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Violences multiples infligées aux femmes Afghanes

CC0 Creative Commons.

La victoire historique d’une adolescente sur ses tortionnaires

Depuis la fin des Talibans en 2001, les droits des femmes ont connu des progrès limités en Afghanistan et le pays continue à être classé parmi les endroits les plus dangereux du monde pour celles-ci. Elles subissent de lourdes violations des droits humains entre violences domestiques, mariages forcés ou mariages précoces.

Sous la domination des Talibans de 1996 à 2001, les femmes ont été bannies des salles de classe, de la politique et de l’emploi. Celles qui voulaient quitter la maison devaient être escortées par un parent et étaient forcées de porter la burqa. Celles qui ont désobéi ont été publiquement battues. Dans certaines parties de l’Afghanistan, à la fin des années 1990, les habitants ont été encouragés à noircir les fenêtres de leurs maisons afin que les femmes à l’intérieur ne puissent être vues.

La violence domestique est souvent exacerbée en raison de facteurs tels que la pauvreté, l’analphabétisme et l’usage de stupéfiants. L’ONG internationale Global Right rapporte que plus de 85% des Afghanes ayant répondu à un sondage mené en 2006 ont déclaré avoir subi des violences physiques, sexuelles ou psychologiques et des mariages forcés.

La violence conjugale a des effets néfastes sur la santé et un impact économique ; un nombre important de femmes développent des tendances suicidaires en raison des conditions insupportables auxquelles elles sont soumises. Lorsque certaines tentent de s’échapper d’une relation abusive, elles sont accusées de fuite, ce qui peut conduire à leur arrestation. Les filles victimes de mariage précoce ont également moins de pouvoir ; elles sont maintenues dans une position qui ne leur permet pas d’intervenir dans les décisions quotidiennes. La recherche a montré que cette situation conduit souvent à la violence domestique.

Karimi Abdoul Bashir

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

Sahar Gul, une adolescente Afghane, raconte son calvaire

Extrait d’un article publié par CNN en janvier 2012 sur le calvaire qu’a enduré Sahar Gul, une adolescente Afghane.

L’adolescente Afghane a été mariée à 13 ans. Son mari, un membre de l’armée Afghane, l’a violée. Enragés parce qu’elle n’était pas tombée enceinte immédiatement, ses beaux-parents l’ont enfermée dans un sous-sol pendant des mois, la torturant avec des pinces chaudes et lui arrachant les ongles. En fin de compte, ils voulaient la forcer à se prostituer en punition d’avoir manqué à « ses obligations » de femme. « Ils m’ont dit d’aller au sous-sol parce qu’il y avait des invités qui venaient à la maison. Quand je suis allée là-bas, ils sont entrés et m’ont attaché les mains, les pieds et m’ont suspendue. Ils me battaient beaucoup, je pleurais tout ce temps. Quand ils ont mis des décharges électriques sur mes pieds, je sentais que j’allais mourir. A ce moment-là, j’ai crié et c’est comme ça que nos voisins se sont rendu compte qu’il se passait quelque chose. Jour et nuit j’étais inconsciente, je me sentais morte. » De plus, Sahar Gul évoquait qu’elle devait non seulement penser au traumatisme qu’elle avait enduré, mais aussi qu’elle était toujours techniquement mariée à son agresseur. Elle craignait alors de recroiser le chemin de son ex-mari : « Si demain il me retrouve, il est possible qu’il me tue. Je veux m’établir à l’étranger, si je reste ici, ils me trouveront, je veux aller à l’école et étudier, devenir médecin ou procureur, pour pouvoir les punir. »

Le combat qu’a mené Sahar Gul a heureusement porté ses fruits. Le 9 octobre 2013, la Cour suprême d’Afghanistan a pour la première fois rendu un jugement en faveur d’une victime de violences domestiques, en demandant l’arrestation de ses bourreaux. C’est aussi la première fois dans le pays qu’une victime traîne ceux qui l’ont torturée devant la justice. Aujourd’hui, Sahar Gul vit en Suède. 

Karimi Abdoul Bashir

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils




« On peut comparer l’apprentissage de la langue à celui de la bicyclette »

M. Jean-Bernard Modoux, responsable des cours de français intensifs du Centre de formation de l’EVAM. Photo: Hochardan

Certains migrants éprouvent de grandes difficultés à apprendre la langue française, ce qui freine tout le processus de leur intégration. D’où vient ce blocage et que peut-on faire pour le lever ? Nous avons posé la question à M. Jean-Bernard Modoux, responsable des cours intensifs du Centre de formation de l’EVAM (Etablissement vaudois d’accueil des migrants), qui travaille dans l’enseignement de la langue française depuis 30 ans. Interview.

Voix d’Exils : Certains migrants n’arrivent pas à apprendre le français. Ils abandonnent les cours sans pouvoir communiquer à un niveau basique. Pour quelles raisons?

Jean-Bernard Modoux : La première difficulté provient de l’éloignement entre la langue maternelle et la langue cible, le français. Tout est à réapprendre, souvent jusqu’à l’écriture. L’apprentissage est donc très long. Mais cette lenteur se heurte à la volonté de faire d’autres projets, comme travailler pour gagner un peu d’argent – voire pour en envoyer au pays. Ainsi, certains abandonnent pour prendre des emplois, souvent auprès de compatriotes – et pas toujours des plus avantageux, hélas ! D’autres abandonnent par découragement, souvent en lien avec l’insécurité administrative dans laquelle ils vivent. Leur motivation s’en trouve anéantie.

D’autres encore abandonnent tout simplement parce qu’ils ne trouvent pas en eux les ressources pour apprendre efficacement ; le plus souvent, ce sont des personnes qui souffrent de graves difficultés psychologiques : déracinement, déstabilisation existentielle, souvenirs traumatisants, maladies ne permettant pas à leur esprit de se rendre disponible pour apprendre. Souvent, par exemple, ils ne parviennent pas à mémoriser ce qu’ils apprennent ; l’inefficacité de leur apprentissage achève de les décourager… Certains, enfin, ne doivent pas juste « tout réapprendre », comme l’alphabet latin après l’alphabet arabe ou amharique ; ils doivent tout ou presque tout apprendre. Le plus souvent, ils n’ont été que très peu scolarisés dans leur pays voire pas du tout. Cela explique qu’en plus, le plus souvent, ils ne savent pas apprendre, ils ne savent pas rendre leur travail efficace et ils se démotivent.

Concrètement, quelles sont les conséquences de ces difficultés ?

Les personnes en butte à de grosses difficultés psychologiques ont besoin de commencer par se reconstruire un peu, avant tout ; Il faut noter par contre que la fréquentation des cours les soutient beaucoup en général. C’est donc opportun de les y encourager, quand ils y arrivent. Pour les personnes qui n’ont pas été assez scolarisées ou pas du tout, Il en résulte deux types de déficits : l’analphabétisme, soit l’incapacité totale de lire et d’écrire, et l’illettrisme, autrement dit l’incapacité de comprendre ce qu’on lit ou d’écrire des choses cohérentes.

Une personne analphabète, c’est une personne qui ne peut ni lire ni écrire car elle ne connaît pas l’alphabet du tout, elle ne déchiffre pas les lettres. Par contre, une personne illettrée peut déchiffrer, oraliser plus ou moins un texte écrit mais elle n’en comprend pas le sens. Si on veut comprendre l’illettrisme, on peut le comparer aux débuts de l’apprentissage de la conduite automobile : la première fois, l’élève conducteur est tellement concentré sur le contrôle des gaz et de l’embrayage qu’il ne regarde pas devant lui et qu’il peut très bien avancer droit contre un arbre ! De même, l’illettré a besoin de tellement d’énergie pour déchiffrer les lettres, les syllabes, les mots, qu’il n’arrive pas à comprendre ce qu’il vient de lire, à « conduire » la construction du sens. Pour remédier à de tels problèmes, il faut passer beaucoup de temps à l’école et s’engager activement dans son apprentissage – ce qui ne va pas de soi, notamment parce que la représentation de ce qu’apprendre veut dire n’est de loin pas toujours adéquate.

Quelles mesures avez-vous mis en place, dans le cadre du Centre de formation, pour aider les élèves à progresser?

Nous ne pouvons rien face à l’insécurité sociale ; face aux difficultés psychologiques, nous pouvons envoyer les personnes vers des professionnels qui peuvent les aider. Pour ce qui est du temps nécessaire afin d’arriver à un niveau de base suffisant, nous pouvons autoriser des personnes qui ont quitté l’école à y revenir, même si elles ont épuisé leur droit de base, à savoir 9 heures de français pendant 24 semaines, et une année à 24 heures par semaine, selon leur niveau.

Pour l’analphabétisme et l’illettrisme, nous avons créé des cours orientés vers l’acquisition des bases de la lecture. Nous avons aussi créé du matériel pédagogique dans ce but. Enfin, nous avons créé des modules spécifiques pour répondre aux problèmes d’apprentissage. Le premier vise à « apprendre à apprendre ». Dans cet atelier, l’apprenant a l’occasion de prendre conscience de certains mécanismes fondamentaux de tout apprentissage et de mieux se situer, en particulier en ce qui concerne ses canaux préférentiels d’apprentissage. Savoir à quel genre d’apprenant on appartient : plutôt visuel, auditif ou kinesthésique ? Le but est de mieux se connaître et de mieux mobiliser ses meilleures ressources – des techniques d’apprentissage sont présentées à cette occasion. L’autre module consiste en des ateliers de raisonnement logique. Ils ont pour but de développer l’utilisation de la logique – laquelle s’avère toujours nécessaire.

Combien d’élèves fréquentent le Centre de formation ?

Les cours non intensifs de 9 heures par semaine accueillent environ 300 élèves ; ils sont destinés aux nouveaux arrivants en Suisse. Des cours intensifs sont ensuite proposés, à raison de 24 à 28 heures par semaine, à 180 élèves environ.

Quel est le pourcentage des élèves qui rencontrent des difficultés ?

Je dirais que 20 à 30% des élèves ont vraiment de sérieux problèmes. 50 à 60% des élèves ont plus ou moins de difficultés ; ce ne sont pas des gens qui ne connaissent rien, mais ils ne sont pas habitués aux structures de la langue française ou sont dans l’incapacité de prononcer certain mots, de les entendre juste ou d’en discriminer le sens. Environ 10 à 20% des élèves apprennent très vite. Systématiquement, on se rend compte que ces élèves ont fait de bonnes études dans leur pays.

Auriez-vous un dernier mot à ajouter ?

Oui, « apprenez par vous-même! ». Je veux dire que le meilleur des professeurs, le plus gentil, le plus sérieux, le plus professionnel qui soit n’arrivera jamais à ouvrir votre bouche et à y mettre la langue française… C’est vous, apprenant, qui devez apprendre. Le professeur peut vous aider, vous guider, c’est tout.

Comparez l’apprentissage de la langue avec celui de… la bicyclette par exemple. Demandez-vous comment vous avez appris à rouler à vélo. Immanquablement, vous arriverez à vous en souvenir que si vous avez essayé, que si vous êtes tombé, que si vous avez recommencé et ainsi de suite jusqu’à maîtriser votre équilibre, la tenue du guidon, donc la direction, la poussée sur les pédales, le changement des vitesses, etc. Et même le code de la route au bout du compte. Votre grand frère, votre père, votre mère n’ont pu que vous aider à tenir l’équilibre au début. De même, un professeur de français ne peut pas plus que vous aider au début. Pour apprendre une langue, vous devez essayer, vous tromper, corriger, oublier, reprendre, oublier, répéter, oublier, retrouver… Mais attention : si on ne pratique pas, on finit toujours par oublier…

Propos recueillis par:

Hochardan

Membre de la rédaction vaudois de Voix d’Exils