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Les espoirs que nourrissent les nouveaux arrivants

Image: Gorgi, membre de la rédaction vaudoise de Voix d'Exils.

Image: Gorgi, membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils.

Voix d’Exils s’est rendu à Vallorbe, dans le local d’Aravoh (Association auprès des requérants d’asile de Vallorbe, œcuménique et humanitaire), aussi appelée « Mama Africa ». La rédaction vaudoise y a rencontré trois requérants d’asile, arrivés depuis peu en Suisse, pour sonder les espoirs qu’ils nourrissent en arrivant sur le sol helvetique. Ces personnes séjournent au Centre d’enregistrement et de procédure (CEP) de Vallorbe.

Image: Gorgi, membre de la rédaction vaudoise de Voix d'Exils.

Image: Gorgi, membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils.

Mamadou, Chauffeur, 23 ans

« Je m’appelle Mamadou et je viens du Sénégal. J’ai quitté mon pays en 2014. Là-bas, je travaillais en tant que chauffeur. Je suis venu en Suisse, car on parle le français mais également l’italien et le suisse allemand. Ainsi, je peux parler français ici sans problème. De plus, en Suisse, il y a la sécurité, on respecte les gens. Ici c’est mieux.

Je suis parti du Sénégal à cause de problèmes que j’avais avec ma famille. Ici c’est mieux, c’est bien. J’avais pensé aller en Libye, mais il y avait la guerre là-bas. Ici c’est mieux. Pour venir en Suisse, j’ai dû traverser la mer en pirogue, ce n’est pas bon. La Suisse aide beaucoup les migrants, car elle nous donne un hébergement quand on arrive et de l’argent comme argent de poche. Je n’ai jamais vu cela dans un pays d’Afrique. Il n’y a rien qui me déplaise ici en Suisse. De plus, j’aime bien venir à Mama Africa, les gens nous accueillent bien, nous offrent du café, du lait, nous avons accès à internet et nous pouvons nous faire des amis. Cela change la vie.

Maintenant, ma situation s’est améliorée, elle est devenue bonne. C’est-à-dire qu’avant c’était difficile pour moi. En Libye, on t’emprisonne et si tu ne paies pas, tu ne peux pas sortir. Ici, on ne t’emprisonne pas, on te donne à manger et si tu veux aller te promener en ville, tu peux y aller sans problème. Pour le futur, je me vois rester en Suisse et travailler, peut-être comme chauffeur. »

Image: Gorgi, membre de la rédaction vaudoise de Voix d'Exils.

Image: Gorgi, membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils.

Hassan, caissier, 32 ans

« Je m’appelle Hassan et je suis d’origine turque. Dans mon pays, je travaillais dans un magasin comme caissier. Comme j’avais des problèmes là-bas, je suis directement venu en Suisse, car j’ai de la famille ici. Ils sont venus avant moi, ici en Suisse. Ils ont d’abord déposé une demande d’asile, puis ils ont obtenu leur permis B. J’ai donc ma mère, ma sœur, ma cousine, qui fait un apprentissage et mon frère qui étudie à l’Université de Lausanne. Mais moi non, j’ai toujours des problèmes. Je n’ai pas de chance.

J’ai une bonne image de la Suisse, cependant je trouve que parfois certaines personnes de Vallorbe sont un petit peu racistes. Moi je suis gentil, je dis « bonjour, ça va? » mais les gens sont un peu méchants. Les agents de sécurité ne sont pas gentils. Je leur dis que je ne suis pas en prison, mais que je suis demandeurs d’asile, c’est différent. Mais autrement, il y a de la sécurité en Suisse, notamment grâce à l’assistance que nous pouvons recevoir.

Cela fait 50 jours que je dors à Vallorbe. Je me sens un peu comme en prison. Le matin, nous partons à 5h, nous mangeons et nous rentrons dormir. Nous ne faisons pas d’activités, nous ne travaillons pas.

C’est ma deuxième demande d’asile. Je suis arrivée la première fois à Vallorbe et j’ai été transféré dans un autre canton, car j’avais des problèmes psychologiques et je devais aller à l’hôpital. Suite à cela, j’ai reçu une réponse négative concernant ma demande d’asile. Je suis donc rentré dans mon pays, puis je suis revenu en Suisse.

Je trouve que la Suisse est bien, il y a un bon système social, il y a du travail et de l’argent. La Suisse est originale et culturelle, il y a des Espagnols, des Italiens, des Portugais et des Arabes. Cela dit, si je n’avais pas eu de problèmes en Turquie, je ne serais pas venu en Suisse. J’ai laissé ma famille là-bas: ma femme et mon fils. Cela fait cinq ans que je ne les vois pas. Il y a toujours des problèmes. Je n’ai pas de chance. Ici j’ai des difficultés à trouver du travail. Si je n’obtiens pas de papiers, je ne trouverai pas de travail et je n’aurai donc pas d’argent. C’est une question de chance.

Pour le futur, j’aimerais avoir une réponse positive pour ne plus avoir de problèmes. Inch’Allah. Si je l’ai, je rentrerai dans le système, je travaillerai et payerai mes factures. Mais sans permis B, j’aurai toujours des problèmes. Je n’ai jamais été en prison, je ne vole pas et j’ai toujours travaillé et payé mes factures. »

Image: Gorgi, membre de la rédaction vaudoise de Voix d'Exils.

Image: Gorgi, membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils.

Fares, adjoint dans une entreprise de pêche, 21 ans

Je suis Fares et je suis né en 1994. Je suis algérien et cela fait 15 jours que je suis en Suisse. En Algérie, j’étais adjoint du directeur d’une entreprise qui travaille dans le domaine de la pêche.

Lorsque j’ai quitté mon pays, je suis d’abord parti en Turquie, puis en Grèce. Ensuite, je suis allé en Macédoine, en Serbie, en Hongrie, en Autriche, en Italie, en France et enfin en Suisse. Si ma demande d’asile n’est pas acceptée ici, je devrai retourner en Autriche, car c’est là-bas que j’ai déposé ma première demande d’asile.

Je trouve que la Suisse est un beau pays, la vie ici est bonne, on a des droits et on a toutes les choses que l’on veut. Mais le problème, c’est qu’ici on ne donne pas l’asile aux Algériens, aux Marocains et aux Tunisiens. On le donne plutôt aux Africains ou aux Syriens, car leurs pays sont en guerre. Avant la Suisse, je suis allé en France et en Italie, mais ce ne sont pas de bons pays selon moi, car la situation des gens là-bas est mauvaise. Je suis également allé en Autriche, où la situation économique ressemble à celle de la Suisse même si, malgré tout, la Suisse reste meilleure. Cependant, en Autriche, on parle l’allemand, c’est pour cela que je suis venu ici, car je ne pouvais pas discuter avec les gens. De plus, si j’avais voulu travailler, je n’aurais pas réussi à parler allemand.

Je trouve que la Suisse est un pays très beau, les gens sont gentils, mais il y a un peu de racisme ici. Les gens n’aiment pas les Arabes, car quelques-uns volent ou causent des problèmes, mais pas tous les Arabes sont comme cela. C’est ça le problème.

Quoi qu’il arrive, je garde espoir de recevoir des papiers. Si j’obtiens le permis B je resterai ici, je travaillerai et peut-être je ramènerai ma famille qui est restée au pays. Pour la suite, j’aimerais bien travailler dans la mécanique, car il n’y a pas de mer ici.

La rédaction vaudoise tient à remercier Hassan, Mamadou et Fares pour leurs témoignages. Lors de notre visite, nous avons fait face à certaines personnes craintives et méfiantes. La majorité des personnes ont refusé de répondre à nos questions, certaines parce qu’elles ne parlaient pas le français, et d’autres parce qu’elles avaient peut-être peur que cela influence de manière négative leur procédure d’asile. Ceci dit, nous comprenons tout à fait ces attitudes, car ce doit être difficile de raconter son histoire à des inconnus.

Isabelle et Lusine

Images : Gorgi

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos

Lire aussi « Un café au goût unique », article publié dans Voix d’Exils le 21 octobre 2010

 

 

 

 

 

 




Le bonheur après la souffrance


 

En Afghanistan

Farzana et Rahmat se connaissent par lien familial depuis leur plus tendre enfance. Ils sont cousin et cousine. Selon les coutumes en vigueur dans certaines ethnies en Afghanistan, les familles, dès l’enfance, décident du futur époux ou de la future épouse de leurs enfants.

Quand l’enfant devient adulte, en âge de comprendre, peut survenir le problème de l’acceptation ou du refus de la décision paternelle.

Ce fût le cas pour Farzana et Rahmat qui s’étaient jurés de se marier un jour car ils s’aimaient depuis toujours.

Ils avaient respectivement 18 et 21 ans quand ils apprirent que le père de Farzana lui avait choisi un époux en la personne d’un homme de 50 ans son aîné mais très riche.

La date du mariage était déjà prévue. Quelques jours avant, Farzana dû se rendre au magasin avec son futur mari pour faire des achats. Elle réussit à lui fausser compagnie et appela Rahmat à son secours. Ce dernier est venu la chercher puis ils se sont cachés chez un ami pendant un mois et demi, tout en organisant leur fuite hors du pays. C’était en 2005.

Petite précision : le papa de Farzana étant décédé quand elle était petite, sa mère s’était remariée et c’est son beau-père qui avait organisé ce mariage propre à leurs coutumes.

Rahmat continue à vivre normalement, à travailler en tant que carrossier, à voir sa famille et rejoint chaque soir Farzana.

Après un mois et demi, ils quittent l’Afghanistan en voiture pour le Pakistan sans difficulté. Ils n’ont pas de passeports. Mais, avec un peu d’argent, ils réussissent à passer le contrôle de la frontière !

Au Pakistan

Rahmat s’était déjà rendu à Pechawar, ville du Pakistan, quelques années auparavant seul. Donc, il connaissait déjà un peu la région.

Ils se sont rendus dans une agence pour trouver un appartement. Beaucoup d’Afghans vivent dans ce pays. Ils ont rencontré quelques personnes dont un monsieur qui y vivait depuis longtemps. Parlant très bien leur langue et travaillant aussi comme carrossier, il a proposé à Rahmat de venir travailler avec lui pour le même patron.

Durant quatre ans, ils vivent tranquilles et fondent une famille. Ils ont deux enfants. Pourtant, un jour, tout bascule. La mère de Farzana étant décédée, son beau-père et le « mari abandonné » paient des individus pour se rendre au Pakistan. Ils surveillent Rahmat pour découvrir l’endroit où il travaille, mais surtout pour savoir où ils vivent. Il semblerait que parmi les Afghans qui vivaient autour d’eux, certains devaient connaître la famille de Rahmat et de Farzana et c’est ainsi qu’ils auraient retrouvé leur trace.

Ces hommes se sont présentés à la porte de leur appartement, à la nuit tombante, ont agressé Rahmat qui s’est défendu du mieux qu’il a pu. Pendant ce temps Farzana se cachait avec les enfants. Vu les cris qui résonnaient, les autres habitants de l’immeuble ont volé à leur secours et appelé la police. Du coup, ces hommes ont pris la fuite. Pour le reste de la nuit, une voisine a caché la famille chez elle. Elle leur conseillera de se rendre dans une autre ville où les passeports sont faciles à falsifier pour pouvoir quitter le pays au plus vite.

Ils pensent rejoindre la Suisse car ils ont de la famille qui vit là depuis plus de 10 ans, mais sans savoir dans quelle ville elle réside.

Afin de pouvoir fuir le Pakistan et surtout payer leur passage, ils vont se défaire de tous leurs biens : meubles, voiture et bijoux. Le prix de leur liberté s’élève à 30’000 dollars. Impressionnant !

La personne qui leur fait les faux documents d’identité leur conseille de ne pas voyager ensemble, et suggère que Farzana parte en premier avec les enfants.

Le voyage est organisé par « l’homme aux passeports » (le passeur). Toutes les informations leur sont données y compris quoi faire au moment d’éventuels contrôles policiers.

En Turquie et en Grèce

Première étape, la Turquie, pays de transit. Farzana y atterrira avec ses deux enfants. Suivra une marche de huit heures en direction de la frontière « Turquie-Grèce ». Durant le chemin, juste après la frontière, la police grecque les découvrira ainsi que toutes les personnes ayant fait le même voyage. On prendra leurs empreintes et au matin ils seront libres et en possession d’un document les autorisant à vivre en Grèce pendant un mois. Farzana y restera six mois et rejoindra la Suisse en voiture, passant par les Balkans. Après trois jours de voyage très pénibles, en particulier pour les enfants, ils arriveront au Centre d’enregistrement et de procédure (CEP) de Vallorbe. Jusque là, Farzana n’aura aucune nouvelle de son mari.

Rahmat, quant à lui, quittera le Pakistan environ une semaine après Farzana. Il arrivera en Turquie, y restera un mois, puis passera la frontière et rejoindra la Grèce par bateau. Il continuera à pied puis en voiture lorsqu’il rencontrera, lui aussi, la police grecque…même scénario que pour Farzana. Il restera environ sept mois en Grèce et quittera ce pays à bord d’un camion avec d’autres personnes dans la même situation que lui.

Le voyage durera environ trois jours jusqu’en Italie, puis se poursuivra en voiture jusqu’à Vallorbe.

En Suisse

Après deux semaines à Vallorbe, Farzana sera transférée dans le canton de Neuchâtel, au centre de 1er accueil de Fontainemelon. Elle y arrivera complètement désespérée, n’ayant toujours aucune nouvelle de son mari, pensant qu’il a été tué par sa famille.

Rahmat devra attendre 14 jours pour sa première audition à Vallorbe et découvrir enfin que sa femme et leurs deux enfants se trouvent à Fontainemelon où il les rejoindra quelques jours plus tard.

Pour conclure, c’est avec une vive émotion que j’ai partagé la joie de leurs retrouvailles en compagnie de tout le personnel d’encadrement du centre de 1er accueil.

Ce bonheur qui ne tenait qu’à un fil…

Au milieu de tellement d’autres drames, une belle histoire qui se termine bien.

Arezu

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils