domaine. Photo: Voix d’Exils.

Quelles sont les principales différences entre l’enseignement à l’école obligatoire et dans un centre pour requérants ?

Le côté administratif de l’enseignement obligatoire n’existe pas : pas de réunions avec les parents, pas de notes, etc. Par contre, le niveau n’est pas homogène. Les requérants présentent des niveaux très différents. Les Erythréens, par exemple, n’ont jamais étudié le français, au contraire d’autres Africains qui le parlent bien. Il faut donc une bonne planification qui s’adapte à chacun.

Vous semblez passionnée par ce travail. On sent chez vous une véritable vocation. Est-ce que cet emploi comporte malgré tout des aspects négatifs ?

Effectivement, on peut même parler d’une vocation familiale pour l’enseignement. Mes parents exerçaient la profession, je le fais également et ma fille s’y destine. Il est vrai aussi qu’enseigner à des requérants d’asile est très différent. A moi de chercher de nouvelles méthodes afin de faciliter leur apprentissage de notre belle langue.

A travers votre travail est-ce que votre vision des migrants a évolué ?

J’apprends tous les jours au contact des migrants. C’est un vrai partage de richesses. Pour moi, travailler aux Barges est un rayon de soleil. Le parcours de vie de nos requérants est parfois lourd. A nous de les encadrer au mieux : un vrai et passionnant défi !

La rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 

 




Pas facile d’éduquer des enfants dans les circuits de l’asile

Des enfants du Centre de Perreux à Neuchâtel. Photo: Voix d'Exils

Des enfants du Centre de Perreux à Neuchâtel. Photo: Voix d’Exils

Dans différents centres pour requérants d’asile, nous découvrons que les adultes sont préoccupés par l’issue de leur procédure d’asile. En même temps, le sort de leurs enfants – en termes d’éducation et d’avenir – se trouve lié à leurs soucis quotidiens. Comment s’y prennent-ils pour assurer l’éducation de leurs enfants dans ces milieux plutôt difficiles où se côtoient, sans préparation préalable, des cultures, des religions, des aspirations et des origines qui, parfois, n’ont rien en commun ? Voix d’Exils a exploré cette question en se rendant au Centre de Perreux à Neuchâtel

La loi suisse stipule que l’enfant d’un étranger obtient le statut juridique de ses parents. Ainsi, les enfants de requérants d’asile reçoivent le statut consécutif au processus d’asile de leurs parents. Ils sont admis avec eux dans les centres d’enregistrement, où seul un billet de sortie fait office de pièce d’identité. Ici, on dort dans un dortoir avec pour unique distinction le sexe et non l’âge. Quelque soit le sexe de l’enfant, jusqu’à l’âge de 10 ans, il reste avec sa mère. Avec les dames, il partage les mêmes douches, fréquentent les mêmes toilettes. Avec le reste des requérants, dont il partage désormais le statut, il occupe le réfectoire et les espaces communs où l’on passe le temps quand les dortoirs sont fermés. Il retrouve les autres enfants qui viennent de plusieurs pays et partage avec eux les espaces de jeux mis à leur disposition.

Si les parents passent « l’épreuve du feu » lors de la première interview, qui est menée par les services de l’Office fédéral des migration peu de temps après l’entrée sur le territoire suisse, et qu’ils sont envoyés dans l’un des centres de premier accueil, où ils reçoivent le permis de séjour temporaire – le permis N-, les enfants reçoivent alors le même permis. Dans ces centres aussi, même si les conditions se modifient un peu du fait que les enfants vivent dans des chambres avec leurs parents, il n’en demeure pas moins qu’ils sont toujours confrontés à la cohabitation avec d’autres enfants, dans un espace où éduquer son enfant comme on le souhaite est difficile. Pour en savoir davantage, nous nous sommes rendus au Centre de Perreux, situé dans le canton de Neuchâtel, pour nous entretenir avec les parents, les enfants et leurs encadrants afin de découvrir la réalité éducative des enfants de requérants d’asile.

Un contexte éducatif difficile

Comme tous les enfants, « les nôtres ont les mêmes envies, les mêmes désirs. Ils nous demandent des

Le Centre de Perreux à Neuchâtel

Le Centre de Perreux à Neuchâtel. Photo: Voix d’Exils.

jouets, veulent aller au cinéma pour enfants, à la piscine, sortir de temps en temps. Seulement, ils n’ont pas la possibilité de vivre comme tous les autres enfants et leur donner une éducation saine est un casse-tête pour nous », nous a confié un couple béninois s’occupant de trois enfants qui vit dans le Centre de Perreux.

Malgré toute la bonne volonté des responsables des centres pour apporter une attention particulière aux enfants des requérants d’asile, le contexte reste difficile pour assurer une bonne éducation. L’enfant est un être fragile, mais qui apprend vite par l’observation et le mimétisme. De ce point de vue, la situation dans laquelle vivent les parents, avec une incertitude permanente quant à l’issue de leurs procédures d’asile, ne leur permet pas d’assumer un projet éducatif stable et serein. Ce qui présente le risque de voir les enfants se forger des habitudes de l’environnement ambiant, sans que cela soit forcément du goût éducatif de leurs parents.

C’est ainsi que nous avons voulu savoir comment les parents font concrètement pour éduquer leurs enfants

Des enfants du Centre de Perreux appliqués à bricoler. Photo: Voix d'Exils

Des enfants du Centre de Perreux appliqués à bricoler. Photo: Voix d’Exils

dans un tel contexte. Notre couple béninois n’a eu que deux mots pour exprimer son angoisse : « c’est difficile » mais, poursuit-il, « nous faisons un effort pour parler régulièrement à notre enfant chaque fois que nous sommes seuls dans notre chambre ». En plus, ce couple nous a avoué n’être pas capable de satisfaire les désirs de leur fillette de cinq ans en matière de loisirs : « quand nous allons dans des magasins, par exemple, elle voit des jouets dont elle a envie, mais nous ne pouvons pas les lui offrir par manque de moyens. Elle doit se contenter des jouets mis à la disposition des enfants par le Centre ». Mais leur préoccupation majeure reste la scolarisation de leur enfant: « pourra-t-elle avoir un niveau scolaire qui ne compromet pas son avenir ? », nous a demandé sa mère. C’est à ce sujet que nous nous sommes entretenus avec la responsable du Centre de Perreux, Mme Françoise Robert.

La scolarisation des enfants au Centre de Perreux

Mme Robert, directrice du Centre de Perreux

Mme Françoise Robert, directrice du CAPE. Photo: Voix d’Exils

Selon Mme Françoise Robert, il s’agit d’un programme spécial destiné aux enfants requérants d’asile. Il a été mis sur pied quand les enfants ne pouvaient plus aller à l’école de la commune de Boudry. Le fait que la plupart des enfants ne parlent pas français était une contrainte supplémentaire pour les enseignants qui devaient disposer de plus de temps et de matériel pour ces enfants. Des difficultés financières avec la commune sont venues compliquer la scolarisation des enfants à Boudry.

C’est ainsi que les responsables du programme de l’enseignement obligatoire ont décidé que les enfants requérant d’asile seraient scolarisés dans le Centre, en y ouvrant une classe. Ce qui est regrettable, de l’avis de Mme Françoise Robert car, explique-t-elle, « les enfants prennent l’école au Centre comme un moment de divertissement. Ils arrivent en retard et des fois il faut courir dans les corridors pour les obliger à aller en classe. » En plus, poursuit-elle, « les enfants qui ont connu l’école de la commune sont un peu perdus quand il faut suivre la nouvelle initiative. Ces rencontres avec d’autres enfants de leur âge leur manquent, des enfants francophones avec qui ils assimilaient rapidement le français, sans oublier le manque d’activités comme le sport et la piscine. »

Cependant, sans s’abandonner à des regrets interminables, les responsables du Centre essaient de faire de leur mieux pour que les enfants ne soient pas totalement coupés de la réalité scolaire dans le contexte particulier qu’est le leur. En ce sens, la contribution du Centre consiste à veiller au bon fonctionnement de cette scolarisation en sensibilisant toujours les enfants et en responsabilisant de plus en plus les parents, étant donné qu’il s’agit de l’avenir de leurs enfants. Le Centre veille aussi au maintien de la parfaite collaboration qui existe entre les enseignants et la direction du Centre pour le bien des enfants dont la situation est déjà particulièrement difficile.

Un programme scolaire spécial

On l’aura deviné : à situation scolaire spéciale, programme scolaire spécial. Donné par deux enseignantes, à

Caroline et Geneviève, les deux enseignantes du CAPE. Photo: Voix d'Exils

Caroline et Geneviève, les deux enseignantes du CAPE. Photo: Voix d’Exils

raison de trois matins par semaine pour l’une et de trois après-midis par semaine pour l’autre, les enseignantes font plus de l’encadrement scolaire qu’un programme scolaire précis pour des enfants compris entre 4 et 14 ans.

D’ailleurs cet accompagnement « n’a aucun objectif comme dans une école normale. Il vise juste à donner aux enfants une petite base en français ainsi qu’en en mathématiques, et à disposer d’une approche de l’école suisse afin de pouvoir éventuellement se débrouiller plus tard », nous a confié Mme Marie-Jeanne Tripet, l’une des maîtresses des enfants. Ce qui fait qu’il n’y a pas de méthodologie définie au préalable. Elle est contextuelle et adaptée à la situation de chaque enfant. A noter que certains enfants arrivent sans avoir été scolarisés auparavant : « ils ne savent pas tenir un crayon, écrire sur un papier. Si cela est déjà difficile pour un enfant qui connaît le français, on peut imaginer la situation d’un enfant qui arrive sans connaître un mot de français! », précise Mme Marie-Jeanne. La limite de la langue reste la difficulté majeure de cette classe à domicile, car elle empêche les enfants d’apprendre rapidement.

Le reste du temps

Des enfants du Centre de Perreux

Des enfants du Centre de Perreux. Photo: Voix d’Exils

Les enfants qui se réveillent d’habitude entre 6h30 et 7h00 et occupent leur journée selon leur âge. Ceux qui atteignent l’âge de quatre ans rejoignent l’école, pendant que les autres restent avec leurs parents ou se rendent à la salle de jeux. En dehors des heures de scolarisation, les enfants jouent entre eux. Leur nombre est souvent un facteur de socialisation, car ils s’adonnent plus facilement à des jeux en groupe, ce qui diminue l’envie d’avoir plus de jouets, comme c’est le cas pour des familles à un ou deux enfants.

Il ne leur reste plus qu’à espérer qu’un jour, ils trouveront des conditions plus favorables pour leur vie future. Mais, en attendant, ils supportent mieux leur situation que leurs parents qui se font davantage de soucis pour leur avenir. Ce qui semble loin des préoccupations des enfants. A les voir jouer entre eux, de fois sans se comprendre à cause des différences de langues, on les imagine heureux à leur manière. Pourvu que leur avenir ne leur réserve pas de mauvaises surprises.

Angèle BAWUMUE NKONGOLO

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils