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« La situation est devenue ingérable dans les camps kenyans de Dadaab»

Julien Rey. Photo: Hochardan

Situé à la frontière entre le Kenya et la Somalie, Dadaab est le plus grand complexe de camps de réfugiés du monde. Peuplé de plus de 400’000 réfugiés somaliens – alors qu’il était initialement prévu pour 90’000 personnes – sa construction date du début des années 90 et est la conséquence de l’éclatement de l’Etat somalien et du début de la guerre civile. En automne 2011, Médecin Sans Frontière (MSF) a organisé un projet de reportage sous la forme d’une bande dessinée intitulée « Out of Somalia » qui retrace le quotidien de quelques-uns de ses habitants. Interview de Julien Rey qui travaille au sein du département communication de MSF à Genève et qui a accompagné les auteurs de la BD lors d’un séjour dans ces camps.

Voix d’Exils : Quelles sont les motivations qui vous ont conduit à réaliser cette BD ?

La BD est un medium qui est devenu très à la mode aujourd’hui. Ce projet est né parce que MSF est présent au Fumetto, un festival de bande dessinée à Lucerne qui a lieu chaque année au printemps. La BD « Out of Somalia » a mis près deux ans avant de paraître et notre volonté est de commémorer cette année le vingtième anniversaire des camps de Dadaab. Le but est aussi de communiquer d’une manière différente et de toucher un public large afin de sensibiliser des gens qui ne sont pas forcément en contact avec ce genre d’informations au quotidien.

Le projet a donc débuté en automne 2010, lorsqu’on a décidé de réaliser un reportage illustré sur les camps de réfugiés de Dadaab au Kenya, afin de parler la crise somalienne d’une manière indirecte. A cette fin, MSF a donc pris contact avec deux dessinateurs zurichois : Andrea Caprez et Christoph Schuler. Durant le mois de février 2011, on a organisé une visite du camp. D’abord, ce livre est paru en allemand et en français au printemps 2012. La version anglaise est sortie après et a été distribuée au Kenya à l’occasion de la journée des réfugiés la même année.

 

Quel est le message que vous voulez faire passer à travers cette BD ?

Notre message est de dire au monde : regardez la réalité des camps de Dadaab qui représentent la plus grande concentration de réfugiés au monde, où l’on ne voit toujours pas de solutions qui se profilent, alors que le camp a plus de vingt ans. En effet, lorsque ces camps ont été créés dans les années 90, ils étaient destinés à accueillir 90’000 réfugiés. Aujourd’hui, l’on en compte près d’un demi million. D’où notre message d’alerter le public, car la situation est devenue ingérable aujourd’hui. On parle souvent des réfugiés en Suisse, malheureusement plutôt d’une façon négative. En collaboration avec ces dessinateurs, nous avons aussi la volonté de présenter la réalité à laquelle ces personnes sont confrontées, avant que quelques unes d’entre elles aient la possibilité de se rendre en Europe.

 

Pourriez-vous décrire, de manière générale comment vivent les réfugiés dans les camps de Dadaab depuis vingt-ans ?

Le camp de Dagahaley, où MSF travaille et que nous avons visité à Dadaab, est un camp où il n’y a ni barbelés, ni barrières, ni murs. C’est une sorte de petite ville qui fonctionne en vase clos. Avec Hagadera, Ifo, Ifo 2 et Kambios, ces camps représentent la troisième « ville » du Kenya. Les gens sont libres d’aller et de venir autour des camps et certains retournent même en Somalie et reviennent ensuite. On peut classer grossièrement les réfugiés en deux groupes : ceux qui s’y sont installés depuis longtemps et ceux qui viennent d’arriver. Le premier groupe s’est installé et a construit des maisons en terre. On voit aujourd’hui l’arrivée de la nouvelle génération qui est née dans les camps. Ils n’ont pas un avenir enviable et les jeunes sont dans un état de désœuvrement total. Le deuxième groupe, composé des nouveaux arrivants, s’installe en bordure des camps et là on voit l’arrivée de familles fatiguées, épuisées qui fuient le conflit somalien et la sécheresse. Ils sont démunis et n’ont rien, hormis le peu de choses qu’ils ont pu ramener de Somalie. Le trajet qui les mène aux camps se fait rarement sans problèmes, avec notamment des agressions. Les points d’eau étant inexistants dans la zone des nouveaux arrivants, l’on peut voir des petits enfants qui traînent des bidons de 20 litres sur plusieurs centaines de mètres, et cela plusieurs fois par jour. On y voit aussi des gens en très mauvaise santé. Par exemple, nous avons rencontré une famille dont le père, la mère et les enfants étaient tous malades dans un état catastrophique.

 

Pensez-vous qu’avec ce travail vous avez vraiment réussi à refléter la réalité comme elle est sur le terrain ?

La réalité est multiple. Notre ambition n’est pas de montrer toute la complexité de ces camps. Notre but est de présenter le quotidien de ces réfugiés et de mettre en évidence le travail de MSF. Nous avons plutôt montré des petits flashs pris à droite et à gauche sur certains aspects, certaines personnes, pour donner un aperçu de moments de la vie là-bas. Donc, loin de nous l’idée de faire un reportage exhaustif.

 

Quels sont vos futurs projets ? Allez-vous revenir dans ce camp ou vous rendre à nouveau en Somalie pour enrichir votre travail ?

MSF travaille depuis 30 ans en Somalie dans des conditions qui sont toujours très difficiles, pour nos équipes et surtout pour la population somalienne et je rêve qu’un beau jour, la situation en Somalie s’améliore. On ne va pas tout de suite refaire une bande dessinée sur les camps de Dadaab, vu qu’on vient d’en faire une. On envisage plutôt de traiter d’autres thématiques qui sont intéressantes pour MSF, telle que la lutte contre le SIDA.

Propos recueillis par Hochardan.

Hochardan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Infos :

BD onlinede MSF « Out of Somalia » réalisée par Andrea Caprez et Christoph Schulerau. Cliquez ici

Médecins Sans Frontières (MSF)

Médecins Sans Frontières (Suisse)

Médecins Sans Frontières (projets au Kenya)