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Mes premiers pas en Suisse (3/3)

 

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Séparation et bienvenue en Suisse – épisode 3

Lire le premier épisode: Arrivée en Suisse

Lire le deuxième épisode: Voyage en train chez la police

On ne se parlait pas, chacun pensait à son avenir. « Introduce yourselfs », a dit le jeune policier qui était derrière l’ordinateur. Nous nous sommes présentés l’un après l’autre. Avant qu’il commence à faire nos dossiers, il nous a demandé si on avait faim, on lui a répondu qu’on n’avait pas faim. Personnellement, je ne voulais rien, ni quelque chose à boire ni à manger. J’étais fatigué, je voulais me coucher dans une vraie chambre, sur un vrai lit, avec un vrai oreiller, et non pas des pierres, sans avoir peur des policiers, des voleurs, de la pluie ou du froid.

Après avoir fait nos dossiers, le policier nous a emmenés au centre d’accueil d’Altstätten. Là, ils nous ont dit qu’on était en Suisse. Enfin, on a su où on était. Le centre avait deux étages, assez grand et dans un joli endroit. Je ne sais pas combien de chambres ils y avaient par étage. Mais dans chaque chambre, il y avait une quinzaine de lits. Les célibataires se couchaient au deuxième étage et les familles au premier.

L’ambiance était sympa, il y avait une très grande solidarité entre tous les requérants du centre. On se sentait à l’aise, mais on ne savait pas qu’ils allaient tous nous séparer. Quelques jours plus tard, après avoir passé mon premier entretien, on m’a envoyé à Neuchâtel. Ça m’a vraiment inquiété, je ne pouvais même pas imaginer cette ville, ce qui m’attendait et ce qui allait m’arriver là-bas. Ce n’était pas facile non plus de quitter les copains, surtout que nous n’avions rien comme coordonnées à échanger entre nous.

Le jour où j’ai quitté le centre, Dawood et Mohamed étaient derrière la vitre de la porte d’entrée. Le regard hagard, ils me faisaient un signe de la main pour dire au revoir. C’était vraiment triste qu’ils ne puissent même pas m’accompagner jusqu’à la gare, parce qu’ils n’avaient pas le droit de sortir du centre si tôt le matin.

Dans le train de Zürich, j’ai fait une bêtise. Je n’avais pas oblitéré mon billet et en plus je m’étais assis en première classe. Je ne savais pas comment fonctionnait le système de validation des billets et qu’il y a une différence entre les voitures de première et deuxième classe. J’ai eu une aventure avec les contrôleurs. Ils ne comprenaient pas ce que je voulais leur dire, et moi, je ne comprenais pas ce qu’ils voulaient me dire. Enfin, ils m’ont emmené en deuxième classe sans conséquence.

Quand je suis arrivé à Neuchâtel au centre d’accueil de Fontainemelon pour l’enregistrement, il était 17 heures. Tout était neuf, tout était inconnu. Ils m’ont pris en photo et m’ont envoyé à Marin centre. Ça s’est fait trop vite, je n’ai même pas pu le visiter. Vers 18h30, je suis arrivé à Marin et là, personne ne savait parler ma langue maternelle.

Le lendemain, quand je me suis réveillé, je me suis trouvé au milieu de beaucoup de monde et je ne connaissais personne. Je suis sorti du centre et me suis assis dans un coin. Dans mon petit téléphone, j’avais une carte mémoire pleine de chansons préférées de ma sœur, je les ai écoutées. Dawood, Mohamed et ma famille me manquaient tellement.

« Mon cœur répète qu’il t’aime toujours, je ne peux pas m’arrêter de te dire je t’aime, aujourd’hui comme toujours, je te redis que je t’aime, quoiqu’il arrive, tu seras avec moi », chantait le chanteur. Et moi, j’ai commencé à pleurer de n’avoir personne avec moi sur le chemin de l’immigration.

Essi

Membre de la rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils

Lire le premier épisode: Arrivée en Suisse

Lire le deuxième épisode: Voyage en train chez la police

 




Silences de l’exil

Photo: rédaction neuchâteloise de Voix d'Exils

Photo: rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils.

Un projet artistique qui interroge la migration par la langue et l´image

Silences de l´exil est un projet artistique qui interroge la migration par la langue et l´image. En juillet et en août 2016, Marina Skalova, écrivain, et Nadège Abadie, photographe, ont proposé des ateliers d´écriture et de photographie auprès de requérants d´asile dans différentes villes suisses. De nombreux textes et images sont nés de cet échange: voici les écrits des participants du centre d´accueil de Fontainemelon, nés d´un exercice d´écriture inspiré par l´écrivain français George Pérec. Une exposition de ce travail aura lieu à C-FAL Genève du 21 octobre au 4 novembre. Un livre est en préparation pour l’année 2017.

Textes collectifs

J’aimerais vivre en Suisse mais pas pour toujours. J’aimerais vivre en Suisse mais avec les papiers. J’aime vivre en Suisse mais j’aimerais avoir des ailes pour aller dans tous les pays et aider les gens qui sont dans des situations difficiles. J’aimerais vivre ici, aller à l’école et travailler comme maçon.

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Je dis NON au racisme et aux racistes.

Je dis NON pour la mort.

Je dis NON pour la guerre.

Je dis NON pour la dictature.

Je dis NON pour l’absence de liberté.

Je dis NON pour acheter un nouveau téléphone.

Je dis NON à la religion.

Je dis NON pour le désespoir.

Je dis NON aux différences de niveau entre les gens.

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Je me souviens, en Libye, je dormais sur une petite route à l’intérieur de la montagne. J’étais très peur. Les gens me disaient, ici, il y a des loups.

Je me souviens avoir dormi dans un camp de réfugiés. Et c’était bizarre pour moi, parce que c’était la première fois. On a quitté la maison le soir et on est arrivés, la nuit, dans un endroit inconnu. Il n’y avait pas de matelas, il n’y avait rien. Tout le monde était par terre. Il y avait des crépitements d’armes partout, les gens couraient dans tous les sens. J’avais la peur de mourir.

Je me souviens, dormir avec mon père et ma mère et mon frère en Afghanistan, et aussi en Iran.

Je me souviens, quand j’étais dans mon village, il y avait des maisons qui étaient construites avec la terre. Tous les frères et sœurs sont ensemble, tous. Il y a un grand rocher près de notre maison et chaque nuit, je vois le même rêve : je m’envole sur le rocher. Je suis content et je me sens comme un oiseau.

Je me souviens, la nuit, j’ai voyagé en Afghanistan. J’ai pris le train. Dans le train, j’ai dormi, j’ai dormi, j’ai dormi. J’ai rêvé que j’arrivais en Suisse. Et après, je me réveille, je suis à Kaboul. Tout le temps que j’étais en Suisse, c’était en rêve.

Je me souviens, il y a deux mois, à Neuchâtel, il y a eu la fête. J’arrive à la gare pour prendre le train et là, deux minutes après, le train était parti. Il est minuit, il n’y a plus le train. J’ai pas dormi et j’ai marché dans la gare, dans la rue, dans la ville, toute la nuit. Jusqu’à matin.

Rédaction neuchâteloise de Voix d’Exils et étudiants de Fontainemelon