1

« Être papier blanc »

Illustration: Kristine Kostava / Voix d’Exils

Vivre au jour le jour avec une attestation d’aide d’urgence

Les requérant.e.s d’asile déboutée.e.s reçoivent une attestation d’aide d’urgence qui leur donne accès à 10 francs par jour environ et une aide d’urgence ne couvrant que le strict minimum vital (généralement la nourriture, les vêtements, l’hygiène, le logement et les soins médicaux d’urgence). Comment vit-on l’aide d’urgence?

Afin de mieux comprendre le mode sous le régime de l’aide d’urgence, nous avons échangé avec trois personnes qui sont dans cette situation et qui sont membres de la rédaction de Voix d’Exils: Kristine, Géorgienne arrivée en Suisse en 2017; Zahra, Kurde, en Suisse depuis 2015 et Karthik, Sri-Lankais, qui vit en Suisse également depuis 2015.

Comment tombe-t-on dans l’aide d’urgence?

Qu’est-ce que l’aide d’urgence? Le site asile.ch donne la définition suivante: « Les personnes frappées d’une décision de non-entrée en matière (NEM) ou de renvoi (« débouté-e-s ») perdent le droit de travailler et sont exclues de l’aide sociale, y compris lorsque leur besoin de protection n’est pas nié (NEM Dublin). Elles sont réduites à demander l’« aide d’urgence », octroyée en vertu de l’art. 12 de la Constitution fédérale. Cette aide consiste en une prestation de survie, remise la plupart du temps sous forme de bons ou en nature (barquettes de nourriture déjà préparées, etc.), rarement en espèces (environ 10 francs par jour, voire moins). Imposant un contrôle administratif intense, parfois quotidien, l’aide d’urgence est conçue comme un dispositif d’incitation au départ ».

Impact psychologique et matériel

La vie à l’aide d’urgence peut durer indéfiniment et la peur d’un renvoi forcé est constante. Les personnes à l’aide d’urgence sont souvent livré.e.s à elles-mêmes. Seules face à leur désespoir, le sentiment d’être dans une impasse, de vivre une incertitude et une angoisse est permanent. Etant un dispositif d’incitation au départ, les conditions de vie qu’impose ce statut a des effets nuisibles sur la santé physique et psychique des personnes qui le subissent.

  • Quels sont selon vous les obstacles du papier blanc ?

Kristine

« Il y a trop d’obstacles, nous sommes limités en tout. On ne peut ni étudier, ni travailler, ni voyager. Il est difficile de se développer et de vivre normalement. »

Zahra

« On ne peut pas étudier dans le domaine de notre choix. Nous ne pouvons ni voyager, ni pratiquer un loisir par manque d’argent ou acheter le nécessaire pour du matériel de bureau. De plus, il est généralement difficile de communiquer avec les personnes qui nous entourent. »

Karthik

« Sans autorisation, nous ne pouvons pas voyager ni travailler. Nous n’avons même pas l’autorisation de nous inscrire pour suivre un cours de français afin de ne plus avoir un problème avec la barrière de la langue. »

Une situation sans fin

Pour diverses raisons, le renvoi n’est pas réalisable et pour d’autres raisons encore, certaines personnes ne veulent ou ne peuvent pas rentrer dans leur pays d’origine. Ainsi, « être papier blanc », comme on dit dans le milieu de l’asile, implique souvent de vivre dans des conditions difficiles et ce pendant plusieurs mois; voire pendant plusieurs années.

  • Peut-on envisager un avenir avec le papier blanc ?

Kristine

« Il est très difficile d’envisager un avenir avec le papier blanc, parce que nous sommes très limités. On ne peut pas apprendre et travailler sans contrat, mais je garde espoir qu’un jour j’obtiendrai une autorisation de séjour. Je me suis toujours battue pour atteindre mes objectifs car se battre pour une chose importante à toujours un sens! »

Zahra

« Jamais! On ne peut pas envisager un avenir avec un papier blanc. C’est un frein pour avancer et construire notre vie. »

Karthik

« Non, c’est impossible! Nous sommes complètement bloqués. Nous ne pouvons rien faire, nous pouvons seulement espérer et attendre que notre situation s’améliore le plus tôt possible. »

Possibilités de changement

Il arrive que certaines personnes obtiennent un statut de séjour qui apporte une certaine stabilité à leur condition de vie. Cela constitue alors un grand changement qui affecte progressivement leur mode de vie et qui peut être déstabilisant.

  • Quels types de changement imaginez-vous une fois l’autorisation de séjour obtenue ?

Kristine

« Cela changerait toute ma vie. J’étudierais, je travaillerais sous contrat, je voyagerais. Cela me donnerait plus de liberté et me permettrait de m’améliorer personnellement. De plus, avec mes progrès et mon indépendance, je profiterais à nouveau de la Suisse. »

Zahra

« Une vie dans laquelle nous serions considéré.e.s comme des citoyen.ne.s ordinaires, dans laquelle on pourrait travailler et étudier sans ce problème de papier d’aide d’urgence. »

Karthik

« Je souhaiterais obtenir le permis B afin de me sentir libre de trouver du travail et de voyager. »

Pourquoi vous ?

La situation à l’aide d’urgence complique la vie de chaque personne détentrice du papier blanc. Beaucoup ont étudié, travaillé, construit leur vie dans leur pays d’origine, puis ont dû tout recommencer à zéro et surtout s’adapter à leur arrivée en Suisse.

  • Pourquoi mériteriez-vous une autorisation de séjour en Suisse ?

Kristine

« Après avoir terminé mes onze années d’école obligatoire, j’ai commencé mes études de graphisme qui ont duré un an au collège. Par la suite, j’ai effectué trois mois de stage et j’ai commencé à travailler comme graphiste chez MBM Polygraph. Parallèlement, j’ai suivi de nombreuses formations sur divers sujets et l’une d’elles était de créer un environnement adapté pour les personnes handicapées. J’ai travaillé pendant plus d’un an, puis j’ai dû quitter mon emploi et la Géorgie en raison de ma santé qui se détériorait. Je suis venue en Suisse et j’ai commencé à travailler en tant que bénévole. Actuellement, je contribue à Voix d’Exils comme rédactrice et graphiste. Je suis productive, je suis capable de travailler avec un contrat, mais malheureusement je ne peux pas travailler avec le papier blanc. »

Zahra

« Après avoir terminé l’école obligatoire, j’ai débuté mes quatre années d’études à l’université et je suis partie d’Iran pour des raisons politiques. Arrivée en Suisse, j’ai débuté les cours de français à l’EVAM et par la suite une formation en cuisine dans cet établissement. J’ai effectué un stage à la fondation « Mère Sofia » et j’ai continué à travailler en tant que bénévole dans la même fondation. J’ai commencé à travailler dans un programme d’activité de l’EVAM et aujourd’hui, cela fait un an et demi que je suis rédactrice à Voix d’Exils. Je souhaite avoir une autorisation de séjour car je voudrais travailler afin de construire et stabiliser ma vie pour devenir indépendante. »

Karthik

« Je viens du Sri Lanka où je n’ai pas la liberté de vivre comme en Suisse car il n’y a aucune sécurité et stabilité pour construire une vie. Après avoir terminé l’école obligatoire, j’ai commencé à travailler dans l’entreprise familiale et trois ans après j’ai quitté le Sri Lanka. À mon arrivée en Suisse, j’ai pu obtenir un permis N et ceci m’a permis de travailler pendant trois ans. Je considère la Suisse comme étant un pays ouvert et tolérant envers les cultures de toutes et tous. »

Propos recueillis par:

L.B.

Membre de la rédaction de Voix d’Exils

Pour approfondir le sujet:

LE QUOTIDIEN AVEC UN « PAPIER BLANC », article paru dans Voix d’Exils le 26.11.2018

LE QUOTIDIEN AVEC UN « PAPIER BLANC » II, article paru dans Voix d’Exils le 07.01.2019




Mieux communiquer, pour mieux accompagner

De gauche à droite: Lorenza Pastore, cheffe du projet FALC, et Arzu Ayvazova, membre du groupe contrôle et qualité du projet FALC.
Photo: Voix d’Exils.

L’EVAM améliore sa communication avec ses bénéficiaires en adoptant le français facile à lire et à comprendre.



Pour une institution qui œuvre dans le champ du social, réussir à se faire comprendre par ses bénéficiaires permet de mieux les accompagner. Or, pour bien se faire comprendre, il est nécessaire d’adapter son langage au public auquel on s’adresse, a fortiori lorsque ce public ne maîtrise pas bien la langue de l’émetteur. Pour cette raison, de plus en plus d’institutions sociales romandes adoptent le français facile à lire et à comprendre (le FALC), une méthode qui a pour but de simplifier le langage afin de rendre l’information plus accessible. C’est notamment le cas de l’Établissement vaudois d’accueil des migrants – l’EVAM – qui utilise progressivement le FALC dans toutes ses communications avec ses bénéficiaires depuis 2020. Ainsi, l’EVAM a rédigé en FALC les pages de son nouveau site internet qui s’adressent spécifiquement à son public.

Afin de mieux comprendre les enjeux de la mise en œuvre du FALC à l’EVAM, Voix d’Exils a donné la parole à deux personnes qui sont au cœur de ce projet : Lorenza Pastore, responsable du pôle Administration du Domaine formation et mesures d’intégration de l’EVAM, cheffe du projet FALC et Arzu Ayvazova, originaire d’Azerbaïdjan, bénéficiaire de l’EVAM et membre du groupe contrôle qualité du projet FALC.

Découvrez notre interview ci-dessous:

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils




« Grâce à Skype, je peux voir grandir mon fils et communiquer avec lui en direct »

Grâce à Internet, Uthayanan peut rester proche de sa famille. Photo: Keerthigan SIVAKUMAR

Le fait d’être séparés de leur famille rend la situation des requérants d’asile encore plus douloureuse. Lorsqu’ils quittent leur pays, ils rêvent déjà du moment où ils pourront revoir leurs proches. En attendant, ils essaient par tous les moyens de garder le contact coûte que coûte.

Les nouvelles technologies permettent à certains de maintenir le lien, d’échanger des nouvelles, d’annuler la distance géographique. Pour d’autres, communiquer avec leurs proches reste

Pema. Photo: Keerthigan SIVAKUMAR

un exercice difficile, voire impossible. C’est le cas de Pema. Cette jeune Tibétaine de 29 ans est arrivée en Suisse en octobre 2011. Voilà deux ans qu’elle a dû quitter son pays et qu’elle ne peut pas entrer en contact direct avec ses parents et son frère restés au pays. « Le gouvernement chinois pense que les Tibétains complotent depuis l’étranger » précise Pema. « Si l’armée chinoise trouve mon lieu de vie actuel à travers ma communication avec mes parents, mes parents seront en danger ». L’armée chinoise a d’ailleurs molesté les parents de Pema pour savoir où se cachait leur fille. En vain. « Mon père et mon frère sont impliqués politiquement. Ils sont accusés de soutenir les rebelles qui veulent un Tibet libre. Mon frère a été capturé par l’armée chinoise » soupire-t-elle. Et les autres Tibétains qui vivent en Suisse, sont-ils dans la même situation ? « Certains de mes amis peuvent parler avec leur famille par téléphone. Cela dépend des raisons pour lesquelles ils ont quitté le pays et aussi du lieu où vit leur famille ».

Pema a tout de même obtenu à deux reprises des nouvelles de ses parents par l’intermédiaire de son oncle qui habite au Népal, et qui va de temps en temps au Tibet pour ses affaires. « Lors de notre dernier contact, il m’a dit que mes parents allaient bien. Mais je n’ai aucune nouvelle de mon frère. Est-il vivant ? Est-il en prison ? Je n’en sais rien… » Séparée de sa famille et de son pays, Pema ne regrette pourtant pas d’avoir tout quitté pour venir s’établir en Suisse.

Bien que douloureuse, la situation d’Uthayanan, 32 ans, est très différente de celle de Pema. Originaire du Sri Lanka,où habitent toujours sa femme et son petit garçon, il est arrivé en Suisse en août 2010 et travaille actuellement comme aide-cuisinier dans le Nord Vaudois. Interview.

Voix d’Exils : Où vit votre famille aujourd’hui?

Uthayanan : Ma femme, mon fils âgé de deux ans et mes beaux-parents habitent Kilinochi, près de Jaffna, la capitale de la province du nord du Sri-Lanka. C’est une petite ville qui a été en grande partie détruite par la guerre.

Êtes-vous régulièrement en contact avec elle?

Habituellement, je téléphone tous les deux jours à ma femme le matin avant de partir au travail et une fois par semaine, nous communiquons à travers Skype. J’ai la chance d’avoir un ordinateur à la maison depuis deux mois. Avant, j’utilisais les ordinateurs de l’espace internet de l’EVAM à Yverdon.

Votre femme a-t-elle facilement accès aux communications là où elle habite ?

A mon arrivée en Suisse, elle habitait la ville portuaire de Trincomalee, où elle avait déménagé après la guerre. J’ai pu la contacter facilement pendant trois mois. A Trincomalee, on trouve les facilités nécessaires pour communiquer en toute sécurité et liberté. Mais, ensuite, ma femme a dû déménager et retourner à Kilinochi où c’est plus compliqué, car elle n’a pas l’électricité pour recharger son téléphone à la maison.

Lorsque vous lui parlez à travers Skype, utilisez-vous une Webcam ?

Je me sens très l’aise avec la webcam. Mais, à cause de problèmes techniques, je ne peux pas toujours l’utiliser alors je me sers du chat vocal. Je ne peux pas chatter par écrit, car je n’ai pas le clavier qui me permet de communiquer dans ma langue : le tamoul.

Et pour votre femme, ça se passe comment ?

Elle n’a pas d’ordinateur à la maison. Le cybercafé dans lequel elle va est toujours plein. Des fois, elle attend plus d’une heure pour avoir accès à un écran.

Quels sont les avantages de communiquer par Internet et de voir ses interlocuteurs ?

La première fois que mon fils m’a vu sur Skype, il ne m’a pas reconnu, il était trop petit. Maintenant, il a presque 2 ans. Quand il me voit, il crie « Appa! » (Papa, ndlr) et il rit.

Racontez-nous une anecdote avec votre fils ?

Un jour, il ne voulait pas manger et ma femme ne savait plus que faire. Elle l’a amené devant l’écran, je lui ai dit qu’il devait manger et il l’a fait. Depuis lors, à chaque fois qu’il refuse de manger, c’est moi qui l’incite à le faire.

Que pensez-vous des espaces internet que met gratuitement à disposition l’EVAM ?

C’est un système qui fonctionne. Mais tout ce que l’on dit peut être entendu par les autres personnes. Comme il n’y a pas de cabine personnelle, il n’y a pas d’intimité.

Arrivez-vous à créer de la proximité grâce à Skype ?

Grâce à Skype et au téléphone, je peux voir grandir mon fils, communiquer avec lui et je maintiens avec ma femme un lien qui reste fort.

Propos recueillis par:

Keerthigan SIVAKUMAR

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils