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14 ème Sommet de la Francophonie : retour sur un événement aux enjeux considérables

Joseph Kabila, président du la RDC. Photo Galerie du Parlement Européen (CC BY-NC-ND 2.0)

Le 14 octobre dernier, les projecteurs s’éteignaient sur le 14ème Sommet de la Francophonie, qui s’est tenu du 13 au 14 octobre 2012 à Kinshasa, la capitale de la République Démocratique du Congo, sur le thème des « enjeux environnementaux et économiques face à la gouvernance mondiale ». Bilan politique, diplomatique et économique de ce Sommet controversé.

Seize chefs d’Etat ont fait le déplacement à Kinshasa. Dès le vendredi 12 octobre, on a noté l’arrivée du président du Gabon, Ali Bongo, du Cameroun, Paul Biya, du Niger, Mahamadou Issoufou, de la Côte d’Ivoire Alassane Ouattara, de la Guinée, Alpha Condé, de Centrafrique, François Bozizé, du Burkina Faso, Blaise Compaoré, du Burundi, Pierre Nkurunziza, et de la Tunisie, Moncef Marzouki, de Haïtie, Michel Martelly. Le président français François Hollande, est arrivé le samedi 13 octobre. On notera aussi la présence du président Denis Sassou Nguessodu du Congo Brazza, du président comorien, Ikililou Dhoinine, du premier ministre canadien, Stephen Harper. La Suisse était représentée par le vice-président du Conseil fédéral, Ueli Maurer.

Mais si ce dernier ce Sommet a fait couler tant d’encre et de salive, c’est justement à cause de son caractère hyper politisé, car les enjeux étaient considérables, tant pour ses organisateurs que pour ses détracteurs. Revenons sur cet événement afin de comprendre les raisons de cet excès de politisation et d’en dresser le bilan.

Les contestations

Avant le Sommet, plusieurs voix se sont levées pour condamner sa tenue dans un pays qui a connu « les pires élections du monde » à en croire Radio France Internationale. Des Congolais de l’intérieur du pays et ceux de la diaspora se sont mobilisés, en France, en Belgique, au Canada, en Suisse et ailleurs, pour dire non à ce qu’ils appellent « la francophonie du sang » ; celle qui, en organisant son Sommet au Congo, est une insulte à la misère du peuple congolais dans le contexte politique actuel.

Si les appels de ses contestataires n’ont pas réussi à faire délocaliser le Sommet, ils ont néanmoins contribué à sa sur-médiatisation et surtout à semer le doute, à entretenir l’incertitude, à faire durer le suspens et à montrer que le Congo va mal, au point qu’à un certain moment, la thèse de délocaliser le Sommet à l’Ile Maurice avait été évoquée dans certains milieux proches des organisateurs. Abordons maintenant les raisons qui ont contribué à l’hyper politisation du 14eme Sommet de la Francophonie. Pour commencer, le contexte politique international a beaucoup joué dans l’appréciation de ce Sommet.

La France a un nouveau président Hollande

Monsieur François Hollande a été élu à la tête de la France sur la base d’un programme de campagne qui prône « le changement ». Une fois arrivé au pouvoir, il a voulu prendre ses distances avec son prédécesseur, Monsieur N. Sarkozy. Homme de « la présidence normale », le nouveau locataire de Élysée doit prendre ses marques sur toutes les questions, tant sur le plan  de la politique nationale qu’internationale.

En perte de vitesse quant à sa côte de popularité et faisant face à l’écart entre les promesses de campagne et les réalités politiques qui dictent les contraintes du terrain, François Hollande doit inventer un mode de gouvernance qui entretient, tant que faire se peut, l’image de celui qui peut tirer la France de la crise, la sauver du spectre des possibles délocalisations des entreprises, de ses multiples plans sociaux, bref, arrêter l’hémorragie d’un mécontentement qui risque de se généraliser.

Dans ce contexte, le Sommet de la Francophonie est une tribune toute trouvée pour le président français afin de réaffirmer sa détermination pour le changement, dont il se veut le garant pour la France et toutes les zones où s’entend sa sphère d’influence.

Mais ce Sommet est en même temps un test pour le « président normal ». Aller à Kinshasa, c’est honorer la Francophonie. Dans ce contexte de crise, ce voyage est aussi un soutien aux entreprises françaises présentes au Congo comme AREVA et bien d’autres. Mais, en même temps, le Congo est présenté par plusieurs observateurs comme un pays qui s’est construit sur une dictature, à en croire le dernier rapport d’Amnesty International sur les droits de l’homme au Congo.

Devant ce dilemme, Monsieur Hollande décide alors de jouer le morceau à sa manière. Le 9 octobre, soit cinq jours avant l’ouverture du Sommet et devant le Secrétaire Général de l’ONU, Monsieur Ban Ki-moon, il critique ouvertement le pouvoir en place au Congo : « la situation dans ce pays est tout à fait inacceptable sur le plan des droits, de la démocratie et de la reconnaissance de l’opposition. » Cette prise de position avait suscité plusieurs réactions. Certains trouvaient les propos du président français adéquats, tandis que d’autres les trouvaient inutiles et mal placés.

On notera la réaction du gouvernement congolais à travers son ministre de l’information, Monsieur Lambert Mende, qui a affirmé que Monsieur Hollande ne connaissait rien de la réalité congolaise. Alors qu’un des membres de l’opposition, Monsieur Vital Kamerhe, invitait les proches du président Kabila à voir dans les propos du président français une correction fraternelle.

Dans les milieux proches de la présidence française, on affirme qu’il s’agit d’une détermination de François Hollande qui a une autre approche de la Françafrique. Mais pour Jean-Pierre Mbelu, un analyste politique congolais vivant en Belgique, les propos de Monsieur Hollande étaient destinés à la consommation de l’opinion internationale et aux médias français, confie-t-il à Etienne Ngandu du blog CongoOne  .

Kabila et sa quête de légitimité

Les dernières élections présidentielles et législatives au Congo avait suscité un immense espoir au sein de la population, plus que jamais assoiffée de changement démocratique, gage d’un développement qui la tirerait de sa misère injuste. Mais ce rêve a vite tourné au cauchemar, car le changement tant attendu n’a pas eu lieu. Monsieur Kabila s’est maintenu à la tête du pays à l’issue d’un processus électoral qualifié de « chaotique », selon l’expression de la rédaction de Radio France International du 29.11.2011.

La contestation qui s’en est suivie était sans précédent. La violence et les arrestations arbitraires au sein de l’opposition qui revendiquait la victoire de son leader Etienne Tshisekedi, ont contribué à décrédibiliser ce processus. A cela s’ajoute, l’absence de la liberté d’expression, l’emprisonnement des opposants et les assassinats politiques que connaît le pays, qui ont fini par ternir l’image d’un pouvoir qui avait déjà du mal à se faire accepter. Et même si le soutien tacite à Kabila s’est fait par le silence de la communauté internationale, son régime est considéré par une certaine opinion comme infréquentable.

A sa prestation de serment, sur tous les chefs d’Etat étrangers attendus, seul le très controversé Robert Mugabé du Zimbabwe était venu à Kinshasa. Notons que son voisin le plus proche de Kinshasa, Congo Brazzaville, n’avait délégué que son ministre des transports. Cela fut perçu comme une sorte de boycott.

Ainsi, le Sommet de la Francophonie était une occasion toute trouvée pour Joseph Kabila et ses proches d’essayer de redevenir un État fréquentable, ne serait-ce que l’espace d’un weekend. C’est aussi cela qui explique la détermination du pouvoir de Kinshasa à organiser ce Sommet au Congo par tous les moyens.

Bilan économique

Les travaux préparatifs du 14ème Sommet de la Francophonie ont coûté la bagatelle de 22,6 millions de dollars, soit 17 millions d’euros pour un pays dont le budget 2012 est de près de 8 milliards de dollars. Dans un pays où des enseignants, des fonctionnaires de l’Etat, des médecins et bien d’autres travailleurs totalisent plusieurs mois impayés, un tel luxe pose un sérieux problème de priorités et de choix du pouvoir de Kinshasa. D’autant plus que toutes les dépenses n’ont concerné que l’aspect extérieur de la capitale et les endroits que devaient visiter les caméras occidentales.

A ce jour, il est difficile de parler de retombées financières pour le pays, tellement tout a été centré sur la récupération politique du Sommet. Aucune annonce des investisseurs à qui le Sommet aurait permis de signer des contrats dans le sens de la création d’emplois par exemple. Aucun rapport sur les retombées touristiques et culturelles. Ce qui justifie le scepticisme du Congolais moyen pour qui ce Sommet ne peut rien apporter à la population. «Tous ces beaux discours des participants changent quoi dans la vie des Congolais qui continuent à verser le sang? Ce Sommet ne peut déboucher que sur une « grande messe » inutile pour la population congolaise », commente un congolais sur le site de Radio Okapi , une radio locale.

Sur le plan politique

Sur le plan politique, le gouvernement de Kinshasa peut être satisfait d’avoir relevé le défi dans un contexte extrêmement incertain et tendu, avec la guerre de l’Est que mène la rébellion du M 23 : le Mouvement du 23 mars; celle dans le Kasaï avec Jonh Tshibangu ainsi que les contestations à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Comme l’exprime Monsieur Alain Simoubam, du groupe de presse Liberté, « jamais Sommet de la francophonie n’aura autant suscité de polémiques et autant mis mal à l’aise les autorités du pays hôte. » Braver tout cela et réussir le Sommet sur le plan des infrastructures et de la sécurité, peut être considéré comme un succès pour le pouvoir de Kinshasa. Mais les objectifs politiques de ce dernier ont-ils été atteints ?

A ce niveau, avoir réussi à organiser le Sommet à Kinshasa ne semble pas avoir tout arrangé pour Joseph Kabila. L’équilibriste François Hollande n’a pas manqué de gestes peu diplomatiques et pour le moins humiliants à l’encontre de Monsieur Kabila. Devant la presse internationale et à côté de Kabila, il affirme espérer voir le processus en cours au Congo aller jusqu’à son terme. Il fait attendre Kabila pendant près de 42 minutes au Palais du Peuple où se tient le Sommet et ne se donne pas la peine d’applaudir Kabila à la fin de son discours comme le fait toute l’assistance. Bref, cela a créé plutôt le malaise que le triomphe. Et l’inauguration par François Hollande de la médiathèque du Centre culturel français de Kinshasa baptisée du nom de Floribert Chebeya, ce militant et défenseur des droits de l’Homme assassiné en juin 2010, est gênant pour Kinshasa qui semble avoir des choses à cacher dans cet assassinat que d’aucun qualifie de crime d’Etat.

Et pour couper court à l’illusion de se faire reconnaître par des chefs d’Etat étrangers, le leader de l’opposition, Monsieur Etienne Tshisekedi, celui qui s’est toujours considéré comme le vainqueur des élections du 28 novembre 2012, enfonce le clou et affirme, à l’issue de son entretien avec François Hollande, que « la légitimité du pouvoir au Congo ne peut venir que du peuple congolais. » Le président du parti politique l’UDPS (Union pour la Démocratie et le Progrès Social), s’est dit satisfait de son entretien avec le président français, entretien qu’il a qualifié de fraternel.

Pour Vital Kamrhe qui s’exprimait sur les ondes de Radio Okapi, à Kinshasa, « le Sommet de Kinshasa a été un échec. Il a permis au peuple congolais de comprendre qu’il se pose en RDC un problème de déliquescence de l’Etat et de leadership responsable ».

Sur le plan diplomatique

Une chose est d’accueillir les autres dirigeants chez soi, mais en tirer des dividendes diplomatiques en est une autre. Le bilan diplomatique ne pourrait pas être un succès. Si le pouvoir de Kinshasa peut se targuer d’avoir reçu le soutien de quelques présidents étrangers, notamment de Blaise Kampaoré du Burkina-Faso, les attitudes et les propos du président français sont restés dans toutes les têtes comme les moments importants de ce Sommet, qui ne sont pas glorieux pour Kinshasa.

En outre, le conflit à l’Est de la RDC a fait l’objet d’un traitement diplomatiquement discutable. Pour l’opposant Vital Kamerhe, «la qualification de ce conflit laisse voir la faiblesse de la diplomatie congolaise.»  Le mystère sur les vrais soutiens des rebelles demeure entier. « Comment expliquer, se demande Kamerhe, que de l’avis du ministre de l’information de la RDC et de beaucoup d’autres acteurs, on parle de l’agression de la RDC. Le ministre nomme le Rwanda comme l’agresseur ; mais quand nous suivons le président de la République, il dit que la paix est troublée à l’Est par des forces négatives avec un appui extérieur d’un Etat voisin, sans dire lequel alors que nous avons neuf voisins. »

Même le fait que Kinshasa ait réussi à faire rédiger une déclaration qui demande au Conseil de sécurité de Nations Unies de condamner l’agression dont est victime l’Est du Congo, ceci n’a pas été un franc succès dans la mesure où le plus grand accusé comme soutien de cette rébellion, le Rwanda, n’a pas signé le communiqué final.

Ainsi, le 14ème Sommet de la francophonie aura été un pari réussi par ses organisateurs, mais son bilan laisse un goût amer qui a contribué plus à mettre à nu les problèmes congolais sans la moindre lueur de solution. En même temps, ce Sommet a une fois de plus montré l’incapacité de toutes ces organisations internationales à rencontrer les préoccupations existentielles des peuples sans défense. Au point que ce même dimanche 14, pendant que se clôturait le Sommet, un congolais de la base à qui une télévision étrangère a tendu le micro, s’est exclamé en ces termes : « il s’agit d’un Sommet pour eux ; eux les puissants de ce monde qui se moquent de nos malheurs. Ils partiront et rien ne changera à notre situation. Nous continuerons à souffrir au vue de tout le monde. Nos femmes et nos filles continueront d’être violées et nos ressources alimenteront toujours de nouvelles guerres. Le changement au Congo ne doit venir que de nous-mêmes.»

Ainsi va le monde : les uns gémissent, les autres jubilent et l’histoire suit son cours.

Angèle BAWUMUE NKONGOLO

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils




Collaboration renforcée entre les autorités suisses et celles des pays d’Afrique de l’Ouest

Photo: Daniels Danyels CC BY-NC-SA 2.0

Les requérants d’asile déboutés en provenance d’Afrique de l’Ouest vivent dans des conditions difficiles sur le territoire suisse. Parmi ceux qui sont à l’aide d’urgence, certains sont convoqués par l’Office fédéral des migrations (ODM) pour localiser leur pays d’origine et tenter de les renvoyer. Ceux qui refusent de s’y rendre disparaissent parfois dans la nature.

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Auparavant, la procédure de renvoi était la suivante : des policiers arrivaient vers trois 3-4 heures du matin au foyer dans lequel vivait le débouté concerné. Puis, ils l’emmenaient au centre de détention administrative de Frambois, où il restait jusqu’à son expulsion.

A présent, l’on observe de nouvelles pratiques qui s’ajoutent aux précédentes: les autorités suisses collaborent avec certains pays d’Afrique de l’Ouest dans la procédure d’expulsion. Ces pays sont la Guinée Konakri, la Guinée Bissau, la Guinée Equatoriale, la Sierra Leone, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Sur demande de l’ODM, des spécialistes africains font le voyage en Suisse pour enquêter sur l’origine de certains déboutés supposés appartenir à l’ethnie peule – ethnie majoritaire en Afrique de l’Ouest. Ensuite, avec l’aide de l’ambassadeur du pays concerné, ils délivrent un laisser-passer afin que les déboutés soient rapatriés vers leur pays d’origine.

« Savez-vous pourquoi ces rapatriements se focalisent sur la Guinée Konakri ? Parce que, si l’on trouve des Peuls dans tous les pays frontaliers, la majorité d’entre eux vivent en Guinée Konakri. Donc, leur retour ne se fera que vers ce pays », affirme Jeckson, 31 ans, requérant de Sierra-Leone, arrivé en Suisse en 2001 et vivant depuis 2007 dans un foyer d’aide d’urgence lausannois. «Personnellement, on m’a convoqué trois fois. Comme je parle le peul, ils en ont déduit que j’étais Guinéen. En fait, je suis le fils d’un père Bambara d’origine sierra leonaise et d’une mère Peule d’origine guinéenne qui se sont mariés en Sierra Leone. On m’a adressé plusieurs fois des documents à signer afin que je rentre en Guinée Konakri alors que moi, je demande de pouvoir rentrer en Sierra Leone, mais cela n’est pas pris en considération ». Selon Jeckson, ses origines sierra leonaises auraient été confirmées par l’ambassade de Sierra Leone en Allemagne. « Hélas, j’ai souffert de tuberculose et je présente des problèmes psychiques pour lesquels je suis traité ici, alors qu’en Afrique je n’aurais pas les moyens de me soigner. Je ne suis pas aujourd’hui en état de retourner dans mon pays mais je garde l’espoir ».

Dans l’impasse

Quand les spécialistes africains sont arrivés en Suisse, en février dernier, plusieurs requérants à l’aide d’urgence ont été convoqués à Berne par l’Office des migrations. Par peur d’être rapatriés de force, certains ont quitté les foyers où ils vivaient et se sont retrouvés sans savoir où se loger et quoi manger. «Pour éviter un renvoi qui mettrait en péril notre vie », confie un Guinéen de 28 ans. Certains ont même quitté le territoire suisse pour tenter leur chance dans d’autres pays.

A ceux qui refusent de répondre à la convocation de l’ODM, le Service de la population (SPOP) confisque le « papier blanc » (document d’identité qui précise le statut à l’aide d’urgence) qui leur permet de bénéficier du droit au logement et à la nourriture. Ceux qui n’ont plus leur papier blanc s’évanouissent généralement dans la nature. «J’ai perdu mon toit dans un pays où la valeur de l’humanité devrait être protégée », regrette un Sénégalais débouté.

Parmi ceux qui ont été convoqués, une minorité n’a pas eu d’autre choix que de se présenter à Berne auprès des délégués guinéens. «  Il est quand même difficile humainement d’aller se rendre alors qu’on s’est enfui, relève un débouté. Dans un monde où la vie est toujours plus difficile, il y a peu de gens qui te tendent la main. Si nous quittons les foyers d’aide d’urgence, nous ne trouverons pas où nous loger et de quoi manger d’une façon régulière. Si nous allons dans un autre pays d’Europe, on nous renverra en Suisse à cause des accords Dublin…»

Kidha, 27 ans, fait partie de ceux qui ont rencontré les délégués. Ce Guinéen a quitté son pays pour éviter le mariage forcé avec la veuve de son frère aîné. Après un voyage très risqué, il est arrivé en Suisse en 2010 et a déposé sa demande d’asile. Il y a quelques mois, sa demande a été rejetée et il est maintenant à l’aide d’urgence. « Je me suis rendu à Berne car c’était pour moi la seule option pour ne pas perdre la place que j’occupe dans un centre d’aide d’urgence actuellement. A l’ODM, j’ai dit que j’étais Guinéen et fier de l’être. Mais tant que la raison pour laquelle je suis ici existe, je ne retournerai pas dans mon pays. En fait, les délégués savent très bien ce qui se passe dans mon pays. Malgré tout ça, ils masquent les problèmes de la société, car ce qui les intéresse c’est que le pouvoir reste aux mains de la communauté mandingue et d’assurer sa pérennité. C’est vraiment inadmissible !».

Hodan-Bilan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 




Édito. Monde civilisé ? Du n’importe quoi !

l’Édito est une nouvelle rubrique qui fait aujourd’hui son apparition dans Voix d’Exils.

On vit dans un monde où les pays dits « civilisés » dictent ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. Ils nous dictent aussi ce qui est politiquement correct de dire/faire et même de penser en société et au nom de leur civilisation. Dans ce monde on assassine même en direct des prisonniers de guerre et on sourit quand on voit ces choses horribles.

Le monde civilisé est champion de la politique deux poids deux mesures. Capable de diaboliser Mugabe du Zimbabwe. De chasser Gbagbo de la Côte d’ivoire et de l’incarcérer à la Haye. D’organiser l’assassinat de Kadhafi en direct et en mondovision. Pour quelles raisons? Au nom de la démocratie? De la civilisation? Au nom d’intérêts économiques inavoués ? Allez savoir.

Ce qui est sûr, c’est que les réels motifs de ces acharnements n’ont rien à voir avec l’envie des pays civilisés de restaurer la démocratie et le bien-être dans ces pays. Sinon, comment expliquer que les dictateurs les plus féroces et les plus sanguinaires comme Paul Biya du Cameroun, Teodoro Obiang Nguema de la Guinée Equatoriale, Sassou Nguesso du Congo, Joseph Kabila de la République Démocratique du Congo, continuent à séjourner en Occident et sont reçus en grandes pompes par les pays dits « civilisés » et sans la moindre gêne? « On va vous aider avec une coopération policière ». Propos de Michèle Alliot-Marie, alors ministre français des Affaires étrangères, tenus pendant que le printemps arabe battait son plein en Tunisie et que les morts se comptaient par dizaines déjà. Cela avait montré aux yeux du monde entier une insensibilité incroyable de ce pays dit « civilisé ». Le dictateur Ben Ali était un « ami » (leur ami). Réveillez-vous ! Le monde est déjà un enfer ou des humains dansent autour des cadavres et où des gens se considérant comme « civilisés » fêtent avec un grand sourire la mort. Pourquoi ferment-ils les yeux sur ce qui se passe dans les autres pays comme le Gabon, l’Ethiopie, l’Erythrée, la Guinée équatoriale, le Maroc, le Swaziland, la République centrafricaine, l’Ouganda, le Soudan, le Cameroun, la République Démocratique du Congo, le Congo, le Burkina Faso ou le Togo? Et pourtant, nombre de ces régimes dictatoriaux (en Afrique, au Moyen-Orient, au Sri Lanka, à Cuba…) pourraient être renversés sans difficultés majeures si les occidentaux (monde civilisé) fournissaient les moyens adéquats comme la mise en place de sanctions diplomatiques, politiques et économiques contre ces dictatures ; grâce auxquelles les populations et les institutions indépendantes pourraient, au nom de la démocratie, restreindre les sources de pouvoir des dirigeants en place et, ainsi, endiguer leur nuisance. Ce qui n’est pas le cas. Pourquoi ?

Il y a vingt ans, la jeunesse africaine de la plupart des pays susmentionnés était déjà descendue dans la rue pour manifester son exaspération contre les dictateurs. Malheureusement, à l’époque, cette jeunesse africaine connaissait moins de succès. En fait, la jeunesse africaine avait été sacrifiée sur l’autel de la « realpolitik », autrement dit, par le cynisme des Occidentaux (le monde civilisé) en terre africaine. Les despotes africains, ayant eu plus de soutiens de la part des pays occidentaux (le monde civilisé) qui défendirent dans les années 90 leurs intérêts impérialistes, y compris à coups d’interventions militaires. Ils se sont offerts le luxe de ne pas céder à la pression de la rue. En lieu et place, il y a eu des milliers de meurtres perpétrés en plein jour par des forces armées.

On a organisé des conférences nationales dites souveraines par ici, composées des gouvernements de transition démocratique par là. Malgré tout cela, le changement espéré est demeuré une utopie. Pire, lorsque les tensions ont baissé, les dictateurs sont revenus au-devant de la scène, en force. Certains sont même morts de vieillesse au pouvoir comme Omar Bongo Ondimba du Gabon après… 42 années de règne sans partage ou encore Gnassingbé Eyadema du Togo après… 38 années de dictature. Et ils se sont faits remplacer à la tête de ces Républiques par leurs fils avec la bienveillance et la bénédiction des pays dits civilisés !

Ces régimes sont notoirement imperméables au changement, à l’alternance et ils répriment lourdement la dissidence. La corruption (y compris le détournement de l’argent du fond mondial destiné aux interventions contre la pauvreté et les maladies) et les atteintes massives aux droits humains sont le lot quotidien de millions de citoyens dans ces pays qui sont à la peine économiquement et qui, pourtant, recèlent d’immenses richesses naturelles, comme des gisements de diamants, de pétrole, d’or, ou la culture du cacao, du café etc. En parlant de la corruption, elle est si répandue que les conditions de vie dans ces pays, pour la majorité de la population, sont révoltantes. Le prix abordable des produits de première nécessité, l’accès à l’eau potable, à l’électricité, aux services de santé, de l’éducation, à l’emploi et à la sécurité sont de véritables gageures.

Face à ça, l’extravagance du train de vie de la classe dirigeante. Par exemple, le dictateur Paul Barthelemy Biya Bi Mvondo du Cameroun vit trois quarts de l’année à l’Hôtel InterContinental de Genève en Suisse, l’un des hôtels les plus chers du monde. Les ressortissants camerounais établis en Europe organisent d’ailleurs régulièrement des marches de protestation devant cet hôtel. La facture exorbitante que dégage ses séjours prolongés là-bas (plusieurs millions de francs suisses par… mois) est bien entendu assurée par le contribuable camerounais. Rien que ça. Il n’est ni Kadhafi, ni Gbagbo. Il n’a pas tenu tête aux Occidentaux (monde civilisé). On ferme les yeux tant qu’il protège nos intérêts en Afrique. On s’en fout, même s’il massacre les siens.

Monde civilisé ? Du n’importe quoi !

Edito signé :

Fbradley Roland

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Election présidentielle en Côte d’Ivoire : chronique d’un scrutin calamiteux

Paul Yao N'dré

Paul Yao N’dré, président du Conseil constitutionnel ivoirien

A l’heure où le panel des cinq chefs d’Etats mandatés par l’Union Africaine (UA) vient à son tour d’échouer dans sa tentative de médiation, la diplomatie internationale reste centrée sur les seules personnes de Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, le premier reconnu par les institutions ivoiriennes, le second par la communauté internationale. L’un doit partir, l’autre doit gouverner.

Vue sous cet angle, la question semble simple. Et pourtant, derrière le feuilleton médiatique qui présente la situation comme un bras de fer entre deux politiciens qui revendiquent le pouvoir, se dessinent en filigrane d’autres facettes de la question qui sont fondamentales pour comprendre le problème actuel qui traverse la Côte d’Ivoire: le déroulement des élections, les résultats et leur certification par l’ONUCI, la mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire chargée d’accompagner le processus électoral ivoirien.

2002-2007 : de la rébellion à la réconciliation

Pour cela, il faut d’abord revenir sur quelques événements clé qui ont marqué le déroulement des élections et rappeler brièvement le contexte institutionnel dans lequel celles-ci se sont déroulées. Suite à la partition du pays en 2002 entre le Nord rebelle et le Sud républicain, puis à l’Accord de paix de Ouagadougou (APO) signé  en 2007 entre le président Laurent Gbagbo et le chef de l’ex-rebellion (Forces Nouvelles ou FN) Guillaume Soro, Gbagbo avait accepté de nommer ce dernier Premier Ministre du gouvernement de réconciliation nationale. Il avait également approuvé la composition de la Commission Electorale Indépendante (CEI) avec une représentation majoritaire de l’opposition, notamment du RDR, parti de Ouattara [1]. Cependant, il avait nommé un proche, Paul Yao N’Dré, cacique de son parti le FPI (Front Populaire Ivoirien), au poste de président du Conseil Constitutionnel, instance suprême chargée par la Constitution ivoirienne d’annoncer le résultat des élections, pour autant que la CEI ne l’ait pas fait dans un délai de trois jours après la tenue du scrutin. La Côte d’Ivoire, en dépit de ses huit années de conflit, reste un pays souverain dont les institutions républicaines n’ont jamais cessé de fonctionner.

Des irrégularités passées sous silence

Or que s’est-il passé dans les faits ? La préparation du scrutin, malgré son coût astronomique [2] , a été calamiteuse. Elle a été marquée par des détournements de fonds colossaux, l’absence d’un désarmement effectif des ex-rebelles dans la partie Nord du pays contrairement à la feuille de route prévue par l’APO, une mauvaise formation des agents électoraux et une logistique – distribution, collecte et transport du matériel électoral – défaillante de la part de l’ONUCI. Ceci a entraîné un fort taux de PV électoraux mal remplis et donc de bulletins nuls, des bureaux de votes « sécurisés » par des ex-rebelles en armes et le transport d’une partie des urnes par des sociétés privées non agrées. Or, vu le temps, l’énergie et l’argent consacrés par l’ONU[3] à cette élection, elle se devait d’être exemplaire. Suite à la tenue du second tour le 28 novembre 2010, le FPI de Laurent Gbagbo a déposé une plainte pour diverses irrégularités et fraudes dans plusieurs régions du Nord. Parallèlement, la société SILS Technology, mandatée pour le comptage électronique des voix, a remis ses résultats le 1er décembre par courrier à la CEI. Celui-ci mentionnait le rejet de plus de 2000 PV pour « nombre de votants anormalement supérieur au nombre d’inscrits ». Cette plainte devait, selon la loi ivoirienne en vigueur [4] et jusqu’à preuve du contraire, être prise en compte par la CEI qui aurait dû, avant d’annoncer des résultats provisoires, lui donner suite en consolidant les résultats contestés. En l’absence d’éléments suffisants pour convaincre tous les commissaires centraux de la CEI [5] à l’issue du délai légal de trois jours, la CEI doit transmettre l’ensemble des PV électoraux au Conseil Constitutionnel. Celui-ci dispose alors de 45 jours pour étudier les plaintes et consolider les résultats avant de les annoncer ou décider de l’annulation du scrutin.

La Constitution ivoirienne bafouée

Or, après trois jours tumultueux au sein de la CEI, aucun consensus n’a pu être trouvé entre les commissaires centraux. Le 1er décembre 2010, le porte-parole de la CEI Bamba Yacouba a voulu proclamer des résultats provisoires non validés, mais sa feuille lui a été arrachée des mains par l’un des commissaires centraux représentant le candidat Gbagbo. Ces images ont fait le tour du monde, témoignant de la tension extrême qui régnait au sein de la CEI. Le lendemain, le 2 décembre à 15 heures, alors que le délai légal de trois jours avait expiré depuis le 1er décembre à minuit, le président de la CEI Youssouf Bakayoko annonce, non pas au siège de CEI mais au Golf Hôtel – QG de campagne d’Alassane Ouattara sécurisé par l’ONUCI et les FN – la victoire de Ouattara avec 54% des voix. La scène est confuse, le lieu inadapté, les représentants de Gbagbo ne sont pas présents, Bakayoko hésitant, la télévision nationale ivoirienne absente et les seuls médias présents sont les médias occidentaux, à commencer par France 24 qui s’empresse de diffuser ces images en boucle. Le lendemain, en réaction à cet acte anticonstitutionnel que le camp Gbagbo assimile à un coup d’état électoral, Paul Yao N’Dré, le président du Conseil Constitutionnel, invalide les résultats de 7 régions concernées par la plainte du FPI et déclare Laurent Gbagbo vainqueur par 51% des voix. Quelques heures plus tard, le représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies et chef de l’ONUCI, le Coréen Y.J. Choi, annonce, en contradiction avec le cadre légal de sa mission[6] , que l’ONU certifie et valide le résultat annoncé la veille donnant vainqueur Alassane Ouattara. Le bras de fer post-électoral peut alors commencer.

Impérialisme et démocratie

Derrière ces annonces successives et la confusion totale qui s’en est suivie, bon nombre de questions méritent d’être posées. Pourquoi le président le la CEI, Youssouf Bakayoko, a-t-il annoncé des résultats provisoires hors délai donnant Ouattara vainqueur ? Pourquoi au Golf Hôtel en non au siège de la CEI ? Pourquoi M. Choi s’est-il empressé de valider les résultats provisoires donné par Bakayoko plutôt que de chercher à faire la lumière sur le déroulement du processus électoral, à consolider les chiffres ou encore à solliciter, conformément au point 3 de la feuille de route prévue par l’APO, l’arbitrage du facilitateur : le président burkinabé Blaise Compaoré ? Pourquoi la communauté internationale dans sa quasi intégralité a-t-elle immédiatement et sans hésitation reconnu Ouattara ? Pourquoi l’ONU et Ouattara ont-t-ils refusés un nouveau décompte des voix comme le proposait Laurent Gbagbo ?

Ces questions soulèvent la problématique globale de la souveraineté des pays en voie de développement et du rôle de l’ONU dans l’accompagnement de processus électoraux dits démocratiques. On sait aujourd’hui que l’annonce de la victoire de Ouattara par Youssouf Bakayoko – qui a ensuite immédiatement été exfiltré vers Paris – a été décidée sous la pression de l’ancienne puissance coloniale et des USA et avec la bénédiction de Ban Ki-Moon. L’ONU, sentant la situation lui échapper, a opté pour le passage en force, comptant sur un mouvement de soutien populaire massif en faveur de Ouattara qui légitimerait de facto le résultat ainsi proclamé. Or, malgré le battage médiatique international, une partie importante de la population ivoirienne de même que la majorité des forces armées républicaines sont restées, et restent encore à ce jour, fidèles au président sortant Laurent Gbagbo, contestant la victoire de Ouattara et accusant l’ONU et la France d’ingérence. Devant cette situation ubuesque – un pays avec deux présidents – en dépit du soutien officiel de la CEDEAO[7] et de l’UA à Ouattara, les dirigeants de même que les citoyens africains restent profondément divisés sur l’attitude à adopter en Côte d’Ivoire, alors qu’en 2011 doivent se tenir 17 élections présidentielles sur le continent. Et la question de fond, c’est-à-dire la validité du scrutin et les conditions dans lesquelles il s’est déroulé, n’a toujours pas été abordée sérieusement. Il est probable que l’annulation du scrutin par l’ONUCI aurait pu permettre d’éviter cette situation et la reprise des hostilités entre les deux camps, même si elle aurait gravement mis en cause sa crédibilité. Cette annulation aurait créé un précédent historique, gage d’un engagement réel de l’ONU en faveur de la démocratie sur le continent africain, par opposition aux mascarades électorales qu’elle a pris l’habitude de cautionner. Mais la désormais flagrante complaisance occidentale envers les ex-dictatures tunisiennes et égyptiennes nous le rappelle, les intérêts géostratégiques et économiques priment sur la bonne gouvernance et le respect des droits de l’homme. Désormais, tant dans le camp de Gbagbo que dans celui de l’ONU, on applique une logique de fuite en avant, dont la population civile ivoirienne paie actuellement le prix fort.

Mathias NAGY

Sociologue et co-fondateur de l’agence Nouchy Arts.

A résidé en Côte d’Ivoire de 2005 à 2010

[1] La CEI comporte 31 membres dont 6 sont issus de La Majorité Présidentielle (FPI) et les autres membres représentent les partis d’opposition et les Forces Nouvelles (ex-rebelles).

[2] 68 $ par électeur, contre 15 $ aux USA et 2 $ au Ghana.

[3] On estime le coût de la mission de l’ONUCI à près de 2,5 mia de $ entre 2005 et 2010.

[4] Article 2 nouveau de la loi n°2004-642 du 14 décembre 2004 modifiant la loi n°2001-634 du 9 octobre 2001 relative à la CEI.

[5] Les délibérations de la Commission Centrale sont prises par consensus. En d’autres termes, tout résultat de vote ne peut être publié s’il n’a été validé à l’unanimité des membres de la Commission centrale.

[6] La résolution 1528 du Conseil de Sécurité définit en ce sens les missions de l’ONUCI : « Appui à la mise en œuvre du processus de paix ; en concertation avec la CEDEAO et les partenaires internationaux, aider le gouvernement de réconciliation nationale à rétablir l’autorité de l’Etat partout en Côte d’Ivoire ; avec le concours de la CEDEAO et des autres partenaires internationaux, offrir au gouvernement de réconciliation nationale un encadrement, des orientations et une assistance technique en vue de préparer et faciliter la tenue d’élections libres et transparentes dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord de Linas-Marcoussis, en particulier d’élections Présidentielles ».

[7] Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest




La Côte d’Ivoire peine à installer la démocratie

 

Bingu wa Muthaika rencontre Laurent Gbagbo

Bingu wa Muthaika, président de l’Union Africaine rencontre Laurent Gbagbo. Photo: Abidjan.net

Après les élections présidentielles de 2010, le pays est divisé entre pro Gbagbo et pro Ouattara. Entre partition et chaos, l’avenir des Ivoiriens s’annonce très incertain.

Depuis les élections du 28 novembre dernier, la situation en Côte d’Ivoire défraie la chronique. Les medias du monde entier se font l’écho de la crise qui frappe ce pays depuis la victoire dans les urnes d’Alassane Ouattara. Une victoire contestée par le président sortant, Laurent Gbagbo, qui s’autoproclame vainqueur. Comment a-t-on pu en arriver là dans un pays qui, hier encore, était perçu comme la vitrine de l’Afrique de l’Ouest ? Il faut savoir que la Côte d’Ivoire a connu le régime du parti unique depuis les années 60 jusqu’en 1990 qui voit la naissance du multipartisme. Le parti le plus influent sera le Front Populaire Ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo. Ce dernier, après une lutte acharnée contre ses adversaires politiques une décennie durant, accède à la magistrature suprême en 2000. Il promet monts et merveilles au peuple ivoirien.

Laurent Gbagbo et l’esprit nationaliste

 Très futé, Laurent Gbagbo met la jeunesse de son côté et installe un pouvoir aux relents dictatoriaux. Il commence par endoctriner la population en distillant un esprit nationaliste. Sa cible sera l’Occident et principalement la France, qu’il traite d’impérialiste. Il réussit à inculquer cette vision du monde dans l’esprit d’une partie des ivoiriens et surtout dans les milieux estudiantins. En 2002, commence la rébellion armée qui aura des conséquences désastreuses, aussi bien pour la Côte d’Ivoire que pour le Mali, le Burkina, le Ghana et la Guinée qui sont les pays frontaliers. La population ivoirienne, lassée de vivre au quotidien le calvaire de la guerre, appellera de tous ses vœux le retour de la paix. Une paix qui ne sera possible que par l’expression de la souveraineté du peuple, c’est-à-dire l’organisation d’élections transparentes. C’est ainsi, après maints reports, qu’ont enfin lieu les élections, qui verront s’affronter deux candidats, en la personne de Laurent Gbagbo du FPI et d’Alassane Ouattara du Rassemblement Démocratique Républicain (RDR), opposés lors du deuxième tour, le 28 novembre 2010.

La confiscation du pouvoir et le peuple pris en otage

Il faut rappeler ici que, pour éviter tout dérapage et toute contestation de résultat, le pays, en collaboration avec la Communauté internationale, s’est doté de tous les moyens nécessaires pour aboutir à des élections irréprochables. Après trois jours de dépouillement, les résultats donnent Alassane Ouattara en tête. Les Ivoiriens ont enfin un président de la République et se réjouissent de pouvoir profiter d’une paix retrouvée. Mais que constate-on dans le camp de Laurent Gbagbo ? Après dix années de gestion calamiteuse des affaires de la nation, le candidat déchu n’entend remettre sa place à personne d’autre, encore moins à Laurent Ouattara, auquel il conteste la victoire. Voilà le peuple ivoirien à nouveau pris en otage. L’espoir de réunification d’une nation longtemps divisée s’effondre. Toutes les tentatives de médiation se soldent par un échec. La partition de la Côte d’Ivoire est plus que jamais une éventualité préoccupante avec, au nord, les pro Ouattara et, au sud, les pro Gbagbo. Le pays est devenu l’arène de sanglants affrontements quotidiens entre les partisans des deux leaders, à quoi s’ajoutent encore les répressions abusives de la part des forces de l’ordre.

Eviter de faire couler le sang

Faisant fi des accords et des engagements préalables pris auprès des Ivoiriens et des membres de la Commission Electorale Indépendante (CEI) au cours du processus électoral, Laurent Gbagbo s’accroche au pouvoir coûte que coûte en prétendant respecter la légalité constitutionnelle. Une question reste sans réponse : Pourquoi Laurent Gbagbo a-t.il accepté la certification des résultats du premier tour faite par les représentants de la Communauté internationale et conteste-t-il celle faite par eux au deuxième tour ? Il continue de vouloir faire vibrer la corde patriotique, en jetant l’anathème sur la France, les soldats de l’ONUCI (Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire) et les représentants de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Pour le ramener à la raison, plusieurs solutions se présentent dont celle militaire, mais avec le risque de faire couler le sang. Si on considère les conséquences tragiques de l’intervention américaine en Irak et en Afghanistan, on comprend que cette option ne serait pas la bienvenue pour ce petit pays d’Afrique de l’Ouest.

L’inaction coupable du peuple ivoirien

Aussi, ce qui étonne, c’est le mutisme des Ivoiriens. Aujourd’hui les peuples africains en général et celui de Côte d’Ivoire en particulier feraient bien de s’inspirer de l’exemple tunisien. Voilà un peuple qui a subi les dictats d’un chef d’état durant vingt trois ans et dont le soulèvement à partir d’une petite localité a provoqué la libération. Les Ivoiriens se souviennent comme si c’était hier, qu’en 2000, le général Guéi Robert s’était autoproclamé président de la république au lendemain des élections. Une marée humaine s’était alors rassemblée dans les rues d’Abidjan pour lui arracher le pouvoir qui revenait de droit à Laurent Gbagbo. Aujourd’hui, cependant, on ne ressent pas de vigueur dans les réactions du peuple, que ce soit dans le nord où il semble acquis à la cause d’Alassane Ouattara ou dans le sud. C’est pourtant au peuple qu’il appartient d’aller chercher le pouvoir là où il se trouve et non à quelqu’un d’autre de le faire à sa place. Actuellement, les divisions ethniques sont le résultat des discours discriminatoires des politiques dont la devise pourrait être : diviser pour régner. Or, aucune nation ne peut se construire sur cette base. Un état moderne est un état dont l’appareil gouvernemental repose sur l’alternance démocratique. Il est donc impérieux que le peuple ivoirien impose ses choix à ses gouvernants pour recouvrer enfin la stabilité et une paix durable.

Clément AKE

 Membre de la rédaction lausannoise de Voix d’Exils