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L’image des migrants dans les médias

Photo: Leyla Benkais pour le CCCI

Était au menu des 16ème Assises de l’immigration

Les 16ème Assises de l’immigration organisées par la Chambre cantonale consultative des immigrés (CCCI), se sont tenues le 29 septembre 2018 dans le Collège du Lac à Villeneuve dans le canton de Vaud. Retour sur cet événement dédié cette année au thème de l’image des migrants dans les médias et au dialogue entre la société civile et les médias.

Cette rencontre annuelle a réuni des professionnels des médias, des représentants des associations oeuvrant dans le domaine de la migration, des citoyennes et citoyens et des élus. La rencontre s’est donc ouverte tôt le matin à 8h30 par une allocution de Monsieur Nicolas Rouge, Président de la Chambre cantonale consultative des immigrés (CCCI), suivie par celle de Madame Annick Morier-Genoud, Municipale de la commune de Villeneuve.

Plus de 100 personnes présentes

Cette 16ème édition des Assises de l’immigration, qui s’est tenue à quelques encablures de la capitale vaudoise, a réuni un peu plus de 100 personnes venues des quatre coins de la Romandie pour s’informer et débattre de la question de la représentation des personnes migrantes dans les médias et de leur perception par la société. Au fil des années, cette rencontre a pris de l’importance tant pour les politiques, les medias que pour la société civile. De nombreux représentants du monde associatif et de l’information ont fait le déplacement pour se retrouver tous autour d’une même table et pour parler le même langage.

L’initiative a marqué la bonne volonté de tous les participants de changer un état de fait, et de ne pas se contenter d’une simple rencontre entre medias et participants. A savoir, le message véhiculé par les medias à propos des requérants d’asiles et l’image aléatoire de ces derniers aux yeux de la société suisse entière. Les intervenants ont tous mis l’accent sur la nécessité de bien scruter l’information, de veiller à bien la transmettre et surtout de bien choisir la terminologie qui fait mouche !

Photo: Leyla Benkais pour le CCCI

L’enjeu des mots

L’association genevoise « Vivre ensemble » a présenté aux participants et aux participantes de la rencontre son opus consacré à la terminologie et aux mots usités par les journalistes. Madame Giada de Coulon, représentante de ladite association, a souligné dans son discours l’importance du vocabulaire employé dans la rédaction d’articles touchant au domaine de l’asile qui peuvent parfois menés à des malentendus.

Le Docteur Iseni  Bashkim, Directeur de la plateforme Albinfo.ch a pour sa part présenté aux participants son programme « Albinfo.ch » qui consiste « à développer perspectives de manière positive pour les migrants, à identifier les nouveaux acteurs émergents issue de la migration, et à changer la perception de la population vis-à-vis des migrants et enfin à sensibiliser les journalistes pour améliorer le climat social migratoire ».

Pour sa part Dominique Von Burg, Président du Conseil suisse de la presse, a bien rappelé lors de son intervention l’existence de la déclaration des devoirs et des droits des journalistes suisses, ainsi que la nécessité du respect par les journalistes du code déontologique de la profession. Et de souligner le rôle de la presse en tant qu’organe d’information, de sensibilisation et de faiseur d’opinions.

Bien au-devant du conseil qu’il préside, Monsieur Dominique Von Burg a réitéré le fait que le Conseil suisse de la presse protège les minorités du risque discriminatoire et de la généralisation abusive! Il précise que si un média cite les nationalités, il doit le faire également pour les ressortissants suisses!

Des ateliers de réflexion

Après la pause et la dégustation de quelques gâteaux et boissons fraîches lors du buffet mis en place pour la circonstance dans le hall de l’entrée principale, les participants se sont départagés en trois groupes afin de débattre le sujet : « quelle place pour la parole des migrants dans les médias ? » avec des journalistes venus en renfort pour animer ces ateliers. Parmi ces professionnels, de la presse écrite, de la radio et de la télévision, on cite la présence de Messieurs, Florian Barbey, rédacteur en chef de « Radio Chablais », Laurent Dufour, chef rubrique suisse de « la Radio Télévision Suisse (RTS) », Luis Lema, journaliste au « Temps », Valérie Passello, journaliste « Le Régional », Nicolae Schiau, journaliste et chef d’antenne de Couleur 3.

Les participantes et participants ont souvent souligné les limites des médias dans ce domaine de la migration. A notre avis, la place dans les médias pour chaque parole dépend aussi de la demande de s’exprimer. Une solution serait la création de médias destinés à la parole des migrants par les organisations actives dans le domaine de la migration.

Photo: Leyla Benkais pour le CCCI

Remise du Prix du Milieu du Monde

Une généreuse récompense au menu du programme pour l’attribution du « Prix du Milieu du Monde », qui consacre des initiatives exemplaires en faveur de l’intégration des personnes migrantes. Doté d’un montant de Cinq milles francs suisse, le prix a été remis à l’issue des Assises par Nicolas Rochat Fernandez, président du Jury, député et deuxième vice-président au Grand Conseil vaudois, à deux lauréats : le centre socioculturel de l’arrondissement scolaire de Rolle pour son projet de fresque intitulé « La différence fait la beauté de ce monde » et l’association vaudoise « Couleur Respaix » – qui et entraîne une équipe de football pour jeunes requérants d’asile mineurs non accompagnés. Pour terminer, Amina Benkais-Benbrahim, déléguée cantonale à l’intégration a clôturé l’événement en synthétisant les principaux points soulevés lors de la rencontre.

Epilogue

L’évènement a suscité un vrai dialogue entre les professionnels et les participants. Une belle occasion de débattre tous ensemble et de cerner la problématique afin de déterminer les lacunes dont chacun et chacune est responsable à son niveau et qui peuvent être améliorées. La rencontre a bien mis en exergue la volonté de l’ensemble des participants de faire, ensemble à l’occasion de cette journée, une évaluation concrète et bien réelle de l’image que renvoient les medias sur des requérants d’asiles.

Arslan Zoheir Bouchemal

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 




« C’est un fantasme de penser que les réfugiés climatiques vont venir en masse dans les pays du Nord »

Romain Felli, chercheur à l'Université de Lausanne

Romain Felli, chercheur à l’Université de Lausanne.

Une catégorie de réfugiés apparaît de plus en plus dans la presse et les discours politiques, bien qu’elle reste encore relativement méconnue du grand public. Il s’agit des « réfugiés climatiques », soit des personnes contraintes à migrer notamment pour des raisons en lien avec le changement climatique. Le chiffre de 200 millions de réfugiés climatiques à l’horizon 2050 est souvent avancé. Pour mieux comprendre ce phénomène, nous avons interviewé Romain Felli, chercheur à l’Université de Lausanne et spécialiste des questions politiques environnementales.

Pouvez–vous nous parler de cette nouvelle catégorie des « réfugiés climatiques » ?

Il faut tout d’abord préciser que c’est une catégorie journalistique et politique, mais pas juridique. Les réfugiés politiques sont reconnus au niveau juridique, il y a des conventions internationales pour cela, tandis que les réfugiés climatiques ne le sont pas. Certaines personnes voudraient introduire une telle catégorie dans le champ du droit. En effet, le réchauffement climatique et les problèmes qui en découlent pousse certaines personnes à migrer. Une catégorie juridique permettrait ainsi de les protéger contre les problèmes environnementaux. Cependant, il est très délicat de prendre l’environnement comme cause unique de migration. C’est toujours une combinaison de facteurs sociaux, politiques, économiques et naturels qui pousse les personnes à migrer. Les réfugiés climatiques sont catégorisés ainsi parce qu’ils n’ont que très peu – voire pas – de ressources pour lutter contre le réchauffement climatique. Précisons que le même problème climatique dans un pays riche, un ouragan à New York par exemple, n’aura pas le même impact sur les populations que dans un pays pauvre, car les ressources pour y faire face ne sont elles pas identiques.

Vous avez écrit dans l’un de vos articles* que l’on est passé de l’appellation  « réfugiés climatiques » à celle de « migrants climatiques » dans de nombreux discours concernant ce sujet. Que signifie ce changement de dénomination ?

L’idée de réfugiés climatiques a été développée par des personnes qui voulaient souligner que des populations du Sud vont subir les changement climatiques essentiellement provoqués par les pays développés. Ces derniers portent la responsabilité des problèmes liés au réchauffement climatique, et seraient donc aussi responsables des migrations qu’ils induisent au Sud. Il y a dans le concept de réfugiés climatiques l’idée de justice internationale, entre les pays industrialisés et ceux en développement. Depuis une dizaine d’années, l’idée de migrants climatiques s’impose dans les discours. Cette conception vise à dire que la migration ne devrait pas être vue seulement comme une conséquence tragique du réchauffement climatique, mais comme une stratégie d’adaptation. Les personnes confrontées au changement climatique, décident de manière rationnelle de migrer pour s’adapter. Ainsi, la migration ne serait plus considérée comme un problème – celui d’accueillir des réfugiés – mais comme une solution, car les gens, de manière individuelle et rationnelle, s’adapteraient au changement climatique.

Ce qui revient à dire que l’on a moins, voire pas besoin, d’aider ces migrants ?

Effectivement, l’idée est que les gens sont capables de s’adapter par eux-mêmes. Donc l’État n’a pas vraiment besoin d’intervenir pour financer l’adaptation. Prenons un exemple: au Pays-Bas, des digues ont été construites pour gagner des terrains sur la mer. Faire cela sous-entend un système politique puissant, des moyens économiques importants etc. Dans la situation des migrants climatiques, l’État n’est plus censé intervenir pour construire des infrastructures de ce type-là. On va, au contraire, espérer et faire en sorte que les individus, de manière autonome et même entrepreneuriale, se déplacent et s’adaptent par eux-mêmes.

Les États prônent-ils généralement ce « laissez-faire » ou proposent-ils des politiques et des investissements pour faire face au changement climatique ?

Le problème est que nous avons des visions très différentes au niveau international, que ce soit avec les organisations internationales ou les pays. Les pays du Sud réclament le paiement de la dette climatique, à savoir que de leur point de vue, les pays industrialisés sont responsables de la pollution qu’ils génèrent depuis plusieurs décennies et continuent de l’être largement devant les autres. Mais les pays du Nord refusent de reconnaître cette dette climatique. Ils acceptent d’apporter un financement en tant qu’aide au développement et non comme compensation. De plus, la plupart de l’argent investi dans le financement de l’adaptation climatique est de l’argent déjà disponible, puisé dans des programmes de développement.

Quelle est la position d’une organisation internationale comme le Haut Commissariat aux Réfugiés (le HCR) face à cette problématique des réfugiés climatiques

Le HCR est sensible aux droits des réfugiés, et aussi aux réfugiés climatiques en tant que possible catégorie juridique. Toutefois, il y quelques années, il y a eu la crainte que la reconnaissance du statut de réfugié climatique affaiblisse davantage celui de réfugié politique qui est déjà très fragile. Il suffit de regarder la Suisse pour voir que la catégorie de réfugié est déjà politiquement problématique.

Les Maldives ainsi que d’autres endroits pourraient-ils disparaître dans un futur proche ?

Certains pays du Pacifique Sud, formés d’atolls, sont à quelques mètres seulement au-dessus du niveau de la mer. Les prévisions d’élévation du niveau des mers dû au réchauffement climatique estiment la hausse à un mètre dans un siècle, soit en 2100. Il s’agit là des prévisions officielles. Certains parlent de plus et d’autres de moins. Cela veut dire que plusieurs pays aujourd’hui souverains risquent de disparaître s’il n’y a pas de constructions nouvelles ou d’adaptations techniques. La question qui se pose alors est qu’est-ce qui va ou peut se passer dans la situation où un pays souverain venait à disparaître. Cette question reste ouverte et n’est pas résolue en droit international. En même temps, on parle de petits Etats qui ne comptent pas au niveau international, que tout le monde peut ignorer au niveau des rapports de force, mais pas au niveau humain bien entendu. Ces Etats sont les plus actifs dans les négociations internationales concernant le changement climatique, parce qu’ils sont directement concernés, mais ils n’ont que très peu de moyens, et aucun pouvoir de nuisance. D’un point de vue réaliste, ces Etats ne comptent pas beaucoup.

Des organisations internationales articulent le chiffre de 200 millions le nombre de potentiels réfugiés climatiques. Qu’en pensez-vous ?

Cette estimation avait été avancée par Norman Myers à la fin des années quatre-vingt, et a joué un rôle important pour mettre en lumière la question. Mais sa méthodologie pose problème, car l’environnement n’est pas un facteur externe à l’économie ou à la politique. On ne peut pas dire qu’une personne migre pour des raisons économiques et une autre pour des raisons environnementales. C’est toujours lié comme je l’ai expliqué. Les habitants de New York et du Bangladesh auront beau être confrontés au même problème, leurs possibilités de réactions et d’adaptations seront très différentes. A cela s’ajoute que lorsqu’on fait des estimations globales, l’on regroupe des réalités très différentes et je suis personnellement sceptique à propos des estimations globales des réfugiés climatiques. Bien qu’on attire l’attention sur le problème, ce qui est en soi positif, on rassemble cependant des situations et des échelles géographiques différentes. Parce que lorsqu’on parle de 200 millions de migrants, on s’imagine une file d’autant de personnes qui viennent dans l’espoir de s’installer ailleurs. Mais, dans les faits, c’est chaque fois des situations particulières et régionales. D’un autre côté, on risque de se dire que c’est tellement énorme qu’on ne peut rien faire. Alors que si on recadre la question à une échelle régionale, le problème paraît plus accessible. Il faut donc regarder la géographie et les sociétés de près. Les problèmes vont s’aggraver à un niveau régional. Il ne faut pas voir le problème des réfugiés climatiques comme des gens du Bangladesh qui vont prendre un avion pour venir en Suisse. Le rayon d’action sera la région. Cela se passera principalement au sein d’un même pays, ou dans les pays limitrophes. Donc les problèmes vont se trouver dans les pays du Sud, des pays qui sont eux-mêmes les pays les plus vulnérables avec le moins de ressources. Il ne faut pas avoir en tête l’idée que des réfugiés climatiques vont venir en masse dans les pays du Nord, c’est un fantasme.

Les solutions devront-elles aussi être appliquées au niveau régional ?

Les solutions devront être largement régionales elles aussi. La question sera de savoir comment les pays du Nord, et la Suisse notamment, pourront aider les pays sur place pour faire face aux problèmes climatiques. Et je pense que l’adaptation dans les faits sera beaucoup plus compliquée qu’une migration massive. La question est de savoir quelle forme va prendre cette adaptation. Est-ce que ça sera une adaptation gérée, organisée et juste ? Ou est-ce que ça va être le laissez-faire et des populations vont se retrouver livrées à elle-même et confrontées à des situations très difficiles… ?

*Romain Felli (2012) :Managing Climate Insecurity by Ensuring Continuous Capital Accumulation : « Climate Refugees » and « Climate Migrants », New Political Economy. Pour lire l’article cliquez ici

Propos recueillis par Cédric Dépraz et Samir Moussa

Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils