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Flash infos #185

Source: pixabay.com.

Sous la loupe : Garantir un accès effectif aux droits pour les personnes réfugiées en Suisse / Guerre au Soudan: « L’Union européenne a doublé le montant de l’aide humanitaire pour le Tchad » / Plus d’une personne sur six en Suisse est victime de racisme, en particulier au travail

Garantir un accès effectif aux droits pour les personnes réfugiées

UNHCR, Le 26 janvier 2024

Guerre au Soudan: « L’Union européenne a doublé le montant de l’aide humanitaire pour le Tchad »

Rfi, le 1 février 2024

Plus d’une personne sur six en Suisse est victime de racisme, en particulier au travail

RTS, le 1 février 2024

Ce podcast a été réalisé par : 

Liana Grybanova et Tsering, membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils, ainsi que Malcolm Bohnet, civiliste à la rédaction




Un mur fort de pierres sèches

Les murs de pierres sèches aux Vieux-Prés (Val-de-Ruz). Auteur: Rami Ibrahim, membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d'Exils.

Les murs de pierres sèches aux Vieux-Prés (Val-de-Ruz). Auteur: Rami Ibrahim, membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils.

Au début, je ne pensais pas que j’allais travailler plus de trois jours. Tout ce que je recherchais c’était une expérience et un peu d’exercice physique. Personne ne m’avait prévenu que ce serait une aventure sans fin!

Quand ils nous ont dit que la tâche de notre groupe était de construire 45 mètres de mur, je n’en avais pas cru mes oreilles, car j’avais compris que ce serait 45 km. Je me suis alors demandé quelle était la cause de ce malentendu? Pourquoi j’avais commis cette erreur de compréhension?

Une erreur de traduction

Étant la personne qui est en charge des traductions pour les autres demandeurs d’asile arabophones sur le site, mon erreur de traduction a été transmise à d’autres personnes provenant de Syrie. Ces derniers n’avaient pas été surpris mais, par contre, ils l’ont été quand j’ai corrigé mes propos et les ai informés, qu’en réalité, il s’agissait de la construction d’un mur à raison de trois mètres par jour qui nécessitait le travail d’une dizaine de personnes. En Syrie, ce sont deux ou trois membres d’une famille qui s’occupent d’ériger un mur de 45 mètres, et ils l’achèvent normalement pendant les congés ou des weekends, quand ils n’ont pas de travaux principaux. Selon Monsieur Alban Carron, l’architecte qui a mené notre équipe au cours de la construction du mur, une personne suisse s’attend aussi à ce que plus de 45 mètres de mur puissent être réalisés en trois semaines de travail par une équipe de 9 personnes. Monsieur Carron a parlé d’une tendance de nos jours de faire les choses de façon expéditive en Suisse «C’est un travail qui est un petit peu hors du temps. C’est-à-dire, qu’aujourd’hui, en Suisse et dans les pays européens, on pousse à la productivité, on pousse à la performance: il faut toujours faire plus vite… plus vite… plus vite. Avec la pierre: on ne peut pas courir. C’est lourd, c’est lent, c’est pénible… C’est une pierre après l’autre.»

En effet, ces trois mètres de mur par jour représentaient beaucoup de travail pénible et minutieux que nous avions de la peine à accomplir.

Des murs mésestimés

Plus j’apprenais de détails sur le projet, plus il m’intéressait et piquait ma curiosité. C’était la même sorte de mur que j’avais vu dans la campagne syrienne à chaque fois que je rendais visite à mes grands-parents. Issu d’un milieu urbain, j’avais l’habitude de mésestimer ces murs. Je ne comprenais pas les reproches que m’adressait ma grand-mère lorsque je grimpais dessus. Je ne comprenais pas non plus l’importance des efforts fournis par mon grand-père pour restaurer les quelques pierres qui s’étaient détachées ce, malgré les obstacles tels que la charge pour une jambe abimée, la vieillesse et la lourdeur des pierres. Je dirais que plus j’en savais sur ces murs, plus je découvrais leur importance. Mais, il semble que seules les personnes qui construisent ces murs peuvent les apprécier pleinement. Ils méritent tout notre respect et notre admiration.

L’héritage culturel des murs

A mesure que nous avancions dans le processus de construction, beaucoup de choses évoluaient à l’intérieur de nous et nous avions acquis beaucoup plus que le savoir-faire qu’Alban Carron voulait nous transmettre. Maintenir vivante la technique de construction des murs de pierres sèches, est un des objectifs du projet mené par le Parc régional Chasseral (qui se situe entre Bienne, La Chaux-de-Fonds et Neuchâtel) auquel a collaboré le Service des migrations du canton de Neuchâtel (SMIG). En plus de la découverte de la technique et à la suite de nombreuses consultations des personnes à propos de la signification de ces murs, nous sommes devenus pleinement conscients de l’importance de ce que nous faisions. Ces murs font partie de la tradition de la région. Ils étaient autrefois utilisés pour séparer les champs et les chemins pour les vaches. Chantal Roth, la propriétaire du chantier où nous avons travaillé, pense que ces murs font partie de ses racines. «Dans le monde où on vit actuellement, qui va très très vite avec Internet, les gens réalisent moins de choses avec leurs mains. Les supports matériels comme les livres et les disques ont tendance à disparaître. Il reste de moins en moins de choses matérielles que nos enfants pourront transmettre aux leurs» déplore-t-elle.

Solidaires comme les pierres du mur

Auteur: Rami Ibrahim, membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d'Exils.

Auteur: Rami Ibrahim, membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils.

L’acquisition la plus précieuse dans cette expérience est sans doute le sens de la solidarité dans le groupe multiculturel que nous constituions. Comme nous avons essayé de construire un mur qui résisterait à tous les risques d’effondrement en remplissant ses trous et en cherchant des pierres qui s’emboîtent le mieux, nous nous sommes rapprochés les uns des autres. Nous travaillions avec sympathie, sans l’influence dévastatrice des stéréotypes attachés aux diverses cultures présentes. Ainsi, l’un des participants faisait le maximum pour ne pas vous causer de blessures lorsqu’il plaçait une pierre ou en martelait une autre, un autre essayait de vous convaincre de porter des lunettes pour protéger vos yeux.

Des points de vue suisses sur l’expérience

Indépendamment de notre expérience comme «étrangers», j’ai cherché d’autres réflexions suisses à propos de notre ouvrage. Monsieur Carron a partagé avec nous son expérience personnelle avec les demandeurs d’asile, qu’il comparait avec ses autres expériences. Il nous a confié que cette expérience était très riche pour lui et que, parfois, c’était plus difficile de trouver autant de motivation de la part de ses compatriotes. «Ici, tout se déroulait parfaitement bien. On a eu de la pluie pendant une semaine et demi, on a connu des grosses chaleurs; tout le monde était là, tout le temps et avec le sourire. On voyage; on voyage en Syrie, en Érythrée…on voyage partout. On entend différentes langues. Moi, ça me réchauffe. Et le travail qui a été abattu en trois semaines par notre petite équipe, pour moi, cette expérience a été géniale. Je n’ai jamais pensé que nous arriverions à faire tout ce qu’on a fait là. Alors, quand je vois des personnes qui vivent des situations difficiles et qui, malgré cela, sont là tous les jours, par tout temps, sans se plaindre, sans rien dire et avec le sourire, là je ne peux que m’incliner» conclut-il.

Mme Roth m’a révélée l’importance que cela représentait pour elle que la plus grande partie du travail ait été réalisée par les demandeurs d’asile. Elle en a profité pour faire référence à des questions concernant la question de l’intégration. «Il y a quand même la peur de certaines personnes. On est dans une région où les gens peuvent être racistes. J’espère que si ces gens-là vous voyaient travailler avec le sourire, qu’ils voyaient que vous y donniez tout votre cœur, certains préjugés tomberaient. Il faudrait que les gens d’ici ouvrent un petit peu leurs yeux et leurs oreilles» martèle-t-elle.

La communication cachée

Personnellement, je n’ai pas vécu d’expérience de racisme en Suisse. C’est probablement dû au fait que je sois toujours dans le cercle des personnes qui sont profondément préoccupées par l’intégration, et je dois dire que c’est un cercle énorme et que ces gens sont admirablement tolérants et positifs. Je ne nie pas mon désir de faire passer des messages forts aux Suisses et, dans l’ensemble, ils y répondent de façon positive. Fabio Boffetti, coordinateur des travaux d’utilité publique au sein du Service des Migrations de Neuchâtel, qui est en charge d’offrir du travail temporaire aux demandeurs d’asile, réalise que notre travail de bénévole contredit l’opinion publique suisse selon laquelle les demandeurs d’asile n’ont pas la volonté de travailler. Il a soutenu son idée en se référant au nombre de demandeurs d’asile qui ont réalisé ce travail pour 30 ou 40 francs par jour, ce qu’une personne suisse n’accepterait sans doute pas de faire. Je ne nie pas non plus mon intention de protester contre les bas salaires, au regard de ce travail très difficile et dangereux, mais ce n’est pas mon message principal.

Comment autrement aurais-je pu exprimer mon désir de construire quelque chose alors que tout dans mon pays – la Syrie – tout est détruit? Comment autrement pourrais-je attirer l’attention sur le fait qu’il existe des forces qui nous empêchent de construire notre propre pays? Comment pourrais-je souligner le fait que la volonté de faire des réformes sociales, économiques ou politiques dans certains pays est considérée comme un crime. Néanmoins, Fabio et d’autres fonctionnaires nous ont soutenus en nous offrant plus de travail et en nous proposant de rejoindre et de soutenir l’équipe des personnes handicapées de la Fondation St-George à Yverdon-les-Bains.

Une expérience très riche

Un apéritif chez Mme Chantal Roth. Auteur: Chantal Roth.

Un apéritif chez Mme Chantal Roth. Auteur: Chantal Roth.

Malgré mon enthousiasme, j’ai du mal à écrire à propos de cette merveilleuse expérience. Cette expérience a été très importante pour moi et un article ne suffirait pas à la couvrir. Il est impossible de raconter tous ces souvenirs, blagues, chansons et moments de joie partagés. Je ne peux oublier l’image de Mme Roth venant nous apporter un bol de soupe les jours de pluie. Rien ne peut effacer le souvenir de ce groupe international vêtu de jaune et travaillant sous la pluie. Le même groupe s’est réuni une autre journée ensoleillée dans le jardin de Mme Roth. Tous ces souvenirs et bien d’autres ont eu lieu grâce à ce mur. Ce mur a enchâssé nos souvenirs et il est le symbole de notre solidarité. Ces pierres de différentes tailles reflètent notre diversité en termes de cultures et de personnalités.

En conclusion, nous avons construit un mur solide qui nous ressemble, et nous sommes à la fois heureux et fiers de l’avoir construit dans un pays multiculturel où nous ferons de notre mieux pour renforcer la cohésion et la solidarité.

Ibrahim, Rami

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils




«En Suisse, nous essayons de favoriser une approche pragmatique de l’accueil des migrants»

Gabriela Amarelle, déléguée à l’intégration de la Ville de Lausanne. Photo: Voix d'Exils

Gabriela Amarelle, déléguée
à l’intégration de la
Ville de Lausanne. Photo: Voix d’Exils.

Le Bureau lausannois pour les immigrés (le BLI) vient de reprendre son nom d’origine et d’abandonner son ancienne appellation : le Bureau lausannois pour l’intégration des immigrés. L’occasion d’ouvrir une réflexion autour des pratiques helvétiques d’accueil des migrants en compagnie de Gabriela Amarelle, déléguée à l’intégration de la Ville de Lausanne. Interview.

Voix d’Exils : Le Bureau lausannois pour les Immigrés, ex Bureau lausannois pour l’intégration des immigrés, a repris son nom d’origine, pour quelle raison ?

Gabriela Amarelle : Le terme d’intégration, fortement controversé, a toujours contenu de nombreuses ambiguïtés, notamment quand son acception se limite à servir d’euphémisme pour « assimilation ». Pour tenir compte de notre approche inclusive, qui ne fait pas porter la responsabilité de l’intégration uniquement sur les immigrés, la Municipalité a décidé tout récemment de revenir à l’appellation d’origine, à savoir « Bureau lausannois pour les immigrés ». Cette appellation a pour avantage de mettre en avant l’effort investi par la collectivité lausannoise pour combler les inégalités qui persistent dans tous les domaines de la vie quotidienne à l’égard de la population migrante, tout en gardant la dénomination et l’abréviation connue depuis plus de quarante ans.

Le BLI a pour mission de favoriser l’intégration des étrangers. Comment définissez-vous « l’intégration » ?

Dans la Loi fédérale sur les étrangers, elle est définie comme un « processus réciproque » entre les personnes qui arrivent en Suisse et la société d’accueil. La promotion de l’intégration, selon l’Office fédéral des migrations, vise un accès égal aux ressources sociales, politiques et économiques disponibles dans notre société, afin de pouvoir participer pleinement à la société et à ses prises de décisions. Cette définition, largement consensuelle aujourd’hui, implique que l’intégration nous concerne toutes et tous, immigrés et autochtones. L’intégration constitue, dès lors, un enjeu majeur en matière de cohésion sociale.

Quelles sont les actions et les mesures entreprises par le BLI pour intégrer les migrants ?

Les mesures mises sur pied par le BLI pour favoriser l’égalité des chances visent premièrement à orienter sur les thèmes liés à la migration : cours de français, formation, travail par exemple. Nous avons développé, en collaboration avec les services communaux concernés, un ambitieux programme d’accueil destiné justement aux personnes nouvellement arrivées. L’information et la formation sont également au coeur de l’action du BLI car, de notre point de vue, il est essentiel de favoriser l’accès aux prestations. Le BLI met également sur pied des mesures destinées à prévenir le racisme et contribue à favoriser la participation citoyenne sous toutes ses formes, par exemple, en favorisant la vie associative et de quartier et en informant sur les droits politiques. En tant qu’organe de l’administration communale, notre rôle est aussi de sensibiliser à l’interne de l’administration sur ces thématiques.

La politique d’intégration, telle quelle s’est développée en Suisse, est-elle, selon vous, efficace pour créer une coexistence harmonieuse entre les étrangers et les autochtones ?

La Suisse est un pays fédéraliste. La définition d’une politique publique requiert, en Suisse plus qu’ailleurs, le respect des partenaires et une implication réelle de ceux-ci. La force du modèle helvétique est que chaque niveau étatique – Confédération, cantons, communes – est important et contribue, dans l’idéal, à la définition de la politique d’intégration. Bien sûr, il peut y avoir de fortes divergences sur le plan politique, et aussi en matière d’enjeux financiers entre tous les partenaires. La recherche du compromis helvétique n’est pas un mythe… et cela prend du temps, de la patience, de l’énergie. Dans un système tel que le nôtre, avec un enchevêtrement parfois complexe des compétences, l’approche est forcément pragmatique. Cela implique, aussi en matière de politique d’intégration, des réponses concrètes plurielles selon les régions. Je crois qu’à l’heure actuelle, il n’y a pas une seule politique d’intégration en Suisse. Car les contextes régionaux dans lesquels nous vivons, ont un impact réel sur les politiques locales d’intégration. La proximité peut être un atout.

Quelles sont les principales difficultés que rencontrent les migrants dans le processus d’intégration ?

La population migrante, tout comme la population suisse, est fortement hétérogène. Chaque parcours est différent. Si l’on essaie de parler globalement, les obstacles les plus récurrents sont dus au statut juridique des personnes, et les difficultés liées à l’obtention ou non d’un permis de séjour. Pour les ressortissants hors de l’Union européenne, notamment, il est particulièrement difficile d’obtenir un travail. Et bien sûr, pour apprendre le français, nous ne sommes pas, là non plus, tous égaux !

Quels sont les autres modèles de politiques publiques permettant cette coexistence harmonieuse entre les étrangers et les autochtones ?

On me demande souvent si en Suisse, nous sommes plus proches du modèle français ou du modèle britannique … Je crois qu’en Suisse nous nous méfions des modèles et que nous essayons de favoriser une approche pragmatique, avec l’ambition, sans y arriver parfois, de prendre du bon dans chacun des systèmes. A Lausanne, et certainement aussi du côté de la Suisse romande en général, nous essayons de conjuguer le respect des valeurs citoyennes – telles le principe d’égalité de traitement et l’égalité entre hommes et femmes -, et le respect de la personne qui nous fait face dans son individualité. Identifier ce qui nous rassemble, plutôt que ce qui nous différencie, est aussi une piste pour échapper au communautarisme.

Propos recueillis par :

Samir

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos :

Rendez-vous sur le site du BLI en cliquant ici




Migrantes : de l’ombre à la lumière*

Source: http://www.flickr.com/creativecommons/by-nc-2.0/

Depuis les années soixante, un migrant international sur deux est une migrante. Mais, invisibles, les femmes migrantes marchent à l’ombre. Peu à peu, pourtant, elles apparaissent en pleine lumière car, si leur part est stable, la nature de la migration féminine a changé. Les migrantes ne sont plus seulement épouses, mères ou filles de migrants, mais artisanes de leur propre vie.

 

 

Une réalité qui « crève les yeux » depuis longtemps commence enfin à être prise en compte. Si, en 1960, les femmes étaient 47%, cinquante ans plus tard, sur les 214 millions migrants internationaux, leur pourcentage s’établit à 49%. « Mais ce n’est pas tant cette petite différence quantitative qu’il faut relever, que la différence qualitative », souligne William Lacy Swing, directeur général de l’Organisation Internationale des Migrations (OIM) à Genève.

 Pourquoi des millions de femmes quittent-elles un pays, une culture, une famille ?

La plupart, pour les mêmes raisons que les hommes : la pauvreté – elles sont souvent pauvres parmi les pauvres –, un horizon sans espoir d’amélioration à l’échelle d’une vie, l’impossibilité d’assurer un avenir à leurs enfants et, bien sûr, les conflits, discriminations, persécutions. Selon l’OIM, l’importance de la migration féminine varie selon les régions, mais les flux migratoires d’Asie du Sud-est, d’Europe centrale et d’Amérique latine à destination des Etats-Unis, de l’Europe et du Moyen-Orient sont à prédominance féminine.

Les femmes ont toujours migré. Mais l’image de la femme qui suit ou rejoint son mari, dans le cadre du regroupement familial par exemple, doit être corrigée. « Seules ou cheffes de famille monoparentale, elles migrent désormais pour  prendre leur destin en mains. Aujourd’hui, elles s’autonomisent et deviennent actrices de leur propre vie et de la société», affirme William Lacy Swing. Le stéréotype de la femme « suiveuse » n’est donc plus approprié tant les exemples contraires se multiplient. Derrière ces monstres froids que sont les chiffres, il y a des personnes debout qui résistent au modèle qui leur est proposé, luttent au jour le jour, travaillent, se prennent en charge, s’engagent dans des actions collectives, vivent et meurent dans les combats dont elles sont partie prenante.

Les routes de tous les dangers

Bien sûr, même volontaire, la migration reste une déchirure et un traumatisme. Elle n’est bien souvent pas un libre choix, puisque, sur la carte du monde, elle suit la ligne de situations de misère ou de violences qui dépassent les individus. De plus, les dangers que courent les migrantes sont bien plus graves que ceux auxquels sont exposés les migrants.

Sur les routes migratoires, tout d’abord. Souvent irrégulière, la migration expose les femmes à un risque élevé de mauvais traitements et de violence physique et sexuelle, de la part des passeurs, des forces de police et des migrants eux-mêmes. Proie des réseaux de traite d’êtres humains, bien des femmes vivent un véritable calvaire, « parfois elles n’arrivent tout simplement pas à destination ». On rappellera que, dans le monde, deux millions et demi de personnes sont dans une situation d’exploitation liée à la traite. Les deux tiers sont des femmes.

L’autre risque de taille qui les condamne à une « double peine », en tant que femme et en tant que migrante, est celui qu’elles courent dans le pays d’accueil : préjugés et discriminations entraînent souvent une « déqualification » professionnelle et entravent durablement leur développement. Alors que bon nombre d’entre elles sont des travailleuses qualifiées, des entrepreneuses, des étudiantes, des scientifiques, des artistes ou des intellectuelles, leurs compétences ne sont pas reconnues. Elles se retrouvent reléguées dans des travaux sous qualifiés : entretien, services hôteliers ou hospitaliers ou petite industrie.

Et c’est la porte ouverte à l’exploitation éhontée, aux salaires de misère, au manque de protection sociale ou juridique, à l’accès déficient à la santé. Un sort qui entraîne des conséquences psychosociales individuelles et familiales : sentiment de dévalorisation et d’échec qui engendre des formes de renoncement et de dépression, ce qui conforte les stéréotypes tenaces de la femme passive.

Actrices du développement

C’est peu dire que l’apport de ces femmes n’est pas assez reconnu. D’une part, d’un point de vue économique et de développement pour la société d’origine. Les données de la Banque Mondiale révèlent que les transferts de fonds des migrant.e.s vers leurs familles représentaient 440 milliards de dollars en 2010 et que la contribution des femmes est souvent plus importante et plus régulière que celle des hommes. Et le Directeur général de l’OIM de rappeler leur rôle considérable dans la santé et l’éducation des familles restées au pays. Il insiste aussi sur le fait que « les idées, les attitudes, les compétences, les échanges sociaux que ces femmes maintiennent avec leur communauté d’origine stimulent le développement ». Un autre apport, c’est, sous leur impulsion, une redistribution des rôles, une évolution des rapports sociaux et une réduction des inégalités entre femmes et hommes. Les esprits s’ouvrent, les stéréotypes craquent sous toutes les coutures, les perceptions des uns et des autres se modifient.

D’autre part, pour les sociétés de destination. William Lacy Swing relève que les femmes migrantes « sont souvent employées dans des secteurs qui correspondent à des besoins de nos sociétés, tels que les soins à la personne. Quant à la cohésion sociale, elles y contribuent fortement, puisqu’elles sont souvent investies de la responsabilité de faciliter l’intégration des membres de la famille ». On ajoutera leur engagement dans le tissu associatif et la création de réseaux d’entraide et de formation.

La fin de l’invisibilité

C’est une question de temps. Un jour, les femmes migrantes ne seront plus « objet » d’étude, mais actrices. En se réappropriant la parole, notamment dans le débat sur la migration et en refusant l’enfermement dans l’image de victime démunie ou, selon les expressions consacrées, dans le piège de « gardienne de la tradition » ou de « garante de l’intégration ». Mais pour que cela ne reste pas un vœu pieux, « les gouvernements doivent tout mettre en œuvre pour que les femmes aient accès à des canaux migratoires légaux et sûrs. Ce n’est qu’à cette condition que leurs droits fondamentaux seront garantis à toutes les étapes du processus migratoire » martèle William Lacy Swing. « Ils doivent renforcer des lois existantes, mais inefficaces et assouplir les conditions de l’asile, comme la liberté de mouvement, par exemple». Et de prédire : «L’avenir, c’est inévitable, est à l’identité multiple. Ce sera la règle plus que l’exception et les êtres humains du XXIème siècle se retrouveront autour de valeurs communes plus que d’identité nationale ou ethnique. ».

Jacqueline ALLOUCH

journaliste et enseignante

*Article initialement publié dans « AMNESTY », le magazine de la section suisse romande d‘Amnesty International, N° 68 de mars 2012.