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« Les nommer par leur nom »

Photo: Ahmad / Voix d’Exils.

Commémoration en mémoire des 44’000 migrants morts aux frontières de l’Europe lors de la journée mondiale des réfugié.e.s 2021

Le 20 juin – date de la journée mondiale des réfugié.e.s – a été organisé un événement dans dix villes suisses intitulé « Les nommer par leur noms ». Cet événement a été ponctué par diverses manifestations culturelles, sociales et inter-religieuses. Les villes ayant participé à cette action commune sont : Bâle, Croire, Genève, Lausanne, Lucerne, Neuchâtel, St-Gall, Thoune et Zurich.

A Lausanne, l’événement de la journée mondiale des réfugiés a été organisé le 19 juin par: l’association de Sant’Egidio, L’Union vaudoise des associations musulmanes (l’UVAM), le Conseil Œcuménique pour les Refugiés (COER), Solidarité Église Migration Vaud et ACAT-Suisse. Se sont également associés à l’événement: l’association SOS Méditerranée et Amnesty International, PAIRES, Action Parrainage et l’EPER.

À Lausanne, un recueillement interreligieux a eu lieu à l’église St-Laurent en mémoire  « des plus de 44’000 victimes de la forteresse de l’Europe depuis 1993. La plupart de ces victimes sont mortes noyées en mer Méditerranée alors que d’autres ont été abattues aux frontières dans leur tentative d’échapper aux guerres, aux persécutions et à d’autres situations difficiles les empêchant de rester chez elles » .

A la mémoire des 44’000 victimes

Le point central de l’événement a été le prêche fait par Dominique Voinçon. Dominique Voinçon est co-président de l’Association vaudoise pour le Dialogue inter-Religieux et aumônier au centre fédéral d’asile de Vallorbe. Durant l’événement, il s’est exprimé en sa qualité d’aumônier. Dans son prêche, il a commencé par évoquer la mort tragique du jeune Aylan « pour symboliser le drame et la souffrance que vivent les personnes migrantes ». Aylan Kurdi est le jeune enfant d’origine kurde qui, vêtu d’un t-shirt rouge, avait été retrouvé mort en 2021 sur une la plage de Bodrum en Turquie. Toute sa famille (excepté son père) s’est noyée lorsque leur embarcation avait chaviré en mer. Son image avait fait le tour de la planète.

Dominique Voinçon a aussi évoqué Luna Reys, une jeune volontaire de la Croix Rouge espagnole qui « dans un geste pur et plein d’humanité, avait pris chaleureusement dans ses bras un jeune sénégalais venu à la nage du Maroc vers Ceuta ». Luna est à ses yeux « un exemple vif de compassion et un rappel du devoir humain de tous de prêter de l’aide à son proche dans le besoin, comme le fut le bon samaritain que l’on trouve dans parabole dans l’Évangile de St-Luc ».

Un moment symbolique et très émouvant a suivi le prêche avec l’allumage d’une centaine de bougies à la mémoire des victimes, une à la fois, au fur et à mesure que leurs noms étaient cités.

Ensuite, un cercle de silence s’est formé sur l’esplanade de l’église. Une longue liste de nombres de victimes qui ont péri lors d’événements tragiques survenus en Méditerranée ainsi que les dates de ces événements a été lue une heure durant.

À côté du cercle se tenait un stand pour la signature d’une motion imprimée sur des cartes postales conçues par des artistes suisses à l’attention des conseillers nationaux vaudois qui siègent à Berne pour leur demander que la Suisse fasse plus d’efforts pour accueillir davantage de personnes réfugiées.

Un mouvement d’indignation

Pour Sandrine Ruiz, présidente de l’Union Vaudoise des Musulmans – l’UVAM – cette action « a essentiellement cherché à revaloriser ces vies anonymes perdues de façon tragique ». Mais cette action avait aussi pour but selon elle « de valoriser l’humanité et la dignité humaine en chacun et chacune de nous en réveillant l’élan d’humanisme dans la société suisse – surtout des décideurs politiques – afin qu’ils ne soient pas indifférents et qu’ils prennent conscience de l’ampleur de la tragédie humanitaire. »

Dominique Voinçon a aussi dénoncé « l’insensibilité des dirigeants européens qui durcissent de plus en plus les cœurs à travers des politiques restrictives – voir même prohibitives – à l’égard des personnes migrantes en les traitant comme s’ils étaient des criminels ». Il a aussi jugé scandaleux « que des pays comme la Turquie ou la Libye, souvent considérés comme peu respectueux des droits de l’homme, semblent plus accueillants envers ces milliers de personnes migrantes que l’Europe – berceau de ces mêmes droits de l’homme – qui leur ferme ses frontières en ignorant sans vergogne leur dignité humaine ».

À son tour, Madame Anne-Catherine Reymond, de la Communauté S. Egidio, inscrit cette initiative dans « un mouvement d’indignation qui vise non seulement à redonner une place aux « naufragés de l’espoir », ces hommes, femmes et enfants arrêtés par la Forteresse Europe ou morts et gisant dans le cimetière de la Méditerranée, mais surtout de trouver des solutions durables et plus humanistes ».

Elle a également appelé les autorités suisses « à ouvrir des couloirs humanitaires à l’image d’autres pays européens pour assurer un voyage sûr vers la Suisse des personnes migrantes qui répondent aux critères de réfugiés établis par l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (le HCR). Pour elle, le défi que les autorités doivent relever est « de travailler davantage avec la société civile pour faciliter l’accueil de ces personnes migrantes dans les communautés en vue de garantir au plus vite leur intégration durable. Et de conclure : « Voici deux réponses directes et efficaces face au trafic d’êtres humains, aux honteuses noyades de centaines de milliers des personnes dans la Méditerranée, mais aussi pour diminuer la souffrance des centaines de milliers de personnes qui vivent actuellement dans des conditions inhumaines et dans des camps surpeuplés et sordides ».

« Osons l’accueil, osons la solidarité ! »

Comme appel aux lectrices et lecteurs de Voix d’Exils, Madame Reymond souhaite passer le message suivant : « Osons l’accueil, osons la solidarité, n’ayons pas peur, ne voyons pas la migration comme une menace, mais plutôt comme une opportunité ! Donc portons un regard plus bienveillant et de confiance sur les personnes migrantes car un monde ensemble est possible et peut apporter plus de bonheur à toutes et tous ».

Alcibíades Sebastião KOPUMI

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Photos de l’événement réalisées par Ahmed Jasim Mohammed, photographe de Voix d’Exils:

Photo: Ahmad / Voix d’Exils.

 

Photo: Ahmad / Voix d’Exils.

 

Photo: Ahmad / Voix d’Exils.




Une manifestation réclame la régularisation des sans-papiers et des requérants d’asile

Photo: Hochardan

Le  mercredi 22 février à Lausanne, les collectifs de défense des droits des sans-papiers accompagnés de sympathisants et de militants se sont réunis sur la place de la Riponne  à Lausanne pour manifester et réclamer la régularisation immédiate de tous les sans-papiers et des requérants d’asile. Cette manifestation était organisée par le collectif Droit de rester, le Collectif vaudois de soutien aux sans-papiers (CVSSP) et le Collectif de soutien et de défense des sans-papiers de la Côte,  avec l’appui de beaucoup d’associations et de syndicats venus également de Berne et de Fribourg.

Cette manifestation avait pour but selon les organisateurs « de contester les stigmatisations, les discriminations et le racisme ainsi que de s’opposer à un système qui assigne les immigrés à la condition d’êtres inférieurs et subordonnés ». Leur message était le suivant : « Marchons dans la rue, crions haut et fort, montrons que nous ne sommes ni des criminels, ni des abuseurs, ni des délinquants, mais que nous sommes des êtres humains dignes de valeur et que nous avons des droits et des devoirs ».

Photo: Hochardan

« Nous avons quitté un pays mais non l’humanité ! »

À 17h00, la place de la Riponne était presque saturée de manifestants d’ethnies, de races, de cultures, de langues différentes, comme lors d’une conférence mondiale. Et en effet, il y avait là des personnes venues des quatre coins du monde qui ont marché jusqu’à la place du Château où elles ont adressé une lettre signée par les trois collectifs organisateurs au Conseil d’Etat, lui demandant la régularisation collective de tous les sans-papiers.

Durant leur marche, les manifestants scandaient : « Nous n’avons qu’un seul monde, nous partageons une même condition humaine. » « Nous ne voulons pas que les êtres humains soient classés, encadrés, contrôlés, réprimés et donc traités de manière inégalitaire ». Sur les banderoles, des slogans dénonçaient les abus faits aux droits de l’homme. Certaines exprimaient la valeur de l’humain : « Nous avons quitté un pays mais non l’humanité » et « Expulsez les lois racistes pas les êtres humains ! ».

 « L’origine n’est pas un crime ! »

Au moment où les manifestants passaient  dans la rue du Grand-Pont, une partie d’entre eux se sont allongés dans la rue portant des tissus sur lesquels était écrit : « L’origine n’est pas un crime ».  Des dizaines de requérants ont pris la parole : « Que nous soyons passés par la filière de l’asile ou que nous soyons venus clandestinement, notre seul objectif est d’avoir aspiré à une vie meilleure. » « L’Etat nous met dans des situations pénibles : il nous interdit de séjour, nous exclut d’une existence légale, nous enlève toute perspective d’avenir, nous en sommes réduits à travailler au noir ou à nous terrer dans des abris de protection civile. » « Ça suffit ! Qu’on le veuille ou non, nous sommes ici, nous participons activement à construire la société dont nous faisons partie ! »

Photo: Hochardan

« L’immigration n’est pas un choix, mais c’est une chance ! »     

 La majorité des manifestants vivent des souffrances, des peurs, des angoisses et de l’incertitude quant à leur sort. Beaucoup d’entre eux sont en Suisse depuis plusieurs années. Qu’ils vivent dans des abris, dans des centres d’aide d’urgence ou ailleurs, ils revendiquaient tous le droit de vivre librement et de sortir de cette situation précaire. «Marre de se cacher, on vit ici, on reste ici », grognaient-ils. Tout au long de leur marche, les manifestants ont adressé au peuple suisse un message à travers le slogan : « L’immigration n’est pas un choix, mais c’est une chance ».

Malgré le fait que la situation soit précaire, que la vie soit difficile, que l’angoisse soit présente, même si le chagrin et la peur sont permanents, ils gardent pourtant l’espoir et le rêve de revoir un jour ceux qui leur sont chers, disaient-ils en écho au grand martyr américain Martin Luther King qui a dit lors de la manifestation du 28 octobre 1963 à Washington : « Je rêve que mes quatre jeunes enfants vivront un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés pour la couleur de leur peau, mais à la mesure de leur caractère. »

Hochardan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

« La Suisse a longtemps été un pays d’émigration »

Graziella de Coulon, membre du collectif Droit de rester a accordé une interview à Voix d’Exils.

Voix d’Exils : Quel est le but de cette manifestation ?

Graziella de Coulon : Nous demandons la régularisation de tous les sans-papiers et de tous les déboutés de l’asile. Ce sont des personnes qui sont mises à l’écart, elles font partie des gens qui n’ont plus de droits, plus rien.

Qu’espérez-vous de cette manifestation en tant que défenseur des sans-papiers ?

On n’espère pas grand chose de cette manifestation. C’est pour rassembler les gens et pour dire : « On est toujours là, et on continue de réclamer la même chose ! » Mais, cette fois, nous avons adressé nos revendications aux Conseillers d’Etat. Vu que maintenant, la majorité est de gauche… (elle rigole). Nous demandons surtout que Vaud défende à Berne les personnes qui ont été acceptées par le canton. Et non pas que le canton dise : « Berne ne les veut pas ! ».

Photo: Hochardan

Quels sont les obstacles que vous rencontrez avec le Département de l’Intérieur ?

Ils disent qu’ils n’ont pas de marge de manœuvre et que c’est Berne qui décide… Ce qui n’est pas vrai, le canton a une marge de manœuvre. Il peut, par exemple, mettre ou pas à l’aide d’urgence un débouté, mais il les met tous à l’aide d’urgence. Donc, le canton fait le bon élève auprès de Berne, et c’est ça  que nous contestons. La majorité au Conseil d’Etat est de gauche, mais c’est une gauche qui n’a pas le courage politique d’affirmer une autre position que celle de la droite musclée de Berne, qui est celle qui régit maintenant toutes les questions d’immigration.

Photo: Hochardan

Qu’éprouvez-vous face aux expulsions ?

Déjà une grande honte pour le pays qui viole le droit de ces personnes au point de les obliger à partir dans leur pays, alors que pour certaines ce n’est plus leur pays. Parmi les personnes expulsées, certaines sont en Suisse depuis 10 ans et plus ! C’est une honte, la façon dont on les expulse. Les expulser vers le néant, vers aucune autre solution, alors qu’elles pourraient rester ici.  Il y en a beaucoup qui ont du travail, mais par la faute des lois uniques qui ont été votées, maintenant elles sont toutes déboutées… Personnellement, je ressens vraiment une grande honte et puis un grand regret pour ces personnes parce que souvent je les connais. Après leur expulsion, on les perd… On ne sait pas du tout ce qu’elles deviennent dans leur pays.

On voit souvent des blacks arrêtés et fouillés. Ils vivent dans la peur et la menace permanente. Qu’en dites-vous ?

Photo: Hochardan

Ce qu’il faut dire, c’est que ces personnes ont quitté leur pays et ont traversé la Méditerranée en risquant leur vie et beaucoup sont morts. Personne n’a quitté son pays et fait ce trajet pour venir vendre de la coke ou devenir un criminel ici. Ce sont les conditions de vie dans lesquelles ces gens sont ici qui font qu’ils sont obligés à un certain moment de se mettre dans cette criminalité qui est une petite criminalité de survie. Les gens ne peuvent pas rester ici sans être jamais heureux, sans avoir la possibilité de travailler, sans avoir des contacts avec les gens. N’être vus que comme des criminels…. Ce n’est pas possible ! A un certain moment ils deviennent, oui, des  criminels parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement.

Comment expliquez-vous que le peuple suisse ait voté des lois qui sont contre l’immigration ?

Aux Suisses, j’aimerais premièrement dire de se souvenir de leur passé, parce que pendant de longues années, la Suisse a été un pays d’émigration. Les Suisses devaient émigrer parce qu’on ne mangeait pas assez dans ce pays.  Maintenant, ils ont oublié et veulent fermer toutes les frontières, ils veulent laisser tous les pauvres en dehors. C’est vraiment une lutte des pauvres contre les riches. Et quand on dit que ces lois ont été votées par la population, il faut voir sous quelles pressions et avec quelle propagande elles ont été votées. Les personnes qui défendent les requérants ou qui défendent l’immigration n’ont pas un grand espace de parole pour convaincre les gens. Et les gens ont peur parce que pour eux aussi cela ne va pas bien : ils ont peur du chômage, ils ont peur pour l’éducation de leurs enfants, ils ont peur pour leur logement et ils prennent juste l’immigration comme bouc émissaire. Mais ça, c’est l’UDC et  les partis de droite qui disent ça au peuple, et le peuple vote. Mais finalement, il y a quand même beaucoup de solidarité en Suisse, il n’y a pas que ça…

Propos recueillis par Hochardan