Les premières visites ravivent les cœurs
Drôles et émouvantes retrouvailles dans un EMS valaisan
Aujourd’hui, il fait beau et je me sens très bien en ce début de mois de juin. C’est la deuxième fois depuis la crise du Coronavirus que je viens à la maison de retraite pour un travail de bénévolat. Je prépare le dispositif des visites. Grâce au beau temps, on peut les organiser dans le jardin.
La première aura lieu dans quelques minutes. Je dois me dépêcher et bien désinfecter la table, les chaises et surtout le plexiglass installé au milieu de la table.
Ils arrivent : une jeune femme avec un homme, ils sont le fils et la belle-fille de Madame… Oh, je suis vraiment « terrible » pour me rappeler le nom des gens, je les oublie toujours !
« Pourquoi n’es-tu pas venu me voir ? »
J’accueille les deux visiteurs et les invite à bien se désinfecter les mains et à remplir les formulaires administratifs. Je les guide ensuite jusqu’au lieu de la visite. Le jeune homme me demande :
– « Est-ce que nous devons porter un masque pendant la visite ? » et il ajoute « C’est notre première visite depuis deux mois. On s’est seulement parlé quelques fois sur WhatsApp. »
– Je lui réponds : « Non, le plexiglass entre vous suffit ; si vous portez le masque ça serait trop difficile pour vous comprendre. »
Après quelque secondes, sa mère arrive sur une chaise roulante, accompagnée d’une infirmière. C’est une petite dame avec de grosses lunettes, elle a des cheveux courts et blancs comme la neige des Alpes. En s’installant derrière la table elle dit d’une voix fragile :
– « Où étais-tu? Pourquoi n’es-tu pas venu me voir ? »
– « Il y avait une maladie grave partout, on n’avait pas le droit de venir, c’était interdit. » explique son fils en s’approchant du plexiglass pour mieux se faire comprendre.
– « Depuis quand est-ce qu’on interdit à des enfants de rendre visite à leur mère ? » demande-t-elle sérieusement.
– « Mais Maman … » J’interromps le fils et l’informe que la durée de la visite est limitée à 30 minutes au maximum.
Je les laisse tranquilles et m’assieds sur une chaise à l’écart, de l’autre côté du jardin, où je m’occupe avec mon téléphone portable.
Je dois faire attention à l’heure, car la visite suivante est annoncée dans 40 minutes. Cela fait déjà 23 minutes que la visite a commencé, et il ne reste que 7 minutes ! C’est le moment le plus difficile, quand je dois les avertir qu’il ne reste que 5 minutes ! Ils vont me dire que le temps a passé très vite!
Je me rapproche d’eux. Heureusement, ils sont plus détendus qu’au début de la visite. Ils me remercient et se disent au revoir. Le fils promet à sa mère qu’il reviendra très vite.
« C’est notre anniversaire de mariage »
Je vois arriver la voiture de la deuxième visite. Elle se gare dans la cour de la maison. C’est un monsieur d’environ 80 ans, mais il a l’air d’avoir vingt ans de moins. Il vient vers moi avec un joli bouquet de roses et une boîte dans les mains.
– « C’est notre anniversaire de mariage aujourd’hui et j’ai apporté un petit gâteau pour le manger avec ma femme » me dit-il avec un grand sourire.
– « Joyeux anniversaire ! Mais avant je dois tout désinfecter. »
– « Désinfecter le gâteau ??!!! » me demande-t-il avec un regard étonné.
– « Mais non, on ne désinfecte pas le gâteau, seulement la boîte et le bouquet de fleurs !»
Sa femme arrive avec une infirmière à ses côtés mais je trouve qu’il y a quelque chose de bizarre.
L’infirmière s’adresse à la femme et lui explique que le Monsieur est son mari et qu’il vient lui rendre visite. Mais la femme répond qu’elle n’est pas mariée et qu’elle veut retourner dans sa chambre. Elle est agitée. Son mari est déjà posté derrière le plexiglass et je peux voir de l’amour dans ses yeux. Après quelques minutes de discussion, elle accepte de rester.
Je désinfecte bien le bouquet de roses. Elles sont vraiment jolies et je trouve que le Monsieur a du goût et de l’élégance. Même après toutes ces années, on voit beaucoup signes de beauté dans le visage de sa femme.
Je donne le gâteau à la cafétéria pour qu’on le serve pendant la visite avec une tasse de café et je m’assois à nouveau sur ma chaise. La situation de ce couple me touche beaucoup et occupe mon esprit.
« Vous avez une bonne philosophie de vie »
Au bout d’un moment, je suis distrait par le manège de deux résidents assis à la table voisine : un Monsieur assis en face d’une Dame essaie d’engager la conversation :
– Le Monsieur : « Il fait beau aujourd’hui ! n’est-ce pas ? »
– La Dame : « Oui. »
– Le Monsieur : « La vie est belle ! »
– La Dame: « Quelques fois c’est pénible. »
– Le Monsieur : « Mais on l’oublie vite. »
– La Dame : « Vous avez une bonne philosophie de vie. »
– Le Monsieur : « …. »
Je regarde mon téléphone pour vérifier le temps de la visite. C’est déjà l’heure! Je tourne ma tête vers la table de visite. Wow ! Quel magnifique tableau ! Le bouquet de jolies roses est disposé dans un vase à côté de la femme ; ils sont en train de manger du gâteau en discutant gentiment. Elle a un large sourire et cette fois-ci je n’ai pas envie d’interrompre cette rencontre…
Ahmadirad Salahaddin
Membre de la rédaction valaisanne de Voix d’Exils
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Merci pour ce texte, il est si bien écrit qu’on a le sentiment d’être avec vous dans le jardin de l’EMS. Vous avez un grand talent d’observateur et vous posez un regard très bienveillant sur le monde.
merci pour votre commentaire, ça m’encourage beaucoup. honnêtement, c’est tout grâce au sujet qui était si touchant.