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L’intégration par la mécanique

Programme vélo EVAM

Photo: Voix d’Exils.

La Maison du vélo à Lausanne favorise la mobilité douce au travers de l’intégration des requérants d’asile

Discrètement implantée au sein des arcades de l’emblématique Grand Pont de Lausanne, la Maison du vélo, fidèlement dévouée aux deux roues, voit plusieurs acteurs y cohabiter depuis son inauguration en 2012, dont l’EVAM. Le site ayant la passerelle lausannoise en guise de toiture, est pour l’établissement un programme d’occupation pour des migrants au travers d’un atelier de mécanique. En libre-service et ouvert cinq jours par semaine toute l’année, ce dernier permet également à tout un chacun de réparer son propre cycle.

Programme vélo EVAM

Photo: Voix d’Exils

Au contraire de ce que son nom peut insinuer, la Maison du vélo n’est pas un magasin, puisque tenue à la non-concurrence. Son implication dans la promotion du deux-roues n’en est pas moins importante puisqu’elle est gérée par Provélo région Lausanne, une association encourageant la pratique du vélo et la mobilité douce. Entre un atelier de réparation en libre service, des prêts de deux-roues et des conférences et films sur les cyclovoyageurs, la Maison du vélo perpétue l’objectif de Provélo ; promouvoir ce moyen de transport de manière pluriactive. Pour l’EVAM, autre acteur présent, ce lieu ancré sous les arches du Grand Pont lui permet avant tout de renforcer son processus d’intégration auprès des requérants d’asile venus de tous horizons.

Programme vélo EVAM

Photo: Voix d’Exils

Formation des bénéficiaires à la mécanique

Tandis que les façades du Grand Pont doivent être légalement conservées de par leur statut de patrimoine historique culturel, les bénéficiaires de l’EVAM s’y succèdent continuellement en leur sein. Engagés pour un an, ils y acquièrent des compétences en mécanique sur cycle leur permettant de réparer et restaurer des vélos endommagés et dont l’ancienneté de certains n’a que celle des pierres environnantes à envier. Ils y assurent également la location de deux-roues tout au long de la semaine. Le responsable du programme et mécanicien de profession, Daniel Genoud, explique récupérer les bicyclettes dans « certaines déchetteries, chez les particuliers, à la police et grâce aux dons des habitants. De même que le bouche-à-oreille envers la population et les visiteurs de la Maison du vélo et mes relations ». Remis en état, les cycles servent d’autres bénélficiaires de l’EVAM, qui peuvent les acheter pour la symbolique somme de 20 francs. Le travail pratique des requérants d’asile est par ailleurs enrichi de lectures matinales leur permettant de favoriser leur apprentissage du français et de renforcer leur intégration quotidienne. Si les bénéficiaires ne peuvent pas prétendre à un emploi dans le domaine de la mécanique sur cycle, faute de reconnaissance par la profession, leurs progrès en français se ressentent d’après Daniel Genoud. Il ajoute également qu’en dépit de permettre de trouver un emploi dans le secteur, le programme est une occasion pour les bénéficiaires de « retrouver une routine et un rythme de travail en prévision d’un futur emploi ». Leur engagement est d’ailleurs limité à un an, afin, comme le précise le responsable, de ne « pas empêcher leur autonomie et les encourager à chercher un travail fixe et de laisser une chance à d’autres bénéficiaires ».

Programme vélo EVAM

Photo: Voix d’Exils

Atelier en libre-service ouvert toute l’année

Doté de matériel professionnel de haute qualité, l’atelier de la Maison du vélo est également ouvert au public afin d’y réparer soi même son cycle dans la mesure du matériel disponible. La location y est aussi possible au moyen des deux-roues Publibike, autre partenaire, ainsi que des vélos électriques en test et fournis par les magasins Tandem et Easycycle. La Maison du vélo offre ainsi la possibilité à chacun de découvrir Lausanne à l’aide d’une bicyclette et ce, six jours par semaine et durant toute l’année.

Lieu de passage où se succèdent humains et cycles, la Maison du vélo ne change en revanche que peu de physionomie. Mais loin d’être aseptisée, elle rend service à plus d’un que ce soit pour la promotion du deux-roues, la mobilité douce ou l’intégration de migrants.

Nicolas Kalbfuss

Civiliste à la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




«Sans la communication, on est prisonnier de ses pensées»

Nazli Cogaltay, réalisatrice du documentaire "LAL"

Nazli Cogaltay, réalisatrice du documentaire « LAL »

D’origine kurde, Nazli Cogaltay ne parle pas un mot de français lorsqu’elle arrive en Suisse en 2010 pour y demander l’asile. Etrangère dans un pays inconnu, elle fait d’abord la douloureuse expérience de ne pas pouvoir communiquer avec sa société d’accueil, puis s’affranchit progressivement de son isolement grâce à ses efforts pour apprendre le français. S’inspirant de son vécu, elle décide alors de tourner un documentaire sur cette problématique. Intitulé « LAL » (muet en langue kurde) et tourné dans le canton de Vaud, son film donne la parole aux migrants et dévoile certaines difficultés qu’ils rencontrent. Interview de cette ancienne rédactrice de Voix d’Exils.

Voix d’Exils : Qu’est-ce qui vous a motivée à réaliser ce documentaire?

Nazli Cogaltay : A mon arrivée en Suisse, j’ai rencontré des difficultés à communiquer. Lors d’un entretien important, un malentendu concernant un mot mal interprété par mon interlocuteur m’a fait prendre conscience de l’importance de cette problématique de la communication. Par la suite, j’ai réfléchi et j’ai imaginé ce qu’endurent les personnes migrantes qui vivent en Suisse et qui n’arrivent pas à communiquer. C’est de là que ma motivation est née.

Pourquoi avez-vous choisi de vous exprimer à travers la vidéo ?

Pour des questions d’efficacité. La communication visuelle attire deux fois plus l’attention sur un fait ou un évènement qu’une émission radio. Et aussi, elle est plus crédible et permet de mieux atteindre mon public.

Pourquoi ce titre « LAL »  ( « Muet ») ?

Je suis d’origine kurde, et « LAL » en kurde signifie « muet ». J’ai donné ce nom à mon documentaire, parce que les migrants ne peuvent pas s’exprimer à cause de la barrière de la langue. Ils doivent apprendre à parler une langue étrangère et, en attendant de pouvoir le faire, ils sont « LAL ».

Pour vous, que signifie la communication?

La communication permet de libérer ses idées et ses sentiments. A travers ce documentaire, j’ai essayé de montrer que sans la communication on est prisonnier de ses pensées, pour la simple raison qu’on ne peut pas se faire comprendre et comprendre l’autre. Une migrante d’origine kurde vivant en Suisse depuis trois ans m’a dit : « Quand je n’arrive pas à communiquer je me sens en insécurité ». Parler la langue du pays permet de s’intégrer.

Quel message véhicule votre documentaire?

Tout d’abord, je convie en particulier la population d’accueil, et aussi tous les migrants à le regarder. A travers les interviews des uns et des autres, j’ai fait ressortir la volonté des migrants de s’intégrer malgré les difficultés rencontrées, notamment en matière de communication.

Où avez-vous tourné votre film?

Je l’ai tourné au Centre de formation de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants à Longemalle, au foyer EVAM de Crissier, à la cathédrale de Lausanne et devant le centre d’enregistrement de Vallorbe.

Comment avez-vous choisi les interviewés ?

Mon choix s’est porté sur les migrants non francophones comme les Érythréens, les Tibétains, les Kurdes et les Afghans. Chaque intervention est accompagnée d’une musique provenant de leur pays d’origine. J’ai aussi filmé des professeurs, un responsable pédagogique et un psychiatre qui s’investissent dans le processus d’intégration des migrants en les aidant à parler et à écrire en français. Je profite de l’occasion pour remercier tous ces intervenants qui ont chacun apporté leur contribution pour la réalisation de ce documentaire.

Financièrement, où avez-vous trouvé les fonds pour réaliser le tournage ?

J’ai réalisé ce documentaire avec les moyens du bord.

Où l’avez-vous déjà diffusé ?

Deux fois au Centre de formation de l’EVAM à Longemalle, à l’association RERS à Lausanne, à Mozaïk à Appartenances, au centre socioculturel lausannois Pôle Sud, au Centre social protestant et au Gymnase de Chamblandes.

Comment a réagi le public ?

Du côté des migrants, ils retrouvaient leur quotidien, soit leurs problèmes de communication et soulignèrent l’importance de pouvoir communiquer avec leur société d’accueil. Du côté des autochtones, c’était une révélation pour beaucoup d’entre eux. Une Suissesse m’a confié à la fin de la projection : «Je n’ai jamais imaginé que les migrants souffraient autant de ne pas pouvoir communiquer, et moi qui pensais qu’ils vivaient assez heureux. J’étais loin de la réalité, jusqu’à ce que je visionne ce documentaire !»

Y a-t-il d’autres projections prévues?

Bien sûr, j’ai prévu de nouvelles projections, mais les dates et les lieux seront communiqués ultérieurement.

En tant que réalisatrice de ce documentaire, êtes-vous satisfaite du résultat ?

Oui ! Je n’ai pas réalisé un documentaire professionnel, mais avec le peu que d’argent que j’avais à disposition, je peux dire que mon objectif est largement atteint. A chaque projection, j’ai partagé des émotions, de l’enthousiasme et du plaisir avec le public. J’ai récolté beaucoup de soutiens et d’encouragements. C’est très touchant de savoir que mon message a bien passé.

Ce tournage a-t-il fait évoluer votre regard sur la communication ?

Dans mon expérience personnelle, j’ai vu l’importance de la communication et un documentaire en est sorti. En réalisant ce documentaire, j’ai rencontré de nombreuses personnes, mon réseau s’est élargi grâce à la communication. J’ai aussi appris à mieux communiquer. Pour moi, c’est un outil indispensable. Quand j’interviewais des migrants, certains étaient ouverts et d’autres non, faute de pouvoir s’exprimer. Mais ils faisaient un effort pour se libérer des maux qui les rongent. J’ai alors vu l’impact que pouvait avoir la communication sur une personne qui parle et l’autre qui l’écoute.

Parlez-nous de vos projets ?

« LAL » est en fait la première partie d’un documentaire qui en compte trois autres que je vais prochainement finaliser.

Propos recueillis par :

El Sam

Journaliste à la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Infos:

Pour visionner le film « LAL » de Nazli Cogaltay  cliquez ici