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L’EVAM dédommage les victimes du « blackout de Crissier »

M. Pascal Rochat remettant un bon de 30 frs à une requérante d’asile.

Le 16 décembre dernier, une rencontre s’est déroulée à Crissier entre M. Pascal Rochat, chef du secteur Lausanne de l’EVAM et les requérants d’asile du centre de Crissier. Cette réunion faisait suite à la publication d’un article dans « Voix d’Exils » décrivant le malaise qui régnait au centre d’accueil et de socialisation de Crissier consécutif à une coupure d’électricité qui a plongé dans l’obscurité les habitants d’un étage du bâtiment 8 du centre durant le week-end du 3 au 5 décembre 2011. Aujourd’hui, force est de constater que les promesses ont été tenues par la direction de l’EVAM: l’ensemble des requérants d’asile ayant subis des avaries occasionnées par la panne ont été dédommagés.

L’objectif de cette rencontre, convoquée par la direction de l’EVAM, était d’offrir un espace de discussion ouvert à propos de l’incident qui avait fait couler beaucoup d’encre et de salive quelques jours plus tôt et de remédier aux pertes matérielles subies par les requérants d’asile.


M. Pascal Rochat présente des excuses

D’emblée, M. Rochat ainsi que les requérants d’asile se sont montrés très ouverts à la discussion, les échanges s’étant prolongés durant près de deux heures. M. Rochat, qui était accompagné par M. Christophe Berdoz, assistant social à l’EVAM, a commencé son allocution en présentant des excuses aux requérants d’asile qui ont été affectés par la situation.

M. Rochat exposant la situation aux victimes de la panne de courant.

L’entreprise sous-traitante pointée du doigt

M. Rochat a souligné que la gestion désastreuse de la situation n’était pas la faute de l’EVAM, mais celle d’une société externe et que la direction avait appelé la société en question pour lui signifier son mécontentement. Après avoir rappelé  aux requérants d’asile présents toutes les procédures existantes mises en place par l’EVAM pour parer à de pareils désagréments, M Rochat a expliqué que « les deux vigilants mandatés par la société en question le week-end de l’incident n’ont pas respecté les directives de l’EVAM (…) » et a affirmé que « les choses n’allaient pas en rester là ».


L’EVAM dédommage les requérants d’asile

A la suite du point consacré à la coupure de courant et ses conséquences, M. Rochat a annoncé aux requérants d’asile présents les mesures qui ont été prises par la direction pour les dédommager. Une compensation de 30 francs pour chaque personne touchée par la panne (en bon Migros) a été proposée ; ce qui n’était pas suffisant aux yeux des requérants d’asile qui estimaient leurs pertes à au moins 120 francs par personne. M. Rochat s’est alors montré conciliant en acceptant de rembourser l’intégralité de la somme portée au devis de chaque requérant d’asile affecté par l’incident qui a été remboursée ensuite contre présentation des tickets d’achats. Les dernières victimes ont ainsi été dédommagées le 23 février 2012.

Les requérants d’asile sont reconnaissants envers la direction de l’EVAM et Voix d’Exils

A l’issue de la réunion du 16 décembre dernier, les requérants d’asile prenaient la parole à tour de rôle, premièrement pour remercier la direction de l’EVAM en général et M. Rochat en particulier pour son écoute et son attitude qui était contraire à l’image que s’étaient forgés les requérants d’asile par rapport à certains collaborateurs Evam du centre de Crissier (voir l’article du 16 décembre ).

Ils ont surtout remercié le journaliste (présent dans la salle) qui avait « dénoncé la situation, saisi la direction et sans qui aucune des mesures prises aujourd’hui n’aurait été possible » tonnait Tawalde, requérant d’asile d’origine Sri lankaise. « Merci à toi Hervé, que Dieu te prête longue vie pour continuer à défendre la cause des sans-voix » concluait Mirka, refugiée Erythréenne.

La réunion s’est ainsi terminée dans une ambiance apaisée et bon enfant avec un sentiment d’espoir quant à l’avenir.

Fbradley Roland

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Des bénévoles de l’International School of Lausanne proposent des activités aux enfants du foyer EVAM de Crissier

Les enfants peuvent stimuler leur créativité à Crissier. Photo Rob Swales.

Le centre d’hébergement EVAM de Crissier accueille environ 400 personnes de cultures et d’origines différents, seules ou en familles. Parmi elles, on trouve beaucoup d’enfants. Tout comme leurs parents, ils ont vécu la guerre, la pauvreté, les menaces. Ils ont quitté leurs amis, parfois des frères et des sœurs, sans nécessairement comprendre ce qu’ils font aujourd’hui dans ce pays étranger qu’est pour eux la Suisse. La seule chose que revendiquent ces petits déracinés, c’est de recevoir de l’attention et de l’affection et de pouvoir vivre leur enfance. Rob Swales, Australien dont la femme travaille à l’International School of Lausanne et Silvia Alvarez, originaire d’Espagne et voisine de Rob, sont deux bénévoles qui proposent des activités de loisirs aux enfants de Crissier.

 

Voix d’Exils : Les parents disent « Si vous voyez beaucoup d’enfants tourner dans le foyer de Crissier, cela signifie que Rob et Silvia sont là !». Vous venez régulièrement vous occuper des enfants ?

Rob Swales : Oui, je passe tous les mercredis à Crissier pour organiser des programmes ludiques, artistiques et sportifs pour autant d’enfants que possible.

Photo: Rob Swales

Silvia Alvarez : J’aide mon ami Rob Swales dans le cadre des activités du mercredi après-midi destinées aux enfants et aussi aux adolescents. Ces activités se déroulent soit à Crissier, soit ponctuellement à L’International School of Lausanne (ISL). Par exemple, en ce moment, les enfants suivent un atelier de sculpture et ils exposeront leurs créations.

Ils visionnent des DVD et font des promenades dans la forêt à proximité. Depuis peu, les enfants ont commencé un cours de Teakwondo animé par Monsieur Omid, l’un des nouveaux résident du foyer.

Pouvez-vous nous parler un peu de cette école et nous dire comment fonctionne la collaboration avec l’EVAM ?

Silvia Alvarez : L’ISL collabore avec l’EVAM depuis le printemps 2011 à travers son programme d’entraide aux requérants d’asile. Cette aide consiste notamment à accorder l’écoute nécessaire aux enfants qui n’ont pas eu la chance de pouvoir vivre une enfance paisible dans leur pays d’origine. Je conseille aussi des adolescentes et des jeunes femmes pour les aider à mener une vie meilleure et leur offrir des possibilités d’épanouissement.

Photo: Rob Swales

Rob Swales: Une grande partie des activités implique la participation des étudiants de l’International School of Lausanne. L’ISL met à disposition des enfants du foyer un autobus qui les amène à son campus du Mont-sur-Lausanne où ils partagent avec un groupe d’étudiants des activités culinaires, musicales, artistiques, sportives et ludiques. Les enfants du foyer ont par exemple été invités à fêter Noël 2011, à manger des gâteaux, à assister à une représentation théâtrale et à une disco organisée par les étudiants et le personnel de l’école.

Qui finance les activités destinées aux jeunes migrants ?

Rob Swales: Les familles des étudiants de l’ISL fournissent des jouets, des livres, des vêtements de bonne qualité ainsi que des produits pour les soins du corps. En plus, des collectes de fonds sont organisées à l’ISL pour alimenter un compte bancaire qui finance des activités pendant les vacances scolaires. L’ISL a également comme projet de proposer un « panier de nouvelles baskets » destiné aux enfants du foyer.

Anush OSKAN

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




La solitude de l’exil


« La solitude de l’exil »

Photographie prise par Jacqueline Allouch le 27 décembre 2011 à Ouchy, Lausanne.




Portrait d’une requérante d’asile

Portrait d’une requérante d’asile. Auteur: keerthigan SIVAKUMAR

« Regardez le monde à travers les yeux des requérants d’asile et vous vous rendrez compte alors de la valeur de votre pays d’origine »

Keerthigan SIVAKUMAR 

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

 

Portrait inspiré d’une peinture de Patrick Debbie « Refugee » 

 




« On peut comparer l’apprentissage de la langue à celui de la bicyclette »

M. Jean-Bernard Modoux, responsable des cours de français intensifs du Centre de formation de l’EVAM. Photo: Hochardan

Certains migrants éprouvent de grandes difficultés à apprendre la langue française, ce qui freine tout le processus de leur intégration. D’où vient ce blocage et que peut-on faire pour le lever ? Nous avons posé la question à M. Jean-Bernard Modoux, responsable des cours intensifs du Centre de formation de l’EVAM (Etablissement vaudois d’accueil des migrants), qui travaille dans l’enseignement de la langue française depuis 30 ans. Interview.

Voix d’Exils : Certains migrants n’arrivent pas à apprendre le français. Ils abandonnent les cours sans pouvoir communiquer à un niveau basique. Pour quelles raisons?

Jean-Bernard Modoux : La première difficulté provient de l’éloignement entre la langue maternelle et la langue cible, le français. Tout est à réapprendre, souvent jusqu’à l’écriture. L’apprentissage est donc très long. Mais cette lenteur se heurte à la volonté de faire d’autres projets, comme travailler pour gagner un peu d’argent – voire pour en envoyer au pays. Ainsi, certains abandonnent pour prendre des emplois, souvent auprès de compatriotes – et pas toujours des plus avantageux, hélas ! D’autres abandonnent par découragement, souvent en lien avec l’insécurité administrative dans laquelle ils vivent. Leur motivation s’en trouve anéantie.

D’autres encore abandonnent tout simplement parce qu’ils ne trouvent pas en eux les ressources pour apprendre efficacement ; le plus souvent, ce sont des personnes qui souffrent de graves difficultés psychologiques : déracinement, déstabilisation existentielle, souvenirs traumatisants, maladies ne permettant pas à leur esprit de se rendre disponible pour apprendre. Souvent, par exemple, ils ne parviennent pas à mémoriser ce qu’ils apprennent ; l’inefficacité de leur apprentissage achève de les décourager… Certains, enfin, ne doivent pas juste « tout réapprendre », comme l’alphabet latin après l’alphabet arabe ou amharique ; ils doivent tout ou presque tout apprendre. Le plus souvent, ils n’ont été que très peu scolarisés dans leur pays voire pas du tout. Cela explique qu’en plus, le plus souvent, ils ne savent pas apprendre, ils ne savent pas rendre leur travail efficace et ils se démotivent.

Concrètement, quelles sont les conséquences de ces difficultés ?

Les personnes en butte à de grosses difficultés psychologiques ont besoin de commencer par se reconstruire un peu, avant tout ; Il faut noter par contre que la fréquentation des cours les soutient beaucoup en général. C’est donc opportun de les y encourager, quand ils y arrivent. Pour les personnes qui n’ont pas été assez scolarisées ou pas du tout, Il en résulte deux types de déficits : l’analphabétisme, soit l’incapacité totale de lire et d’écrire, et l’illettrisme, autrement dit l’incapacité de comprendre ce qu’on lit ou d’écrire des choses cohérentes.

Une personne analphabète, c’est une personne qui ne peut ni lire ni écrire car elle ne connaît pas l’alphabet du tout, elle ne déchiffre pas les lettres. Par contre, une personne illettrée peut déchiffrer, oraliser plus ou moins un texte écrit mais elle n’en comprend pas le sens. Si on veut comprendre l’illettrisme, on peut le comparer aux débuts de l’apprentissage de la conduite automobile : la première fois, l’élève conducteur est tellement concentré sur le contrôle des gaz et de l’embrayage qu’il ne regarde pas devant lui et qu’il peut très bien avancer droit contre un arbre ! De même, l’illettré a besoin de tellement d’énergie pour déchiffrer les lettres, les syllabes, les mots, qu’il n’arrive pas à comprendre ce qu’il vient de lire, à « conduire » la construction du sens. Pour remédier à de tels problèmes, il faut passer beaucoup de temps à l’école et s’engager activement dans son apprentissage – ce qui ne va pas de soi, notamment parce que la représentation de ce qu’apprendre veut dire n’est de loin pas toujours adéquate.

Quelles mesures avez-vous mis en place, dans le cadre du Centre de formation, pour aider les élèves à progresser?

Nous ne pouvons rien face à l’insécurité sociale ; face aux difficultés psychologiques, nous pouvons envoyer les personnes vers des professionnels qui peuvent les aider. Pour ce qui est du temps nécessaire afin d’arriver à un niveau de base suffisant, nous pouvons autoriser des personnes qui ont quitté l’école à y revenir, même si elles ont épuisé leur droit de base, à savoir 9 heures de français pendant 24 semaines, et une année à 24 heures par semaine, selon leur niveau.

Pour l’analphabétisme et l’illettrisme, nous avons créé des cours orientés vers l’acquisition des bases de la lecture. Nous avons aussi créé du matériel pédagogique dans ce but. Enfin, nous avons créé des modules spécifiques pour répondre aux problèmes d’apprentissage. Le premier vise à « apprendre à apprendre ». Dans cet atelier, l’apprenant a l’occasion de prendre conscience de certains mécanismes fondamentaux de tout apprentissage et de mieux se situer, en particulier en ce qui concerne ses canaux préférentiels d’apprentissage. Savoir à quel genre d’apprenant on appartient : plutôt visuel, auditif ou kinesthésique ? Le but est de mieux se connaître et de mieux mobiliser ses meilleures ressources – des techniques d’apprentissage sont présentées à cette occasion. L’autre module consiste en des ateliers de raisonnement logique. Ils ont pour but de développer l’utilisation de la logique – laquelle s’avère toujours nécessaire.

Combien d’élèves fréquentent le Centre de formation ?

Les cours non intensifs de 9 heures par semaine accueillent environ 300 élèves ; ils sont destinés aux nouveaux arrivants en Suisse. Des cours intensifs sont ensuite proposés, à raison de 24 à 28 heures par semaine, à 180 élèves environ.

Quel est le pourcentage des élèves qui rencontrent des difficultés ?

Je dirais que 20 à 30% des élèves ont vraiment de sérieux problèmes. 50 à 60% des élèves ont plus ou moins de difficultés ; ce ne sont pas des gens qui ne connaissent rien, mais ils ne sont pas habitués aux structures de la langue française ou sont dans l’incapacité de prononcer certain mots, de les entendre juste ou d’en discriminer le sens. Environ 10 à 20% des élèves apprennent très vite. Systématiquement, on se rend compte que ces élèves ont fait de bonnes études dans leur pays.

Auriez-vous un dernier mot à ajouter ?

Oui, « apprenez par vous-même! ». Je veux dire que le meilleur des professeurs, le plus gentil, le plus sérieux, le plus professionnel qui soit n’arrivera jamais à ouvrir votre bouche et à y mettre la langue française… C’est vous, apprenant, qui devez apprendre. Le professeur peut vous aider, vous guider, c’est tout.

Comparez l’apprentissage de la langue avec celui de… la bicyclette par exemple. Demandez-vous comment vous avez appris à rouler à vélo. Immanquablement, vous arriverez à vous en souvenir que si vous avez essayé, que si vous êtes tombé, que si vous avez recommencé et ainsi de suite jusqu’à maîtriser votre équilibre, la tenue du guidon, donc la direction, la poussée sur les pédales, le changement des vitesses, etc. Et même le code de la route au bout du compte. Votre grand frère, votre père, votre mère n’ont pu que vous aider à tenir l’équilibre au début. De même, un professeur de français ne peut pas plus que vous aider au début. Pour apprendre une langue, vous devez essayer, vous tromper, corriger, oublier, reprendre, oublier, répéter, oublier, retrouver… Mais attention : si on ne pratique pas, on finit toujours par oublier…

Propos recueillis par:

Hochardan

Membre de la rédaction vaudois de Voix d’Exils