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Le quotidien avec un « papier blanc »

Niangu Nginamau. Photo: Eddietaz / Voix d’Exils.

Interview de Niangu Nginamau

Suite à une double décision négative, les demandeurs d’asile déboutés du canton de Vaud reçoivent un document administratif appelé « papier blanc » qui devient leur seule pièce d’identité. 589 déboutés de l’asile faisaient l’objet d’une décision de renvoi dans le canton de Vaud le 31 mars 2018. Pour en parler, la rédaction vaudoise de Voix d’Exils a invité Niangu Nginamau, ancien membre de la rédaction de Voix d’Exils, en Suisse depuis 21 ans, débouté de l’asile depuis sept ans, à l’occasion du Grand Direct de Radio Django du 20 novembre 2018.

Une émission à écouter ici (dès 5 minutes sur le player)

L’aspect juridique du sujet sera abordé lors du Grand Direct du 18 décembre avec une interview de Chloé Bregnard, juriste, responsable du Saje – Service d’aide juridique, un projet de l’Entraide Protestante.

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Mamadi Diallo (à gauche) et Omar Odermatt (à droite). Photo: Eddietaz / Voix d’Exils

 

Niangu Nginamau (à droite) et Claudia Pessina (à droite). Photo: Eddietaz / Voix d’Exils

 

 




Berne et Dublin tétanisent les requérants d’asile

Courrier du Secrétariat d'Etat aux migration annonçant que la Suisse est responsable du traitement de la demande d'asile du recourant. Par conséquent, la procédure d'asile sera poursuivie en Suisse.

Courrier du Secrétariat d’Etat aux migration annonçant que la Suisse est responsable du traitement de la demande d’asile du recourant. Par conséquent, sa procédure d’asile sera poursuivie en Suisse.

Venus de divers horizons, certains demandeurs d’asile du Canton de Vaud sont accueillis dans des abris de protection civile (abris PC). Les pensionnaires de ces « bunkers », généralement adultes, sont encore visiblement marqués par les stigmates de leurs voyages difficiles. Loin d’être sorti de l’auberge, un fait nouveau vient s’ajouter à leurs inquiétudes : la réception quotidienne de courriers administratifs. Parmi ces plis, ceux estampillés « Berne » génèrent une véritable psychose dans les centres d’accueils.

De Vallorbe aux abris PC

Dans le Canton de Vaud, le centre d’enregistrement et de procédures (CEP) de Vallorbe reste, parmi d’autres, un lieu de passage obligatoire. Ce centre est célèbre pour les migrants qui cherchent la protection de la Suisse contre les persécutions politiques dans leurs pays. Certains y passent même trois mois pour les besoins des interviews sur leurs motifs d’asile.

Après les transferts dans les cantons d’attribution, la déception se lit toujours sur les visages une fois arrivés dans les abris souterrains. Une nouvelle vie commence, mieux que celle dans les CEP, mais moins attrayante que dans un lieu d’habitation normal. Le séjour prolongé dans les abris PC est unanimement décrié par les requérants d’asile à cause des mauvaises conditions d’aération et d’hygiène. Surtout en période estivale où on assiste souvent à l’accroissement du nombre de pensionnaires dû aux entrées massives de migrants en Suisse. Une chaleur infernale change l’atmosphère des lieux, d’où la fréquence de rixes et de mouvements d’humeurs.

En sus de toutes ces considérations sur l’accueil, un autre facteur s’invite dans cette angoisse qui ne cesse de saper leur moral : la réception quasi quotidienne de correspondances administratives. Pour cela, deux noms hantent le sommeil des demandeurs d’asile : Berne et Dublin.

La sentence Dublin

Dans les abris PC, l’anxiété rôde tous les soirs, aux heures d’ouvertures (18 heures). Les regards se fixent sur les courriers distribués par les agents de sécurité avant l’accès aux dortoirs et aux autres locaux. La plupart d’entre eux, venant de pays non-francophones, ont souvent du mal à déchiffrer les messages contenus dans ces enveloppes blanches. Très souvent, les quelques rares camarades bilingues (français-anglais) s’improvisent en traducteurs pour annoncer « la sentence Dublin ».

La réalité est que, parmi les migrants, presque tous ont transité légalement ou illégalement par un pays de l’Union européenne pour venir déposer leur demande d’asile en Suisse. Certains ayant même entamés une procédure d’asile dans le pays de transit, choisissent finalement de continuer leur chemin vers un autre pays. Cette situation les plonge au cœur de cette loi européenne appelée le Règlement Dublin. En effet, la procédure Dublin vise à « déterminer rapidement l’État membre responsable [pour une demande d’asile ndlr] », et prévoit le transfert du demandeur d’asile vers cet État membre. Habituellement, l’État membre responsable sera l’État par lequel le demandeur d’asile a premièrement fait son entrée dans l’Union européenne.

La loi sur le retour au pays de transit n’est pas sans effets sur le quotidien du nouveau migrant. Les très mauvaises conditions d’accueil dans certains pays de l’Espace Schengen, ou la nécessité de rejoindre des membres de la famille, les poussent à poursuivre leurs chemins, affirment certains. Cet état de fait, qui n’est pas une alternative sage, est souvent l’objet de non-entrée en matière sur beaucoup demandes d’asile, surtout pour ceux qui ont déjà effectué un premier dépôt.

Invitation de la Poste à retirer au guichet un courrier recommandé de Berne. Photo: Voix d'Exils.

Invitation de la Poste à retirer au guichet un courrier recommandé de Berne. Photo: Voix d’Exils.

Berne : « La missive Janus »

Comme un jour fatidique qui s’annonce, les avis (en bande jaune) de retrait de courriers recommandés envoyés par la Poste sont très redoutés dans les abris PC, car représentant la venue d’une décision administrative plus ou moins bonne. Ils font souvent l’objet d’intenses conciliabules. La seule mention du nom de Berne, Vallorbe, Lausanne permet à chacun de développer son propre commentaire sur le contenu du pli encore au bureau de Poste. Pour plus d’assurance sur le sens véritable de ces lettres juridiquement codifiées, les bureaux des assistants sociaux dans les structures de jour sont toujours pris d’assaut.

Dans la société des hommes, les différentes perceptions des terminologies peuvent révéler des comportements sociologiques insoupçonnés. A cause de certains courriers, on ne mange plus, on est stressé, déprimé et parfois même suicidaire. Pour le migrant, Berne est un nom tabou, un colis porteur de joie ou de tristesse. Une bureaucratie peu clémente à l’endroit de ceux qui viennent chercher protection sous les cieux de l’Helvétie. Il est comme les deux faces de Janus: l’une tournée vers le passé (retour à la case de départ) et l’autre vers le futur (espoir d’une vie nouvelle plus sereine).

Gravées dans les mémoires des demandeurs d’asile, la grande Berne et la lointaine Dublin ne sont plus seulement les métropoles de la Suisse et de l’Irlande. Ces noms sonnent désormais comme un appel à la potence ou l’obtention de sésames annonçant les débuts d’une autre vie. Une vie qui correspond à l’attente de ceux qui sont venus d’ailleurs avec l’espoir de renaître.

Issa

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 




« Le film « L’ESCALE » fait écho à ma trajectoire de requérant d’asile »

Les affiches de l'ESCALE à la gare de Lausanne. Photo: Saras Pages

Les affiches du film l’ESCALE à la gare de Lausanne. Photo: Saras Pages / Voix d’Exils.

Fin janvier-début février 2014, 20 demandeurs d’asile Iraniens font la grève de la faim devant l’ODM à Berne. Le 30 janvier, le film « L’ESCALE », qui raconte la vie de sept clandestins Iraniens réunis à Athènes dans l’espoir de passer dans la partie occidentale de l’Europe, reçoit le Prix du jury des 49ème Journées de Soleure. Requérant d’asile d’origine tamoul, Kumar, lui, a été touché par les similitudes entre sa propre trajectoire et celle des Iraniens qui témoignent dans « L’ESCALE ». Notre rédacteur Saras Pages a recueilli son témoignage.

« Dans ce film, tourné par le réalisateur genevois Kaveh Bakhtiari, il y a une scène qui est très touchante, non seulement pour moi mais aussi pour les 300 spectateurs présents à la projection en avant-première le 27 janvier à Lausanne, souligne Kumar. Cette scène montre un Iranien clandestin qui a fait une grève de la faim devant la Commission des droits humains à Athènes pendant plus de 35 jours. ». Athènes, Berne, deux réalités comparables qui se déroulent sous des latitudes différentes, comme l’explique Kaveh Bakhtiari: « On ne peut pas coller le film, le scotcher à un territoire ».

« Excusez-moi, dans quel pays sommes-nous, Monsieur ? »

« Personnellement, des passages m’ont fait sourire plutôt que pleurer, note Kumar. Je pouvais facilement prédire ce qui allait se passer ensuite, étant donné que certains dialogues et certaines actions ressemblaient à ce que mes amis et moi avions endurés. Notamment, les scènes qui concernent la route jusqu’en Europe. En tant que Suisse, que penseriez-vous si une personne que vous ne connaissez pas venait vers vous et vous demandait : « Excusez-moi, dans quel pays sommes-nous, Monsieur ? ». C’est la scène qu’a vécue un conducteur de taxi à Bâle lorsque j’ai pris son taxi à la gare pour qu’il me conduise au Centre d’enregistrement et de procédure d’asile, à près de deux kilomètres de là. »

Selon leur origine, les points de chute des migrants s’avèrent différent. Ainsi, pour les Iraniens et les gens en provenance du Moyen-Orient, L’ESCALE se fait en Grèce. Pour beaucoup de Tamouls, L’ESCALE a lieu plutôt en Thaïlande ou dans certains pays d’Afrique, plus rarement en Grèce.

Garder l’espoir sur la route de l’exil

Kumar confie son inquiétude quant au sort d’amis toujours à Bangkok, alors qu’ils ont pris le chemin de l’exil en même temps que lui, en 2009. « Imaginez leur vie : ils sont bloqués en Thaïlande, un pays qui n’accueille pas les migrants plus de quatre ans. C’est pourquoi, ces derniers vivent dans la clandestinité en attendant la réponse d’un passeur… »

Au début de l’année 2010, le jeune homme a rencontré des Tamouls requérants d’asile au Centre d’accueil de Sainte-Croix, dans le canton de Vaud. L’un d’eux lui a raconté une histoire qui restera à jamais gravée dans sa mémoire. « En voyant le film, le souvenir m’est revenu. Ce compatriote avait fui le  Sri-Lanka. Il avait traversé plusieurs pays d’Afrique et avait été détenu trois jours dans une prison d’un village du Maroc. Le premier jour, il avait eu très peur en raison de sa solitude, mais, les jours suivants, il avait repris l’espoir qu’un jour il serait libéré. La raison de ce changement était simple : sur un vieux mur de sa prison, il avait pu lire cette phrase écrite en langue tamoule : «தமிழன் இங்கும் உறங்கியுள்ளான் (« Un Tamoul a aussi dormi ici »). En visionnant « L’ESCALE », Kumar a réalisé que « ce n’était pas uniquement un film destiné aux gens qui accueillent les migrants, mais également un film pour les personnes qui ont fui leur pays. »

« Avant de partir, on ne sait pas qu’on risque sa vie »

Il partage l’avis de Kaveh Bakhtiari lorsqu’il affirme : « Évidement, avant de partir, on ne se rend pas compte des difficultés que ça représente, on ne sait pas qu’on risque sa vie. » Et aussi lorsque le réalisateur déclare : « Je pense que l’accumulation d’informations peut aider à sensibiliser les gens, mais je ne suis pas naïf, un film ça ne change pas le monde malheureusement. » Pour sa part, Kumar s’inscrit dans la même ligne : « Je ne suis pas naïf non plus, mon témoignage ne changera pas le monde malheureusement, mais j’espère qu’il donnera envie aux lecteurs de Voix d’Exils d’aller voir « L’ESCALE » qui est en salle actuellement. »

Saras Pages

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos :

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