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« Satori peut être compris comme la voix des personnes migrantes et des hackers solitaires »

Auteur: Ezio Leet / Voix d’Exils.

Rencontre avec Ezio Leet, l’auteur de Satori

Lancé en février 2021, le premier roman graphique de Voix d’Exils – Satori – retrace les aventures d’un jeune homme ayant été contraint de quitter son pays et sa famille afin de trouver refuge dans le « West World », un monde meilleur. Notre rédacteur Ezio Leet en est l’auteur. Lors d’une d’une interview accordée à Voix d’Exils, il revient sur son parcours et nous dévoile ses secrets de dessinateur. 

 Bonjour Ezio, pour commencer pourrais-tu te présenter en quelques mots ?

Je suis, comme tu l’as déjà dit, Ezio Leet. Je viens du Kurdistan irakien et j’ai 24 ans. Je suis arrivé en Suisse en 2017 et je vis actuellement dans le Canton de Vaud.

Durant le mois de février 2021, les lecteurs et les lectrices de Voix d’Exils ont eu l’occasion de découvrir ton roman graphique intitulé « Satori ». Au vu de la qualité de tes dessins, la première chose que l’on souhaite savoir est où et comment as-tu appris à dessiner ?

C’est une question difficile. C’est comme si tu m’avais demandé quand est-ce que j’avais vu la lune pour la première fois !? Bien évidemment, je ne m’en souviens pas et je pense que personne ne s’en souvient ! Comme beaucoup d’autres enfants, je dessinais quand j’étais petit, mais ce n’était pas des dessins de haute qualité ni dans un cadre spécifique. Je dessinais ce que je trouvais beau. Les idées que je ne pouvais pas exprimer simplement je les transposais sur le papier. Je dessinais les gens que j’aimais, même si la plupart de temps je ne le montrais pas ! Pour moi, la meilleure façon d’apprendre c’est en pratiquant. Je me suis rendu compte de ça il y a peu de temps. J’ai appris à dessiner en dessinant. Honnêtement, pour moi, tout le monde sait dessiner. Il faut juste prendre le temps ! Vous vous en rendez compte une fois que vous avez passé beaucoup de temps à dessiner !

Intéressant ! Et comment t’es venue l’idée de créer un roman graphique ?

C’est une bonne question et là je me permets de corriger un point ! En fait, pour moi, définir Satori comme un roman graphique c’est un peu exagéré, car un roman graphique c’est quelque chose de plus large; et souvent les auteurs de romans graphiques sont plutôt des personnes expérimentées qui consacrent leur vie à leur travail. Pour moi, Satori c’est plutôt un « webcomic » ! Etant donné que je n’ai pas une carrière artistique – et cela n’a rien avoir avec une manque d’estime de moi-même car c’est une réalité – je préfère utiliser le terme de « webcomic ». Je pense en effet qu’il y a une différence entre un artiste qui consacre sa vie à l’art et quelqu’un qui dessine durant son temps libre. Pour moi, le dessin c’est un passe-temps ! Voilà, j’espère que c’est clair ! Et maintenant, pour répondre à ta question, comme je l’ai dit avant, j’ai vraiment du mal à m’exprimer et je suis souvent mal compris ! Comme je fais partie de la rédaction de Voix d’Exils et qu’ici on a la liberté de s’exprimer, je me suis dit « ben pourquoi pas ? ». Je me suis dit que c’était une bonne occasion pour m’exprimer sur ce que je pense ou ce que je ressens. Je voulais aussi transmettre un message et faire comprendre aux gens que les personnes migrantes, les hackers ou encore les migrants hackers – car Satori est les deux à la fois – ne sont pas mauvais et que des fois ils essaient simplement de changer le monde afin de le rendre meilleur ! En quelque sorte, Satori peut être compris comme la voix des personnes migrantes et des hackers solitaires en même temps ! (Rires).

C’est un beau message que tu souhaites faire passer ! Et quelles sont les phases de création d’un épisode de Satori ?

Alors ça dépend vraiment de comment je me sens (rires). Parfois, j’écris le script en premier puis je dessine et parfois c’est l’inverse. Souvent, j’ai une idée générale en tête avant de commencer ! Il y a donc plusieurs phases : celle de la rédaction du script et celle du dessin (qui sont interchangeables) et il y a une troisième phase qui consiste à rassembler les deux premières.

Je sens que Satori est un projet qui te tient à cœur. Quels sont tes points communs avec le personnage principal de ton « webcomic » ?

Ironiquement, des fois je ne me rends pas compte si c’est moi qui crée le caractère de Satori ou si c’est lui qui me crée ! Plus je passe de temps avec Satori et plus je m’identifie à lui ! Je ne vais pas trop entrer dans les détails ici. Finalement, nous sommes des hackers – pas des pirates – nous ne voulons pas exposer nos informations ! (Rires).

Où trouves-tu l’inspiration pour créer les histoires de Satori ?

Tout simplement en marchant ! Je marche beaucoup et c’est durant ces moments-là que je trouve vraiment mes idées !

Pour finir, quels sont tes projets pour la suite ?

Alors, quand j’ai commencé à dessiner Satori je me suis vite rendu compte que j’avais un problème à dessiner la position des caractères. En effet, ça prend énormément de temps, surtout pour les dessinateurs moins expérimentés. Comme je suis également programmeur en plus d’être dessinateur, j’ai eu l’idée de créer un logiciel qui produit la position des caractères selon la préférence de l’artiste. J’envisage de partager bientôt cette idée avec la communauté « open source » afin que les personnes du monde entier puissent collaborer ensemble. Mon petit projet a donc pour but d’aider les artistes ou les futurs artistes qui rencontrent les mêmes problèmes que moi !

Propos recueillis par:

 Jovan Mircetic

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils

Les derniers épisodes de Satori

Satori #0

Satori #1

Satori #2

Satori #3

Satori #4




« Nous pouvons abattre toutes les frontières qui cloisonnent les esprits et les peuples »

Dialogue d’un père avec son fils. Illustration de Kristine Kostava/Voix d’Exils

Dialogue d’un père avec son fils peu avant sa naissance

Noé, membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils, s’adresse à son fils sur le point de naître : « les nouvelles du dehors ne sont pas très bonnes! » et se met d’accord avec lui d’abattre ensemble toutes les frontières qui cloisonnent les esprits et les peuples pour bâtir un monde meilleur.

Père: Fils, il y a quelque chose que je dois te dire …

Fils: Qu’est-ce que c’est ?

– Ils ne veulent pas de nous ici !

– Que veux-tu dire ? De toute façon tu sais que j’arrive !

– Ils veulent que nous retournions là d’où nous venons.

– Si je pouvais, je vous emmènerai tous avec moi. Mais de là d’où je viens, il n’y a pas de retour. Père, tu devrais voir cet endroit! Je ne connais pas assez de mots pour te décrire toutes ses merveilles et ses couleurs. Je peux encore apercevoir les lumières célestes à l’autre bout du tunnel. Mais ne t’inquiète pas, j’apporte un petit bout de paradis avec moi dans votre monde.

– Fils, l’endroit dont je veux te parler n’est pas d’un autre monde, il s’agit d’un pays. Le pays où ta mère et moi nous sommes nés.

– C’est quoi un pays !?

– Eh bien, un pays est un endroit encerclé par des frontières naturelles telles que les mers, les montagnes, les déserts, les lacs… Ainsi que des frontières artificielles faites par l’homme.

– Est-ce une sorte de prison ?

– Non, nous sommes des Hommes libres ! Enfin, en théorie.

– Alors nous devrions être libres d’aller où bon nous semble !

– Ce n’est pas si simple, Il existe des lois qui limitent nos droits naturels, et nous devons y obéir.

– Je ne comprends pas les règles qui vous gouvernent. Tous les Hommes obéissent-ils à ces mêmes lois ?

– Non, pas tous, ces lois ne s’appliquent qu’à nous… Je ne voudrais pas déjà te décourager, mais je dois te le confesser: Ta mère et moi, nous ne sommes pas nés sous la lumière des plus belles étoiles. Ils nous appellent le tiers-monde, en vérité nous sommes bien plus qu’un tiers de cette planète. Nous sommes la majorité invisible! On ne peut être vus ni entendus, peu importe notre nombre. Car les ombres n’ont pas de voix.

– Mais ne dit-on pas que tous les Hommes naissent libres et égaux !?

– Oui, en théorie… Tu sais, je me demande parfois si tu peux me voir sourire depuis là où tu es. Peux-tu voir quand je suis triste ? Je suis déjà si fier de toi ! L’ironie est une assurance survie dans ce bas monde et je sais que tu en as plus qu’il n’en faut.

– Père, Je n’essayais pas de te faire sourire.

– Je sais, crois-moi ! Ton grand-père me disait : « Fais ce que je te dis et non ce que je fais ! ». Il me semble que cela résume bien un monde.

– Nous allons guérir le monde ! Abattre toutes les frontières qui cloisonnent les esprits et les peuples.

– Mon fils, tu n’es même pas encore né ! Et tu es déjà plus déraisonnable que ton pauvre père. Où penses-tu que nous irons ainsi ?

– Vers un endroit meilleur ! Je te montrerai le chemin.

– Tu sais qu’il n’existe aucun endroit où je n’irai pas pour toi, même si je dois le bâtir de mes propres mains.

– Nous allons le bâtir ensemble, et le monde entier se joindra à l’ouvrage !

– Un endroit où l’humanité ne connaîtra plus de frontières…

– Père, je sais que nous pouvons le faire.

– Mon cher fils, oui, nous le pouvons!

– Je suis en chemin…

Noé

Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils

 




Flash INFOS #67

Permis humanitaire pour Salomon. Illustration de Kristine Kostava / Voix d’Exils

Sous la loupe : Un permis humanitaire pour Solomon Arkisso ? / Mario Gattiker s’exprime sur les violences dans les centres fédéraux / Une fresque géante en l’honneur des jeunes migrants à Lausanne

Un permis humanitaire pour Solomon Arkisso ?

24 Heures, le 15 juin 2021

Le 15 juin, les membres du parlement vaudois ont accepté par 72 voix contre 63 une résolution appelant le Conseil d’Etat à demander l’octroi d’un permis humanitaire à Solomon Arkisso auprès du Conseil fédéral. Pour rappel, ce dernier a été renvoyé de force en Ethiopie fin janvier et jouit d’une interdiction d’entrée sur le territoire de la Confédération jusqu’en 2026. Si le principal concerné venait à retourner en Suisse, le député Guy Gaudard s’est engagé à lui garantir une place d’apprentissage. Le conseiller d’Etat Phlippe Leuba a pour sa part souligné que jusqu’à présent le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) avait refusé de reconsidérer toutes les demandes qui lui avaient été adressées.

Mario Gattiker s’exprime sur les violences dans les centres fédéraux

24 Heures, le 21 juin 2021

« Les centres [fédéraux pour requérants d’asile] ne sont pas des espaces de non-droit, où règne la violence ». Telle est la réaction du secrétaire d’Etat aux migrations – Mario Gattiker – face aux propos de Jean-Claude Huot, membre de la Commission fédérale des migrations, pour qui les centres fédéraux « ne peuvent pas être des zones de non-droit » et la possibilité de porter plainte devrait être un minimum requis. M. Gattiker assure que ce minimum requis est déjà donné aux personnes requérantes d’asile se sentant victimes d’actes injustifiés. En outre, il assure que le Secrétariat d’Etat aux migrations prend très au sérieux les allégations relatives aux actes de violences et abus commis à l’encontre des requérants d’asile dans les centres fédéraux. Le secrétaire rappelle également que pour faire la lumière sur les faits reprochés, une enquête externe et un audit interne ont été ouverts. De plus, les agents de sécurité concernés ont été suspendus et des plaintes pénales sont en cours. Tout en reconnaissant qu’il y a encore à faire, Mario Gattiker se réjouit de l’engagement quotidien du personnel des centres fédéraux pour le bien-être des personnes en procédure d’asile et rappelle que fin 2020, la Commission nationale de prévention de la torture a jugé que ces derniers « sont en général hébergés dans des conditions conformes aux droits humains et aux droits fondamentaux ».

 

Une fresque géante en l’honneur des jeunes migrants à Lausanne

24 Heures, le 19 juin 2021

A l’occasion de la journée mondiale des réfugiés, une fresque géante, conçue par de jeunes migrants, a vu le jour sur la place de l’Europe à Lausanne. Majoritairement originaires d’Afghanistan, les jeunes migrants ont été encadrés par deux graffeurs. La fresque a été produite avec des sprays spéciaux, dont la couleur partira à l’eau. Le projet a été initié par l’entraide Protestent suisse (l’EPER) et comme le souligne Elise Shubs – adjointe du département des projets suisses de l’EPER – le but était que les jeunes migrants puissent faire parler leur imaginaire et se projeter dans le futur. Création éphémère destinée aux passants, la fresque donne une image positive et porteuse d’espoir. Au centre de la fresque, la phrase « Never give up » (n’abandonne jamais) est mise l’honneur. Des phrases dans d’autres langues, des fleurs, des nuages et des étoiles sont également dessinés.

Pour visionner la fresque cliquez ici.

La rédaction vaudoise de Voix d’Exils




« En Suisse, je me sens valorisée et acceptée »

Source: pixabay.com

La culture de l’encouragement

Lorsqu’elle dépose sa demande d’asile en Suisse, il y a cinq ans, Zahra découvre progressivement ce qu’on pourrait définir comme la culture de l’encouragement. A son grand étonnement, plutôt que de relever son ignorance des us et coutumes locaux, ses différents interlocuteurs répondent à sa curiosité, la soutiennent dans ses démarches et la félicitent pour ses progrès. Malgré son statut précaire – elle est à l’aide d’urgence -, la jeune Kurde veut croire qu’elle a un avenir possible dans ce pays où elle se sent bien.

Elle a souhaité partager avec les lecteurs et lectrices de Voix d’Exils quelques expériences marquantes et dire sa reconnaissance aux personnes qui l’ont aidée depuis son arrivée sur le sol helvétique.

En Iran, on échange beaucoup de critiques et peu de compliments

« En 2016, j’habitais dans le foyer d’accueil des migrants de Sainte-Croix, dans le canton de Vaud. Grâce à l’aide d’un groupe de bénévoles qui venaient trois soirs par semaine nous donner des cours, j’ai appris le vocabulaire de base pour me débrouiller dans la vie quotidienne.

Un jour, j’ai reçu un courrier pour un rendez-vous médical mais sans précision de l’adresse. J’ai croisé mon assistante sociale dans les corridors et je lui ai demandé si elle pouvait m’aider. Pascal, le responsable du foyer qui passait par là, m’a entendue et il a pris la peine de s’arrêter pour me complimenter sur mes progrès en français.

J’ai été très surprise par la façon chaleureuse et encourageante dont il s’est adressé à moi. D’ailleurs, des années plus tard, je m’en souviens comme si c’était hier… Pour que vous compreniez ma réaction, je dois préciser que dans mon pays d’origine, ça ne se passe pas du tout comme ça. Les relations interpersonnelles sont plutôt rugueuses, et les compliments sont très rares contrairement aux critiques qui sont faites pour un oui ou pour un non.

En Suisse, mon handicap n’a pas été une barrière

Avant d’arriver à Sainte-Croix, j’avais été hébergée pendant deux semaines dans le foyer de Vallorbe. Je venais d’arriver en Suisse, et je découvrais une nourriture dont le goût, la préparation, les couleurs étaient très différents de la nourriture que j’avais l’habitude de manger en Iran. Comme le domaine culinaire m’a toujours beaucoup intéressée, j’ai cherché des informations sur Internet et j’ai aussi posé des questions aux cuisiniers du foyer pour connaître les recettes et les ingrédients des plats qui nous étaient proposés. Ils ont répondu à ma curiosité avec une patience et une gentillesse qui m’ont beaucoup touchée.

Par la suite, je me suis inscrite dans le Programme cuisine proposé aux migrant.e.s par l’Établissement vaudois d’accueil des migrants (l’EVAM). J’avais peur de ne pas être acceptée, parce que j’ai une main handicapée à laquelle il manque des doigts. Mais j’ai été rapidement rassurée, mon handicap ne constituait pas une barrière pour la réalisation de mon projet qui était d’obtenir le certificat d’aide en cuisine. J’ai fait une semaine de stage préliminaire dans le self-service de l’EVAM à Lausanne et tout s’est très bien passée. Là encore, personne ne m’a fait de remarques désobligeantes, et personne n’a mis en doute mes capacités à travailler en cuisine.

A la fin de ma formation, avant d’obtenir mon certificat, j’ai fait un mois de stage à la Fondation Mère Sophia, à Lausanne. Avec une petite équipe de bénévoles, nous préparions la soupe que nous servions tous les soirs, dans la grande salle de la fondation, aux personnes dans le besoin. J’épluchais et je coupais les légumes, le travail était simple et se faisait dans une très bonne ambiance. Les bénévoles m’ont tout de suite adoptée et j’ai pu prolonger le stage d’un mois. J’aurais bien voulu continuer, mais l’expérience s’est ensuite arrêtée parce que mon statut – je suis à l’aide d’urgence -, ne me donne pas le droit de travailler.

J’ai été rassurée sur mes compétences

Je suis une jeune femme célibataire qui – comme beaucoup de migrant.e.s – vit seule, loin de sa famille. Mes parents et une de mes sœurs sont restés en Iran. Mon autre sœur habite en Suisse alémanique, dans le canton d’Argovie, mais je la vois seulement deux-trois fois par année, car le train coûte très cher et j’ai un tout petit budget.

Cet isolement est difficile à supporter. Comme tout le monde, j’ai besoin de contacts humains pour préserver mon équilibre, j’essaie aussi d’avoir des objectifs, un but à atteindre. J’ai l’espoir de voir ma demande d’asile évoluer. Je rêve d’obtenir le permis B et de pouvoir enfin travailler dans mon domaine de formation qui est la comptabilité.

En attendant, et pour ne pas rester les bras croisés après mon passage en cuisine, je me suis intéressée à une autre activité proposée par l’EVAM : le Programme Cybercafé. Ma mission consistait à gérer de façon presque autonome le relais internet destiné prioritairement aux migrants hébergés dans le foyer de Sainte-Croix. Malheureusement, un mois après mes débuts dans ce programme, le Cybercafé a été fermé pour cause de Covid…

Que faire ? J’ai alors été orientée vers le Programme Voix d’Exils. Omar, mon responsable, m’a proposé d’écrire des articles pour le site Voix d’Exils. Le premier jour, je n’avais aucun sujet d’article à proposer. Pour moi, qui vient de la comptabilité, c’était un exercice très difficile. J’étais très stressée et déçue, j’étais sûre que Omar allait me dire que je n’avais pas les compétences nécessaires et que je ne pouvais pas rester. Mais, à ma grande surprise, il m’a rassurée, il m’a dit qu’on allait en parler avec Afif, le deuxième responsable du programme. Les deux ont pris le temps de m’expliquer à nouveau quel était mon rôle et ce qu’ils attendaient de moi. Comme ils m’ont fait confiance et qu’ils m’ont encouragée, je n’ai pas voulu les décevoir, je me suis accrochée et maintenant, cinq mois après mes débuts, grâce à l’aide et au soutien de différents collaborateurs de ce média en ligne, j’ai écrit et publié plusieurs articles dont je suis très fière.

Ma situation n’est pas facile, mais j’essaie d’avancer, de ne pas perdre l’espoir. À toutes les personnes qui, depuis mon arrivée en Suisse, m’ont soutenue, à toutes celles et ceux qui m’ont redonné confiance et qui m’ont permis de grandir, je voudrais ici vous dire : MERCI !

Zahra Ahmadiyan

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils




Les situations de handicap diffèrent d’un pays à l’autre

Illustration graphique de Kristine Kostava / Voix d’Exils

« Mon handicap ne m’empêche pas de vivre librement »

Malgré ses déplacements en scooter électrique adapté, notre rédactrice, Kristine Kostava, essaye de vivre de façon la plus autonome possible. Originaire de Géorgie, elle compare la situation vécue par les personnes handicapées dans son pays et en Suisse. Son témoignage :

« Je n’ai jamais rêvé de vivre dans un autre pays, malgré beaucoup de problèmes et de misère. Je ne parle pas seulement de la condition matérielle. A ma naissance, en Géorgie, il y a eu des complications. Les erreurs médicales ont engendré ma situation de handicap qui me force à rester en fauteuil roulant pour toujours.

En grandissant, je prenais conscience de mon problème et ça me complexais. Je ne voulais plus sortir de la maison. J’avais honte de ne pas pouvoir marcher. Dans la rue, les personnes me regardaient avec pitié et d’autre m’insultaient à cause de mon handicap.

« En Géorgie, les espaces publics sont inadaptés »

A 20 ans, l’association « Education Development and Employment Center » m’a contacté et m’a proposé des cours pour développer des connaissances sur les différents handicaps.

En Géorgie, je ne pouvais pas traverser la rue en fauteuil roulant, car il n’y avait pas de rampes à proximité des bâtiments. Les ascenseurs, les bus, les trains n’étaient pas adaptés aux personnes handicapées. Je n’ai jamais voyagé en transports en commun. Alors, je devais prendre un taxi. Heureusement, mon père était chauffeur de taxi et il assurait mon transport. Je n’aurais jamais pu me le permettre avec ma pension de 200 GEL qui représentent 60 franc suisse.

À 27 ans, j’ai étudié le graphisme, puis j’ai commencé à travailler comme designer dans l’une des imprimeries de Kutaisi. En raison de conditions inadaptées et d’un salaire très bas, mon père m’emmenait au travail.  Sans son aide, tout mon salaire aurait été dépensé dans les frais de transport. J’étais toujours contente d’aller travailler.  Le personnel et les patrons étaient très gentils et chaleureux ! Mon métier me passionnait.

J’ai travaillé pendant environ un an. J’ai commencé à avoir des douleurs atroces aux jambes et à la colonne vertébrale en raison de la détérioration de ma santé.  J’avais besoin d’une chirurgie et d’une physiothérapie intensive. Les traitements dont j’avais besoin sont impossible à faire en Géorgie, à cause du manque d’assurance maladie et des faibles revenus. L’accès à la sante est difficile, car les coûts sont élevés et la population a peu de moyens financiers. Les bons médecins sont tous partis à l’étranger en raison du manque de salaire et de la sous-estimation de leur métier.

« En Suisse, je me déplace de manière autonome »

C’est à cause de ces problèmes que j’ai dû quitter mon pays et venir en Suisse ! En espérant qu’ils pourraient m’aider ici ! C’était très difficile de tout recommencer dans un pays étranger, mais l’humain s’habitue à tout. L’essentiel pour moi était d’améliorer ma santé et la Suisse a vraiment réussi! Je bénéficie d’exercices intensifs, de la physiothérapie, des soins médicaux. Aujourd’hui, je suis en attente d’une date pour une opération qui a été reportée deux fois à cause de la pandémie.

J’ai rencontré beaucoup de gentilles personnes en Suisse qui m’ont aidé. Une fondation orthodoxe m’a donné un scooter électrique ce dont je ne pouvais même pas rêver en Géorgie. Maintenant je peux me déplacer n’importe où de manière indépendante, sans aucun obstacle. En Suisse, toutes les conditions sont réunies pour qu’une personne handicapée vive de manière autonome. Je peux utiliser les transports publics et accéder à tous les bâtiments. Je vis librement sans complexe! Je n’ai plus honte de sortir dans la rue ou que quelqu’un me regarde avec pitié! Ici, tous les individus sont égaux, tous les droits de l’homme sont protégés !

« J’ai, enfin, trouvé ma part de bonheur »

C’est très difficile de se développer dans un pays étranger quand l’état ne vous permet pas de rester. Le Secrétariat d’Etat aux Migration (SEM) a refusé quatre fois ma demande d’asile mais je ne suis pas venue ici pour ce papier. L’essentiel pour moi est de retrouver la santé et le bonheur ! J’ai trouvé ma part de bonheur, ici, et mon objectif n’est pas de rester éternellement en Suisse.

Je souhaiterai apporter mon expérience de vie, une vision, un environnement, une réflexion, une liberté différente à mon pays. Mon objectif serait d’aider les gens qui sont déçus comme moi !  Peu importe comment nous sommes nés, qui nous sommes, quel genre de problèmes de santé nous avons, l’essentiel est de nous aimer tel que nous sommes et de ne permettre à personne de nous regarder comme une chose inutile ! Je me sens comme une personne à part entière en Suisse. Je respire ici, je suis libre, avec de grands espoirs. Bientôt, je serai en bonne santé ! Merci à la Suisse pour tout cela ! Maintenant, je peux dire: Il n’y a pas de limites ! Il y a un environnement handicapé ! »

Kristine Kostava

Membre de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils.