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« Être papier blanc »

Illustration: Kristine Kostava / Voix d’Exils

Vivre au jour le jour avec une attestation d’aide d’urgence

Les requérant.e.s d’asile déboutée.e.s reçoivent une attestation d’aide d’urgence qui leur donne accès à 10 francs par jour environ et une aide d’urgence ne couvrant que le strict minimum vital (généralement la nourriture, les vêtements, l’hygiène, le logement et les soins médicaux d’urgence). Comment vit-on l’aide d’urgence?

Afin de mieux comprendre le mode sous le régime de l’aide d’urgence, nous avons échangé avec trois personnes qui sont dans cette situation et qui sont membres de la rédaction de Voix d’Exils: Kristine, Géorgienne arrivée en Suisse en 2017; Zahra, Kurde, en Suisse depuis 2015 et Karthik, Sri-Lankais, qui vit en Suisse également depuis 2015.

Comment tombe-t-on dans l’aide d’urgence?

Qu’est-ce que l’aide d’urgence? Le site asile.ch donne la définition suivante: « Les personnes frappées d’une décision de non-entrée en matière (NEM) ou de renvoi (« débouté-e-s ») perdent le droit de travailler et sont exclues de l’aide sociale, y compris lorsque leur besoin de protection n’est pas nié (NEM Dublin). Elles sont réduites à demander l’« aide d’urgence », octroyée en vertu de l’art. 12 de la Constitution fédérale. Cette aide consiste en une prestation de survie, remise la plupart du temps sous forme de bons ou en nature (barquettes de nourriture déjà préparées, etc.), rarement en espèces (environ 10 francs par jour, voire moins). Imposant un contrôle administratif intense, parfois quotidien, l’aide d’urgence est conçue comme un dispositif d’incitation au départ ».

Impact psychologique et matériel

La vie à l’aide d’urgence peut durer indéfiniment et la peur d’un renvoi forcé est constante. Les personnes à l’aide d’urgence sont souvent livré.e.s à elles-mêmes. Seules face à leur désespoir, le sentiment d’être dans une impasse, de vivre une incertitude et une angoisse est permanent. Etant un dispositif d’incitation au départ, les conditions de vie qu’impose ce statut a des effets nuisibles sur la santé physique et psychique des personnes qui le subissent.

  • Quels sont selon vous les obstacles du papier blanc ?

Kristine

« Il y a trop d’obstacles, nous sommes limités en tout. On ne peut ni étudier, ni travailler, ni voyager. Il est difficile de se développer et de vivre normalement. »

Zahra

« On ne peut pas étudier dans le domaine de notre choix. Nous ne pouvons ni voyager, ni pratiquer un loisir par manque d’argent ou acheter le nécessaire pour du matériel de bureau. De plus, il est généralement difficile de communiquer avec les personnes qui nous entourent. »

Karthik

« Sans autorisation, nous ne pouvons pas voyager ni travailler. Nous n’avons même pas l’autorisation de nous inscrire pour suivre un cours de français afin de ne plus avoir un problème avec la barrière de la langue. »

Une situation sans fin

Pour diverses raisons, le renvoi n’est pas réalisable et pour d’autres raisons encore, certaines personnes ne veulent ou ne peuvent pas rentrer dans leur pays d’origine. Ainsi, « être papier blanc », comme on dit dans le milieu de l’asile, implique souvent de vivre dans des conditions difficiles et ce pendant plusieurs mois; voire pendant plusieurs années.

  • Peut-on envisager un avenir avec le papier blanc ?

Kristine

« Il est très difficile d’envisager un avenir avec le papier blanc, parce que nous sommes très limités. On ne peut pas apprendre et travailler sans contrat, mais je garde espoir qu’un jour j’obtiendrai une autorisation de séjour. Je me suis toujours battue pour atteindre mes objectifs car se battre pour une chose importante à toujours un sens! »

Zahra

« Jamais! On ne peut pas envisager un avenir avec un papier blanc. C’est un frein pour avancer et construire notre vie. »

Karthik

« Non, c’est impossible! Nous sommes complètement bloqués. Nous ne pouvons rien faire, nous pouvons seulement espérer et attendre que notre situation s’améliore le plus tôt possible. »

Possibilités de changement

Il arrive que certaines personnes obtiennent un statut de séjour qui apporte une certaine stabilité à leur condition de vie. Cela constitue alors un grand changement qui affecte progressivement leur mode de vie et qui peut être déstabilisant.

  • Quels types de changement imaginez-vous une fois l’autorisation de séjour obtenue ?

Kristine

« Cela changerait toute ma vie. J’étudierais, je travaillerais sous contrat, je voyagerais. Cela me donnerait plus de liberté et me permettrait de m’améliorer personnellement. De plus, avec mes progrès et mon indépendance, je profiterais à nouveau de la Suisse. »

Zahra

« Une vie dans laquelle nous serions considéré.e.s comme des citoyen.ne.s ordinaires, dans laquelle on pourrait travailler et étudier sans ce problème de papier d’aide d’urgence. »

Karthik

« Je souhaiterais obtenir le permis B afin de me sentir libre de trouver du travail et de voyager. »

Pourquoi vous ?

La situation à l’aide d’urgence complique la vie de chaque personne détentrice du papier blanc. Beaucoup ont étudié, travaillé, construit leur vie dans leur pays d’origine, puis ont dû tout recommencer à zéro et surtout s’adapter à leur arrivée en Suisse.

  • Pourquoi mériteriez-vous une autorisation de séjour en Suisse ?

Kristine

« Après avoir terminé mes onze années d’école obligatoire, j’ai commencé mes études de graphisme qui ont duré un an au collège. Par la suite, j’ai effectué trois mois de stage et j’ai commencé à travailler comme graphiste chez MBM Polygraph. Parallèlement, j’ai suivi de nombreuses formations sur divers sujets et l’une d’elles était de créer un environnement adapté pour les personnes handicapées. J’ai travaillé pendant plus d’un an, puis j’ai dû quitter mon emploi et la Géorgie en raison de ma santé qui se détériorait. Je suis venue en Suisse et j’ai commencé à travailler en tant que bénévole. Actuellement, je contribue à Voix d’Exils comme rédactrice et graphiste. Je suis productive, je suis capable de travailler avec un contrat, mais malheureusement je ne peux pas travailler avec le papier blanc. »

Zahra

« Après avoir terminé l’école obligatoire, j’ai débuté mes quatre années d’études à l’université et je suis partie d’Iran pour des raisons politiques. Arrivée en Suisse, j’ai débuté les cours de français à l’EVAM et par la suite une formation en cuisine dans cet établissement. J’ai effectué un stage à la fondation « Mère Sofia » et j’ai continué à travailler en tant que bénévole dans la même fondation. J’ai commencé à travailler dans un programme d’activité de l’EVAM et aujourd’hui, cela fait un an et demi que je suis rédactrice à Voix d’Exils. Je souhaite avoir une autorisation de séjour car je voudrais travailler afin de construire et stabiliser ma vie pour devenir indépendante. »

Karthik

« Je viens du Sri Lanka où je n’ai pas la liberté de vivre comme en Suisse car il n’y a aucune sécurité et stabilité pour construire une vie. Après avoir terminé l’école obligatoire, j’ai commencé à travailler dans l’entreprise familiale et trois ans après j’ai quitté le Sri Lanka. À mon arrivée en Suisse, j’ai pu obtenir un permis N et ceci m’a permis de travailler pendant trois ans. Je considère la Suisse comme étant un pays ouvert et tolérant envers les cultures de toutes et tous. »

Propos recueillis par:

L.B.

Membre de la rédaction de Voix d’Exils

Pour approfondir le sujet:

LE QUOTIDIEN AVEC UN « PAPIER BLANC », article paru dans Voix d’Exils le 26.11.2018

LE QUOTIDIEN AVEC UN « PAPIER BLANC » II, article paru dans Voix d’Exils le 07.01.2019




FLASH INFOS #96

Photo: « Sacs à dos sans frontières »

Sous la loupe : Plus de 4000 sacs à dos transmis aux exilé·e·s en Grèce / Restrictions financières pour les ressortissant·e·s de pays tiers / Vers une pérennisation de l’aumônerie musulmane dans les centres d’asile suisses

Plus de 4000 sacs à dos transmis aux exilé·e·s en Grèce

RTS, le 31.01.2022

Depuis plus d’un mois, Joëlle Mayoraz et Flavia Gillioz, deux jeunes femmes valaisannes, se mobilisent pour le projet « Sacs à dos sans frontières » qui vise à collecter des sacs à dos pour les personnes exilées au nord de la Grèce. Leur objectif initial était de réunir 500 sacs pour le 31 janvier 2022. Aujourd’hui, avec l’aide de la population romande, elles sont parvenues à recueillir plus de 4’000 sacs.

L’idée s’est développée alors que Joëlle travaillait pour une ONG en Grèce. À cette occasion, elle s’est rendu compte que les personnes en situation d’exil avaient un besoin réel de sacs à dos, parce qu’ils transportaient leurs affaires avec des sacs plastiques. Les sacs seront acheminés dans les prochaines semaines en Grèce par une association spécialisée.

Zahra Ahmadiyan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Restrictions financières pour les ressortissant·e·s de pays tiers

24 Heures, le 31.01.2022

Le Conseil fédéral a démarré mercredi 26 janvier dernier une consultation sur un projet pour inciter les ressortissant·e·s de pays tiers ‒ c’est-à-dire les personnes originaires d’un état non membre de l’Union Européenne (UE) ‒ à intégrer le marché du travail. En réduisant de 20% l’assistance financière dont ils bénéficient, les ressortissants disposeront d’une aide sociale réduite durant les trois premières années. De même, les conditions d’octroi et de prolongement d’un permis de séjour, qui engendrent selon lui des coûts importants, seront reconsidérées et soumises à l’autorisation du Secrétariat d’État aux migrations (SEM). Le prolongement de ces permissions de séjour pourra toutefois être accordé en cas d’emploi ou de formation.

De telles restrictions visent à permettre aux cantons et communes de contenir la hausse des dépenses de l’aide sociale.

L. B.

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Vers une pérennisation de l’aumônerie musulmane dans les centres d’asile suisses

RTS, le 31.01.2022

Selon une étude du Centre Suisse Islam et Société (CSIS) de l’Université de Fribourg, le projet qui vise à intégrer de manière pérenne une aumônerie musulmane dans les centres d’asile fédéraux s’avère être un réel succès. Initié il y a un an sous la conduite du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), ce projet complète l’offre proposée par les églises suisses. Il a notamment permis la médiation de conflits au sein des centres et l’accompagnement de requérant·e·s originaires de 19 pays différents (à savoir principalement d’Algérie, d’Afghanistan, du Maroc et de Syrie).

Au vu de ses résultats, le projet est prolongé jusqu’à fin 2022, avec la possibilité d’être pérennisé à l’avenir.

Karim Ibsaine

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




De la naissance à l’âge adulte avec un permis F

Photo: Voix d’Exils

« Que l’on soit né en Suisse ou non ne fait aucune différence avec un permis F. Nos droits sont dans tous les cas limités »

Actuellement, près de 50’000 personnes ont un permis F en Suisse. Mais deux cas de figure doivent être distingués: d’une part, les personnes immigrées en Suisse ayant formulé une demande d’asile et obtenu un permis F; et d’autre part, les personnes nées en Suisse avec un permis F.

La plupart des enfants nés dans le pays avec un permis F considèrent la Suisse comme étant leur pays d’origine, car ils y ont grandi, appris et vécu depuis leur naissance. Toutefois, leurs droits ne correspondent pas à ceux de toutes les personnes nées en Suisse. Mes frères, ma sœur et moi-même sommes nés en Suisse avec un permis F. Nous avons grandi sans pouvoir sortir du pays. Nous nous sommes toujours contentés du minimum et des seuls droits qu’on nous a depuis toujours accordés, en tant qu’étrangers admis provisoirement.

Comment un détenteur d’un permis F né en Suisse peut-il s’adapter pleinement à son pays de naissance, si on lui accorde moins de droits et d’opportunités que la moyenne ?

Qu’est-ce qu’un étranger admis à titre provisoire ?

Selon le Secrétariat d’état aux migrations (SEM), une personne admise à titre provisoire fait l’objet d’une décision de renvoi de Suisse car « l’exécution du renvoi se révèlerait interdite, inexigible ou matériellement impossible ». L’admission provisoire est initialement fixée à douze mois, mais le canton peut prolonger la durée du séjour chaque année.

En ce sens, une personne admise à titre provisoire reste un étranger dont la présence en Suisse ne doit être que temporaire. Que l’on soit né en Suisse ou non ne fait aucune différence avec le permis F.

Un obstacle pour entrer dans le monde du travail

La loi n’interdit pas aux personnes nées avec un permis F de travailler. Le canton de Genève parle à ce propos d’un « accès sans restriction au marché de l’emploi dans toute la Suisse et à l’ensemble des domaines professionnels ». Mais beaucoup n’ont pas l’opportunité d’être embauchés dans le domaine de leur choix. De l’enfance à l’âge adulte, une personne naturalisée ou détentrice d’un permis B ou C a souvent plus de droits, de chances et d’opportunités d’emploi qu’une personne admise à titre provisoire avec un permis F.

Les détenteurs et détentrices d’un permis F sont considérés comme étant des personnes ayant une situation compliquée, dont l’embauche impliquerait de trop lourdes démarches administratives. Pour ces raisons, les personnes qui détiennent un permis F ne sont pas toujours évaluées sur la base de leurs compétences professionnelles. Au contraire, elles sont bien souvent rejetées dès le départ.

En ce sens, le simple fait d’être né avec un permis F peut constituer une raison suffisante pour refuser un poste de travail à un demandeur ou une demandeuse d’emploi et l’impact que ce refus pourrait avoir dans la suite du parcours de ces personnes n’est pas suffisamment pris en compte. Les refus répétés peuvent évoluer vers une forme grave de démotivation, créer un blocage psychologique ou encore provoquer une dépression.

Voyager avec un permis F

Certains enfants nés avec une admission provisioire apprennent à connaître leur culture et leur pays d’origine uniquement à travers leurs parents, leur famille et leurs amis parce qu’ils n’ont jamais eu l’opportunité de sortir de la Suisse.

D’après les conditions préalables du site du canton de Vaud, pour demander une autorisation de sortie du territoire en tant qu’écolier titulaire d’un permis F, il est impératif de ne pas être ressortissant de l’Union européenne (UE) ou de l’Association européenne de libre d’échange (AELE).

Sous certaines conditions, la Confédération peut accorder un passeport de remplacement pour voyager à l’étranger. Le service de la population (SPOP) réceptionne alors la demande et la soumet aux autorités fédérales.

Cependant, les personnes titulaires d’un permis F nées en Suisse ne sont pas toujours informées des différentes possibilités de voyage. Afin de s’informer sur ces possibilités, il est nécessaire d’effectuer des recherches conséquentes sur internet. Il faut également avoir un niveau de français suffisamment clair pour s’orienter dans le site et il est important de noter que chaque démarche est propre au canton où l’on habite.

En ce sens, bien que la possibilité de voyager existe pour les personnes nées avec un permis F, les démarches à accomplir pour sortir du pays s’avèrent donc compliquées.

Naitre avec un permis F implique donc d’accepter de vivre dans un entre-deux : nous ne sommes ni complètement intégrés dans le pays dans lequel nous sommes nés, ni à même de découvrir notre pays d’origine vers lequel il est prévu que nous soyons renvoyés un jour ou l’autre. Sous ces conditions, le permis F constitue alors un statut transitoire : un balancement entre deux mondes qui nous sont tous deux refusés.

L. B.

Membre de la rédaction vaudoise de Vois d’Exils

« Voi(es)x de résistance »

La question du statut provisoire sera au cœur de l’événement « Voi(es)x de résistance » proposé par l’Association Reliefs. Celui-ci aura lieu le 20 janvier 2022 dès 19h à l’Eglise Saint-François de Lausanne. Sur la base de témoignages audio de personnes vivant avec un permis provisoire ou avec un « papier blanc » (en cas de refus  d’admission en Suisse), l’événement cherche à rendre compte de la précarité vécue par ces personnes.

Plus d’informations sur l’adresse suivante : Voi(es)x de résistance – Association Reliefs – des rencontres pour agir !

Autres articles en lien avec le sujet  :

Interdiction stricte de voyager pour les personnes admises à titre provisoire

Fiche d’information (HCR) : Remplacer l’admission provisoire

Toute une vie dans le provisoire: un rapport dénonce les effets pervers du permis F – humanrights.ch




Les violences faites aux Iraniennes

Kristine Kostava / Voix d’Exils

Le suicide, le divorce ou l’exil

Dans la société conservatrice et patriarcale des petites villes et des campagnes iraniennes, les hommes ont quasi tous les droits sur les femmes de leur famille. Ils peuvent se montrer cruels et violents avec leurs épouses, leurs sœurs et leurs filles sans être inquiétés. Zahra, rédactrice iranienne de Voix d’Exils illustre les épreuves vécues par ses compatriotes en partageant une histoire vraie.

« Mon amie Soraya m’a raconté l’histoire épouvantable de son cousin Mohamad*. Né dans une famille riche et puissante, fils aîné d’une fratrie de cinq sœurs et trois frères, Mohamad est un homme brutal qui sait se montrer généreux avec ceux qui lui obéissent et ferment les yeux sur ses exactions.

Âgé de 40 ans, Mohamad s’est marié trois fois. A sa première épouse, Fatima, il a infligé de terribles violences physiques et morales. Après des années de mauvais traitements, épuisée, désespérée, ne voyant pas d’échappatoire, Fatima s’est étranglée avec un long foulard alors qu’elle était enceinte de son deuxième enfant. Lors des nombreux séjours hospitaliers de Fatima pour soigner les blessures infligées par son mari, la mère de Soraya lui a apporté des médicaments, des repas, elle a essayé de la réconforter. Malheureusement, Fatima n’en pouvait plus de sa vie faite d’humiliations et de souffrances. Rien n’a pu la retenir de commettre l’irréparable, pas même le bébé qu’elle portait ou sa petite fille Shilan.

Dans la ville où il habite, tout le monde savait que Mohamad maltraitait sa femme et qu’elle s’était suicidée. Pourtant, il n’a pas été inquiété.

Une fillette détruite

Comme beaucoup d’Iraniens, Mohamad estime que la place des femmes est à la maison. Elles doivent se consacrer aux tâches ménagères, à leur mari et à l’éducation des enfants. Hors des grandes villes, les Iraniennes n’ont pas le droit de quitter leur domicile si elles ne sont pas accompagnées par un homme de la famille, que ce soit leur mari, leur père, ou un frère… La scolarité, le travail et la vie sociale à l’extérieur, sont réservés aux hommes.

Malgré les idées rétrogrades de son père, et grâce à la protection de sa tante maternelle, Shilan a tout de même pu aller à l’école jusqu’à l’âge de onze ans. Après, elle a dû arrêter pour s’occuper de son demi-frère né du second mariage de son père. Après la fin tragique de Fatima, l’histoire va se répéter avec Shilan. Terrorisée par un père qui l’étouffe avec ses interdits et ne lui pardonne rien, la malheureuse s’est suicidée à l’âge de 13 ans en se pendant avec son foulard, comme sa mère avant elle. Le jour de son suicide, Shilan avait été battue par son père car son petit frère, dont elle avait la garde, s’était légèrement blessé la main pendant qu’ils jouaient ensemble.

Des sœurs tyrannisées

Amina, la deuxième femme de Mohamad, a demandé le divorce après cinq ans de mariage. Une décision difficile car elle est partie en laissant son fils avec son père. Mohamad aurait voulu punir cette femme qui préférait l’abandonner, mais il ne l’a pas retenue parce qu’il craignait qu’elle se suicide elle aussi s’il l’obligeait à rester avec lui. Il aurait alors pris le risque que la police se montre un peu plus curieuse que lors des deux précédents suicides et se sente obligée d’intervenir.

Après le départ d’Amina, Mohamad s’est marié une nouvelle fois et a eu trois enfants avec sa troisième femme. Il la maltraite aussi, mais comme elle vient d’un milieu pauvre elle subit et elle se tait. En tout cas pour le moment. Mohamad se montre prudent, il achète son silence et celui de sa belle-famille par des cadeaux et des versements d’argent.

Non content de tyranniser ses épouses et ses filles, Mohamad s’en prend aussi à ses sœurs. Quatre d’entre elles sont mariées, et on pourrait penser que leurs maris les protègent. Mais, comme ils ont très peur de leur beau-frère, ils prennent son parti et insistent pour que leurs épouses lui obéisse quelles que soient ses exigences.

Choisir l’exil ou mourir

Marjane, sa sœur célibataire, est la seule qui a osé lui résister. Avec le soutien de ses parents, elle avait terminé des études de comptabilité et avait un travail intéressant à la municipalité de sa ville avant de devoir prendre le chemin de l’exil. Elle aussi avait supporté pendant des années les reproches et les sarcasmes de son grand frère. A partir de l’âge de 16 ans, elle avait même fait plusieurs tentatives de suicide, heureusement sans succès.

Dernièrement, Mohamad avait carrément menacé de la tuer si elle ne se mariait pas au plus tard cet automne avec un homme âgé qu’il avait lui-même choisi et qui avait déjà quatre femmes.

Ne pouvant plus supporter les pressions et les menaces, sachant que ses parents ne pourraient pas la protéger plus longtemps, Marjane a pris la décision de quitter son pays. Elle a d’abord donné son congé à la municipalité, puis, lors de son dernier jour de travail, elle a mis le feu à son foulard. Avec l’argent versé par son employeur, elle est partie en juin dernier et a demandé l’asile en Allemagne.

Malgré les milliers de kilomètres qu’elle a mis entre son frère et elle, elle a toujours peur qu’il la retrouve et la tue. »

Zahra Ahmadyan

Membre de la rédaction vaudoise de voix d’Exils

*Tous les prénoms ont été modifiés

 




Les facteurs qui favorisent l’entrepreneuriat des personnes migrantes

CC0 Public Domain

CC0 Public Domain

Le dossier de la rédaction: les migrants entrepreneurs

La Suisse a une histoire séculaire et fascinante d’entrepreneurs migrants qui ont contribué profondément au développement de diverses industries importantes de l’économie du pays. Actuellement, un nombre croissant de migrants créent des entreprises en Suisse, et ce phénomène a besoin d’attention pour voir comment il se rapporte aux processus d’arrière-plan.

Différentes études réalisées ces dernières années montrent que les facteurs tels que : les droits accordés par les autorités suisses, la capacité de répondre aux besoins d’un groupe ethnique, l’intégration, les difficultés sur le marché du travail, la capacité de prendre des risques et les conditions dans le pays d’accueil, déterminent l’activité entrepreneuriale des migrants.

Le Dr. Etienne Piguet de l’Université de Neuchâtel aborde les différents aspects actuels du sujet dans son article Les Entrepreneurs Issus de la Migration en Suisse (pages 4-5). Il affirme que les entrepreneurs migrants contribuent toujours de manière significative à l’économie et aux emplois en Suisses après les décennies de ralentissement qui ont suivi la Seconde Guerre Mondiale. Et ce ralentissement était directement lié à l’insuffisance des titres de séjour accordés aux migrants.

En expliquant les motivations des migrants pour l’entrepreneuriat, Dr. Piguet distingue trois types de circonstances qui les conduisent à la création d’entreprises : la Spécificité, la Convergence, et le Désavantage. La Spécificité est à la base du « ethnic-business », c’est-à-dire que les produits ou les services de l’entreprise sont destinés à une clientèle d’une culture ou d’un groupe spécifique dans un réseau de solidarité. Cela semble intéressant mais reste insignifiant selon l’auteur. Parmi les trois facteurs mentionnés, la Convergence et le Désavantage sont les principaux à approfondir pour saisir l’entrepreneuriat des migrants.

La Convergence est le résultat de l’intégration des migrants qui graduellement disposent de plus de ressources et d’un meilleur statut. Ils ont alors les mêmes opportunités et sont aussi capables de créer des entreprises que les autochtones Suisses. Les similitudes entre les entrepreneurs migrants et suisses comprennent leur répartition par secteur d’activité, niveau de formation, âges et genres. Le Désavantage est par contre lié aux difficultés que rencontrent les migrants sur le marché du travail telles que la discrimination ou le manque de diplômes reconnus, qui les amènent à l’emploi indépendant. Ainsi, l’entrepreneuriat n’est pas toujours un choix délibéré car la proportion d’anciens chômeurs parmi les entrepreneurs est beaucoup plus élevée chez les migrants que chez les suisses.

Pierre Cormon d’Entreprise Romande, le journal bimensuel de la Fédération des Entreprises Romandes de Genève, dans son dossier Ces Étrangers Qui Créent des Entreprises en Suisse constate que depuis le début des années 2000, les migrants créent proportionnellement davantage d’entreprises que les Suisses: 9,1% des migrants de première génération et 8% des migrants de deuxième générations, respectivement, contre 5% des suisses en 2013. Et les migrants créent de plus en plus d’entreprises: 32,9% des nouvelles entreprises en 2013 contre 22% en 2000. M. Cormon soutient que les migrants sont plus entreprenants, car ils sont plus disposés à prendre des risques que les suisses qui préfèrent généralement le travail dépendant avec un salaire assuré. Et les entrepreneurs migrants prennent des risques dans une certaine mesure parce qu’ils rencontrent davantage de difficultés sur le marché du travail relativement plus souvent que les entrepreneurs suisses, comme déjà considéré ci-dessus.

L’auteur identifie deux autres ensembles de facteurs qui expliquent l’esprit entrepreneurial des migrants. Le Dynamisme et la Tolérance au Risque au-dessus de la moyenne sont les plus importants et généralement caractérisent les migrants qui surmontent des obstacles pour venir et s’établir dans un pays étranger. Cette sélection de ces capacités, également essentielles pour l’entrepreneuriat, devient éventuellement responsable de l’envie plus forte chez les migrants de créer une entreprise que chez les locaux du pays d’accueil. Finalement, les Conditions propices à la création d’entreprises dans ce pays offrent aux entrepreneurs migrants la possibilité et l’opportunité d’agir.

Pour résumer, il convient de noter que la Convergence, le Désavantage, et le Dynamisme et la Tolérance au Risque présentés ci-dessus sont les facteurs les plus importants qui expliquent l’esprit d’entreprise des migrants. Maintenant, nous pouvons avoir un regard plus détaillé sur les entrepreneurs migrants en Suisse qui ont réussi à développer une entreprise autour d’une idée et à surmonter les défis dans une série de portraits qui suivront cet article.

MHER

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils